Jurisprudence : Cass. soc., 15-02-2023, n° 21-15.033, F-D, Cassation

Cass. soc., 15-02-2023, n° 21-15.033, F-D, Cassation

A44669DR

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2023:SO00158

Identifiant Legifrance : JURITEXT000047201057

Référence

Cass. soc., 15-02-2023, n° 21-15.033, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/93320770-cass-soc-15022023-n-2115033-fd-cassation
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SOC.

BD4


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 15 février 2023


Cassation


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 158 F-D

Pourvoi n° Z 21-15.033


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 15 FÉVRIER 2023


M. [V] [Aa], domicilié [… …], a formé le pourvoi n° Z 21-15.033 contre l'arrêt rendu le 11 février 2021 par la cour d'appel de Versailles (6e chambre), dans le litige l'opposant à la société France médias monde, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Grandemange, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. [Aa], de la SCP Gatineau, Ab et Rebeyrol, avocat de la société France médias monde, après débats en l'audience publique du 4 janvier 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Grandemange, conseiller rapporteur, M. Barincou, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 11 février 2021) rendu en matière de référé, M. [Aa] a été engagé à compter du 15 avril 2010 par la société France médias monde (la société) et occupait en dernier lieu les fonctions d'assistant d'édition, statut journaliste, au sein de la rédaction arabophone de France 24.

2. S'estimant victime d'une discrimination en raison de ses origines culturelles et ethniques, le salarié a saisi la formation de référé de la juridiction prud'homale pour obtenir, sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile🏛, la communication par l'employeur d'un certain nombre de pièces lui permettant de procéder à une comparaison utile de sa situation avec celles de trente-trois autres salariés.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile🏛, alors « qu'en vertu de ce texte, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé ; qu'en l'espèce le salarié sollicitait la communication des documents retraçant l'évolution de carrière de trente-trois salariés engagés comme lui au sein de la rédaction arabophone de la société à l'emploi d'assistant d'édition ou d'assistant rédacteur en chef, ayant une ancienneté équivalente ou inférieure à la sienne, auxquels il entendait se comparer aux fins d'établir que, contrairement à eux, il était privé d'évolution salariale et fonctionnelle à raison de son origine et partant, victime d'une discrimination ; que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la société produit aux débats un tableau récapitulatif portant sur les douze journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la rédaction de la société France 24 dont cinq à la rédaction arabophone et neuf dans d'autres rédactions, un même tableau portant sur les journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la société, et que parmi les trente-trois salariés concernés par la demande de M. [Aa], la société communique le curriculum vitae de onze d'entre eux portant mention de leur âge, de leur formation, de leurs expériences professionnelles et de leur parcours au sein de la société ainsi que les bulletins de paie de vingt d'entre eux, parmi lesquels quatre salariés auxquels M. [Aa] se compare précisément ; qu'en se fondant ainsi, pour exclure l'existence d'un motif légitime à obtenir communication de pièces relatives à l'ensemble des salariés visés par la demande, sur la seule considération que l'employeur fournissait des documents relatifs au traitement fait à certains d'entre eux seulement, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile🏛. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 145 du code de procédure civile🏛, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile :

4. Selon le premier des textes susvisés, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé. Il résulte par ailleurs des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

5. Il appartient dès lors au juge saisi d'une demande de communication de pièces sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile🏛, d'abord, de rechercher si cette communication n'est pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et s'il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, ensuite, si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées.

6. Pour débouter le salarié de sa demande de communication de pièces sous astreinte formée contre la société, l'arrêt, après avoir relevé que la majorité des pièces dont la communication était sollicitée était de nature à porter atteinte à la vie privée des salariés concernés ce qui impliquait que leur production soit indispensable à l'exercice du droit à la preuve et que cette atteinte soit proportionnée au but poursuivi, retient que la société produit aux débats un tableau récapitulatif portant sur les douze journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la rédaction de la société France 24 dont cinq à la rédaction arabophone et neuf dans d'autres rédactions, ce tableau précisant, par salarié, son ancienneté dans l'entreprise, l'ancienneté de sa carte de presse, son âge et son salaire de base annuel.

7. Il ajoute qu'un même tableau est produit portant sur les journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la société et que parmi les trente-trois salariés concernés par la demande du salarié, la société France médias monde produit le curriculum vitae de onze d'entre eux portant mention de leur âge, de leur formation, de leurs expériences professionnelles et de leur parcours au sein de la société. Il relève également que la société produit les bulletins de paie de vingt d'entre eux, certains des bulletins de salaire permettant des comparatifs sur des périodes espacées de plusieurs années et que parmi les salariés dont le curriculum vitae et les bulletins de salaire sont communiqués figurent Mme [C], M. [Ac], M. [N] auxquels le salarié compare, de façon plus précise, sa situation.

8. Il en conclut qu'au regard des pièces en présence, le salarié ne justifie pas d'un motif légitime à la communication de pièces supplémentaires, alors que le mécanisme probatoire applicable au fond ne lui impose en outre que de présenter des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à celle-ci.

9. En statuant ainsi, sans rechercher, d'abord, si la communication des pièces demandées par le salarié n'était pas nécessaire à l'exercice du droit à la preuve de la discrimination alléguée et proportionnée au but poursuivi et, ensuite, si les éléments dont la communication était demandée étaient de nature à porter atteinte à la vie personnelle d'autres salariés, sans vérifier quelles mesures étaient indispensables à l'exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production de pièces sollicitées, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société France médias monde aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société France médias monde et la condamne à payer à M. [Aa] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quinze février deux mille vingt-trois.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. [Aa]

M. [Aa] fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé l'ordonnance entreprise en ce qu'elle l'a débouté de sa demande fondée sur l'article 145 du code de procédure civile🏛.

1° ALORS QU'en vertu de l'article 145 du code de procédure civile🏛, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé; qu'en l'espèce le salarié sollicitait la communication des documents retraçant l'évolution de carrière de 33 salariés engagés comme lui au sein de la rédaction arabophone de la société France médias monde à l'emploi d'assistant d'édition ou d'assistant rédacteur en chef, ayant une ancienneté équivalente ou inférieure à la sienne, auxquels il entendait se comparer aux fins d'établir que, contrairement à eux, il était privé d'évolution salariale et fonctionnelle à raison de son origine et partant, victime d'une discrimination ; que pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que la société France Médias Monde produit aux débats un tableau récapitulatif portant sur les 12 journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la rédaction de la société France 24 dont cinq à la rédaction arabophone et neuf dans d'autres rédactions, un même tableau portant sur les journalistes assistants d'édition travaillant au sein de la société France Médias Monde, et que parmi les 33 salariés concernés par la demande de M. [Aa], la société communique le curriculum vitae de 11 d'entre eux portant mention de leur âge, de leur formation, de leurs expériences professionnelles et de leur parcours au sein de la société ainsi que les bulletins de paie de 20 d'entre eux, parmi lesquels 4 salariés auxquels M. [Aa] se compare précisément ; qu'en se fondant ainsi, pour exclure l'existence d'un motif légitime à obtenir communication de pièces relatives à l'ensemble des salariés visés par la demande, sur la seule considération que l'employeur fournissait des documents relatifs au traitement fait à certains d'entre eux seulement, la cour d'appel a violé l'article 145 du code de procédure civile🏛

2° ALORS QU'en vertu de l'article 145 du code de procédure civile🏛, s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé; qu'en se déterminant ainsi, sans préciser ce en quoi les documents produits par l'employeur, relatifs à certains salariés de l'entreprise, pouvaient renseigner utilement sur le traitement fait aux autres salariés concernés par la demande, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile🏛

3° ALORS QUE pour exclure l'existence d'un motif légitime à obtenir communication de pièces relatives à 33 salariés de la société auxquels l'exposant entendait se comparer, le conseil de prud'hommes, en sa formation de référé, a estimé que la demande portait une atteinte manifeste à la vie privée et confidentielle des salariés et que seul le juge du fond pouvait faire droit à une demande de documents, uniquement anonymes ; qu'à supposer qu'elle ait adopté de tels motifs, la cour d'appel, qui a statué par des motifs impropres à exclure l'existence d'un motif légitime à obtenir communication des pièces sollicitées, a violé l'article 145 du code de procédure civile🏛.

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