Jurisprudence : CE 8ème et 3ème, 07-06-2000, n° 191828

CONSEIL D'ETAT

CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON

N° 191828

S.A. ROULLE

M. Vallée

Rapporteur

M. Bachelier

Commissaire du Gouvernement

Séance du 3 mai 2000

Lecture du 7 juin 2000

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d’Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 8ème et 3ème sous-sections réunies)

Sur le rapport de la 8ème sous-section

de la Section du contentieux

Vu la requête, le mémoire complémentaire, et les observations complémentaires enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d’Etat les 2 décembre 1997, 2 avril et 9 juillet 1998 présentés pour la S.A. ROULLE dont le siège est 3, rue de la Chenaie à Saint-Etienne du Rouvray (76800) représentée par le président du conseil d'administration, domicilié en cette qualité audit siège ; la S.A. ROULLE demande au Conseil d’Etat :

1°) d'annuler l'arrêt, en date du 2 octobre 1997, par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a annulé à la demande de M. Gilbert Marais, d'une part le jugement du tribunal administratif de Rouen du 19 mars 1996, qui avait rejeté la requête de M. Gilbert Marais, tendant à l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail de Rouen en date du 2 mars 1994 autorisant son licenciement par la société requérante et de la décision du ministre de l'équipement, des transports et du tourisme en date du 1er septembre 1994 rejetant son recours hiérarchique, d'autre part les décisions susvisées ;

2°) de condamner M. Marais à lui payer la somme de 12 000 F au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

  • le rapport de M. Vallée, Auditeur,
  • les observations de la SCP Tiffreau, avocat de la S.A. ROULLE, de la SCP Monod, Colin, avocat de M. Gilbert Marais,
  • les conclusions de M. Bachelier, Commissaire du gouvernement ;

Considérant qu'il résulte des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par une décision de l'inspecteur du travail des services extérieurs du ministère des transports de Rouen en date du 2 mars 1994, confirmée le 1er septembre par le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme, la SA. ROULLE a été autorisée à licencier pour faute grave M. Gilbert Marais, délégué syndical, délégué du personnel et membre du comité d'entreprise; que la S.A. ROULLE se pourvoit en cassation contre l'arrêt par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a, sur recours de M. Marais, annulé le jugement par lequel le tribunal administratif de Rouen avait rejeté sa demande d'annulation des décisions susvisées ;

Considérant qu'en vertu des dispositions des articles L. 412-18, L. 425-1 et L. 436-1 du code du travail , les salariés investis des fonctions de délégué syndical, de délégué du personnel ou de représentant syndical au comité d'entreprise bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail, et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi; qu'en outre, pour refuser l'autorisation sollicitée, l'autorité administrative a la faculté de retenir des motifs d'intérêt général relevant de son pouvoir d'appréciation de l'opportunité, sous réserve qu'une atteinte excessive ne soit pas portée à l'un ou l'autre des intérêts en présence ;

Considérant que l'employeur a le droit de contrôler et de surveiller l'activité de ses salariés pendant le temps du travail ; que seul l'emploi de procédé clandestin de surveillance est illicite ;

Considérant qu'après avoir relevé qu'il était reproché à M. Marais, chauffeur routier employé par la S.A. ROULLE, d'avoir enfreint les règles de sécurité pendant une livraison de fuel lourd effectuée le 8 février 1994 dans une chaufferie d'HLM, en abandonnant son camion citerne pendant une vingtaine de minutes alors que les opérations de transvasement du carburant étaient en cours, la cour a jugé que la matérialité de ces faits, contestée par M. Marais, ne pouvait régulièrement résulter des mentions contenues dans un constat d'huissier établi pendant les opérations à la demande de l'employeur, dès lors que le salarié n'avait pas été préalablement informé de la mise en œuvre de ce contrôle ; qu'en statuant ainsi, alors que le constat d'huissier ne constitue pas un procédé clandestin de surveillance nécessitant l'information préalable du salarié, la cour a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que la S.A. ROULLE est fondée, pour ce seul motif, à en demander l'annulation;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;

Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la réalité et les circonstances de l'abandon de véhicule reproché à M. Marais ressortent des mentions du constat d'huissier dressé le jour-même, soit le 8 février 1994, à la demande de la S.A. ROULLE, lesquelles ne sont pas utilement contredites par les dires d'un autre constat d'huissier établi à la demande du salarié le 30 décembre suivant ; que l'intéressé n'établit pas que, comme il l'allègue, une telle absence prolongée pendant une opération de livraison de matières inflammables, alors qu'il était tenu d'en surveiller personnellement le déroulement afin d'être à même de prendre les mesures nécessaires en cas d'incident, aurait été nécessitée par la vérification de la capacité de la cuve à remplir, alors surtout qu'une telle vérification doit en tout état de cause être effectuée avant le transvasement du carburant ; que les faits ainsi établis constituent un manquement caractérisé aux consignes de sécurité applicables aux livraisons de matières dangereuses ; que, par suite, et à supposer même qu'aucune mise en garde antérieure pour des faits analogues n'aurait été adressée à l'intéressé, ce manquement était constitutif d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. Marais;

Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la demande d'autorisation de licenciement de M. Marais ait été en rapport avec l'exercice de ses mandats représentatifs ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. Marais n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande d'annulation des décisions des 2 mars 1994 et 1er septembre 1994, autorisant son licenciement ;

Sur l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :

Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner M. Marais à payer à la SA. ROULLE la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;

DECIDE

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 2 octobre 1997 est annulé.

Article 2 : La demande de M. Marais devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejetée.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SA. ROULLE, à M. Gilbert Marais et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.

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