CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 159981
M. et Mme AOUKILI
Lecture du 10 Mars 1995
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 4ème et 1ère sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 4ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu la requête, enregistrée le 11 juillet 1994 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. et Mme AOUKILI, demeurant H.L.M. "Les Pavots", 7, rue Jean-Baptiste Delilia à Montréal-la-Cluse (01460) ; M. et Mme AOUKILI demandent au Conseil d'Etat d'annuler un jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 mai 1994, rejetant leur requête tendant, d'une part, à l'annulation des arrêtés du recteur de l'Académie de Lyon des 27 décembre 1993 et 4 janvier 1994, confirmant les décisions du conseil de discipline du collège Xavier Bichat, à Nantua, excluant définitivement leurs filles et, d'autre part, à l'annulation du règlement intérieur de ce collège, dans sa rédaction instituant plusieurs interdictions générales et absolues du port de tout signe distinctif, vestimentaire ou autre, d'ordre religieux, politique ou philosophique ; . . . . . . . . . . . . .
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Vu la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Roger-Lacan, Maître des Requêtes, - les observations de la SCP Gauzès, Ghestin, avocat de M. et Mme AOUKILI, - les conclusions de M. Aguila, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif n'est assorti d'aucune précision permettant d'en apprécier la portée ; que, par suite, il doit être écarté ;
Sur la motivation en la forme des arrêtés du 4 janvier 1994 :
Considérant que les arrêtés attaqués, confirmant les sanctions infligées à Fatima et Fouzia AOUKILI par le conseil de discipline du collège Xavier Bichat de Nantua, précisent que l'ensemble des faits retenus à l'encontre de ces deux élèves par ledit conseil sont établis ; qu'ils relèvent, en outre, que les enseignements sont très gravement perturbés par l'attitude de ces deux élèves, et que les faits qui leur sont reprochés constituent des infractions à l'ordre dans l'établissement et à l'interdiction de tout prosélytisme ; qu'ainsi les motifs de fait et de droit qui fondent la sanction retenue à l'encontre des deux élèves sont indiqués avec une précision suffisante ;
Sur le moyen tiré de l'illégalité du paragraphe du règlement intérieur du collège Xavier Bichat, relatif aux signes d'appartenance religieuse :
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu qu'elles ne troublent pas l'ordre public établi par la loi" ; qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances" ; qu'aux termes de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1989 susvisée : "Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement" ;
Considérant que le principe de laïcité de l'enseignement public qui résulte notamment des dispositions précitées et qui est l'un des éléments de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect, d'une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d'autre part, de la liberté de conscience des élèves ; qu'il interdit conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements internationaux de la France toute discrimination dans l'accès à l'enseignement qui serait fondée sur les convictions ou les croyances religieuses des élèves ; que la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, et sans qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité ; que, dans les établissements scolaires, le port parles élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, mais que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés, individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement ou le rôle éducatif des enseignants, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public ;
Considérant que si les requérants soutiennent que le règlement intérieur du collège Xavier Bichat de Nantua a encadré le principe de la liberté d'expression dans des limites si strictes qu'elles s'assimilent à une véritable interdiction de tout signe distinctif d'appartenance religieuse, politique ou philosophique, ledit règlement se contente de rappeler les principes exprimés par les textes précités ; qu'ainsi les limites qu'il apporte au port de signes d'appartenance religieuse n'ont ni pour objet ni pour effet de l'interdire de façon générale et absolue ; que les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à soutenir que les arrêtés attaqués auraient été pris en application d'un règlement illégal ;
Sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Fatima et Fouzia AOUKILI ont refusé, lors d'un enseignement d'éducation physique, d'ôter le foulard qu'elles portaient en signe d'appartenance religieuse ; que le port de ce foulard est incompatible avec le bon déroulement des cours d'éducation physique ; que la décision d'exclusion définitive de ces deux élèves a été prise en raison des troubles que leur refus a entraînés dans la vie de l'établissement, aggravés par les manifestations auxquelles participait le père des intéressées à l'entrée du collège ; qu'ainsi la sanction de l'exclusion définitive dont elles ont fait l'objet était justifiée par les faits relevés à leur encontre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme AOUKILI ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions d'exclusion de leurs filles du collège Xavier Bichat ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de M. et Mme AOUKILI est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. et Mme AOUKILI et au ministre de l'éducation nationale.