Jurisprudence : CJCE, 19-09-2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99)

CJCE, 19-09-2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99)

A7225AH3

Référence

CJCE, 19-09-2000, aff. C-177/99, Ampafrance SA c/ Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99). Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/896936-cjce-19092000-aff-c17799-ampafrance-sa-c-directeur-des-services-fiscaux-de-maineetloire-c17799-et-sa
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Cour de justice des Communautés européennes

19 septembre 2000

Affaire n°C-177/99

Ampafrance SA
c/
Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99)



61999J0177

Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 19 septembre 2000.

Ampafrance SA contre Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99) et Sanofi Synthelabo contre Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99).

Demandes de décision préjudicielle: Tribunal administratif de Nantes et Tribunal administratif de Melun - France.

TVA - Déduction de la taxe - Exclusion du droit à déduction - Dépenses de représentation - Proportionnalité.

Affaires jointes C-177/99 et C-181/99.

Recueil de jurisprudence 2000 page I-7013

1 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Déduction de la taxe payée en amont - Introduction de mesures particulières dérogatoires - Lutte contre la fraude ou l'évasion fiscales - Décision 89/487 - Exclusion du droit à déduction de la taxe sur certaines dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles - Violation du principe de proportionnalité - Illégalité

(Directive du Conseil 77/388, art. 27; décision du Conseil 89/487)

2 Droit communautaire - Principe de protection de la confiance légitime - Invocation du principe par un État membre pour échapper aux conséquences d'une décision de la Cour constatant l'invalidité d'un acte communautaire - Inadmissibilité

1 La décision 89/487 du Conseil, adoptée sur le fondement de l'article 27 de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, selon lequel un État membre peut être autorisé à introduire des mesures particulières dérogatoires à la sixième directive afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales, et autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17, paragraphe 6, deuxième alinéa, de la sixième directive, est invalide au regard du principe général de proportionnalité, en tant qu'elle autorise cet État à refuser aux opérateurs économiques le droit de déduire la taxe sur la valeur ajoutée grevant des dépenses dont ils peuvent démontrer le caractère strictement professionnel.

La mesure consistant, en effet, à exclure par principe l'ensemble des dépenses de logement, de réception, de restaurant et de spectacles du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée, lequel constitue un principe fondamental du système de la taxe sur la valeur ajoutée mis en place par la sixième directive, alors que des moyens appropriés, moins attentatoires à ce principe qu'une exclusion du droit à déduction s'agissant de certaines dépenses, sont envisageables ou existent déjà dans l'ordre juridique national, n'apparaît pas nécessaire pour lutter contre la fraude et l'évasion fiscales et, en l'état actuel du droit communautaire, ne constitue pas un moyen approprié à cet objectif et affecte excessivement les objectifs et principes de la sixième directive. (voir points 35, 57, 61-62 et disp.)

2 Le principe de la confiance légitime, qui est le corollaire du principe de sécurité juridique et qui est en général invoqué par les particuliers (opérateurs économiques) se trouvant dans un état de confiance légitime créé par les pouvoirs publics, ne saurait être invoqué par un État membre pour échapper aux conséquences d'une décision de la Cour constatant l'invalidité d'un acte communautaire, car il remettrait en cause la possibilité pour les particuliers d'être protégés contre un comportement des pouvoirs publics qui aurait pour fondement des règles illégales. (voir point 67)

Dans les affaires jointes C-177/99 et C-181/99,

ayant pour objet des demandes adressées à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par les tribunaux administratifs de Nantes (C-177/99) et de Melun (C-181/99) (France) et tendant à obtenir, dans les litiges pendants devant ces juridictions entre

Ampafrance SA

Directeur des services fiscaux de Maine-et-Loire (C-177/99)

et entre

Sanofi Synthelabo, anciennement Sanofi Winthrop SA,

Directeur des services fiscaux du Val-de-Marne (C-181/99),

une décision à titre préjudiciel sur la validité de la décision 89/487/CEE du Conseil, du 28 juillet 1989, autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO L 239, p. 21),

LA COUR

(cinquième chambre),

composée de MM. D. A. O. Edward, président de chambre, L. Sevón, P. J. G. Kapteyn, H. Ragnemalm et M. Wathelet (rapporteur), juges,

avocat général: M. G. Cosmas,

greffier: M. H. A. Rühl, administrateur principal,

considérant les observations écrites présentées:

- pour Ampafrance SA, par Mes J.-C. Bouchard et O. Cortez, avocats au barreau des Hauts-de-Seine,

- pour Sanofi Synthelabo, par M. J.-C. Leroy, directeur financier,

- pour le gouvernement français, par Mme K. Rispal-Bellanger, sous-directeur à la direction des affaires juridiques du ministère des Affaires étrangères, et M. S. Seam, secrétaire des affaires étrangères à la même direction, en qualité d'agents,

- pour le Conseil de l'Union européenne, par M. J. Monteiro, conseiller juridique, et Mme M.-J. Vernier, membre du service juridique, en qualité d'agents,

- pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, conseiller juridique, et Mme H. Michard, membre du service juridique, en qualité d'agents,

vu le rapport d'audience,

ayant entendu les observations orales de Ampafrance SA, représentée par Mes J.-C. Bouchard et O. Cortez, de Sanofi Synthelabo, représentée par Mes B. Geneste et O. Davidson, avocats au barreau des Hauts-de-Seine, du gouvernement français, représenté par M. S. Seam, du Conseil, représenté par M. J. Monteiro et Mme M.-J. Vernier, et de la Commission, représentée par Mme H. Michard, à l'audience du 27 janvier 2000,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 23 mars 2000,

rend le présent

Arrêt

1 Par jugements du 3 décembre 1998 et du 11 mai 1999, parvenus à la Cour respectivement les 14 et 17 mai 1999, les tribunaux administratifs de Melun (C-181/99) et de Nantes (C-177/99) ont posé chacun, en vertu de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), une question préjudicielle relative à la validité de la décision 89/487/CEE du Conseil, du 28 juillet 1989, autorisant la République française à appliquer une mesure dérogatoire à l'article 17 paragraphe 6 deuxième alinéa de la sixième directive 77/388/CEE en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO L 239, p. 21).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre de deux litiges opposant, d'une part, la société Ampafrance SA (ci-après "Ampafrance") (C-177/99) et, d'autre part, la société Sanofi Winthrop SA, devenue, à la suite d'opérations de fusion-absorption, Sanofi, le 12 mai 1998, puis Sanofi Synthelabo, le 18 mai 1999 (ci-après "Sanofi") (C-181/99), à l'administration fiscale au sujet de redressements fiscaux appliqués à ces sociétés fondés sur l'exclusion du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") pour les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles.

Le cadre juridique

La réglementation communautaire

3 Aux termes de l'article 2, deuxième alinéa, de la première directive 67/227/CEE du Conseil, du 11 avril 1967, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires (JO 1967, 71, p. 1301, ci-après la "première directive"):

"À chaque transaction, la taxe sur la valeur ajoutée, calculée sur le prix du bien ou du service au taux applicable à ce bien ou à ce service, est exigible déduction faite du montant de la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé directement le coût des divers éléments constitutifs du prix".

4 L'article 17 de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive"), qui régit le droit pour les assujettis à la déduction de la TVA acquittée en amont, prévoit, en son paragraphe 2, sous a):

"Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l'assujetti est autorisé à déduire de la taxe dont il est redevable:

a) la taxe sur la valeur ajoutée due ou acquittée pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront rendus par un autre assujetti".

5 L'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive comporte une clause de gel (ou de "standstill") prévoyant le maintien des exclusions nationales du droit à déduction de la TVA qui étaient applicables avant l'entrée en vigueur de la sixième directive, c'est-à-dire avant le 1er janvier 1979. Cette disposition est ainsi libellée:

"Au plus tard avant l'expiration d'une période de quatre ans à compter de la date d'entrée en vigueur de la présente directive, le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, déterminera les dépenses n'ouvrant pas droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée. En tout état de cause, seront exclues du droit à déduction les dépenses n'ayant pas un caractère strictement professionnel, telles que les dépenses de luxe, de divertissement ou de représentation.

Jusqu'à l'entrée en vigueur des règles visées ci-dessus, les États membres peuvent maintenir toutes les exclusions prévues par leur législation nationale au moment de l'entrée en vigueur de la présente directive."

6 À ce jour, les règles communautaires visées à l'article 17, paragraphe 6, premier alinéa, de la sixième directive n'ont pas encore été adoptées, à défaut d'un accord au sein du Conseil sur les dépenses pour lesquelles une exclusion du droit à déduction de la TVA peut être envisagée.

7 L'article 27 de la sixième directive prévoit:

"1. Le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, peut autoriser tout État membre à introduire des mesures particulières dérogatoires à la présente directive, afin de simplifier la perception de la taxe ou d'éviter certaines fraudes ou évasions fiscales. Les mesures destinées à simplifier la perception de la taxe ne peuvent influer, sauf de façon négligeable, sur le montant de la taxe due au stade de la consommation finale.

2. L'État membre qui souhaite introduire des mesures visées au paragraphe 1 en saisit la Commission et lui fournit toutes les données utiles d'appréciation.

3. La Commission en informe les autres États membres dans un délai d'un mois.

4. La décision du Conseil sera réputée acquise si, dans un délai de deux mois à compter de l'information visée au paragraphe 3, ni la Commission, ni un État membre n'ont demandé l'évocation de l'affaire par le Conseil.

5...."

La réglementation nationale

8 En France, l'exclusion du droit à déduction de la TVA pour les dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles a été progressivement instaurée entre 1967 et 1979.

9 Les dispositions excluant le droit à déduction concernant certains biens et services qui étaient applicables avant le 1er janvier 1979, date de l'entrée en vigueur de la sixième directive, figuraient aux articles 7 et 11 du décret n° 67-604, du 27 juillet 1967 (JORF du 28 juillet 1967, p. 7541, ci-après le "décret n° 67-604").

10 L'article 7 de ce décret disposait:

"La taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer le logement ou l'hébergement des dirigeants et du personnel des entreprises n'est pas déductible.

Toutefois, cette exclusion ne concerne pas la taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer, sur les lieux du travail, le logement gratuit du personnel salarié chargé de la sécurité ou de la surveillance d'un ensemble industriel ou commercial ou d'un chantier de travaux."

11 Selon l'article 11 du décret n° 67-604:

"La taxe afférente aux dépenses exposées pour assurer la satisfaction des besoins individuels des dirigeants et du personnel des entreprises, et notamment celle afférente aux frais de réception, de restaurant et de spectacle, n'est pas déductible.

Toutefois, cette exclusion ne concerne pas les dépenses afférentes:

À des biens qui constituent des immobilisations et qui sont spécialement affectés sur les lieux mêmes du travail à la satisfaction collective des besoins du personnel;

Aux vêtements de travail ou de protection attribués par une entreprise à son personnel."

12 Le décret n° 79-1163, du 29 décembre 1979 (JORF du 31 décembre 1979, p. 3333, ci-après le "décret n° 79-1163"), adopté après l'entrée en vigueur de la sixième directive, a prévu, à son article 25, le remplacement de l'article 236 de l'annexe II du code général des impôts par le texte suivant:

"N'est pas déductible la taxe ayant grevé des biens ou services utilisés par des tiers, par des dirigeants ou le personnel de l'entreprise, tels que le logement ou l'hébergement, les frais de réception, de restaurant, de spectacles ou toute dépense ayant un lien direct ou indirect avec les déplacements ou la résidence.

Toutefois, cette exclusion ne concerne pas les vêtements de travail ou de protection, les locaux et le matériel mis à disposition du personnel sur les lieux de travail, le logement gratuit du personnel salarié chargé sur les lieux du travail de la sécurité ou de la surveillance."

13 Le Conseil d'État, dans son arrêt du 3 février 1989, Compagnie Alitalia (ci-après l'"arrêt Alitalia"), a jugé que l'article 25 du décret n° 79-1163 était entaché d'invalidité en ce qu'il excluait le droit à déduction de la TVA ayant grevé tous les biens et les services utilisés par des tiers, "méconnai[ssant] ainsi l'objectif de non-extension des exclusions existantes, défini à l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive".

14 À la suite de l'arrêt Alitalia, la République française a, par lettre du 13 avril 1989, demandé au Conseil, sur le fondement de l'article 27, paragraphe 1, de la sixième directive, à pouvoir introduire "jusqu'à l'entrée en vigueur des dispositions définitives de l'article 17, paragraphe 6, de la sixième directive une dérogation aux dispositifs de cet article afin d'introduire dans sa législation une disposition qui exclut la déduction des dépenses de logement, de restaurant, de réception et de spectacles".

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