CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 59667
Ministre du budget
contre
Bonfanti
Lecture du 09 Decembre 1988
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu, 1° sous le n° 59 667, le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET enregistré le 30 mai 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule un jugement du tribunal administratif de Nice, en date du 2 février 1984, en tant que, par ledit jugement, ce tribunal a accordé à M. Jean Bonfanti, demeurant "La Bastide du Guillet", à Mougins (Alpes-Maritimes), la décharge des cotisations d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles ce contribuable a été assujetti au titre de l'année 1973 dans les rôles de la commune de Mougins ; 2° rétablisse M. Bonfanti aux rôles de l'impôt sur le revenu et de la majoration exceptionnelle au titre de l'année 1973 à raison de l'intégralité des droits et pénalités auxquels le contribuable avait été assujetti, Vu, 2° sous le n° 61 300, la requête sommaire et le mémoire complémentaires enregistrés les 30 juillet 1984 et 21 novembre 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Jean BONFANTI, et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule le jugement du tribunal administratif de Nice en date du 2 février 1984 en tant que, par ledit jugement, ce tribunal a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre de chacune des années 1970, 1971 et 1972 ; 2° lui accorde la décharge des droits et pénalités contestés,
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la convention fiscale signée entre la France et l'Espagne le 8 janvier 1963, ensemble le décret du 2 janvier 1964 qui en a assuré la publication ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat, - les observations de la S.C.P. Nicola y, avocat de M. Bonfanti, - les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que la requête n° 61 300 de M. BONFANTI et le recours n° 59 667 du MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET tendent à la réformation du même jugement du tribunal administratif de Nice qui, d'une part, a rejeté la demande de M. BONFANTI tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels ce contribuable a été assujetti au titre de chacune des années 1970, 1971 et 1972, d'autre part, a déchargé M. BONFANTI des cotisations d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles celui-ci a été assujetti au titre de l'année 1973 ; qu'il y a lieu de joindre cette requête et ce recours pour statuer par une seule décision ; En ce qui concerne les impositions établies au titre des années 1970, 1971 et 1972 :
Sur le moyen tiré de ce que les impositions au titre de l'année 1970 auraient été étabies après l'expiration du délai de prescription :
Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 1966 du code général des impôts, applicable aux impositions contestées, les omissions en matière d'impôt sur le revenu peuvent être réparées "jusqu'à l'expiration de la quatrième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due" ; qu'aux termes de l'article 1975 du même code, également applicable en l'espèce : "Les prescriptions sont interrompues par des notifications de redressements ..." Considérant, d'une part, qu'il ressort de l'examen de la notification de redressements qui a été adressée, le 12 décembre 1974, à M. BONFANTI que ce document était, contrairement à ce que celui-ci soutient, suffisamment motivé ; que, si cette notification précisait qu'elle était "effectuée à titre conservatoire" et "pour interrompre le délai de prescription", ces mentions ne sont pas de nature à en affecter la régularité ; qu'il suit de là que ladite notification constituait, par elle-même, un acte propre à interrompre la prescription ; Considérant, d'autre part, que, si M. BONFANTI soutient que le pli recommandé contenant cette notification, qui comportait l'adresse exacte qu'il avait indiquée comme celle de son domicile en Espagne, a été délivré, le 17 décembre 1974, à une personne qui n'aurait pas eu qualité pour signer comme elle l'a fait l'avis de réception postal et qui ne lui aurait effectivement remis le pli que huit mois plus tard, ses allégations, à les supposer établies, sont sans incidence en ce qui concerne l'appréciation de la validité des actes accomplis par l'administration fiscale pour interrompre la prescription ; que, comme il a été dit, la lettre de notification ayant été présentée, à l'adresse indiquée par le contribuable lui-même, avant l'expiration de la quatrième année suivant celle au titre de laquelle l'imposition est due, la prescription a été valablement interrompue ; que, par suite, le délai mentionné au 1 de l'article 1966 précité n'était pas expiré lorsque l'imposition contestée a été établie par voie de rôle, le 30 septembre 1978 ;
Sur la régularité de la procédure d'établissement des impositions concernant les années 1971 et 1972 et sur la charge de la preuve :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, sur le fondement des dispositions alors en vigueur, de l'article 176 du code général des impôts, le vérificateur a invité M. BONFANTI à justifier de l'origine des ressources dont il avait disposé au cours de chacune des années 1970, 1971 et 1972, et qui excédaient notablement le montant des revenus qu'il avait déclarés ; qu'estimant être en présence d'un défaut de réponse, l'administration fiscale a assujetti celui-ci, par voie de taxation d'office, sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article 179 du même code, à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu assises sur des revenus d'origine indéterminée respectivement évalués à 174 000 F, 306 000 F et 315 500 F ;
Considérant que M. BONFANTI conteste la régularité de la procédure de taxation d'office utilisée par l'administration en ce qui concerne les années 1971 et 1972, en soutenant qu'il aurait fourni, dans le délai prescrit, tous éléments utiles en réponse à la demande de justifications qui lui a été adressée le 10 juin 1975 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que ladite demande l'invitait à justifier de la différence, évaluée à 334 646 F pour 1971 et à 375 510 F pour 1972, entre le montant des revenus bruts dont il avait fait la déclaration, d'une part, et, d'autre part, la somme des crédits d'origine inconnue enregistrés sur ses comptes bancaires, des versements que lui-même y avait effectués en espèces, et des dépenses qu'il n'avait pas réglées par chèque ; que, dans sa réponse du 9 juillet 1975, M. BONFANTI a fourni quelques éclaircissements qui ont conduit le vérificateur à réduire les écarts constatés à, respectivement, 306 000 F et 315 500 F, et, pour le surplus, a fait valoir qu'il aurait disposé de liquidités provenant de la revente d'importantes quantités d'or acquises en 1967 en remploi d'une partie du produit tiré d'une cession de valeurs mobilières effectuée en 1961 ; qu'en l'absence de toute justification de la détention de ces liquidités au 1er janvier de chacune des années 1971 et 1972, l'administration était fondée à regarder les indications ainsi données comme équivalant à un défaut de réponse à la demande de justifications et, par suite, à taxer d'office M. BONFANTI à l'impôt sur le revenu ;
Considérant que le contribuable régulièrement taxé d'office ne peut obtenir, par la voie contentieuse, la décharge ou la réduction de l'imposition qu'en apportant la preuve de l'exagération des bases retenues ;
Sur le bien-fondé des impositions établies au titre de chacune des années 1970, 1971 et 1972 : Considérant, en premier lieu, que M. BONFANTI n'établit pas qu'il a disposé, comme il le prétend, de liquidités provenant de la revente d'or acquis antérieurement aux années d'imposition, en remploi du produit d'une cession de valeurs mobilières effectuée en 1961 ; Considérant, en second lieu, que, si M. BONFANTI soutient qu'à concurrence de 179 352,30 F, et non pas seulement de 48 000 F, comme l'a admis le vérificateur, les crédits enregistrés sur l'un de ses comptes bancaires en 1970 provenaient de remboursements de frais reçus d'une société dont il était le président-directeur général, il n'apporte au soutien de cette allégation aucun commencement de justification ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. BONFANTI n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui n'est entaché d'aucune omission de répondre aux moyens soulevés, le tribunal administratif a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1970, 1971 et 1972 ; En ce qui concerne les impositions établies au titre de l'année 1973 :
Considérant qu'au titre de l'année 1973, l'administration a assujetti M. BONFANTI à l'impôt sur le revenu et à la majoration exceptionnelle de l'impôt sur le revenu, avec application de pénalités au taux de 25 %, par voie de taxation d'office, sur le fondement des dispositions, alors en vigueur, du premier alinéa de l'article 179 du code général des impôts, faute pour l'intéressé d'avoir souscrit, pour ladite année, la déclaration de revenu global prévue au premier alinéa de l'article 170 du même code ; que M. BONFANTI, sans contester la régularité de la procédure d'imposition, ni les bases d'imposition retenues par l'administration, a demandé la décharge de ces impositions en soutenant qu'il n'était pas imposable en France, au titre de l'année 1973, du fait qu'il avait, au début de ladite année, transféré sa résidence et le centre de ses intérêts en Espagne ; que le tribunal administratif a, par le jugement qu'attaque, sur ce point, le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET, fait droit à cette prétention ; Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 4 du code général des impôts, dans la rédaction en vigueur en 1973 : "1. Sous réserve des dispositions des conventions internationales et de celles des articles 5, 6 et 9, l'impôt sur le revenu est dû par toutes les personnes physiques ayant en France une résidence habituelle. Sont considérées comme ayant en France une résidence habituelle : 1° Les personnes qui y possèdent une habitation à leur disposition à titre de propriétaires, d'usufruitiers ou de locataires ..." ;
Considérant qu'il est constant que, durant l'année 1973, M. BONFANTI a conservé la disposition de deux habitations dont il était propriétaire en France ; qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 4 du code, il était, de ce fait, au titre de ladite année, passible de l'impôt sur le revenu en France ; Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 3 de la convention franco-espagnole du 8 janvier 1963, publiée au Journal Officiel de la République française par un décret du 2 janvier 1964, après qu'une loi du 28 novembre 1963 en eut autorisé la ratification : "1. Au sens de la présente convention, on entend par "résident d'un Etat contractant" toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son statut juridique, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue. - 2. Lorsque, selon la disposition du paragraphe 1 ci-dessus, une personne physique est considérée comme résident de chacun des Etats contractants, le cas est résolu d'après les règles énoncées ci-dessous : - a) Cette personne est réputée résident de l'Etat contractant où elle dispose d'un foyer d'habitation permanent. Lorsqu'elle dispose d'un foyer d'habitation permanent dans chacun des Etats contractants, elle est considérée comme résident de l'Etat contractant avec lequel ses liens personnels et économiques sont les plus étroits (centre des intérêts vitaux) ; - b) Si l'Etat contractant où la personne a le centre de ses intérêts vitaux ne peut pas être déterminé, ou que celle-ci ne dispose d'un foyer d'habitation permanent dans aucun des Etats contractants, cette personne est considérée comme résident de l'Etat contractant où elle séjourne de façon habituelle ..." ;
Considérant que M. BONFANTI étant, comme il vient d'être dit, passible de l'impôt sur le revenu en France en vertu de l'article 4 du code général des impôts, il avait, en 1973, la qualité de résident de France au sens des stipulations précitées du 1 de l'article 3 de la convention franco-espagnole du 8 janvier 1963 ; qu'en admettant même qu'il ait dû, également, être assujetti à l'impôt en Espagne, en vertu de la législation de ce pays, et qu'il ait donc eu aussi la qualité de résident d'Espagne au sens du 1 de l'article 3 de la convention, M. BONFANTI, qui soutient avoir résidé à Marbella dans une maison qui lui était prêtée par un ami pendant une partie de l'année et dont il n'avait donc pas la disposition de manière durable, ne peut être regardé comme ayant, ainsi, disposé d'un "foyer d'habitation permanent" en Espagne, au sens des stipulations précitées du 2 de l'article 3 de la convention qui sont claires sur ce point ; qu'il disposait, en revanche, d'un foyer permanent d'habitation en France ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de rechercher dans lequel des deux pays M. BONFANTI a eu le centre de ses intérêts vitaux ou le lieu habituel de son séjour, il ne peut qu'être regardé, en application du 2-a) de l'article 3 de la convention, comme résident de France ;
Considérant qu'il suit de là que le MINISTRE DE L'ECONOMIE, DES FINANCES ET DU BUDGET est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a reconnu à M. BONFANTI la qualité de résident d'Espagne durant l'année 1973 et, pour ce motif, l'a déchargé des impositions établies, à son nom, au titre de ladite année ;
Article 1er : La requête de M. BONFANTI enregistrée sous le n° 61 300 est rejetée.
Article 2 : M. BONFANTI est rétabli aux rôles de l'impôt sur le revenu et de la majoration exceptionnelle de l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 1973, à raison de l'intégralité des droits et pénalités auxquels il avait été assujetti.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nice, du 2 février 1984, est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. BONFANTI et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.