CE 8/9 SSR, 07-01-2000, n° 186108
A9277AGP
Référence
Si le droit fiscal se caractérise essentiellement par son réalisme, force est de constater qu'il se distingue tout autant par son "amoralisme".
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
Cette décision sera mentionnée dans les tables du Recueil LEBON
N° 186108
M. et Mme PHILIPPE
M. Maïa
Rapporteur
M. Bachelier
Commissaire du Gouvernement
Séance du 22 novembre 1999
Lecture du 7 janvier 2000
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 8ème sous-section, de la Section du contentieux
Vu les autres pièces du dossier
Vu le livre des procédures fiscales
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987
Vu le décret n° 63-766 du 30 juillet 1963 modifié par le décret n° 97-1177 du 24 décembre 1997
Après avoir entendu en audience publique
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, applicable en matière d'impôt sur les sociétés en vertu de l'article 209 du même, code " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges... 2. Les transactions, amendes, confiscations, pénalités de toute nature mises à la charge des contrevenants aux dispositions légales régissant les prix, le ravitaillement, la répartition des divers produits et l'assiette des impôts, contributions et taxes, ne sont pas admis en déduction des bénéfices soumis à l'impôt" ; que pour l'application des dispositions de l'article 38 du code général des impôts, selon lesquelles le bénéfice net imposable est "déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises", seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celle de satisfaire les besoins, ou, de manière générale, les intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de celle-ci , que, par suite, ne relèvent pas nécessairement d'une gestion anormale tous les actes ou opérations que l'exploitant. décide de faire en n'ignorant pas qu'il expose ainsi l'entreprise au risque de devoir supporter certaines charges ou dépenses.; que c'est seulement si de telles opérations ont été décidées à des fins étrangères aux intérêts de l'entreprise qu'elles peuvent être réputées relever d'une gestion anormale ; qu'il suit de là qu'en jugeant que le service avait pu à bon droit refuser la déduction des résultats de l'entreprise de M. PHILIPPE des condamnations civiles définitives prononcées à son encontre à raison de l'activité délictueuse à laquelle il s'était livrée pour le compte de son entreprise, des provisions qu'il avait constituées ,pour couvrir le risque d'autres condamnations, ainsi que des frais de contentieux, au seul motif que l'intéressé aurait pris, dans la gestion de son entreprise, des risques excédant manifestement ceux qu'un chef d'entreprise peut être conduit à prendre pour améliorer les résultats de son exploitation, la cour a entaché son arrêt d'erreur de droit
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme PHILIPPE sont fondés à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article 11 de la loi du 31 décembre 1987 et de régler l'affaire au fond
Sur la régularité du -jugement attaqué
Considérant que, pour confirmer les réintégrations opérées par l'administration des déductions effectuées par M. PHILIPPE, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur la circonstance que ces charges n'auraient résulté à aucun titre de l'activité de loueur de fonds de commerce exercée par celui-ci à compter du 1er novembre 1975 ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier soumis au tribunal, ainsi que le font valoir M. et Mme PIELIPPE, que l'administration n'a pas invoqué un tel moyen pour justifier l'imposition ; qu'ainsi, le tribunal, en se fondant d'office sur ce moyen, qui n'est pas d'ordre public, a entaché son jugement d'irrégularité ; que son jugement doit, dès lors, être annulé ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer l'affaire et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. et Mme PHILIPPE devant le tribunal administratif de Nantes
Sur le fond :
Considérant que l'administration n'établit pas que les activités délictueuses ayant entraîné les condamnations pécuniaires à raison desquelles M. PHILIPPE a déduit des résultats de son entreprise personnelle les différentes sommes en litige, n'ont pas été effectuées pour le compte et dans l'intérêt de ladite entreprise ; qu'il s'ensuit, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, que ces
sommes doivent, être regardées comme des charges au sens des dispositions précitées de l'article 39 du code général des impôts ; que, dès lors, M. et Mme PHILIPPE sont fondés à demander la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à leur charge au titre des années 1985 et 1986 et résultant de la réintégration de ces charges dans les résultats de l'entreprise individuelle et par voie de conséquence dans leur base imposable à l'impôt sur le revenu ;
Considérant que la décharge de ces compléments d'imposition entraîne, par voie de conséquence, la décharge des pénalités dont elles ont été assorties ;
Considérant, enfin, qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. et Mme PHILIPPE, présentées devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Nantes, tendant, à la condamnation de d'Etat au remboursement des frais exposés par eux et non compris dans les dépens
Article 1er : L'arrêt du 30 décembre 1996 de la cour administrative d'appel de Nantes est annulé.
Article 2 Le jugement du 12 avril 1994 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 3 M. et Mme PHILIPPE sont déchargés des suppléments d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes auxquels ils ont été assujettis au titre des années 1985 et 1986.
Article 4 : Le surplus des conclusions des requêtes de M. et Mme PHILIPPE devant le tribunal administratif et la cour administrative d'appel de Nantes est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme Bernard PHILIPPE et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Loi, 91-647, 10-07-1991 Article, 39, CGI Article, 38, CGI Ordonnance, 45-1708, 31-07-1945 Décret, 53-934, 30-09-1953 Loi, 87-1127, 31-12-1987 Décret, 63-766, 30-07-1963 Décret, 97-1177, 24-12-1997 Dossier soumis aux juges du fond Fonds de commerce Transport de marchandises Entreprise individuelle Débiteurs solidaires Vérification de la comptabilité Mauvaise foi du débiteur Bénéfice net établi Assiette de l'impôt Déduction des bénéfices Bénéfice net imposable Satisfaction des besoins Gestion normale Gestion anormale Déduction des résultats Condamnation définitive Résultat d'exploitation Ordre public Évocation de l'affaire Condamnation pécuniaire Entreprise personnelle Réintégration dans les résultats Complément d'imposition Décharge des pénalités Suppléments d'impôt sur le revenu
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