Jurisprudence : Cass. soc., 15-03-2023, n° 21-18.078, F-D, Cassation

Cass. soc., 15-03-2023, n° 21-18.078, F-D, Cassation

A70499IW

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:SO00248

Identifiant Legifrance : JURITEXT000047324577

Référence

Cass. soc., 15-03-2023, n° 21-18.078, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/94312214-cass-soc-15032023-n-2118078-fd-cassation
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SOC.

OR


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 mars 2023


Cassation partielle


Mme MONGE, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 248 F-D

Pourvoi n° J 21-18.078

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de Mme [Aa].
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 15 avril 2021.


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 MARS 2023


Mme [X] [C], divorcée [Aa], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° J 21-18.078 contre l'arrêt rendu le 13 février 2020 par la cour d'appel de Caen (chambre sociale, section 2), dans le litige l'opposant :

1°/ à l'association Centre de gestion et d'études AGS de [Localité 4], dont le siège est [Adresse 3],

2°/ à M. [V] [Ab], domicilié [… …], pris en qualité de liquidateur de la société Normandie,

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt.


Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Rouchayrole, conseiller, les observations de la SARL Cabinet François Pinet, avocat de Mme [C], divorcée [Aa], après débats en l'audience publique du 25 janvier 2023 où étaient présents Mme Monge, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Rouchayrole, conseiller rapporteur, Mme Cavrois, conseiller, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Caen, 13 février 2020), Mme [C], divorcée [Aa], a été engagée en qualité d'assistante commerciale le 4 avril 2011 par la Société d'affinage de l'eau alimentaire et industrielle Normandie (la société).

2. Licenciée le 3 décembre 2015, elle a saisi la juridiction prud'homale le 19 février 2016 de diverses demandes au titre de l'exécution du contrat de travail.

3. Par jugement du 9 septembre 2015, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société, convertie le 18 novembre suivant en liquidation judiciaire, M. [Ab] étant désigné en qualité de liquidateur.

4. L'association CGEA-AGS de [Localité 4] est intervenue à l'instance.


Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

5. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande d'indemnité au titre de l'inégalité de traitement et, en conséquence, de ses demandes de rappel de salaire pour prime d'ancienneté et indemnitaire au titre de la discrimination, alors « que si l'application du principe ‘‘à travail égal, salaire égal'' nécessite une comparaison entre des salariés de la même entreprise, la comparaison n'est pas limitée à des situations dans lesquelles les salariés effectuent simultanément un travail égal pour un même employeur ; qu'en jugeant qu'elle ne justifiait pas d'une différence de traitement, quand elle constatait, d'une part, que le salaire horaire de la salariée s'établissait à 10,88 euros en 2012, d'autre part, que celui d'une autre salariée (Mme [S]), embauchée à la même époque que celle-ci et occupant le même poste, s'établissait à 17,33 euros en 2015, ce dont résultait l'existence d'une disparité de traitement qu'il appartenait à l'employeur de justifier par des éléments objectifs et pertinents, la cour d'appel a violé le principe à travail égal, salaire égal. »


Réponse de la Cour

Vu le principe d'égalité de traitement :

6. En application de ce principe, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c'est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l'avantage en cause, aient la possibilité d'en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d'éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables.

7. Pour débouter la salariée de sa demande au titre de l'inégalité de traitement et de ses demandes subséquentes de rappel de salaire pour prime d'ancienneté et d'indemnité au titre de la discrimination, l'arrêt relève que la salariée à laquelle elle se comparait et dont elle produisait les bulletins de paie des mois de janvier, février, juillet et août 2015 percevait un salaire horaire de 17,33 euros, outre la disposition d'un véhicule de fonction avec remboursement partiel des frais de carburant, alors que le sien, revalorisé par avenant du 8 février 2012, n'était à cette date que de 10,88 euros.

8. Il retient que la salariée, qui ne produit pas ses propres bulletins de paie pour l'année 2015 ni pour l'année 2012, ne justifie pas de son entière rémunération à cette époque, s'agissant de la part variable calculée sur objectifs, ne permettant ainsi pas de savoir si cette rémunération était inférieure à celle de sa collègue, les attestations produites et indiquant que l'augmentation perçue par cette dernière était injustifiée ne pouvant être regardées comme suffisantes à établir une différence de salaire. Il en conclut qu'aucune différence de traitement n'était établie.

9. En se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à réfuter les motifs du jugement que la salariée, qui en demandait la confirmation, s'était appropriés, aux termes desquels les premiers juges avaient retenu l'existence d'une inégalité de traitement après avoir constaté que l'intéressée percevait, depuis début 2015, un salaire horaire inférieur de 38 % à celui de la salariée à laquelle elle se comparait, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.



Et sur le second moyen

Enoncé du moyen

10. La salariée fait grief à l'arrêt de la débouter de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et, en conséquence, de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire pour prime d'ancienneté, d'une indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, outre un rappel de prime d ancienneté calculé sur cette indemnité, et d'une indemnité pour travail dissimulé, alors « qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171 2 et L. 3171 3 du code du travail🏛🏛 ; qu'en la déboutant de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, quand elle constatait que la salariée produisait un tableau récapitulatif hebdomadaire du nombre d'heures supplémentaires réalisées pour la période du mois de janvier 2013 au mois de février 2015, des courriels envoyés à des collègues de travail entre 17h58 et 20h06 et trois attestations d'anciens salariés indiquant qu'elle devait prendre des rendez vous téléphoniques à l'heure du déjeuner ou le soir, qu'elle rédigeait des comptes rendus d'activité le vendredi soir alors qu'elle était en repos ou encore que le repos octroyé le vendredi après midi était impossible à respecter, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171 4 du code du travail🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article L. 3171-4 du code du travail🏛 :

11. Aux termes de l'article L. 3171-2, alinéa 1er , du code du travail🏛, lorsque tous les salariés occupés dans un service ou un atelier ne travaillent pas selon le même horaire collectif, l'employeur établit les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, pour chacun des salariés concernés. Selon l'article L. 3171-3 du même code🏛, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016🏛, l'employeur tient à la disposition de l'inspecteur ou du contrôleur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié. La nature des documents et la durée pendant laquelle ils sont tenus à disposition sont déterminées par voie réglementaire.

12. Enfin, selon l'article L. 3171-4 du code du travail🏛, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.

13. Il résulte de ces dispositions, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances salariales s'y rapportant.

14. Pour débouter la salariée de sa demande au titre des heures supplémentaires et des congés payés afférents, l'arrêt constate que la salariée produit à l'appui de sa demande un tableau récapitulatif hebdomadaire du nombre d'heures supplémentaires réalisé pour la période courant de janvier 2013 à février 2015, mais que celui-ci ne mentionne ni les heures de prise ni les heures de fin de poste et ne met pas l'employeur en mesure de le contester, cette pièce n'étant dès lors pas de nature à étayer la demande de rappel de salaire.

15. Il relève que les courriels produits par la salariée et envoyés par elle à des collègues en mars, août, novembre et décembre 2012, entre 17h58 et 20h06, ne peuvent établir l'amplitude horaire des journées concernées.

16. Il retient encore que trois attestations d'anciens salariés de la société sur lesquelles s'appuie la salariée ne sont pas suffisamment précises pour mettre l'employeur en mesure de contester la réalisation d'heures supplémentaires, notamment en ce qu'elles ne précisent pas à quelle heure se terminaient les tournées dont elle rendait compte, ne mentionnant pas en particulier l'heure de fin de poste.

17. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations, d'une part, que la salariée présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre, d'autre part, que ce dernier ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur la seule salariée, a violé le texte susvisé.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande d'indemnité pour discrimination salariale de Mme [Aa] et déclare opposable la décision à l'AGS-CGEA de [Localité 4] dans les limites de sa garantie, l'arrêt rendu le 13 février 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Caen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Rouen ;

Condamne l'association CGEA-AGS de [Localité 4] et M. [Ab], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société SAE Normandie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, condamne l'association CGEA-AGS de [Localité 4] et M. [Ab], ès qualités, à payer à la SCP Didier et Pinet la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille vingt-trois.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SARL Cabinet François Pinet, avocat aux Conseils, pour Mme [C], divorcéAa [O]

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Mme [Aa] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'AVOIR déboutée de sa demande d'indemnité au titre de l'inégalité de traitement et, en conséquence, de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire pour prime d'ancienneté et de sa demande indemnitaire au titre de la discrimination ;

1°) ALORS QUE, si l'application du principe « à travail égal, salaire égal »
nécessite une comparaison entre des salariés de la même entreprise, la comparaison n'est pas limitée à des situations dans lesquelles les salariés effectuent simultanément un travail égal pour un même employeur ; qu'en jugeant que Mme [Aa] ne justifiait pas d'une différence de traitement, quand elle constatait, d'une part, que le salaire horaire de la salariée s'établissait à 10,88 euros en 2012, d'autre part, que celui de Mme [S], embauchée à la même époque que celle-ci et occupant le même poste, s'établissait à 17,33 euros en 2015, ce dont résultait l'existence d'une disparité de traitement qu'il appartenait à l'employeur de justifier par des éléments objectifs et pertinents, la cour d'appel a violé le principe « à travail égal, salaire égal » ;

2°) ALORS QUE la cour d'appel a retenu que « Mme [Aa] compare [sa rémunération] au salaire horaire de 17,33 euros figurant sur les bulletins de paie de Mme [S] de janvier, février, juillet et août 2015 qu'elle produit », mais qu'« en ne produisant pas ses bulletins de paie pour l'année 2015 (…), [elle] ne justifie donc pas d'une différence de traitement avec sa collègue » ; qu'en statuant ainsi, quand la salariée produisait en cause d'appel (sa pièce n° 2) ses bulletins de paie pour les années 2013, 2014 et 2015, lesquels permettaient de caractériser la disparité de traitement pour les mois considérés de l'année 2015, la cour d'appel a dénaturé par omissions ces documents, violant ainsi le principe faisant interdiction au juge de dénaturer les documents de la cause.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Mme [Aa] fait grief à l'arrêt attaqué de l'AVOIR déboutée de sa demande de rappel de salaire pour heures supplémentaires et, en conséquence, de l'AVOIR déboutée de ses demandes en paiement d'un rappel de salaire pour prime d'ancienneté, d'une indemnité pour contrepartie obligatoire en repos, outre un rappel de prime d'ancienneté calculé sur cette indemnité, et d'une indemnité pour travail dissimulé ;

ALORS QU'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments ; que le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux articles L. 3171-2 et L. 3171-3 du code du travail🏛🏛 ; qu'en déboutant Mme [Aa] de sa demande de rappel d'heures supplémentaires, quand elle constatait que la salariée produisait un tableau récapitulatif hebdomadaire du nombre d'heures supplémentaires réalisées pour la période du mois de janvier 2013 au mois de février 2015, des courriels envoyés à des collègues de travail entre 17h58 et 20h06 et trois attestations d'anciens salariés indiquant qu'elle devait prendre des rendez-vous téléphoniques à l'heure du déjeuner ou le soir, qu'elle rédigeait des comptes-rendus d'activité le vendredi soir alors qu'elle était en repos ou encore que le repos octroyé le vendredi après-midi était impossible à respecter, la cour d'appel, qui a fait peser la charge de la preuve sur le seul salarié, a violé l'article L. 3171-4 du code du travail🏛.

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