SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 13 avril 2023
Cassation partielle
Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 354 F-D
Pourvoi n° M 20-23.619
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023
M. [Aa] [Ab], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 20-23.619 contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2020 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant à la société Altran technologies, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La société Altran technologies a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.
Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, trois moyens de cassation.
La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Lecaplain-Morel, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de M. [Ab], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Altran technologies, après débats en l'audience publique du 1er mars 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lecaplain-Morel, conseiller rapporteur, M. Sornay, conseiller, M. Halem, avocat général référendaire, et Mme Dumont, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué ( Versailles, 28 octobre 2020), M. [Ab] a été engagé en qualité d'ingénieur d'études, par la société Altran technologies, le 16 décembre 2008. A compter du mois de novembre 2011, il a bénéficié de la qualité de salarié protégé au titre de divers mandats.
2. La convention collective applicable à la relation de travail est la convention collective nationale des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, sociétés de conseils, du 15 décembre 1987, dite Syntec.
3. Le 22 avril 2015, le salarié a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes relatives à l'exécution de son contrat de travail.
Examen des moyens
Sur le premier moyen du pourvoi principal du salarié, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires et des congés payés afférents, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux
articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail🏛🏛 ; qu'en retenant que ''M. [Ab] verse aux débats un décompte ne faisant pas apparaître pour chaque journée en cause les horaires de travail qu'il prétend avoir accomplis'', pour dire que ''dès lors, faute d'étayer sa demande par des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires revendiquées, il y a lieu de débouter le salarié de sa demande'', quand elle constatait que le salarié produisait un décompte des heures supplémentaires réalisées, la cour d'appel a fait peser la charge de la preuve sur le salarié et violé l'
article L. 3171-4 du code du travail🏛. »
Réponse de la Cour
Vu l'article L. 3171-4 du code du travail :
5. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er, du code du travail, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code, l'employeur tient à la disposition des membres compétents de l'inspection du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.
6. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
7. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.
8. Pour débouter le salarié de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires, l'arrêt relève qu'il verse aux débats un décompte ne faisant pas apparaître pour chaque journée en cause les horaires de travail qu'il prétend avoir accomplis. Il retient que l'intéressé n'étaye pas sa demande par des éléments suffisamment précis quant aux heures supplémentaires revendiquées.
9. En statuant ainsi, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé le texte susvisé.
Sur le deuxième moyen du pourvoi principal
Enoncé du moyen
10. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une certaine somme au titre de huit jours de congés supplémentaires pour fractionnement ou, à défaut, de sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à l'employeur de créditer ces huit jours sur son compteur de congés payés, alors « que l'article 23 de la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, et sociétés de conseils du 15 décembre 1987, qui a pour objet de fixer la durée des congés payés formulée en jours ouvrés et de prévoir l'attribution de jours ouvrés de congés supplémentaires lorsque l'employeur exige qu'une partie des congés, à l'exclusion de la cinquième semaine, soit prise en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre, ne déroge pas expressément à l'
article L. 3141-19 du code du travail🏛 en ce qui concerne le droit des salariés à des jours de congés supplémentaires en cas de fractionnement et n'est que la transposition, en jours ouvrés, de la durée du congé prévue à l'article L. 3141-19 du code du travail relatif à la durée des congés en cas de fractionnement ; que le droit à des jours de congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit le salarié ou l'employeur qui en ait pris l'initiative ; que la renonciation à ce droit ne se présume pas ; que, pour débouter le salarié de sa demande au titre des congés de fractionnement, la cour d'appel a retenu ''qu'il résulte de l'article 23 de la convention collective que le fractionnement des congés payés en dehors de la période légale à la demande du salarié ne lui ouvre pas droit aux jours de congés supplémentaires prévus par ce texte'' et que ''l'appelant n'établit pas que les congés pris en dehors de la période en litige résultent d'une demande de l'employeur'' ; qu'en statuant ainsi, par des motifs inopérants, quand le salarié avait droit aux congés supplémentaires résultant du fractionnement du congé annuel pris avec l'accord de l'employeur en l'absence de renonciation expresse et non équivoque à ceux-ci, la cour d'appel a violé l'article L. 3141-19 du code du travail dans sa rédaction antérieure à la
loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛, ensemble l'article 23 de la convention collective des bureaux d'études techniques, cabinets d'ingénieurs-conseils, et sociétés de conseils du 15 décembre 1987. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 3141-18 du code du travail🏛 dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016, et l'article 23 de la convention collective dite Syntec :
11. Selon le premier de ces textes, lorsque le congé ne dépasse pas douze jours ouvrables, il doit être continu. Lorsque le congé principal est d'une durée supérieure à douze jours ouvrables et au plus égale à vingt-quatre jours ouvrables, il peut être fractionné par l'employeur avec l'accord du salarié. Dans ce cas, une des fractions est au moins égale à douze jours ouvrables continus compris entre deux jours de repos hebdomadaire.
12. Selon le second, lorsque l'employeur exige qu'une partie des congés à l'exclusion de la cinquième semaine soit prise en dehors de la période du 1er mai au 31 octobre, il sera attribué deux jours ouvrés de congés supplémentaires lorsque le nombre de jours ouvrés pris en dehors de cette période est au moins égal à cinq, un jour ouvré de congé supplémentaire lorsque le nombre de jours ouvrés de congé pris en dehors de cette période est égal à trois ou quatre.
13. En l'absence de dérogation conventionnelle à l'article L. 3141-18 du code du travail, le droit à des jours de congés supplémentaires naît du seul fait du fractionnement, que ce soit l'employeur ou le salarié qui en a pris l'initiative.
14. Pour débouter le salarié de ses demandes au titre du fractionnement du congé principal, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 23 de la convention collective que le fractionnement des congés payés en dehors de la période légale à la demande du salarié ne lui ouvre pas droit aux jours de congés supplémentaires prévus par ce texte et que l'intéressé n'établit pas que les congés pris en dehors de la période en litige résultent d'une demande de l'employeur.
15. En statuant comme elle l'a fait, alors que les dispositions de l'article 23 susvisé de la convention collective ne dérogent pas à l'article L. 3141-18 du code du travail en ce qui concerne les droits des salariés à des jours de congés supplémentaires en cas de fractionnement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Sur le troisième moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
16. Le salarié fait grief à l'arrêt de dire qu'il n'y a pas eu de discrimination syndicale et de le débouter de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, alors « que lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la cour d'appel a constaté que ''M. [Ab] soutient qu'il est victime de discrimination syndicale à raison d'une période anormalement longue d'intercontrat, de difficultés rencontrées en matière de formation professionnelle, d'avertissements injustifiés prononcés à son encontre et de difficultés rencontrées dans l'exercice de ses mandats''; que, pour écarter la discrimination syndicale, la cour d'appel a retenu, par motifs des premiers juges, que ''l'ensemble des faits reprochés par M. [Ab] à son employeur Altran sont en fait des réponses à l'activisme mal fondé de M. [Ab]'' et qu' ''il ne peut en être déduit une volonté coordonnée de discrimination syndicale'' ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher si les éléments présentés par le salarié à l'appui de sa demande, pris dans leur ensemble, laissaient supposer une discrimination syndicale et, le cas échéant, si l'employeur les justifiait par des éléments objectifs et étrangers à toute discrimination, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
articles L. 1132-1, L. 1134-1 et L. 2141-5 du code du travail🏛🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les articles L. 1132-1 et L. 2141-5, dans leur rédaction applicable en la cause, et L. 1134-1 du code du travail :
17. En application du dernier des textes susvisés, lorsque le salarié présente plusieurs éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
18. Pour débouter le salarié de sa demande en paiement de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que l'ensemble des faits reprochés par le salarié à son employeur sont en fait des réponses à l'activisme mal fondé de celui-ci et, par motifs propres, qu'en tout état de cause, l'intéressé ne fournit aucun élément sur la nature, la réalité et l'étendue du préjudice qu'il invoque à ce titre, se bornant à réclamer des dommages-intérêts « en réparation du préjudice subi ».
19. En statuant ainsi, par des motifs impropres à écarter l'existence d'une discrimination syndicale, alors qu'il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments invoqués par le salarié laissaient supposer l'existence d'une discrimination et, dans l'affirmative, d'apprécier les éléments de preuve fournis par l'employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à toute discrimination, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Et sur le moyen du pourvoi incident de l'employeur
Enoncé du moyen
20. L'employeur fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en condamnation du salarié à lui verser une certaine somme correspondant aux heures supplémentaires payées indûment, alors « que les heures de délégation sont payées comme temps de travail ; que lorsqu'elles sont prises en dehors de l'horaire de travail en raison des nécessités du mandat, ces heures doivent être payées comme heures supplémentaires ; qu'en cas de contestation par l'employeur du bien-fondé du paiement d'heures supplémentaires que le salarié avait prétendu effectuer dans le cadre de l'exercice de son mandat, il incombe à ce dernier de produire des éléments de nature à justifier de la réalité des heures accomplies et de la nécessité d'exercer son mandat en dehors de son horaire normal de travail ; qu'au cas présent, l'employeur faisait valoir, en se fondant notamment sur les décomptes produits par le salarié et sur les bulletins de paie de ce dernier, qu'il avait réglé des heures supplémentaires que le salarié prétendait avoir accomplies au titre de l'exercice de ses mandats et qu'il avait, à plusieurs reprises, vainement demandé à ce dernier [de justifier] de la réalité des heures accomplies et de la nécessité de les utiliser en dehors du temps de travail ; qu'en se bornant, pour débouter l'employeur de sa demande en remboursement, à relever qu'il ''ne démontre pas que des heures supplémentaires ont été indûment payées à M. [Ab]'', cependant qu'il incombait au salarié d'apporter des éléments de nature à justifier de la réalité des heures accomplies et de la nécessité d'exercer son mandat en dehors de son horaire normal de travail, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation des
articles L. 2325-6 du code du travail🏛, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance du 22 septembre 2017,
L. 2315-7 du code du travail🏛, dans sa rédaction postérieure à cette ordonnance, ensemble les
articles 1315, 1235 et 1376 du code civil🏛🏛🏛, dans leur version antérieure à l'ordonnance du 10 février 2016. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 455 du code de procédure civile🏛 :
21. Selon ce texte, tout jugement doit être motivé. Le défaut de réponse à conclusions constitue un défaut de motivation.
22. Pour débouter l'employeur de sa demande en remboursement d'heures supplémentaires, la cour d'appel retient qu'il ne démontre pas que des heures supplémentaires ont été payées indûment au salarié.
23. En statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'employeur qui, après avoir rappelé que la somme versée au salarié à titre d'heures supplémentaires se rapportait à des heures de délégation prétendument accomplies en dehors de son horaire de travail, soutenait qu'il incombait au salarié de justifier que la prise de ces heures de délégation, en dehors de son horaire de travail, était justifiée par les nécessités de ses mandats, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute M. [Ab] de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire pour heures supplémentaires outre les congés payés afférents, de dommages-intérêts pour discrimination syndicale, d'un rappel de salaire au titre de huit jours de congés supplémentaires pour fractionnement ou, à défaut, de sa demande tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Altran technologies de créditer ces huits jours sur son compteur de congés payés, en ce qu'il déboute la société Altran technologies de sa demande en remboursement d'heures supplémentaires, en ce qu'il condamne M. [Ab] aux dépens de première instance et d'appel, le condamne à payer à la société Altran technologies une somme de 1 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 pour la procédure suivie en appel et le déboute de sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 28 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.