Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 25-07-1980, n° 11535

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 11535

M. xxxxx

Lecture du 25 Juillet 1980

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)



Sur le rapport de la 8ème Sous-Section

Vu la requête enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 9 mars 1978 et le mémoire complémentaire enregistré le 10 août 1978, présentés pour M. xxxxx demeurant xxxxx, et tendant à ce que le Conseil d'Etat: 1° annule le jugement en date du 15 décembre 1977 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 1970 et 1971 et du complément du même impôt auquel il a été assujetti au titre de 1972 dans les rôles de la ville de xxxxx; 2° lui accorde la décharge des impositions contestées;

Vu le code général des impôts;

Vu le code des tribunaux administratifs;

Vu la Convention du 2 octobre 1968 entre la France et la République algérienne démocratique et populaire en vue d'éliminer les doubles impositions et d'établir des règles d'assistance réciproques en matière d'impôts sur le revenu, d'impôts sur les successions, de droits d'enregistrement et de droits de timbre publiée par le décret n° 72-192 du 10 mars 1972;

Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;

Vu la loi du 30 décembre 1977.
Considérant que M. xxxxx qui exploite à xxxxx une entreprise de négoce de laines, disposait jusqu'en 1970 d'un établissement situé en Algérie; qu'à la suite de la confiscation de cet établissement par les autorités algériennes, M. xxxxx a déduit de son revenu imposable le déficit de cet établissement et a reporté et déduit de son revenu imposable des années 1971 et 1972 l'excédent du déficit sur ses autres revenus, conformément aux dispositions de l'article 156-1 du code général des impôts; qu'il conteste les impositions auxquelles il a été assujetti en conséquence de la réintégration dans des revenus imposables des années 1970, 1971 et 1972 des sommes qu'il avait ainsi déduites au titre de ce déficit;

Sur le droit à déduction d'un déficit de l'établissement situé en Algérie:
Considérant qu'aux termes de l'article 10-1 de la Convention franco-algérienne du 2 octobre 1968 tendant à éviter les doubles impositions et à établir des règles d'assistance mutuelle administrative en matière d'impôts sur le revenu, d'impôts sur les successions, de droits d'enregistrement et de timbre, régulièrement ratifiée et publiée le 12 mars 1972, "les revenus des entreprises industrielles, minières, commerciales ou financières ne sont imposables que dans le territoire duquel se trouve un établissement stable"; qu'aux termes de l'article 3 de ladite Convention, "le terme "établissement stable" désigne une installation fixe d'affaires où une entrepuise exerce tout ou partie de son activité... c) une personne agissant dans un Etat contractant pour le compte d'une entreprise de l'autre Etat contractant... est considérée comme un établissement stable dans le premier Etat si elle dispose dans cet Etat de pouvoirs qu'elle y exerce habituellement, lui permettant de conclure des contrats au nom de l'entreprise... est notamment considéré comme exerçant de tels pouvoirs l'agent qui dispose habituellement, dans le premier Etat contractant, d'un stock de produits ou marchandises appartenant à l'entreprise au moyen duquel il exécute régulièrement les commandes qu'il a reçues pour le compte de l'entreprise";
Considérant que M. xxxxx soutient sans être contredit qu'il ne disposait en Algérie que d'un entrepôt servant au stokage provisoire des marchandises vendues par lui en Algérie dans l'attente de leur livraison et que son agent sur place se bornait à recevoir les marchandises et à assurer leur livraison sans disposer du pouvoir de contracter en son nom ou de prendre des commandes; que, dans ces conditions, et alors même que M. xxxxx tenait une comptabilité distincte pour cet établissement, celui-ci ne pouvait être regardé comme un établissement stable au sens de l'article 3 précité de la Convention franco-algérienne; qu'ainsi, en tout état de cause, les stipulationd de l'article 10-1 de cette Convention ne s'opposaient pas à l'imposition en France des résultats de cet établissement ni, par suite, à l'imputation éventuelle d'un déficit sur les autres revenus du contribuable;

Sur le montant du déficit imputable:
Considérant qu'aux termes de l'article 38 du code général des impôts, "Le bénéfice imposable est le bénéfice net, déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises, y compris notammant les cessions d'éléments quelconques de l'actif, soit en cours, soit en fin d'exploitation"; qu'aux termes de l'article 39-1 du même code, "Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant... notamment: ... 5° les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des évènements en cours rendent probables, à condition qu'elle aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice et figurant au relevé des provisions prévu à l'article 54"; que, toutefois, aux termes de l'article 39 duodecies du code, "1° Par dérogation aux dispositions de l'article 38, les plus-values provenant de la cession d'éléments de l'actif immobilisé sont soumises à des régimes distincts suivant qu'elles sont réalisées à court ou à long terme... 4° Le régime des moins-values à court terme s'applique: a) aux moins-values subies lors de la cession de biens non amortissables détenus depuis moins de deux ans; b) aux moins-values subies lors de la cession de biens amortissables, quelle que soit la durée de leur détention... 5° Le régime des moins-values à long terme s'applique aux moins-values autres que celles définies au 4°"; qu'aux termes de l'article 39 quater decies du code, "3° le cas échéant, l'excédent des moins-values à court terme constaté au cours d'un exercice est déduit des bénéfices de cet exercice";
En ce qui concerne l'entrepôt:
Considérant qu'il est constant que les autorités algériennes ont confisqué le 22 sept mbre 1970 l'entrepôt que M. xxxxx possédait à xxxxx en application d'une loi algérienne prévoyant la confiscation des immeubles des personnes absentes d'Algérie depuis plus de deux mois; qu'à la date du 31 décembre 1970, il était cortain que M. xxxxx ne percevrait aucune indemnisation à ce titre des autorités algériennes et ne pouvait devantage prétendre à une indemnisation du gouvernement français, la loi du 15 juillet 1970 ayant réservé le droit à une indemnisation aux personnes ayant été dépossédés de leurs biens antérieurement au 1er juin 1970; qu'une confiscation non indemnisée équivaut à la perte totale du bien confisqué; que, lorsque celui-ci fait partie de l'actif immobilisé d'une entreprise, cette perte a le caractère d'une moins-value dont le montant est égal à la valeur comptable du bien dont il s'agit; que M. xxxxx était donc en droit de prendre en compte cette moins-value pour la détermination des résultats de l'exercice 1970;
Considérant qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 39 duodecies du code que, dans le cas où, comme en l'espèce, la perte subie porte sur un immeuble bâti, il y a lieu en règle générale d'opérer -- une distinction entre la perte du terrain qui, portant sur un bien non amortissable détenu depuis plus de deux ans, constitue une moins-value à long terme, et la perte du bâtiment qui, portant sur un bien amortissable, constatue une moins-value à court terme; que toutefois, eu égard à la situation particulière le l'entreprise de M. xxxxx et l'administration se bornant à alléguer, sans le prouver, alors qu'elle en a la charge, que la valeur nette comptable de 139 659 F à laquelle M. xxxxx a évalué la perte de son entrepôt correspondait pour partie à la valeur du terrain, il y a lieu d'admettre que cette valeur comptable est celle du bâtiment et que, par suite, la perte subie constitue dans son intégralité une moins-values à court terme déductible des résultats de l'exercice, par application des dispositions précitées de l'article 39 quaterdecies 3;
En ce qui concerne le "déficit d'exploitation":
Considérant que M. xxxxx a également porté dans ses résultats le montant d'un "déficit d'exploitation" qui s'élevait à 4 198 F selon la comptabilité qu'il tenait des opérations réalisées en Algérie; que l'administration, qui n'avait pas contesté la réalité de cette perte, ne prouve pas que celle-ci n'aurait pas existé en se bornant à indiquer pour la première fois en appel que le contribuable n'a pas fourni les pièces justificatives requises, lesquelles ne lui avaient pas été demandées, et sans contester le caractère probant de la comptabilité de M. xxxxx; que cette perte était dès lors déductible des résultats d'ensemble de l'entreprise;
En ce qui concerne les fonds conservés par le receveur des impôts d'Oran, une créance et un cautionnement:
Considérant que la confiscation susmentionnée ne portait que sur l'immeuble possédé par M. xxxxx à Oran; qu'elle n'avait, par elle-même, aucune incidence sur les autres éléments de son actif, notamment sur les fonds en dépôt chez le receveur des impôts d'Oran, le cautionnement constitué auprès de la sécurité sociale et une autre créance, et n'était donc pas suffisante pour permettre au contribuable de regarder l'ensemble de ces sommes comme perdues; que, si les évènements en cours rendaient probable la perte de ces créances, il appartenait seulement à M. xxxxx de constituer, en vue de faire face à cette perte, des provisions qui, en vertu de l'article 39-1-5°) précité du code eussent été déductibles, à condition qu'elles aient été effectivement constatées dans les écritures de l'exercice et qu'elles aient figuré au relevé des provisions prévu à l'article 54; que, faute d'avoir constitué de telles provisions, M. xxxxx n'était pas en droit de déduire ces sommes de son bénéfice de l'exercice 1970; que sa requête doit donc être rejetée sur ce point;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le déficit subi par M. xxxxx à raison de son établissement algérien doit être évalué à 143 857 F; que cette somme était déductible du revenu global de l'intéressé, conformément à l'article 156-1 du code général des impôts; qu'ainsi le revenu net imposable de M. xxxxx doit être fixé à zéro, au titre de 1970, zéro au titre de 1971 et 92 611 F au titre de 1972; que le requérant est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des impositions mises à sa charge au titre des années 1970 et 1971 et n'a pas fait droit, dans la mesure susindiquée, à sa demande relative à l'imposition mise à sa charge au titre de l'année 1972.
DECIDE
Article 1er - Le revenu de M. xxxxx imposable à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1972 est fixé à 92 641 F.
Article 2 - Il est accordé à M. xxxxx décharge de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre des années 1970 et 1971, ainsi que de la différence entre le montant de l'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1972 et celui qui résulte de l'article 1er ci-dessus.
Article 3 - Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 15 décembre 1977 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 - Le surplus des conclusions de la requête de M. xxxxx est rejeté.

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