Considérant, d'une part, que, si la demande d'indemnité du 6 octobre 1960, dont le préfet de la Moselle a été saisi, émanait de cette caisse mutuelle, le préfet a, à la suite de cette réclamation qui portait tant sur l'indemnisation de la caisse mutuelle, l'assureur du sieur Bourst, que sur l'indemnisation de ce dernier, refusé toute indemnité à l'un et à l'autre par décision du 4 novembre 1960 ; qu'ainsi, le contentieux a été lié non seulement à l'égard de la caisse mutuelle, mais aussi à l'égard du sieur Bourst ;
Considérant, d'autre part, que la demande présentée devant le Tribunal administratif de Strasbourg par le sieur Bourst et la Caisse mutuelle de réassurance agricole contre l'incendie de l'Est, qui fondaient leurs conclusions aux fins d'indemnité sur le même fait dommageable, présentait à juger les mêmes questions à l'égard des deux demandeurs sans qu'il y eût à examiner des circonstances particulières à chacun ; que ceux-ci pouvaient, dès lors, former leurs conclusions par une requête unique ;
Considérant que de ce qui précède, il résulte que les fins de non-recevoir opposées parle département de la Moselle aux demandeurs en première instance ne sauraient être retenues ;
Au fond :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le sieur Arnette, interné à l'hôpital psychiatrique de Lorquin (Moselle) depuis le 30 juin 1958 et ultérieurement soumis au régime juridique du placement volontaire défini à l'article L 333 du Code de la santé publique, a fait l'objet, dans les conditions prévues par une circulaire ministérielle du 4 décembre 1957, d'une décision de sortie d'essai pour une durée de trois mois prise le 3 janvier 1959 par le médecin-chef de service en considération de l'amélioration de son état de santé ; que cette décision prévoyait que l'intéressé occuperait un emploi chez un agriculteur des environs ; que le sieur Bourst, exploitant agricole à Hesse, a accepté, par un acte écrit signé le 3 janvier 1959, de recevoir sous son toit le sieur Arnette et de lui assurer des moyens d'existence pendant la durée d'un congé de 30 jours à titre d'essai ; qu'à l'expiration de cette période de 30 jours, le sieur Arnette est resté employé chez le sieur Bourst jusqu'au 7 mars 1959, date à laquelle il a quitté son emploi et le domicile du sieur Bourst ; que le lendemain, 8 mars, vers 23 h 30, il a allumé un incendie dans les locaux du sieur Bourst ;.
Considérant, en premier lieu, que le fait générateur du dommage subi par le sieur Bourst s'est produit pendant une période où, bénéficiant d'une autorisation de sortie d'essai délivrée par le médecin-chef de l'hôpital psychiatrique, le sieur Arnette conservait juridiquement la qualité de malade interné dans cet établissement ; que, par suite, la responsabilité du département de la Moselle est, le cas échéant, susceptible d'être engagée envers le sieur Bourst et la Caisse mutuelle à raison des conséquences dommageables de l'incendie allumé par le sieur Arnette ;
Considérant, en deuxième lieu, que l'engagement du 3 janvier 1959, par lequel le sieur Bourst avait accepté que le sieur Arnette lui fût confié pour une durée de 30 jours, indiquait qu'à l'expiration de cette période de 30 jours, c'est-à-dire le 3 février 1959, le préfet de la Moselle prononcerait la sortie définitive du sieur Arnette de l'établissement psychiatrique dans lequel ce dernier était interné ; que, si, après le 3 février 1959, le sieur Bourst a conservé sous son toit le sieur Arnette et maintenu le contrat de travail qui le liait à ce dernier, l'indication portée dans l'acte du 3 janvier 1959 lui permettait de penser que le sieur Arnette n'était plus, à partir du 3 février suivant, interné à l'hôpital psychiatrique ; que, dès lors, et nonobstant la . circonstance, ignorée du sieur Bourst, que cette sortie définitive n'avait pas, en réalité, été prononcée par le préfet et que le sieur Arnette se trouvait toujours en sortie d'essai, le sieur Bourst ne peut être regardé comme ayant entendu accepter tacitement la reconduction à partir du 3 février 1959 des engagements qu'il avait souscrits envers l'hôpital psychiatrique de Lorquin, en ce qui touche l'hébergement et l'emploi du sieur Arnette, lequel, à ses yeux, échappait désormais au régime juridique de l'internement ; qu'il s'ensuit, d'une part, que le département de la Moselle ne peut se prévaloir, en tout état de cause, pour un fait survenu le 8 mars 1959, de la clause insérée dans l'acte du 3 janvier 1959 et par laquelle le sieur Bourst dégageait la responsabilité du département pour tous les actes dommageables causés parle sieur Arnette, alors que cet acte n'a pas fait l'objet d'une tacite reconduction, et, d'autre part, que, à la même date du 8 mars 1959, le sieur Bourst n'était plus lié par aucun engagement envers l'hôpital et avait la qualité de tiers par rapport au département ;
Considérant en troisième lieu, que les sorties d'essai organisées par la circulaire ministérielle du 4 décembre 1957 font partie des traitements propres à assurer la réadaptation progressive des malades mentaux à des conditions normales de vie ; que cette méthode thérapeutique crée un risque spécial pour les tiers, lesquels ne bénéficient plus des garanties de sécurité inhérentes aux méthodes habituelles d'internement ; que, par suite, le sieur Bourst et la Caisse mutuelle sont fondés à soutenir, à l'appui de leur appel incident, que l'incendie allumé par le sieur Arnette et qui est en relation directe avec la sortie d'essai dont ce dernier continuait à bénéficier le 8 mars 1959, est de nature à engager sans faute la responsabilité du département à leur égard ;
Considérant enfin que le sieur Bourst ayant été amené à penser, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que le sieur Arnette échappait dès le 3 février 1959 au régime juridique des malades internés et n'était plus placé à l'hôpital psychiatrique de Lorquin, n'a commis de faute ni en ne se préoccupant pas, pendant la période où il a continué à l'employer, de faire préciser la situation administrative de l'intéressé à l'égard de l'hôpital ou de tenir les autorités hospitalières informées de l'évolution du comportement du sieur Arnette, ni en s'abstenant de signaler immédiatement à l'hôpital le départ du sieur Arnette le 7 mars 1959 ; qu'ainsi aucune faute du sieur Bourst victime du dommage litigieux, ne peut, en l'espèce, dégager ou atténuer la responsabilité du département ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que, si le département de la Moselle, n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif a retenu sa responsabilité partielle envers le sieur Bourst et la Caisse mutuelle, le recours incident de ces derniers tendant à faire supporter par le département l'entière responsabilité de l'incendie doit, en revanche, être accueilli ;
Sur les dépens de première instance :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'affaire, de mettre les dépens de première instance à la charge du département de la Moselle ; (Département de la Moselle déclaré entièrement responsable des Conséquences dommageables subies par le sieur Bourst et la Caisse mutuelle de réassurance agricole contre l'incendie de l'Est à Chaumont à l'occasion du sinistre provoqué le 8 mars 1959 par le sieur Arnette ; réformation dans ce sens de l'article 1er du jugement ; rejet de la requête du département de la Moselle ; dépens de première instance et d'appel mis à sa charge).
Publication : Publié au Recueil Lebon
Recours : Plein contentieux
Décision attaquée : Tribunal administratif Strasbourg 1964-11-18 réformation
Abstrat : 60-01-02-01-01-04,RJ1
RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - FAITS SUSCEPTIBLES OU NON D'OUVRIR UNE ACTION EN RESPONSABILITE - FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE - RESPONSABILITE SANS FAUTE - RESPONSABILITE FONDEE SUR L'EGALITE DEVANT LES CHARGES PUBLIQUES - RESPONSABILITE DU FAIT D'AGISSEMENTS ADMINISTRATIFS NON FAUTIFS - Risques de voisinage - Responsabilité d'un département à raison du fonctionnement d'un hôpital psychiatrique.
Abstrat : 60-02-01-01-005-01
RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE - RESPONSABILITE EN RAISON DES DIFFERENTES ACTIVITES DES SERVICES PUBLICS - SERVICE PUBLIC DE SANTE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE SANS FAUTE - SORTIES D'ESSAI DES MALADES MENTAUX - Hôpitaux psychiatriques - "Sorties d'essai" des malades.
Abstrat : 61-06-025
SANTE PUBLIQUE - ETABLISSEMENTS PUBLICS D'HOSPITALISATION - RESPONSABILITE DES HOPITAUX (VOIR RESPONSABILITE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE) - Sorties d'essai des malades des hôpitaux psychiatriques.
Résumé : 60-01-02-01-01-04, 61-06-025 Malade mental ayant fait l'objet d'une "sortie d'essai" de trois mois dans les conditions prévues par la circulaire ministérielle du 4 décembre 1957, et ayant allumé un incendie dans les locaux de l'agriculteur chez qui il avait été placé. Méthode thérapeutique des "sorties d'essai" créant un risque spécial pour les tiers. Les dommages causés à ces derniers, et qui sont en relation directe avec l'application de cette méthode, sont de nature à engager sans faute la responsabilité des hôpitaux psychiatriques à leur égard. Victime du dommage ayant accepté le 3 janvier de prendre en charge le malade pour une durée de 30 jours à l'expiration de laquelle la sortie définitive de ce dernier devait être prononcée. Bien que le malade soit en fait demeuré sous le régime de la sortie d'essai, et ait ainsi conservé juridiquement jusqu'au 3 avril la qualité de malade interné, la victime du dommage, qui ne peut être regardée comme ayant accepté de reconduire tacitement à partir du 3 février les engagements qu'il avait souscrits envers l'hôpital, avait le 8 mars, date à laquelle l'incendie a été allumé, la qualité de tiers vis-à-vis du département dont la responsabilité est ainsi engagée à son égard.
Résumé : 60-02-01-01-005-01 Malade mental ayant fait l'objet d'une "sortie d'essai" de trois mois dans les conditions prévues par la circulaire ministérielle du 4 décembre 1957, et ayant allumé un incendie dans les locaux de l'agriculture chez qui il avait été placé. Méthode thérapeutique des "sorties d'essai" créant un risque spécial pour les tiers. Les dommages causés à ces derniers, et qui sont en relation directe avec l'application de cette méthode, sont de nature à engager sans faute la responsabilité des hôpitaux psychiatriques à leur égard. Jurisprudence : 1 Cf CE 1965-02-03 Ministre de la Justice c/ Thouzellier, p 49