Jurisprudence : CAA Paris, 1ère, 29-12-2022, n° 21PA04959


Références

Cour administrative d'appel de Paris

N° 21PA04959

1ère chambre
lecture du 29 décembre 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C I et Mme O H, M. F M, M. P T et Mme G S épouse T, M. J A, M. B L et Mme Q K épouse L, M. U N et Mme E D ont demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 3 juillet 2019 par lequel le maire de Paris a délivré un permis de construire à la société civile immobilière Financière Saint Louis pour la surélévation d'un immeuble situé au 126 rue de Charenton (XIIème arrondissement), d'annuler la décision du

13 novembre 2019 rejetant leur recours gracieux et d'annuler le permis modificatif délivré pour le projet le 6 octobre 2020.

Par un jugement n° 1927565/4-2 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions attaquées.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 6 septembre 2021et le 28 juillet 2022, la société civile immobilière Financière Saint Louis, représentée par Me Denoulet, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1927565/4-2 du 6 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. I et autres devant le tribunal administratif de Paris ;

3°) de mettre à la charge solidaire de M. I et autres la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- c'est à tort que les premiers juges ont fait droit à la demande de M. I et autres alors qu'elle était tardive, faute que le recours gracieux ait été notifié à R de Paris et qu'il ait été formé à l'encontre de l'autorisation d'urbanisme contestée devant le tribunal ; la demande d'annulation devant le tribunal était également irrecevable, faute que la notification de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme🏛 ait été adressée au maire de Paris ;

- M. I et Mme H ne disposent pas d'un intérêt légitime à agir à l'encontre du permis de construire en litige dès lors que la porte-fenêtre de leur appartement a été ouverte sans aucune autorisation ;

- c'est à tort que les premiers juges ont retenu une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article UG.7.1 du règlement du plan local d'urbanisme dès lors les demandeurs n'établissent pas une obstruction significative de la lumière et ne peuvent pas utilement se prévaloir de la perte de vues ;

- les incomplétudes et omissions du dossier de demande invoquées en première instance manquent en fait ou n'ont pas fait obstacle à ce que le service instructeur se prononce en connaissance de cause ;

- les demandeurs ne sont pas recevables à se prévaloir d'un empiètement sur la partie du terrain qui devait être cédée à la Ville de Paris en vertu du permis de construire délivré le

26 novembre 1990 ; en tout état de cause, le projet demeure implanté à une distance du viaduc de la coulée verte supérieure à 1, 90 mètres ;

- le projet ne comporte que des démolitions partielles du mur situé à proximité du viaduc de la coulée verte ;

- l'architecte des bâtiments de France et R du XIIème arrondissement ont été destinataires du dossier complété par les pièces utiles à leur appréciation ;

- le projet ne méconnaît pas l'article UG.7.1.1 du règlement du plan local d'urbanisme ;

- les demandeurs ne sont pas recevables à invoquer une méconnaissance de l'article UG.10.3 du règlement du plan local d'urbanisme par rapport à la limite séparative d'avec le 130 de la rue de Charenton ; la distance prévue par cet article est en tout état de cause respectée ;

- le projet respecte le gabarit-enveloppe prévu par l'article UG.10.3 du règlement du plan local d'urbanisme par rapport à la distance entre la limite séparative et la façade du bâtiment B du 128 rue de Charenton ;

- le projet respecte le plan de prévention des risques inondation, l'augmentation de la surface de plancher par le projet n'excédant pas 20% par rapport à la surface de plancher existante ;

- le projet ne méconnaît pas l'article UG.11 du règlement du plan local d'urbanisme, les modifications apportées à l'existant améliorant les perspectives depuis la coulée verte.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 1er juillet 2022 et le 7 octobre 2022, M. C I et Mme O H, M. F M, M. P T et Mme G S épouse T, M. J A, M. B L et Mme Q K épouse L, M. U N et Mme E D, représentés par Me Coulet, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris la somme de 2 000 euros à verser à chacun d'eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Ils soutiennent que :

- la fin de non-recevoir tirée de l'absence d'identité d'objet entre le recours gracieux et le recours contentieux est irrecevable car nouvelle en appel ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- l'arrêté du 3 juillet 2019 a été délivré au terme d'une procédure irrégulière, le maire du XIIème arrondissement n'ayant pas eu connaissance des modifications apportées au dossier de demande le 31 janvier et le 8 avril 2019 et l'architecte des bâtiments de France n'ayant pas eu connaissance des modifications du 8 avril 2019 ;

- le dossier de demande de permis de construire comportait une adresse erronée, la SHON existante est de 1 471, 43 m² et non 1 526 m², la vue en insertion depuis la coulée verte et les représentations 3D sont fausses, les plans figurant au dossier ne représentent pas les ouvertures du bâtiment B du 128 rue de Charenton, les cotes figurant au plan de masse sont erronées, de sorte que les surfaces démolies déclarées sont elles-mêmes erronées ; le dossier de demande ne portait pas sur la démolition totale du mur situé à proximité de la coulée verte ;

- le projet ne respecte pas les prescriptions du permis de construire délivré le 26 novembre 1990 en ce qui concerne la destination des 482 m² à usage d'activité et en ce qui concerne la bande de terrain le long du viaduc de la coulée verte dont la jouissance devait être abandonnée à la Ville de Paris ;

- la création de SHON projetée excède une augmentation de 20% par rapport à la SHON existante, en méconnaissance du plan local d'urbanisme ;

- la distance entre le retour de la construction projetée et la limite séparative d'avec le 130 rue de Charenton est inférieure à 6 mètres ;

- le projet ne respecte pas la hauteur du gabarit-enveloppe fixée en application de l'article UG.10.3 du règlement du plan local d'urbanisme par rapport à la limite séparative d'avec le 130 rue de Charenton ; le projet excède la hauteur du gabarit-enveloppe par rapport à la limite séparative d'avec le 128 rue de Charenton ;

- le projet méconnaît la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014🏛 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové en permettant la surélévation d'une construction partiellement démolie et sans étude de structure ;

- le projet va créer des jours et vues directes sur la façade Sud de l'immeuble B du 128 rue de Charenton ;

- le projet, en ce qu'il excède la hauteur du parapet de la coulée verte, méconnaît l'article UG.11 du règlement du plan local d'urbanisme et nuit aux conditions environnementales ;

- le projet méconnaît l'article UG. 13.1.2 du règlement du plan local d'urbanisme dès lors qu'il diminue la surface végétalisée pondérée existante ;

- le projet emporte des conséquences disproportionnées pour eux alors qu'il ne répond pas à un intérêt général.

Par une ordonnance du 7 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 24 octobre 2022 à 12h00.

Par un courrier en date du 10 novembre 2022, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité de la demande de première instance dirigée contre le permis modificatif délivré le 6 octobre 2020, faute d'intérêt à agir au sens de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme🏛.

Le 15 novembre 2022, M. I et autres ont présenté des observations en réponse à ce courrier. Ils soutiennent que le projet affecte les conditions de jouissance de leur bien et le permis modificatif a été délivré au vu d'un dossier ne faisant toujours pas apparaître l'intégralité des ouvertures de l'immeuble du 128 rue de Charenton.

Le 16 novembre 2022, la société civile immobilière Financière Saint-Louis a présenté des observations en réponse à ce courrier. Elle soutient que M. I et autres sont dépourvus d'intérêt à agir à l'encontre du permis modificatif dès lors qu'ils ne sont pas recevables à contester le permis initial.

La Ville de Paris, représentée par Me Falala, a présenté des observations le 4 juillet et le 16 novembre 202.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme V,

- les conclusions de M. Doré, rapporteur public,

- et les observations de Me Denoulet, avocat de la société civile immobilière Financière Saint Louis, Me Bichy, subsituant Me Coulet, avocat de M. I et autres et Me Falala, avocat de la ville de Paris.

Une note en délibéré, présentée pour M. I et autres, a été enregistrée le 22 novembre 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 3 juillet 2019, R de Paris a délivré à la société civile immobilière Financière Saint Louis un permis de construire portant sur la surélévation d'un immeuble situé en fond de cour au 126 rue de Charenton, dans le XIIème arrondissement. Saisi par M. I et autres, le tribunal administratif de Paris a, par un jugement du 6 juillet 2021, annulé cet arrêté, la décision rejetant le recours gracieux formé à son encontre ainsi que le permis modificatif délivré le 6 octobre 2020 pour le projet. Par la présente requête, la société civile immobilière Financière Saint Louis demande l'annulation de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme🏛 : " En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre () d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, () l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et au titulaire de l'autorisation. () L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif. / La notification prévue au précédent alinéa doit intervenir par lettre recommandée avec accusé de réception, dans un délai de quinze jours francs à compter du dépôt du déféré ou du recours. /La notification du recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation est réputée accomplie à la date d'envoi de la lettre recommandée avec accusé de réception. Cette date est établie par le certificat de dépôt de la lettre recommandée auprès des services postaux. /Les dispositions du présent article ne sont pas applicables en cas de contestation d'un permis modificatif, d'une décision modificative ou d'une mesure de régularisation dans les conditions prévues par l'article L. 600-5-2 ".

3. Il ressort du procès-verbal dressé par un huissier de justice le 9 août 2019 que la société civile immobilière Financière Saint Louis a apposé sur la façade sur rue de l'immeuble du 126 rue de Charenton un panneau comportant le nom et la raison sociale du bénéficiaire, le nom de l'architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté, conformément aux exigences de l'article R. 424-15 et des articles A. 424-15 et suivants du code de l'urbanisme🏛. Le panneau comprenait également la mention selon laquelle tout recours administratif ou tout recours contentieux doit, à peine d'irrecevabilité, être notifié à l'auteur de la décision et aux bénéficiaires du permis. Si ce panneau a été mis en place dans un renfoncement de la façade, il ressort de ce procès-verbal, comme de celui dressé le 14 août 2019 par un huissier mandaté par M. I, qu'il était apposé contre une vitre à rez-de-chaussée, en bordure de la rue, de laquelle il était intégralement visible et lisible. L'obligation de notification du recours contentieux introduit devant le tribunal administratif de Paris était ainsi opposable à M. I et autres.

4. Il ressort toutefois des pièces du dossier du dossier de première instance que le recours contentieux, tout comme le recours gracieux formé par M. I et autres, a été adressé à " Hôtel de Ville du 12ème arrondissement de Paris Madame R 130 avenue Daumesnil 75012 Paris ", soit à R du XIIème arrondissement de Paris. Or, l'arrêté du 3 juillet 2019 a été signé par un agent de la direction de l'urbanisme de la Ville de Paris, bénéficiant d'une délégation de signature accordée par le maire de Paris, autorité compétente pour délivrer les permis de construire au nom de la commune. Les maires d'arrondissement, qui ne sont pas les délégués du maire de Paris non plus que placés sous son autorité hiérarchique, sont seulement chargés, en vertu de l'article L. 2511-30 du code général des collectivités territoriales🏛, d'émettre un avis sur toute autorisation d'utilisation du sol délivrée dans l'arrondissement. Ainsi, le recours contentieux formé devant le tribunal administratif de Paris à l 'encontre du permis de construire délivré le 3 juillet 2019 n'a été notifié ni à l'auteur de cet acte, ni même à un délégataire de son auteur ou un agent placé sous l'autorité de son auteur.

5. Il résulte de ce qui précède que la société civile immobilière Financière Saint Louis est fondée à soutenir c'est à tort que le tribunal administratif de Paris a fait droit à la demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 juillet 2019, qui n'était pas recevable, et par conséquent, à la demande tendant à l'annulation de la décision du 13 novembre 2019 portant rejet du recours gracieux. Le jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2021 doit dès lors être annulé dans cette mesure. Statuant par la voie de l'effet dévolutif, les conclusions dirigées contre l'arrêté du 3 juillet 2019 et la décision du 13 novembre 2019 doivent être rejetées pour ce motif.

6. En second lieu, l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme🏛 dispose que : " Une personne autre que l'État, les collectivités territoriales ou leurs groupements ou une association n'est recevable à former un recours pour excès de pouvoir contre une décision relative à l'occupation ou à l'utilisation du sol régie par le présent code que si la construction, l'aménagement ou le projet autorisé sont de nature à affecter directement les conditions d'occupation, d'utilisation ou de jouissance du bien qu'elle détient ou occupe régulièrement ou pour lequel elle bénéficie d'une promesse de vente, de bail, ou d'un contrat préliminaire mentionné à l'article L. 261-15 du code de la construction et de l'habitation🏛. ". Lorsque le requérant forme un recours contre le seul permis de construire modificatif, son intérêt pour agir doit être apprécié au regard de la portée des modifications apportées par le permis modificatif au projet de construction initialement autorisé.

7. Il ressort des pièces du dossier que la demande de dossier de permis modificatif portait seulement sur la diminution des surfaces créées et sur l'augmentation des surfaces démolies. Eu égard à la portée des modifications ainsi apportées au projet de construction initialement autorisé, M. I et autres ne justifient pas d'un intérêt à agir contre le seul permis modificatif délivré le

6 octobre 2020. Il suit de là que le jugement du tribunal administratif du 6 juillet 2021 doit également être annulé en tant qu'il fait droit aux conclusions dirigées contre cet acte. Statuant par la voie de l'effet dévolutif, les conclusions dirigées contre l'arrêté du 6 octobre 2020 doivent être rejetées pour ce motif.

Sur les frais du litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ville de Paris, qui n'a pas la qualité de partie dans l'instance d'appel, la somme demandée par M. I et autres. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a par ailleurs pas lieu de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement des mêmes dispositions par la société civile immobilière Financière Saint Louis.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1927565/4-2 du 6 juillet 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. I et autres devant le tribunal administratif de Paris ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société civile immobilière Financière Saint Louis, à M. C I et Mme O H désignés comme représentants uniques en vertu de l'article R. 751-3 du code de justice administrative🏛, et à la Ville de Paris.

Délibéré après l'audience du 17 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Diémert, président de la formation de jugement en application des articles L. 234-3 (1er alinéa) et R. 222-6 (1er alinéa) du code de justice administrative,

- M. Gobeill, premier conseiller,

- Mme Guilloteau, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 29 décembre 2022.

La rapporteure,

L. VLe président,

S. DIÉMERT

La greffière,

C. POVSE

La République mande et ordonne au préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision

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