COMM.
COUR DE CASSATION
FB
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QUESTION PRIORITAIRE
de
CONSTITUTIONNALITÉ
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Audience publique du 7 décembre 2022
RENVOI
M. VIGNEAU, président
Arrêt n° 781 F-D
Pourvoi n° R 22-16.616
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 7 DÉCEMBRE 2022
Par mémoire spécial présenté le 20 septembre 2022,
1°/ la société Sony Interactive Entertainment France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 3],
2°/ la société Sony Interactive Entertainment Europe Limited, société de droit anglais, dont le siège est [Adresse 1] (Royaume-Uni),
ont formulé une question prioritaire de constitutionnalité (n° 1065) à l'occasion du pourvoi qu'elles ont formé contre l'arrêt n° RG 20/16953 rendu par la cour d'appel de Paris (pôle 5 - chambre 7) dans une instance les opposant :
1°/ à la société Subsonic, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 5],
2°/ au ministre chargé de l'économie, domicilié … [… …],
3°/ au président de l'Autorité de la concurrence, domicilié [Adresse 2],
4°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié [… …],
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Regis, conseiller référendaire, les observations de la SCP Spinosi, avocat des sociétés Sony Interactive Entertainment France et Sony Interactive Entertainment Europe Limited, de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat du président de l'Autorité de la concurrence et l'avis de M. Douvreleur, avocat général, après débats en l'audience publique du 6 décembre 2022 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Regis, conseiller référendaire rapporteur, Mme Darbois conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,
la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Enoncé de la question prioritaire de constitutionnalité
1. Le 20 octobre 2016, la société Subsonic, qui produit et commercialise des accessoires de consoles de jeux, dont des manettes destinées aux PlayStation 4 (PS4), a saisi l'Autorité de la concurrence (l'Autorité) de plusieurs pratiques anticoncurrentielles qui auraient été mises en oeuvre par les sociétés Sony Interactive Entertainment France et Sony Interactive Entertainment Europe (les sociétés Sony) concernant l'octroi de licences et le déploiement de mesures techniques, assurant la comptabilité avec la PS4 des manettes commercialisées par des entreprises tierces.
2. Le 17 octobre 2019, le rapporteur général de l'Autorité a adressé aux sociétés Sony une note d'évaluation préliminaire faisant état de préoccupations de concurrence relatives aux pratiques précitées, susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles, et donnant à ces sociétés un délai pour formaliser une proposition d'engagements de nature à y mettre un terme.
3. Le 18 novembre 2019, la société Sony Interactive Entertainment Europe a transmis à l'Autorité une première proposition d'engagements, modifiée à trois reprises, pour répondre à ses observations.
4. Par décision du 23 octobre 2020, considérant que la dernière proposition d'engagements ne répondait toujours pas aux préoccupations de concurrence identifiées, l'Autorité a mis fin à la procédure d'engagements et renvoyé le dossier à l'instruction.
5. Les 26 novembre et 22 décembre 2020, les sociétés Sony ont introduit devant la cour d'appel de Paris un recours en annulation de cette décision.
6. La société Subsonic est intervenue volontairement à l'instance.
7. Par un arrêt du 21 avril 2022, la cour d'appel a déclaré irrecevable le recours formé par les sociétés Sony.
8. A l'occasion du pourvoi formé contre cet arrêt, les sociétés Sony ont, par mémoire distinct et motivé, demandé de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ainsi rédigée :
« En édictant les dispositions de l'
article L. 464-2 du code de commerce🏛 – lesquelles prévoient la faculté pour l'Autorité de la concurrence d'accepter des engagements proposés par les entreprises ou organismes et de nature à mettre un terme à ses préoccupations de concurrence susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles illégales – le législateur a-t-il, d'une part, méconnu les exigences constitutionnelles découlant de l'article 16 de la Déclaration de 1789, à savoir les principes d'indépendance et d'impartialité ainsi que le principe des droits de la défense et le droit à un recours juridictionnel effectif, et d'autre part, méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant ces mêmes droits et libertés ? »
Examen de la question prioritaire de constitutionnalité
9. La disposition contestée, figurant à la seconde phrase de l'article L. 464-2, I, alinéa 1, du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017🏛, relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, en vigueur du 11 mars 2017 au 5 décembre 2020, est applicable au litige, qui concerne la recevabilité d'un recours introduit contre une décision de l'Autorité de ne pas accepter une proposition d'engagements et de renvoyer l'affaire à l'instruction.
10. Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel.
11. La question posée présente un caractère sérieux au regard des principes d'indépendance et d'impartialité, ainsi que des droits de la défense, en ce que les rapporteurs et les membres du collège, qui participent à la procédure d'engagements, peuvent se forger une opinion sur les pratiques en cause, susceptibles de justifier l'ouverture d'une procédure de sanction en cas d'échec des négociations, et que, dans cette hypothèse, les garanties permettant de prévenir cette situation de connaissance, par ces mêmes personnes, de la procédure de sanction et de faire en sorte que soient retirées du dossier les propositions d'engagements et les observations des tiers intéressés faites à leur sujet, résultent, pour l'essentiel, du communiqué de procédure édicté par l'Autorité et de ses règles internes de fonctionnement.
12. En conséquence, il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept décembre deux mille vingt-deux.