CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 48905
GOUYON et autres
contre
Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne
Lecture du 02 Decembre 1987
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu 1°) la requête enregistrée le 25 février 1983 sous le n° 48 905 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Yves GOUYON, architecte demeurant 13, place de L'Hôtel de Ville à Saint-Etienne (43 000), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule le jugement du 5 janvier 1983 par lequel le tribunal administratif de Lyon, à la demande de l'office public d'HLM de Saint-Etienne ; a) l'a condamné, solidairement avec les sociétés THINET et STRIBICK, à verser à l'Office Public d'HLM de Saint-Etienne la somme de 115 927,75 F en réparation des désordres affectant les immeubles HLM dénommés "Beaulieu IV La Palle" ; b) a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le montant des désordres et des travaux de remise en état ; 2° rejette la demande présentée par l'office public d'HLM de Saint-Etienne devant le tribunal administratif de Lyon ;
Vu 2° la requête sommaire enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, sous le n° 49 041, le 4 mars 1983, présentée pour la société anonyme STRIBICK dont le siège social est à Andrezieux-Boutheran (Loire) représentée par son président en exercice, assisté de M. Gallea, syndic à son règlement judiciaire et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule le jugement du 5 janvier 1983 par lequel le tribunal administratif de Lyon, à la demande de l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne l'a condamnée solidairement avec la société THINET et M. GOUYON, architecte, à verser audit office public la somme de 115 927,75 F en réparation des désordres affectant les immeubles dénommés "Beaulieu IV - La Palle" et a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le montant des désordres et de déterminer les travaux nécessaires à la remise en état des immeubles ; 2° rejette la demande présentée par l'office public d'HLM de Saint-Etienne devant le tribunal administratif de Lyon ;
Vu 3° la requête sommaire enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 14 mars 1983, sous le n° 49 241 et le mémoire complémentaire, enregistré le 8 juillet 1983, présentés pour la société anonyme THINET, dont le siège social est 5 avenue du Maréchal Juin à Boulogne-Billancourt (92), représentée par son président-directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule le jugement du 5 janvier 1983 par lequel le tribunal administratif de Lyon, à la demande de l'office public d'HLM de Saint-Etienne ; a) l'a condamnée, solidairement avec la société STRIBICK et l'architecte M. GOUYON, à verser à l'office public d'HLM de Saint-Etienne la somme de 115 927,55 F en réparation des désordres affectant les immeubles HLM dénommés "Beaulieu IV La Palle" ; b) a ordonné une expertise aux fins d'évaluer le montant des désordres et des travaux de remise en état ; 2° rejette la demande présentée par l'office public d'HLM de Saint-Etienne devant le tribunal administratif de Lyon ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Plagnol, Auditeur, - les observations de Me Boulloche, avocat de M. GOUYON, de Me Copper-Royer avocat de l'OPHLM de la ville de Saint-Etienne, de Me Baraduc Bénabent, avocat de la Société THINET et Cie et de Me Delvolvé, avocat de la S.A. STRIBICK représentée par son Président assisté de Me Gallea, syndic à son règlement judiciaire, - les conclusions de M. Stirn, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes de M. GOUYON, de la Société STRIBICK et de de la Société THINET se rapportent aux mêmes désordres affectant les immeubles "Beaulieu IV - La Palle" à Saint-Etienne et sont dirigées contre le même jugement, en date du 5 janvier 1983, du Tribunal administratif de Lyon ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule décision ;
Sur les conclusions de la requête de la Société STRIBICK :
Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 53-3 du décret du 30 juillet 1963 modifié par le décret du 16 janvier 1981 : "Lorsque la requête ou le recours mentionne l'intention du requérant ou du ministre de présenter un mémoire complémentaire, la production annoncée doit parvenir au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat dans un délai de quatre mois à compter de la date à laquelle la requête a été enregistrée. Si ce délai n'est pas respecté, le requérant ou le ministre est réputé s'être désisté à la date d'expiration de ce délai, même si le mémoire complémentaire a été ultérieurement produit. Le Conseil d'Etat donne acte de ce désistement" ;
Considérant que la Société anonyme STRIBICK par une requête sommaire enregistrée le 4 mars 1983 a exprimé l'intention de produire un mémoire complémentaire ; qu'à la date du 27 avril 1984 ce mémoire n'avait pas été déposé au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et qu'ainsi le délai de quatre mois imparti pour cette production par les dispositions précitées de l'article 53-3 du décret du 30 juillet 1963 modifié était expiré ; que la Société anonyme STRIBICK doit par suite être réputée s'être désistée de sa requête ; qu'il y a lieu de donner acte de ce désistement ;
Sur les requêtes de M. GOUYON et de la Société THINET :
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne a produit, devant le tribunal administratif de Lyon, un mémoire en réplique enregistré le 19 novembre 1982 alors que, par ordonnance du 27 octobre 1982, le Président de ce tribunal avait prononcé la clôture de l'instruction à cette date du 19 novembre ; qu'alors que le mémoire en réplique avait été communiqué aux requérants, une ordonnance du 6 décembre 1982 a rouvert l'instruction et que l'affaire a été portée au rôle de l'audience du 17 décembre suivant ; que le délai de onze jours qui s'est ainsi écoulé entre la réouverture de l'instruction et l'audience a été suffisant pour permettre à M. GOUYON et à la Société THINET de répondre à ce mémoire en réplique alors même que celui-ci énonçait le moyen sur lequel les premiers juges se sont fondés pour retenir la responsabilité de ce dernier et qu'à ce mémoire étaient annexées 32 pièces lesquelles, cependant, eu égard à leur nature et à leur contenu, étaient déjà connues des intéressés ;
Considérant que le moyen tiré de ce que, contrairement aux dispositions de l'article R. 172 du code des tribunaux administratifs, le jugement attaqué ne viserait pas l'ensemble des mémoires produits par les parties et les ordonnances de clôture et de réouverture de l'instruction, manque en fait ;
Considérant que si, contrairement aux dispositions des articles R. 105 et R. 110 du code des tribunaux administratifs, aucun délai n'a été donné aux parties à la suite de la réouverture de l'instruction pour répondre au mémoire en réplique de l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne enregistré le 19 novembre 1982, il résulte des termes mêmes du mémoire produit par M. GOUYON le 2 décembre 1982 qu'il avait reçu communication de ce mémoire en réplique le 24 novembre 1982 et qu'il n'est pas contesté qu'il a reçu communication de l'ordonnance de réouverture de l'instruction du 6 décembre 1982 et qu'il avait été informé de ce que l'affaire était inscrite au rôle du 17 décembre ; qu'ainsi, alors même que la formalité prévue aux articles R. 105 et R. 110 du code n'a pas été accomplie, M. GOUYON ne saurait utilement soutenir qu'il ignorait le délai dans lequel il lui appartenait de produire un mémoire en réponse ; que dès lors, le moyen susénoncé ne saurait être accueilli ;
Sur le principe de la responsabilité des constructeurs :
Considérant que les désordres, constitués principalement d'infiltrations d'eau, dont se plaint l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne affectent les immeubles de "Beaulieu IV - La Palle" dont la construction avait été confiée notamment aux entreprises THINET, mandataire commun, et STRIBICK, et à M. GOUYON architecte ; que le procès-verbal de réception définitive établi le 5 février 1971 n'ayant pas été signé par le maître de l'ouvrage est sans portée juridique et que c'est seulement le 23 juillet 1971 que la réception définitive des travaux afférents à l'ensemble de ces immeubles a été prononcée ; qu'en indiquant, dans le préambule de ce dernier procès-verbal, que les désordres qui y sont mentionnés et qui consistent en "infiltrations de pluie au droit des trumeaux, éclatement des verres armés des allèges vitrées et infiltrations d'eau par les évents", ont fait l'objet de déclarations de l'entreprise aux compagnies d'assurances, le maître de l'ouvrage a émis des réserves faisant obstacle à ce que les ouvrages affectés de désordres de cette nature puissent être reçus définitivement, alors même que par une impropriété de langage qui ne peut avoir aucune conséquence sur les droits de l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne, il est indiqué que c'est dans le cadre de la responsabilité décennale que ces désordres ont été déclarés aux assureurs de l'entreprise ; que si un protocole d'accord est intervenu le 12 septembre 1975 entre l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne, les entreprises et l'architecte afin de déterminer les travaux à effectuer par les entreprises pour réparer les dommages constatés en 1972 par un expert judiciaire, les désordres qui motivent la demande, formée en 1979, de l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne et qui constituent de nouvelles manifestations des vices ayant donné lieu aux réserves énoncées, en 1972 par le procès-verbal de réception définitive excèdent par leur importance et par le nombre de bâtiments et d'appartements qu'ils touchent, ceux qui ont fait l'objet des travaux de réparation prévus par cet accord et qui ont d'ailleurs été exécutés ; que, l'accord du 12 septembre 1975 loin d'exonérer les constructeurs de toute responsabilité pour de futurs désordres ayant la même origine, précise en son article 8 que les travaux alors prévus ne sont relatifs qu'aux désordres qui venaient d'être constatés, en vue d'éviter leur aggravation et que toutes réparations et désordres ultérieurs sont expressément réservés ; qu'ainsi ce protocle d'accord n'a pu avoir pour effet de lever les réserves du maître d'ouvrage ; que son article 11 en vertu duquel le maître de l'ouvrage renonce à agir pour demander réparation des désordres existants et objets des réparations qu'il prévoit ainsi que des dommages immatériels qu'il décrit, ne fait pas obstacle au droit de ce dernier de rechercher la responsabilité contractuelle des constructeurs dès lors que, comme cela est le cas de l'espèce, les désordres et dommages immatériels dont l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne demande réparation ne sont pas ceux qui sont limitativement décrits dans ce document ; qu'il suit de là que M. GOUYON, l'entreprise THINET ne sont pas fondés à soutenir que, du fait de l'intervention d'une réception définitive, les premiers juges ne pouvaient se fonder sur leur responsabilité contractuelle, pour les condamner à réparer les dommages subis par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne ;
Sur la responsabilité de l'architecte :
Considérant qu'aux termes de l'article 7 du contrat en date du 15 juin 1965 liant M. GOUYON, architecte, à l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne pour la construction des immeubles en cause : "pour toutes les difficultés que pourrait soulever l'application des dispositions du présent contrat, il est expressément convenu entre les parties de solliciter les avis du directeur des services départementaux du ministère de la construction et du logement et du conseil régional de l'ordre des architectes, avant d'engager toute action judiciaire" ; que M. GOUYON, qui est recevable à invoquer cette clause pour la première fois devant le Conseil d'Etat, est ainsi fondé à soutenir qu'en tant qu'elle est dirigée contre lui, la demande de l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne, qui n'a pas été précédée de la double consultation prévue par la stipulation précitée, n'est pas recevable et à demander, par voie de conséquence, l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il le condamne solidairement avec les entreprises THINET et STRIBICK à indemniser l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne et à payer les frais de l'expertise qu'il ordonne ;
Sur la responsabilité de la Société THINET :
Considérant qu'il n'est pas contesté que les désordres litigieux sont imputables aux travaux dont l'exécution a été confiée aux entreprises THINET et STRIBICK ; qu'il résulte de ce qui précède que l'entreprise THINET n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon l'a condamnée solidairement avec l'entreprise STRIBICK à réparer le préjudice subi par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne du fait de ces désordres ;
Sur l'évaluation du préjudice :
Considérant que le préjudice subi par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne est constitué, en premier lieu, de pertes de loyers et d'indemnités versées par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne à quatre locataires, qui sont, contrairement à ce que soutient la Société THINET, précisément justifiées et dont l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne n'a obtenu que très partiellement réparation ; qu'il résulte de l'instruction que la somme qui lui reste due à ce titre s'élève à 65 527, 75 F ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal administratif ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que l'état du dossier ne permettait pas de déterminer avec suffisamment de précision le montant du préjudice subi, en second lieu, par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne du fait des travaux de remise en état qui ont été rendus nécessaires ou qui devront être réalisés pour réparer les désordres litigieux ; qu'ainsi c'est à bon droit que, sur ce point, les premiers juges ont ordonné une expertise ;
Article 1er : Il est donné acte du désistement de la requête de la Société STRIBICK.
Article 2 : Les articles 2 et 5 du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 5 janvier 1983 sont annulés en tant qu'ils condamnent M. GOUYON, solidairement avec les Sociétés THINET et STRIBICK, à verser une indemnité d'un montant de 115 927,75 F à l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne et à supporter solidairement les frais d'expertise avec ces deux entreprises.
Article 3 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Lyon par l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne est rejetée en tant qu'elle est dirigée contre M. GOUYON.
Article 4 : La requête de la Société THINET est rejetée.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. GOUYON, à la Société THINET, à la Société STRIBICK, à l'Office Public d'Habitations à Loyer Modéré de Saint-Etienne et au ministre de l'équipement, du logement, de l'aménagement du territoire et des transports.