Jurisprudence : CA Amiens, 11-01-2023, n° 21/05329, Infirmation partielle

CA Amiens, 11-01-2023, n° 21/05329, Infirmation partielle

A3311887

Référence

CA Amiens, 11-01-2023, n° 21/05329, Infirmation partielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/92388480-ca-amiens-11012023-n-2105329-infirmation-partielle
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ARRET




S.A.S. PIVETTA BATIMENT

S.A.S. PIVETTA BTP


C/


[D]


copie exécutoire

le 11/01/2023

à

Me GILLES - 2

Me DELAHOUSSE

EGILSF


COUR D'APPEL D'AMIENS


5EME CHAMBRE PRUD'HOMALE


ARRET DU 11 JANVIER 2023


*************************************************************

N° RG 21/05329 - N° Portalis DBV4-V-B7F-IIQW


JUGEMENT DU CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE COMPIEGNE DU 25 OCTOBRE 2021 (référence dossier N° RG F 20/00008)



PARTIES EN CAUSE :


APPELANTES


S.A.S. PIVETTA BATIMENT

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]


S.A.S. PIVETTA BTP

[Adresse 5]

[Adresse 5]

[Adresse 5]


Représentées, concluant et plaidant par Me Jean-marie GILLES de la SELEURL CABINET GILLES, avocat au barreau de PARIS

représentée par Me Jérôme LE ROY de la SELARL LEXAVOUE AMIENS-DOUAI, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Alexis DAVID, avocat au barreau d'AMIENS, avocat postulant


ET :


INTIME


Monsieur [T] [D]

né le … … … à [Localité 4]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]


représenté, concluant et plaidant par Me Franck DELAHOUSSE de la SELARL DELAHOUSSE ET ASSOCIÉS, avocat au barreau d'AMIENS substituée par Me Amélie WEIMANN, avocat au barreau D'AMIENS


DEBATS :


A l'audience publique du 16 novembre 2022, devant Mme Eva GIUDICELLI, siégeant en vertu des articles 786 et 945-1 du code de procédure civile🏛🏛 et sans opposition des parties, ont été entendus :


- Mme Eva GIUDICELLI en son rapport,

- les avocats en leurs conclusions et plaidoiries respectives.


Mme Eva GIUDICELLI indique que l'arrêt sera prononcé le 11 janvier 2023 par mise à disposition au greffe de la copie, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile🏛.


GREFFIERE LORS DES DEBATS : Mme Isabelle LEROY



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE :


Mme Eva GIUDICELLI en a rendu compte à la formation de la 5ème chambre sociale, composée de :


Mme Laurence de SURIREY, présidente de chambre,

Mme Caroline PACHTER-WALD, présidente de chambre,

Mme Eva GIUDICELLI, conseillère,


qui en a délibéré conformément à la Loi.


PRONONCE PAR MISE A DISPOSITION :


Le 11 janvier 2023, l'arrêt a été rendu par mise à disposition au greffe et la minute a été signée par Mme Laurence de SURIREY, Présidente de Chambre et Mme Isabelle LEROY, Greffière.


*

* *


DECISION :


M. [D], né le … … …, a été embauché par la société Pivetta BTP (la société ou l'employeur) le 30 août 2010 par contrat à durée indéterminée, en qualité de chef de chantier.


Son contrat est régi par la convention collective du commerce des employés, techniciens et agents du bâtiment du 12 juillet 2006.


Le 18 avril 2019, M. [D] s'est vu notifier une mise à pied disciplinaire de trois jours, du 14 au 16 mai 2019.


Le 30 juillet 2019, le salarié a été convoqué à un entretien préalable fixé au 27 août 2019.


Par courrier du 19 septembre 2019, il a été licencié pour faute grave.


Contestant la légitimité de son licenciement, M. [D] a saisi le conseil de prud'hommes de Compiègne le 17 janvier 2020.



Par jugement du 25 octobre 2021, le conseil a :


- constaté l'intervention volontaire de la société Pivetta BTP et dit en conséquence que la demande était légitime et valide ;


- constaté que M. [D] intervenait à la fois pour la société Pivetta bâtiment et la société Pivetta BTP et dit en conséquence que les deux sociétés avaient agi comme co-employeur de M. [D] ;


- dit que le licenciement de M. [D] était valide mais n'était pas consécutif d'une faute grave ;


- condamné à payer solidairement les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP à M. [D] :

- 8 149,80 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 814,98 euros brut à titre de congés payés sur préavis ;

- 10 378,37 euros brut à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


- débouté M. [D] de ses autres demandes ;


- débouté la société Pivetta bâtiment de ses autres demandes ;


- ordonné l'exécution provisoire du jugement ;


- condamné solidairement les sociétés Pivetta bâtiment et Aa A aux entiers dépens.



Par conclusions remises le 27 octobre 2022, les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP, régulièrement appelantes de ce jugement, demandent à la cour de :


- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :

- débouté M. [D] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire ;

- infirmer le jugement entrepris sur les chefs expressément critiqués suivants :

- constaté l'intervention volontaire de la société Pivetta BTP et dit en conséquence que la demande était légitime et valide ;

- constaté que M. [D] intervenait à la fois pour la société Pivetta bâtiment et la société Pivetta BTP et dit en conséquence que les deux sociétés ont agi comme co-employeurs de M. [D] ;

- dit que le licenciement de M. [D] était valide mais n'était pas consécutif à une faute grave;

- condamné à payer solidairement les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP à M. [D] :

- 8 149,80 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 814,98 euros brut à titre de congés payés sur préavis ;

- 10 378,37 euros brut à titre d'indemnité conventionnelle de licencie-ment ;

- 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


- débouté la société Pivetta bâtiment de ses demandes ;


- du chef des dépens ;


Et statuant à nouveau,


A titre principal,


- constater que M. [D] a visé dans sa requête introductive d'instance la seule société Pivetta bâtiment, sans lien de droit avec le salarié ;


En conséquence,


- débouter M. [D] de sa demande tendant à voir condamner la société Pivetta bâtiment, ou constater l'intervention volontaire de la société Pivetta BTP, cette intervention présentée comme volontaire, étant inexistante en tant que telle ;


- constater que l'action de M. [D], engagée contre Pivetta bâtiment, tiers étranger au litige qui n'a donc pas qualité pour agir, est irrecevable ;


- mettre en conséquence au plus fort la société Pivetta bâtiment hors de cause, et juger en tout état de cause qu'il n'y a pas, et qu'il n'y a jamais eu de co-emploi entre l'intimé et les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP ;


- renvoyer M. [D] à mieux se pourvoir ;


A titre plus subsidiaire,


- dire et juger que c'est à bon droit que la société Pivetta BTP a successivement mis à pied, puis licencié M. [D], les fautes que celui-ci a commises relevant de la faute grave pour un salarié doté de l'expérience et de la qualification de celui-ci ;


En conséquence,


- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;


En tout état de cause,


- constater que la société Pivetta BTP a réglé les causes du jugement entrepris ;

- ordonner la restitution avec intérêts de droit ;

- débouter M. [D] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;


- condamner M. [D] à payer à la société Pivetta bâtiment et la société Pivetta BTP chacune la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


- condamner M. [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel.


Par dernières conclusions remises le 31 octobre 2022, M. [D] demande à la cour de :


- le juger recevable et bien fondé en ses moyens de défense et en son appel incident ;


- débouter les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP de l'intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;


En conséquence et y faisant droit,


- confirmer le jugement du 25 octobre 2021 en ce qu'il a :

- constaté l'intervention volontaire de la société Pivetta BTP et dit sa demande légitime et valide ;

- constaté qu'il intervenait à la fois pour les sociétés Pivetta bâtiment et Pivetta BTP et dit que les deux sociétés avaient agi comme co-employeurs ;

- dit que son licenciement n'était pas constitutif d'une faute grave et condamné solidairement lesdites sociétés à lui régler les sommes de 8 149,80 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 814,98 euros brut à titre de congés payés sur préavis, 10 378,37 euros brut à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 outre les entiers dépens d'instance, le tout sous exécution provisoire ;

- débouté la société Pivetta bâtiment de ses demandes ;


Sur l'appel incident,


- infirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit que son licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse, et en ce qu'il l'a débouté du surplus de ses demandes ;


En conséquence et statuant à nouveau,

- annuler la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 avril 2019 (mise à pied disciplinaire du 14 au 16 mai 2019) ;


- requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;


Ce faisant,


- condamner in solidum la société Pivetta BTP et la société Pivetta bâtiment à lui payer la somme de 504,24 euros brut, outre 50,42 euros brut au titre de l'annulation de la mise à pied disciplinaire ;


- condamner in solidum la société Pivetta BTP et la société Pivetta bâtiment à lui verser les sommes suivantes :

- 48 898,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et abus de droit ;


Très subsidiairement, si la cour ne devait pas reconnaître la situation de co-emploi,


- condamner en tout état de cause, la société Pivetta BTP à lui payer la somme de 504,24 euros brut, outre 50,42 euros brut au titre de l'annulation de la mise à pied disciplinaire ;


- condamner en tout état de cause, la société Pivetta BTP à lui verser les sommes suivantes :

- 8 149,80 euros brut à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois), outre 814,98 euros brut au titre des congés payés y afférents ;

- 10 378,37 euros à titre d'indemnité de licenciement (article 8.5 de la convention collective des employés, techniciens et agents de maîtrise du bâtiment) ;

- 48 898,80 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire et abus de droit ;

- 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;


Encore plus subsidiairement, si par impossible la cour de céans ne devait pas non plus reconnaître l'intervention volontaire de la société Pivetta BTP à l'instance qui était pendante devant le conseil de prud'hommes de Compiègne,


- condamner la société Pivetta bâtiment en raison de sa mauvaise foi et de sa déloyauté procédurale à lui verser des dommages et intérêts à hauteur de 73 797,04 euros, somme correspondant à la somme des indemnités qu'il aurait dû percevoir si la société Pivetta bâtiment l'avait mis en mesure de régulariser son acte de saisine, en sus d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛 d'un montant de 3 000 euros ;


En tout état de cause,


- condamner in solidum la société Pivetta BTP et la société Pivetta bâtiment à lui verser la somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles de l'instance d'appel ;


- statuer ce que de droit quant aux dépens.


Il est renvoyé aux conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.



EXPOSE DES MOTIFS


1/ Sur la recevabilité des demandes


1-1/ à l'égard de la société Pivetta bâtiment


La sociétés Pivetta bâtiment soulève l'irrecevabilité des demandes formées à son égard au motif qu'elle n'est pas l'employeur de M. [D], que le moyen tiré de l'existence d'une situation de co-emploi est nouveau en cause d'appel, et que ce moyen n'est, de toute façon, pas pertinent, les deux sociétés ayant une activité, un personnel et un encadrement distincts.


M. [D] répond que la question du co-emploi ayant été tranchée par le conseil de prud'hommes, elle ne saurait être considérée comme nouvelle, et que le co-emploi est caractérisé par des objets sociaux complémentaires, une dénomination sociale quasiment identique, une identité de dirigeant, l'affectation des salariés sur les chantiers de l'une ou l'autre des sociétés, et l'exercice à son encontre du pouvoir disciplinaire par la société Pivetta bâtiment.


L'article 32 du code de procédure civile🏛 dispose qu'est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d'agir.

La notion de co-emploi, lorsqu'elle ne sanctionne pas des relations anormales entre deux sociétés appartenant à un même groupe, désigne l'existence d'un lien de subordination exercée conjointement par deux sociétés à l'égard d'un salarié, de sorte que celui-ci dispose en réalité de deux employeurs et non d'un seul.


En l'espèce, M. [D] a été embauché par la société Pivetta BTP par contrat de travail à durée indéterminée signé le 30 août 2010 en qualité de chef de chantier.


En première instance, dans sa requête aux fins de saisine du conseil de prud'hommes, M. [D] a demandé la convocation de la société Pivetta bâtiment mais la condamnation de la société Pivetta BTP, puis a invoqué la notion de co-emploi en réponse à la fin de non recevoir soulevée par la société Pivetta bâtiment.


Le moyen, qui n'est pas nouveau, est donc recevable.


Les deux société exercent des activités complémentaires, la société Pivetta bâtiment ayant pour objet social, les travaux de maçonnerie générale et de gros œuvres de bâtiment, la société Pivetta BTP, les travaux de terrassement courants et les travaux préparatoires.


Pour preuve de l'existence d'un lien de subordination entre lui et la société Pivetta bâtiment, M. [D] produit un bordereau de travaux signé par la société Pivetta bâtiment et la mairie de [Localité 3] les 13 et 15 mars 2018 à rapprocher de la mise à pied disciplinaire qui lui a été infligée le 18 avril 2019 en raison d'un incident survenu sur ce chantier.


Or, il ressort des attestations de M. [Ab] et [Z], respectivement responsable d'exploitation de la société Pivetta BTP et responsable d'exploitation de la société Pivetta bâtiment, que la société Pivetta BTP est effectivement intervenue sur ce chantier à la demande de la société Pivetta bâtiment et que l'incident concernant M. [D] a été réglé par M. [Ab] sur signalement de M. [Ac] interpelé par le client.


Nonobstant le lien de subordination existant entre ces témoins et les sociétés concernées par le litige, la force probante de ces attestations doit être retenue au regard de leur caractère précis et circonstancié, aucun élément objectif ne permettant d'affirmer leur caractère servile ou mensonger.


Si M. [D] a effectivement été sanctionné du fait de sa conduite sur ce chantier, il convient de constater que la procédure disciplinaire a été menée par la société Pivetta BTP tant au stade de la convocation à l'entretien préalable qu'à celui de la notification de la sanction.


Aucun élément ne permettant d'établir que M. [D] est intervenu sur un chantier pour le compte et sous le contrôle de la société Pivetta bâtiment ou qu'il a été sanctionné par cette dernière, l'existence d'un lien de subordination n'est pas caractérisée, étant précisé, par ailleurs, que tous les documents produits concernant la relation de travail mentionnent la société Pivetta BTP (bulletins de paie, lettres de convocation à un entretien préalable à une sanction disciplinaire, notifications d'une sanction disciplinaire, échanges écrits entre le salarié et l'employeur, avis d'aptitude du médecin du travail).


Dès lors, l'existence d'une situation de co-emploi ne peut être retenue et les demandes dirigées à l'encontre de la société Pivetta bâtiments doivent être déclarées irrecevables, pour défaut du droit d'agir, par infirmation du jugement entrepris.


1-2/ à l'égard de la société Pivetta BTP


La sociétés Pivetta BTP soulève l'irrecevabilité des demandes à son égard au motif qu'elle n'a pas été mise en cause par M. [D] et n'est pas intervenue volontairement à la procédure.

Sur ce dernier point, elle précise qu'elle n'a fait que répondre aux demandes dirigées contre elle par le salarié mais n'a jamais manifesté une volonté claire et non équivoque d'intervenir en tant que tiers au procès, et que l'instance principale n'étant pas régulièrement formée puisque mal dirigée, il ne peut y avoir d'intervention accessoire.


M. [D] affirme que la société Pivetta BTP est intervenue volontairement en première instance en se substituant à la société Pivetta bâtiment et en formant des demandes à son seul profit par conclusions du 29 juillet 2020, alors que la société Pivetta bâtiment a conclu distinctement.


Il ajoute que la société Pivetta BTP, ayant intérêt à se défendre en qualité de signataire du contrat de travail, son intervention volontaire, qui doit être qualifiée de principale, a régularisé la procédure.


L'article 14 du code de procédure civile🏛 dispose que nulle partie ne peut être jugée sans avoir été entendue ou appelée.


L'article 66 du même code🏛 dispose que constitue une intervention la demande dont l'objet est de rendre un tiers partie au procès engagé entre les parties originaires. Lorsque la demande émane du tiers, l'intervention est volontaire ; l'intervention est forcée lorsque le tiers est mis en cause par une partie.


En application des dispositions de l'article 339 du même code🏛, l'intervention est principale lorsqu'elle élève une prétention au profit de celui qui la forme. Elle n'est recevable que si son auteur a le droit d'agir relativement à cette prétention.


En l'espèce, il convient de rappeler que dans sa requête introductive d'instance, M. [D] a demandé la convocation de la société Pivetta bâtiment mais la condamnation de la société Pivetta BTP.


S'agissant de deux personnes morales distinctes dont seule la seconde était l'employeur de M. [Ad], l'action en contestation du licenciement notifié le 19 septembre 2019 était mal dirigée.


Néanmoins, la société Pivetta BTP reconnaît s'être défendue dans les conclusions prises pour l'audience du 2 septembre 2020, au nom de la société Pivetta sans plus de précision, aux termes desquelles il est demandé le rejet des prétentions du salarié et la somme de 1 800 euros au titre des frais irrépétibles.


En formulant de telles demandes, elle est nécessairement intervenue volontairement,


S'agissant de demandes formées pour son propre compte et non en appui des demandes de la société Pivetta bâtiment, qui n'a conclu qu'ultérieurement, la société Pivetta BTP est intervenue à titre principal.


Les demandes formées à son encontre sont donc recevables, nonobstant l'irrecevabilité des demandes formées contre la société Pivetta bâtiment.


Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.


2/ Sur le bien fondé de la mise à pied disciplinaire


M. [D] relève que le conseil de prud'hommes a omis de statuer sur ce chef de demande.


Il apparaît, effectivement, que le dispositif du jugement entrepris ne comporte aucune mention concernant la demande d'annulation de la mise à pied disciplinaire et les conséquences pécuniaires en découlant, bien que les premiers juges aient annulé la sanction dans leurs motifs.


Il convient donc de réparer cette omission.


Sur le fond, M. [D] soutient que la lettre de notification de la sanction disciplinaire ne comportant aucun motif, ou étant à tout le moins insuffisamment motivée, la mise à pied disciplinaire ne peut qu'être annulée, ce qui justifie le rappel de salaire et de congés payés afférents sollicité.


L'employeur fait valoir qu'en ne respectant pas la pente figurant sur le plan de réalisation d'une rampe d'accès pour personnes handicapées, M. [D] a commis une erreur grossière démontrant, au regard de son expérience, un profond laxisme et une volonté de s'affranchir des consignes données justifiant sa mise à pied pendant trois jours.


L'article L.1332-1 du code du travail🏛 dispose qu'aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé, dans le même temps et par écrit, des griefs retenus contre lui.


L'article L.1332-2 in fine du même code dispose que la sanction est motivée et notifiée.


Il en résulte que la seule référence à l'entretien préalable faite lors de la notification d'une sanction disciplinaire ne satisfait pas aux exigences des dispositions précitées.


En l'espèce, M. [D] a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire par courrier du 5 avril 2019.


A la suite de l'entretien qui s'est tenu le 12 avril 2019, une mise à pied disciplinaire lui a été notifiée le 18 avril 2019 en ces termes :


«Lors de notre entretien du 12 avril 2019, vous étiez assisté du représentant du personnel, M. [G] [J]. Nous vous avons exposé nos griefs et nous avons recueilli vos explications sur les faits intervenus sur le chantier de [Localité 3], dont vous reconnaissez être responsable du désordre.


Nous estimons que vous avez commis une faute qui justifie la prise d'une sanction à votre égard et nous vous infligeons :


- une mise à pied disciplinaire de 3 jours avec retenue correspondante de salaire qui prendra effet à

compter du 14 mai 2019 au 16 mai 2019.


Veillez à ne pas renouveler de tels incidents qui sont particulièrement dommageables à la bonne marche de l'entreprise.»


Le courrier de notification de la sanction se contentant de faire référence à l'entretien préalable pour l'énoncé des griefs ayant motivé la sanction, cette dernière doit être annulée.


Au vu de la retenue de salaire apparaissant sur le bulletin de paie de mai 2019, il convient de faire droit à la demande de rappel de salaire et de congés payés afférents de M. [D].


Le jugement entrepris sera donc complété en ce sens.


3/ Sur le bien fondé du licenciement pour faute grave


La lettre de licenciement, précisée le cas échéant par l'employeur, qui fixe les limites du litige, lie les parties et le juge qui ne peut examiner d'autres griefs que ceux qu'elle énonce.


En l'espèce, la lettre de licenciement est motivée comme suit :


«Suite à notre entretien préalable du 27/08/2019 auquel nous vous avions convoqué, et pour lequel vous étiez assisté, à votre demande, de Monsieur [G] [J], nous sommes au regret de vous notifier votre licenciement pour faute grave.


Vos explications ne nous permettent pas de modifier notre appréciation des faits.


Les motifs de licenciement sont ceux évoqués lors de l'entretien précité du 27/08/2019 et sont, pour rappel, les suivants :


- Non-respect des ordres et consignes de votre hiérarchie, malgré de précédents rappels à l'ordre.


- Non-respect grossier des règles de l'art et des documents de travail, notamment, pour le chantier «[Localité 2] ' Ecole des bruyères » pour lequel vous disposiez de plans et cotes précises.


- non-respect des cotes de terrassement, des volumes nécessaires, entrainant une surconsommation de matériaux de constitution.


- non-respect des métrés sur la commande de béton nécessaire à couler le mur coffré de la «rampe handicapés ».


- non-respect par rapport aux plans et cotes de la pente du trop-plein du bassin d'infiltration posée à contre sens.


Votre attitude indigne d'un responsable de chantier ayant votre ancienneté a généré des surcroits considérables pour la société.


Par ailleurs, il nous a été rapporté que vous avez demandé à un de nos compagnons présents de «réduire les cadences » sur le chantier de [Localité 2].


Ces fautes, et notamment la dernière, qui relève de l'insubordination et du sabotage, ne nous permettent pas de vous maintenir en poste, ne serait-ce que durant la période du préavis.


Nous relevons d'ailleurs que vous avez déjà été sanctionné, il y a peu, pour des faits similaires, pour le chantier [Localité 3].


Le renouvellement des mêmes fautes à quelques mois d'intervalle est inadmissible, nous pouvons donc craindre légitimement que vous récidiviez.»


L'employeur estime qu'au regard de la grande expérience de M. [D] en qualité de chef de chantier, les erreurs grossières commises sur les chantiers de [Localité 2] et de [Localité 3] relèvent d'une attitude laxiste et d'un volonté délibérée de s'affranchir des consignes données justifiant le licenciement pour faute grave, et ce d'autant que ces erreurs ont causé un préjudice financier à l'entreprise.


M. [Ad], affirmant n'avoir été licencié qu'en raison de ses problèmes de santé et de son ancienneté, conteste :


- avoir manqué à son obligation de respecter les consignes de sa hiérarchie considérant que ce grief non situé dans le temps est non vérifiable et insuffisamment motivé,


- avoir commis des erreurs grossières quant aux règles de l'art soulignant qu'il n'a jamais été interpelé quant à un éventuel non-respect des documents de travail qui lui avaient été remis, que le manque de béton pour la rampe d'accès est dû à une erreur de l'entreprise ayant procédé à la livraison, qu'il a bien posé les piquets altimétriques nécessaires au terrassement mais que la quantité de cailloux prévue dans le devis était insuffisante,


- s'être rendu coupable d'insubordination, la seule attestation de complaisance de M. [Ae], salarié de l'entreprise, étant insuffisante à établir ce fait.


La faute grave résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. La mise en œuvre de la procédure de licenciement doit donc intervenir dans un délai restreint après que l'employeur a eu connaissance des faits fautifs allégués et dès lors qu'aucune vérification n'est nécessaire.


C'est à l'employeur qui invoque la faute grave et s'est situé sur le terrain disciplinaire de rapporter la preuve des faits allégués et de justifier qu'ils rendaient impossibles la poursuite du contrat de travail.


En l'espèce, M. [D] a été embauché le 30 août 2010 en qualité de chef de chantier et s'est trouvé en arrêt de travail du 15 novembre 2017 au 18 juin 2018, puis du 20 juin au 4 octobre 2019.


Il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement par courrier du 30 juillet 2019 et licencié pour faute grave par courrier du 19 septembre 2019.


En premier lieu, il convient de relever que l'ensemble des pièces datées tendant à démontrer une dégradation des relations et conditions de travail du salarié étant postérieures à la première procédure disciplinaire, l'existence d'une volonté préexistante de l'employeur de mettre un terme au contrat de travail en poussant M. [D] à la faute n'est pas établie, étant précisé que ce dernier a été déclaré apte à son poste de travail suivant avis du médecin du travail du 14 juin 2019.


En second lieu, si le grief de non-respect des ordres et consignes de la hiérarchie et celui d'insubordination ne peuvent être retenus à l'encontre du salarié car imprécis pour le premier et non situé dans le temps pour le second, il en va autrement du grief lié à la mauvaise exécution du travail confié.


En effet, il ressort de l'attestation de M. [X], maçon exerçant sous le contrôle de M. [D], que le 2 juin 2019, ce dernier a omis de planter les piquets altimétriques permettant de déterminer la hauteur de terrassement, ce qui a conduit à doubler la quantité de cailloux nécessaires, et que le 19 juin 2019, il a confirmé le sens d'implantation d'un tuyau qui lui avait, pourtant, été signalé à l'envers.


Ce témoignage est corroboré par celui de M. [Af], aide conducteur de travaux supervisant M. [D], qui confirme, pour la même période de temps, qu'ayant dû remplacer M. [D] en arrêt de travail à compter du 20 juin 2019, il a constaté que le tuyau de trop plein avait été posé à l'envers et que la zone terrassée par celui-ci présentait une sur épaisseur de cailloux conduisant à une surconsommation de matériaux de 3 135 euros.


Au vu de la concordance de ces témoignages, sans qu'aucun élément ne permette d'établir leur caractère mensonger ou servile, les dénégations de M. [D], qui ne concernent d'ailleurs que la sur épaisseur de cailloux et non l'implantation du tuyau, sont insuffisantes à écarter les griefs qui en découlent.


Or, il ressort des attestations de M. [Ab] et [Z], respectivement responsable d'exploitation de la société Pivetta BTP et responsable d'exploitation de la société Pivetta bâtiment, qu'une mauvaise réalisation d'une rampe d'accès handicapé imputable à M. [Ad] avait déjà été constatée lors d'une réunion de chantier du 29 mars 2019.


L'annulation pour défaut de motivation de la sanction disciplinaire qui en est résulté n'interdisant pas à l'employeur de s'en prévaloir en tant que précédent pour fonder les griefs invoqués à l'appui du licenciement pour faute grave, ce fait, visé dans la lettre de licenciement, doit également être pris en compte pour apprécier la gravité de la faute.


La réitération par M. [D] de négligences fautives, ayant conduit à des reprises et surcoût sur plusieurs chantiers, à quelques mois d'intervalle, alors que sa fonction de chef de chantier imposait une attention particulière au respect des règles de l'art, caractérise un manquement grave à ses obligations professionnelles, justifiant l'impossibilité de le maintenir dans son emploi, nonobstant son ancienneté et l'absence de sanction disciplinaire antérieure.


Le licenciement pour faute grave de M. [D] apparaît donc justifié, et il convient d'infirmer le jugement entrepris de ce chef ainsi que du chef des conséquences pécuniaires découlant de la requalification en licenciement pour faute simple.


4/ Sur l'abus de droit et les circonstances vexatoires du licenciement


M. [D] avance qu'à compter de son retour d'arrêt-maladie en juin 2018, il a subi des pressions, des réflexions vexantes et des agissements vexatoires de la part de son employeur afin de le convaincre de démissionner, ce qui a provoqué un syndrome anxio-dépressif.


L'employeur réplique que l'existence d'un comportement fautif de sa part ayant causé un préjudice distinct de celui occasionné par la perte d'emploi n'est pas démontrée.


Le salarié dont le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse peut prétendre à des dommages-intérêts distincts de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en cas de comportement fautif de l'employeur dans les circonstances de la rupture. Ainsi, la caractérisation d'un préjudice distinct causé par ce comportement autorise le cumul des indemnisations.


En l'espèce, pour preuve de l'existence d'un abus de droit et de circonstances vexatoires du licenciement, M. [D] produit les courriers de plainte qu'il a adressé à son employeur et à l'inspection du travail, des ordonnances, factures et certificats médicaux, une attestation de visite médicale du médecin du travail, des arrêts de travail et des photographies de son véhicule de fonction.

Les courriers de plainte ayant été systématiquement contredits par courriers en réponse de l'employeur, et les pièces médicales étant toutes postérieures à l'engagement de la première procédure disciplinaire le 5 avril 2019, sans qu'il soit démontré que cette procédure était injustifiée, l'existence d'un comportement fautif de l'employeur n'est pas démontrée.


Le jugement entrepris sera donc confirmé de ce chef.


5/ Sur les demandes accessoires


La société Pivetta BTP ne succombant que très partiellement, l'équité commande de laisser à chacune des parties la charge des frais irrépétibles engagés tant en première instance qu'en appel.


Le jugement entrepris est donc infirmé de ce chef ainsi que du chef des dépens du fait de la mise hors de cause de la société Pivetta bâtiment.


La société Pivetta BTP est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.



PAR CES MOTIFS


La cour, statuant par arrêt contradictoire,


infirme le jugement du 25 octobre 2021, dans ses dispositions soumises à la cour, sauf en ce qu'il a déclaré recevable les demandes formées à l'encontre de la société Pivetta BTP, et débouté M. [D] de ses demandes de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,


statuant à nouveau et y ajoutant,


déclare irrecevable les demandes formées à l'encontre de la société Pivetta bâtiment,


annule la mise à pied disciplinaire notifiée le 18 avril 2019,


condamne la société Pivetta BTP à payer à M. [D] 504,24 euros brut de rappel de salaire pour les 3 jours de mise à pied disciplinaire, outre 50,42 euros brut au titre des congés payés afférents,


dit le licenciement pour faute grave justifié,


rejette le surplus des demandes,


condamne la société Pivetta BTP aux dépens de première instance et d'appel.


LA GREFFIERE, LA PRESIDENTE

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