SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 19 avril 2023
Rejet
M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 431 F-B
Pourvoi n° Q 21-21.349
Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme [W].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 28 janvier 2022.
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 AVRIL 2023
La société Les Coopérateurs de Normandie Picardie, société coopérative à forme anonyme à capital variable, dont le siège est [Adresse 1], venant aux droits de la société Normande de distribution, a formé le pourvoi n° Q 21-21.349 contre l'arrêt rendu le 24 juin 2021 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à Mme [S] [W], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de Mme [W], après débats en l'audience publique du 8 mars 2023 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 24 juin 2021), Mme [W] a été engagée en qualité d'employée libre service à compter du mois de juillet 2001 par la société Normande de distribution, aux droits de laquelle vient la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie (la société). Elle a été élue membre titulaire du comité d'entreprise en mars 2011. Elle a été placée en arrêt-maladie du 27 novembre 2013 au 3 septembre 2014.
2. Reconnue inapte à la reprise de son poste par deux avis médicaux des 4 et 19 septembre 2014, la salariée a été convoquée le 7 janvier 2015 à un entretien préalable à un éventuel licenciement. Elle a été licenciée le 18 mars 2015 pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l'inspecteur du travail en date du 11 mars 2015, lequel a précisé qu'il n'apparaissait pas que la demande d'autorisation de licenciement serait en lien avec l'exercice de son mandat par la salariée et qu'ainsi l'éventualité d'une discrimination syndicale était exclue.
3. La salariée a saisi la juridiction prud'homale le 7 juillet 2015 en faisant valoir que son inaptitude résultait de faits de harcèlement moral de son employeur liés à une discrimination syndicale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
4. La société fait grief à l'arrêt de dire le conseil de prud'hommes de Rouen compétent pour connaître de l'action engagée par la salariée à son encontre et de renvoyer l'affaire devant ledit conseil de prud'hommes, alors « que, s'il n'appartient pas à l'inspecteur saisi d'une demande de licenciement motivée par l'inaptitude du salarié de rechercher la cause de cette inaptitude, l'inspecteur du travail ne peut en revanche autoriser un licenciement en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par un salarié ou avec son appartenance syndicale ; que le fait que l'inaptitude du salarié résulte d'une dégradation de son état de santé, elle-même en lien direct avec des obstacles mis par l'employeur à l'exercice de ses fonctions représentatives est de nature à révéler un tel rapport, de sorte que l'inspecteur du travail doit refuser le licenciement lorsqu'une discrimination syndicale a entraîné un harcèlement et l'inaptitude du salarié ; qu'en conséquence, l'autorisation de licenciement fait obstacle à ce que le juge prud'homal se prononce sur une demande du salarié tendant à voir juger son licenciement nul, comme résultant d'un harcèlement moral en lien avec l'exercice de ses mandats ou son appartenance syndicale ; qu'en l'espèce, dans ses conclusions d'appel, Mme [W] soutenait expressément qu'elle fondait ses demandes sur le ''fait que son inaptitude a été causée par la faute de l'employeur, et plus précisément par un harcèlement lié à l'exercice de son mandat'' et dénonçait de prétendues difficultés liées à l'exercice de son mandat ; qu'en jugeant cependant que le conseil de prud'hommes est compétent pour rechercher si l'inaptitude avait ou non une origine professionnelle, y compris lorsqu'est invoqué devant lui un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral, cependant que la salariée imputait ce harcèlement moral à des faits de discrimination liés à son mandat, la cour d'appel a violé le principe de séparation des pouvoirs, ensemble la loi des 16-24 août 1790 et l'
article L. 2421-3 du code du travail🏛 dans sa rédaction applicable au litige. »
Réponse de la Cour
5. Dans le cas où une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé est motivée par son inaptitude, il appartient à l'administration du travail de vérifier que celle-ci est réelle et justifie son licenciement. Il ne lui appartient pas en revanche, dans l'exercice de ce contrôle, de rechercher la cause de cette inaptitude, y compris dans le cas où la faute invoquée résulte d'un harcèlement moral ou d'une discrimination syndicale dont l'effet, selon les dispositions combinées des
articles L. 1132-1, L. 1132-4, L. 1152-1 à L. 1152-3 du code du travail🏛🏛🏛🏛, serait la nullité de la rupture du contrat de travail. Ce faisant, l'autorisation de licenciement donnée par l'inspecteur du travail ne fait pas obstacle à ce que le salarié fasse valoir devant les juridictions judiciaires tous les droits résultant de l'origine de l'inaptitude lorsqu'il l'attribue à un manquement de l'employeur à ses obligations.
6. Dès lors, la cour d'appel a décidé exactement que le contrôle exercé en l'espèce par l'administration du travail, saisie d'une demande d'autorisation administrative de licenciement pour inaptitude, de l'absence de lien entre le licenciement et les mandats détenus par le salarié ne faisait pas obstacle à ce que le juge judiciaire recherche si l'inaptitude du salarié avait pour origine un manquement de l'employeur à ses obligations consistant en un harcèlement moral ou une discrimination syndicale.
7. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Les Coopérateurs de Normandie Picardie et la condamne à payer à la SCP Lyon-Caen et Thiriez la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf avril deux mille vingt-trois.