Cons. const., décision n° 86-207 DC, du 26-06-1986
A8134ACA
Référence
Publié au Journal officiel du 27 juin 1986
Rec. p. 61
Le Conseil constitutionnel a été saisi, d'une part, le 3 juin 1986, par MM Pierre Joxe, Dominique Strauss-Kahn, Guy Malandain, Jacques Fleury, Joseph Gourmelon, André Labarrère, Jean-Claude Portheault, Michel Rocard, Mme Georgina Dufoix, MM Paul Quilès, Emile Zuccarelli, André Laignel, Mme Paulette Nevoux, MM Laurent Cathala, Mme Ghislaine Toutain, MM Michel Pezet, Jacques Guyard, Noël Ravassard, Roger-Gérard Schwartzenberg, Christian Laurissergues, Jean-Claude Chupin, Roland Dumas, Jacques Badet, Jean-Claude Dessein, Jean-Pierre Fourré, Jean Lacombe, Michel Charzat, André Billardon, Marcel Wacheux, Mme Yvette Roudy, MM Michel Margnes, Bernard Derosier, Pierre Bérégovoy, Henri Fiszbin, Jean-Jacques Leonetti, Maurice Janetti, Charles Josselin, Jacques Siffre, Jean-Pierre Pénicaut, Jean Le Garrec, Louis Le Pensec, Jean-Michel Boucheron (Ille-et-Vilaine), Gérard Collomb, Jean-Pierre Worms, François Patriat, Jean-Michel Boucheron (Charente), Jean-Pierre Chevènement, Martin Malvy, Philippe Puaud, Mme Marie Jacq, MM Jean-Pierre Sueur, Henri Prat, Bernard Bardin, Philippe Bassinet, Michel Cartelet, Olivier Stirn, René Drouin, Jean Proveux, André Ledran, Roland Carraz, Claude Germon, Paul Dhaille, Gérard Bapt, Mme Véronique Neiertz, MM Guy Vadepied, Alex Raymond, Jean-Pierre Michel, Jean-Claude Cassaing, Pierre Métais, Alain Vivien, Alain Barrau, Henri Nallet, Jean Auroux, Robert Le Foll, Michel Delebarre, Jacques Mahéas, Alain Brune, Jack Lang, Mme Martine Frachon, MM Louis Mermaz, Georges Sarre, Jean Giovannelli, Georges Le Baill, Jean Beaufils, Mmes Gisèle Stiévenard, Odile Sicard, MM André Lejeune, Bernard Schreiner, Michel Coffineau, Jean Laurain, Gilbert Bonnemaison, Jean-Pierre Destrade, députés,
et, d'autre part, le 4 juin 1986, par MM André Méric, Fernand Tardy, Roland Courteau, Félix Ciccolini, William Chervy, Bernard Desbrière, Pierre Bastié, André Rouvière, Gérard Delfau, Marcel Vidal, Philippe Madrelle, Jean-Pierre Masseret, Georges Dagonia, Marcel Costes, Franck Sérusclat, François Autain, Pierre Matraja, Roland Grimaldi, Jacques Bialski, Bastien Leccia, Jules Faigt, Robert Pontillon, Mme Irma Rapuzzi, MM Robert Guillaume, Henri Duffaut, Jacques Durand, Jean-Pierre Bayle, André Delelis, Louis Longequeue, Michel Darras, Jean Geoffroy, Mme Geneviève Le Bellegou-Béguin, MM Charles Bonifay, Guy Allouche, Michel Charasse, Michel Moreigne, Gérard Roujas, Germain Authié, Robert Laucournet, Tony Larue, Louis Perrein, Bernard Parmantier, Lucien Delmas, Marc Boeuf, Jacques Carat, Albert Ramassamy, Noël Berrier, Gérard Gaud, Roger Rinchet, Philippe Labeyrie, Michel Dreyfus-Schmidt, Marcel Debarge, Marcel Bony, Robert Schwint, Mme Cécile Goldet, MM Pierre Régnault, Jean Peyrafitte, Léon Eeckhoutte, Claude Fuzier, Edouard Soldani, Maurice Pic, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social.
Le Conseil constitutionnel, Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment les articles figurant au chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;
Vu l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social ;
Vu l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ;
Le rapporteur ayant été entendu ;
Considérant que la loi autorisant le Gouvernement à prendre diverses mesures d'ordre économique et social, soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, tend, en ce qui concerne la plupart de ses dispositions, à permettre au Gouvernement de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ;
qu'elle fait référence à l'article 38 de la Constitution ;
Considérant que l'article 38 de la Constitution dispose :
"Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Les ordonnances sont prises en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat. Elles entrent en vigueur dès leur publication mais deviennent caduques si le projet de loi de ratification n'est pas déposé devant le Parlement avant la date fixée par la loi d'habilitation. A l'expiration du délai mentionné au premier alinéa du présent article les ordonnances ne peuvent plus être modifiées que par la loi dans les matières qui sont du domaine législatif" ;
Considérant que la Constitution ne soumet le recours à cette procédure à aucune autre condition que celles énoncées à l'article 38 précité et à l'article 13 aux termes duquel "le Président de la République signe les ordonnances et les décrets délibérés en conseil des ministres" ;
Considérant que les députés et les sénateurs auteurs de l'une et l'autre saisines contestent la conformité à la Constitution de la loi qu'ils défèrent au Conseil constitutionnel ;
que leur contestation porte à la fois sur la procédure selon laquelle la loi a été votée et sur le fond des dispositions qu'elle porte ;
Sur la procédure législative
En ce qui concerne l'absence de consultation du Conseil économique et social ;
Considérant que les députés auteurs de la première saisine soutiennent que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel constitue une loi de programme à caractère économique et social ;
qu'il s'ensuit que son adoption par le Parlement aurait dû être précédée, par application de l'article 70 de la Constitution du Conseil économique et social ;
Considérant qu'en vertu de l'article 70 de la Constitution "tout plan ou tout projet de loi de programme à caractère économique ou social" est soumis pour avis au Conseil économique et social ;
que l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au Conseil économique et social précise, dans son deuxième alinéa, que ce conseil "est obligatoirement saisi pour avis des projets de loi de programme ou de plans à caractère économique ou social, à l'exception des lois de finances" et, dans son quatrième alinéa qu'il peut "être consulté sur tout problème de caractère économique ou social intéressant la République" ;
qu'aux termes de l'avant-dernier alinéa de l'article 34 de la Constitution "des lois de programme déterminent les objectifs de l'action économique et sociale de l'Etat" ;
que le dernier alinéa de l'article 1er de l'ordonnance n° 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances dispose que "les plans approuvés par le Parlement, définissant des objectifs à long terme, ne peuvent donner lieu à des engagements de l'Etat que dans les limites déterminées par des autorisations de programme votées dans les conditions fixées par la présente ordonnance. Les autorisations de programme peuvent être groupées dans des lois dites "lois de programme" ;
Considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que, pour l'application de l'article 70 de la Constitution, on doit entendre par "loi de programme à caractère économique ou social" une loi qui, non seulement définit des objectifs à moyen ou long terme en matière économique et sociale, mais comporte, en outre, des prévisions de dépenses chiffrées pour la réalisation de ces objectifs ;
Considérant que, si la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel se réfère à certains objectifs de caractère économique et social proposés par le Gouvernement, elle ne comporte aucune prévision de dépenses chiffrées ;
qu'ainsi le vote de ladite loi ne devait pas être obligatoirement précédé de la consultation du Conseil économique et social, même s'il eût été loisible au Gouvernement, en application du quatrième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 58-1360, de procéder à la consultation de cet organisme ;
En ce qui concerne les conditions dans lesquelles la loi a été examinée par l'Assemblée nationale et par le Sénat :
Considérant que les sénateurs, auteurs de la seconde saisine, soutiennent que la procédure législative ayant abouti au vote de la loi présentement examinée n'a respecté ni la lettre ni l'esprit des articles 41 à 45 de la Constitution et particulièrement de l'alinéa premier de l'article 45, aux termes duquel :
"Tout projet ou proposition de loi est examiné successivement dans les deux assemblées du Parlement en vue de l'adoption d'un texte identique" ;
Considérant qu'au soutien de ce grief les sénateurs font valoir que, en fait, la loi a été examinée simultanément par les deux assemblées ;
qu'en effet il résulte des travaux préparatoires de la loi, et notamment des déclarations du Gouvernement que, dès le dépôt du projet de loi et alors que celui-ci était encore en cours de première lecture devant l'Assemblée nationale, les commissions intéressées du Sénat avaient déjà désigné "officieusement" leurs rapporteurs ;
que dans le même temps, les diverses commissions intéressées ont tenu des séances consacrées à l'examen du projet de loi et ont entendu divers membres du Gouvernement ;
que l'objet de ces réunions et de ces auditions était d'obtenir par avance du Gouvernement, au cours même de la discussion devant l'Assemblée nationale, des amendements au projet de loi conformes aux voeux de la majorité des sénateurs, de telle sorte que le texte adopté en première lecture par l'Assemblée nationale puisse être voté tel quel par le Sénat et que soit évitée une navette entre les assemblées ;
Considérant que, indépendamment des discussions ou consultations auxquelles le projet de loi a donné lieu avant sa transmission au Sénat, il ressort de l'examen de la procédure législative que le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture a été transmis au Sénat puis a été débattu par celui-ci au cours de huit séances ;
que plusieurs centaines d'amendements ont été déposés et discutés ;
qu'ainsi les prescriptions des articles 41 à 45 de la Constitution n'ont pas été méconnues ;
En ce qui concerne l'ensemble de la procédure législative :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel n'a pas été adoptée selon une procédure contraire à la Constitution ;
Sur le fond
Considérant que, s'il est spécifié à l'alinéa 1er de l'article 38 de la Constitution précité que c'est pour l'exécution de son programme que le Gouvernement se voit attribuer la possibilité de demander au Parlement l'autorisation de prendre, par voie d'ordonnances pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi, ce texte doit être entendu comme faisant obligation au Gouvernement d'indiquer avec précision au Parlement quelle est la finalité des mesures qu'il se propose de prendre et leurs domaines d'intervention ;
Considérant que les dispositions d'une loi d'habilitation ne sauraient avoir ni pour objet ni pour effet de dispenser le Gouvernement, dans l'exercice des pouvoirs qui lui sont conférés en application de l'article 38 de la Constitution, du respect des règles et principes de valeur constitutionnelle ;
Considérant qu'il appartient au Conseil constitutionnel, d'une part, de vérifier que la loi d'habilitation ne comporte aucune disposition qui permettrait de méconnaître ces règles et principes, d'autre part, de n'admettre la conformité à la Constitution de la loi d'habilitation que sous l'expresse condition qu'elle soit interprétée et appliquée dans le strict respect de la Constitution ;
Considérant que les auteurs de l'une et de l'autre saisine élèvent des griefs d'inconstitutionnalité à l'encontre de chacun des articles 1er à 7 de la loi ;
En ce qui concerne l'article 1er de la loi :
Considérant que l'article Ier de la loi est ainsi conçu :
"Pour assurer aux entreprises une plus grande liberté de gestion et définir un nouveau droit de la concurrence, le Gouvernement est autorisé, dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi et dans les conditions prévues à l'article 38 de la Constitution, à modifier ou abroger certaines dispositions de la législation économique relatives aux prix et à la concurrence, notamment celles des ordonnances n° 45-1483 du 30 juin 1945, relatives aux prix, et n° 45-1484 du 30 juin 1945 relative à la constatation, la poursuite et la répression des infractions à la législation économique. Dans la définition du nouveau droit de la concurrence, il assortit de garanties au profit des agents économiques l'exercice des compétences dont dispose l'autorité publique et assure le caractère contradictoire des procédures" ;
Considérant que les députés auteurs de la première saisine font valoir, en premier lieu, au soutien du grief d'inconstitutionnalité invoqué contre ces dispositions que la finalité des mesures que le Gouvernement se propose de prendre est définie de manière manifestement imprécise ;
qu'il n'est même pas établi que le Gouvernement la connaisse lui-même comme en témoigne le fait qu'au cours de la discussion parlementaire il a déclaré qu'un haut fonctionnaire serait chargé d'élaborer des propositions tendant à définir un nouveau droit de la concurrence ;
Considérant qu'en second lieu les députés auteurs de la première saisine font valoir que l'abrogation, annoncée par le Gouvernement dans la discussion parlementaire, des ordonnances du 30 juin 1945 aurait pour effet, en cas de crise économique ou financière, de priver le Gouvernement de tout moyen d'action immédiat sur les prix ;
qu'ainsi la loi soumise à l'examen du Conseil constitutionnel permet la suppression d'une garantie correspondant au respect d'exigences constitutionnelles telles que l'égalité et la solidarité des Français devant les charges qui résultent des calamités nationales ou la continuité de la vie nationale ;
Considérant que les sénateurs auteurs de la seconde saisine formulent en substance des critiques analogues en insistant sur le caractère imprécis des termes prétendant définir les finalités de l'habilitation et le domaine ainsi ouvert aux ordonnances ;
Quant au grief tiré du défaut de précision des termes de l'habilitation :
Considérant que, si le Gouvernement doit définir avec précision les finalités de l'habilitation qu'il demande en vue de la réalisation de son programme, il n'est pas tenu de faire connaître la teneur des ordonnances qu'il prendra en vertu de cette habilitation et qu'il ne lui est pas interdit de faire dépendre cette teneur des résultats de travaux et d'études dont il ne connaîtra que plus tard les conclusions ;
Considérant que, si l'article 1er de la loi assigne comme finalité aux ordonnances qu'il autorise le Gouvernement à prendre la définition d'un nouveau droit de la concurrence et la recherche d'une plus grande liberté de gestion aux entreprises, il n'autorise pas pour autant le Gouvernement à modifier ou à abroger l'ensemble des règles de droit civil, commercial, pénal, administratif ou social intéressant la vie économique ;