SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 avril 2023
Cassation partielle
Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 390 F-D
Pourvoi n° E 21-15.751
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023
Mme [H] [D], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° E 21-15.751 contre l'arrêt rendu le 1er février 2021 par la cour d'appel de Basse-Terre (chambre sociale), dans le litige l'opposant à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Guadeloupe, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Seguy, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de Mme [D], de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Guadeloupe, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Seguy, conseiller rapporteur, Mme Grandemange, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Basse-Terre, 1er février 2021), rectifié par arrêt du 5 juillet 2021 de la même cour d'appel, Mme [D] a été engagée le 15 juillet 1999 par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de la Guadeloupe (CRCAMG) en qualité de conseillère privée. Dans le dernier état de la relation contractuelle, elle occupait les fonctions de conseillère en gestion de patrimoine.
2. Le 17 décembre 2015, elle a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir notamment la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes au titre d'une discrimination.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
3. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
4. La salariée fait grief à l'arrêt de constater la prescription de l'action relative aux faits de discrimination antérieurs au 17 décembre 2010 et de la débouter de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice financier et au titre du préjudice moral, alors « que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que pour dire prescrite l'action relative aux faits de discrimination antérieurs au 17 décembre 2010, l'arrêt retient que la révélation des faits liés aux refus opposés aux demandes d'évolutions professionnelles, à une absence d'évolution et une rétrogradation injustifiée est intervenue au plus tard au mois d'octobre 2009, et que la salariée ne se prévaut pas d'autres faits jusqu'au 17 décembre 2010 ; qu'en statuant ainsi, alors que la salariée faisait valoir que cette discrimination s'était poursuivie tout au long de sa carrière en terme d'évolution professionnelle, ce dont il résultait qu'elle se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, la cour d'appel a violé l'
article L. 1134-5 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Recevabilité du moyen
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient que la salariée n'a pas prétendu en appel que les faits antérieurs à 2011 n'étaient pas atteints par la prescription.
6. Cependant, ne se prévalant d'aucun fait qui n'ait été constaté par les juges du fond, un tel moyen, qui est de pur droit, peut être invoqué pour la première fois devant la Cour de cassation.
7. Le moyen est donc recevable.
Bien-fondé du moyen
Vu l'article L. 1134-5 du code du travail et l'
article 26, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008🏛 :
8. Aux termes du premier de ces textes, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.
9. Avant l'entrée en vigueur de la loi susvisée du 17 juin 2008, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination était soumise à la prescription trentenaire de l'
article 2262 du code civil🏛 dans sa rédaction alors applicable. Selon l'article 26, II, de la loi susvisée, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.
10. Pour dire prescrite l'action relative aux faits de discrimination antérieurs au 17 décembre 2010, l'arrêt retient que, si la salariée se prévaut de faits de discrimination liés aux refus opposés à ses demandes d'évolution professionnelle, à une absence d'évolution et une rétrogradation injustifiée auxquelles sont liées une atmosphère discriminante et des souffrances médicalement caractérisées, il résulte de la lettre du 7 octobre 2009 adressée à son employeur et reprenant ces mêmes faits, que la révélation de ceux-ci s'établissait à la date de cette lettre.
11. Il ajoute qu'il est également établi qu'elle a eu connaissance par lettre du 26 octobre 2009 de son affectation au poste de conseiller privé à compter du 5 novembre 2009, ainsi que de la classification y afférente. Il en conclut que, dès lors que la révélation des faits précités est intervenue au plus tard au mois d'octobre 2009 et que la salariée ne se prévaut pas d'autres faits jusqu'au 17 décembre 2010, l'employeur est fondé à se prévaloir d'une prescription de l'action, engagée le 17 décembre 2015, mais pour la seule période antérieure au 17 décembre 2010.
12. En statuant ainsi, alors que, si la salariée faisait état d'une discrimination syndicale ayant commencé en 2000, d'une rétrogradation qu'elle avait subie en novembre 2002 et du refus systématique des postes auxquels elle avait candidaté à compter de 2005, elle faisait valoir que cette discrimination s'était poursuive tout au long de sa carrière en terme d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, ce dont il résultait qu'elle se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le troisième moyen, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il constate la prescription de l'action relative aux faits de discrimination antérieurs au 17 décembre 2010, déboute Mme [D] de ses demandes de dommages-intérêts au titre du préjudice financier et au titre du préjudice moral pour discrimination et en ce qu'il la condamne aux dépens et à verser à la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Guadeloupe la somme de 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, l'arrêt rendu le 1er février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre et rectifié le 5 juillet 2021 ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Basse-Terre autrement composée ;
Condamne la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Guadeloupe aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Guadeloupe et la condamne à payer à Mme [D] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.