Jurisprudence : Décision n°85-187 DC du 25-01-1985

Décision n°85-187 DC du 25-01-1985

A8109ACC

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CONSEIL CONSTITUTIONNEL

Décision n°85-187 DC du 25-01-1985


Publié au Journal officiel du 26 janvier 1985, p. 1138
Rec. p. 43

Loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances


Le Conseil constitutionnel a été saisi ce 25 janvier 1985, d'une part, par MM Jacques Chirac, Claude Labbé, Bernard Pons, Marc Lauriol, Pierre Messmer, Gabriel Kaspereit, Mme Nicole de Hauteclocque, MM Roger Corrèze, Jacques Toubon, Christian Bergelin, Jean-Paul Charié, Bruno Bourg-Broc, Mme Hélène Missoffe, MM Jean-Louis Goasduff, Claude-Gérard Marcus, Maurice Couve de Murville, Alain Peyrefitte, Robert-André Vivien, Pierre-Charles Krieg, Pierre Bachelet, Robert Wagner, Jean de Préaumont, Michel Debré, Etienne Pinte, Daniel Goulet, Tutaha Salmon, Robert Galley, Roland Nungesser, Edouard Frédéric-Dupont, Jean Tiberi, Pierre Raynal, Régis Perbet, Michel Barnier, Jean-Paul de Rocca Serra, Emmanuel Aubert, Michel Cointat, René La Combe, Charles Paccou, Roland Vuillaume, Philippe Séguin, Didier Julia, Jean Foyer, Michel Noir, Jacques Chaban-Delmas, Camille Petit, Hyacinthe Santoni, Pierre Bas, Henri de Gastines, Georges Tranchant, Yves Lancien, Georges Gorse, Pierre-Bernard Cousté, René André, Gérard Chasseguet, Michel Péricard, Jean Falala, Jean Narquin, Jacques Baumel, Pierre de Benouville, Jean Hamelin, Jean Valleix, Germain Sprauer, Michel Inchauspé, Antoine Gissinger, Pierre Weisenhorn, Serge Charles, Bernard Rocher, députés.
Et d'autre part, par MM Michel Alloncle, Jean Amelin, Hubert d'Andigné, Marc Bécam, Henri Belcour, Paul Bénard, Amédée Bouquerel, Yvon Bourges, Raymond Bourgine, Jacques Braconnier, Raymond Brun, Michel Caldaguès, Pierre Carous, Auguste Cazalet, Jean Chamant, Jacques Chaumont, Michel Chauty, Jean Chérioux, François O Collet, Henri Collette, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jacques Delong, Charles Descours, Franz Duboscq, Marcel Fortier, Philippe François, Michel Giraud, Christian Masson, Adrien Gouteyron, Bernard-Charles Hugo, Roger Husson, Paul Kauss, Christian de La Malène, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Paul Malassagne, Paul Masson, Michel Maurice-Bokanowski, Geoffroy de Montalembert, Arthur Moulin, Jean Natali, Lucien Neuwirth, Paul d'Ornano, Sosefo Makapé Papilio, Charles Pasqua, Christian Poncelet, Henri Portier, Alain Pluchet, Claude Prouvoyeur, Josselin de Rohan, Roger Romani, Michel Rufin, Maurice Schumann, Louis Souvet, Dick Ukeiwé, Jacques Valade, Edmond Valcin, André-Georges Voisin, Jacques Habert, Dominique Pado, Etienne Dailly, sénateurs, dans les conditions prévues à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, de la conformité à celle-ci de la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances ;

Le Conseil constitutionnel,
Vu la Constitution ;

Vu l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment le chapitre II du titre II de ladite ordonnance ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

Considérant que les députés et les sénateurs auteurs des saisines par lesquelles la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances est déférée au Conseil constitutionnel font valoir à l'encontre des dispositions de cette loi des griefs, tantôt communs à l'une et l'autre saisines, tantôt propres à l'une d'elles ;

Sur l'incompétence du législateur pour établir l'état d'urgence en l'absence d'une disposition expresse de la Constitution :
Considérant que les auteurs des saisines soutiennent que le législateur ne peut porter d'atteintes, même exceptionnelles et temporaires, aux libertés constitutionnelles que dans les cas prévus par la Constitution ;
que l'état d'urgence qui, à la différence de l'état de siège, n'est pas prévu par la Constitution ne saurait donc être instauré par une loi ;

Considérant qu'en vertu de l'article 34 de la Constitution la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques ;
que, dans le cadre de cette mission, il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre le respect des libertés et la sauvegarde de l'ordre public sans lequel l'exercice des libertés ne saurait être assuré ;
Considérant que, si la Constitution, dans son article 36, vise expressément l'état de siège, elle n'a pas pour autant exclu la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence pour concilier, comme il vient d'être dit, les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public ;
qu'ainsi, la Constitution du 4 octobre 1958 n'a pas eu pour effet d'abroger la loi du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, qui, d'ailleurs, a été modifiée sous son empire ;
Sur le moyen tiré de l'absence de consultation de l'assemblée territoriale :
Considérant que les auteurs des saisines soutiennent que les dispositions relatives à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie auraient dû, en vertu de l'article 74 de la Constitution, être soumises à la consultation de l'assemblée territoriale ;

Considérant qu'aux termes de l'article 74 de la Constitution :
"Les territoires d'outre-mer de la République ont une organisation particulière tenant compte de leurs intérêts propres dans l'ensemble des intérêts de la République. Cette organisation est définie et modifiée par la loi après consultation de l'assemblée territoriale intéressée." ;

Considérant que la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances a pour objet, en application de l'article 119 de la loi du 6 septembre 1984, de conférer au haut-commissaire de la République de ce territoire, jusqu'au 30 juin 1985, les pouvoirs prévus par la loi du 3 avril 1955 modifiée ;
qu'ainsi, la loi déférée au Conseil constitutionnel n'est qu'une mesure d'application des deux lois de 1955 et 1984 et, de par cette nature, n'avait pas à être soumise à la consultation de l'assemblée territoriale ;
Sur les autres moyens :
Considérant que les auteurs des saisines estiment que les règles de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances définissent de façon imprécise les pouvoirs du haut-commissaire qu'elles n'offrent pas de garanties suffisantes, notamment juridictionnelles, au regard des limitations ou atteintes portées aux libertés, et que certaines de ces règles ont été fixées par un décret alors que la loi seule eût été compétente ;
qu'elles méconnaissent ainsi les dispositions des articles 34, 66 et 74 de la Constitution ;

Considérant que ces moyens portent sur les règles mêmes de l'état d'urgence telles qu'elles résultent de la loi du 3 avril 1955 modifiée et de l'article 119 de la loi du 6 septembre 1984 ;

Considérant que, si la régularité au regard de la Constitution des termes d'une loi promulguée peut être utilement contestée à l'occasion de l'examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine, il ne saurait en être de même lorsqu'il s'agit de la simple mise en application d'une telle loi ;
que, dès lors, les moyens développés par les auteurs de saisines ne peuvent être accueillis ;
Sur l'ensemble de la loi :
Considérant, en l'espèce, qu'il n'y a lieu pour le Conseil constitutionnel de soulever d'office aucune autre question de conformité à la Constitution en ce qui concerne la loi soumise à son examen,

Décide :


ARTICLE 1ER :
La loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances est déclarée conforme à la Constitution.
ARTICLE 2 :
La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française.
£7A1$Texte 60 députés 1985-01-25
II :
SAISINE SENATEURS
Conformément à l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, les sénateurs soussignés défèrent à l'examen du Conseil constitutionnel la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie.
La requête se fonde sur les moyens suivants :
Ier moyen :
En l'état du droit positif, la loi prorogeant l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, pour porter une atteinte exceptionnelle aux libertés doit se fonder sur la Constitution.
On ne peut invoquer une loi antérieure pour fonder cette compétence, car il s'agit de lois ordinaires qui ne lient pas le législateur, ni le justifient à agir. On peut invoquer en ce sens la décision du 27 juillet 1982 relative à la loi sur la planification, dans laquelle le Conseil a marqué que le législateur ne pouvait à l'avance définir une procédure que devrait suivre le futur législateur. Seul le constituant peut le faire.
Donc le législateur ne peut porter d'atteintes, même exceptionnelles et temporaires, aux libertés constitutionnelles que dans les cas prévus par la Constitution.
Or, la Constitution prévoit exclusivement l'état de siège (article 36).
La loi déférée n'entre pas dans cette catégorie juridique.
II :
L'état d'urgence procède de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, modifiée par la loi n° 55-1080 du 7 août 1955 et par l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960.
L'article 1er de la loi du 3 avril 1955 précise que l'état d'urgence "peut être déclaré sur tout ou partie du territoire métropolitain, de l'Algérie ou des départements d'outre-mer".
Les territoires d'outre-mer étaient donc expressément exclus du champ d'application de la loi précitée, et ce en vertu de l'article 7, alinéas 1 et 2 de la Constitution en vigueur qui précisaient que :
"Dans les territoires d'outre-mer, le pouvoir législatif appartient au Parlement en ce qui concerne la législation criminelle, le régime des libertés publiques et l'organisation politique et administrative.
"En toute autres matières, la loi française n'est applicable dans les territoires d'outre-mer que par disposition expresse ou si elle a été étendue par décret aux territoires d'outre-mer après avis de l'Union." Au demeurant, l'ordonnance du 15 avril 1960 a confirmé le caractère limitatif des dispositions de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955 :
:
d'une part, en ce que l'article 1er de ladite ordonnance ne modifie pas l'article 1er de la loi du 3 avril 1955 ;

: d'autre part, en ce que l'expression "circonscriptions territoriales" employée à l'article 1er de l'ordonnance doit être entendue comme une formulation recouvrant les zones d'application de l'état d'urgence prévues à l'article 1er de la loi du 3 avril 1955.
Les conséquences qui découlent de l'état d'urgence portent atteinte aux garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques. Il en résulte que l'extension de l'état d'urgence aux territoires d'outre-mer ne saurait procéder de l'extrapolation de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, mais nécessite, en vertu de l'article 34 de la Constitution, le vote de dispositions législatives adéquates.
Le Gouvernement ne saurait donc demander la prorogation de l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie en se référant, comme il le fait, à la loi du 3 avril 1955 modifiée.
Il aurait dû, pour parvenir au but qu'il recherchait, demander au Parlement en même temps que la prorogation de l'état d'urgence, la modification de l'article 1er de la loi du 3 avril 1955, adaptant les attributions découlant de la déclaration de l'état d'urgence à l'organisation particulière des TOM.
Or cette adaptation qui relève nécessairement de la loi ne figure pas dans le texte voté par le Parlement ;
en effet, cette adaptation a pris la forme d'un décret en date du 14 janvier 1985, décret par ailleurs postérieur à la déclaration de l'état d'urgence.
III :
L'article 7 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que les personnes qui font l'objet d'une mesure prise en application de l'état d'urgence peuvent demander le retrait de cette mesure à une commission consultative. Ce même article 7 dispose aussi que la composition, le mode de désignation et les conditions de fonctionnement de cette commission seront fixés par un règlement d'administration publique.
C'est ainsi que le décret n° 85-46 du 14 janvier 1985 précise les conditions de création de la commission consultative en Nouvelle-Calédonie.
S'agissant de la composition du mode de désignation et des conditions de fonctionnement d'une telle commission dans un territoire d'outre-mer, il était nécessaire de se référer à l'article 74 de la Constitution qui prévoit que les territoires d'outre-mer ont une organisation particulière qui est définie et modifiée par la loi après consultation de l'Assemblée territoriale intéressée.
Or, force est de constater que l'article 74 de la Constitution n'a pas été respecté sur deux points :
:
d'une part, la création de la commission consultative trouve son origine dans un décret et non pas dans une loi ;

: d'autre part, la publication du décret précité ne fut pas précédée de la consultation préalable de l'Assemblée territoriale.
Il apparaît, en effet, que les seuls contacts engagés entre les pouvoirs publics et l'Assemblée territoriale à l'occasion de la création de la commission si limitèrent à la notification par le haut-commissaire du décret précité au président de l'Assemblée territoriale afin que celui-ci veuille bien désigner les deux membres de l'Assemblée territoriale amenés à siéger au sein de la commission.
Or, il ressort des décisions n° 80-122 DC du 22 juillet 1980, 80-129 DC des 30 et 31 octobre 1981 et 81-131 du 16 décembre 1981 du Conseil constitutionnel que les dispositions touchant à l'organisation des territoires d'outre-mer au sens de l'article 74 de la Constitution doivent faire l'objet d'une loi et être soumises préalablement à la consultation des assemblées territoriales intéressées.
Le respect de l'article 74 de la Constitution aurait donc voulu que le Gouvernement, après consultation de l'Assemblée territoriale de Nouvelle-Calédonie, inclue, dans la présente loi déférée au Conseil constitutionnel, un article portant création de la commission consultative prévue à l'article 7 de la loi du 3 avril 1955, laquelle création constitue un élément de l'organisation particulière du territoire.
IV :
Le non-respect de la procédure indiquée à l'article 74 de la Constitution n'est pas le seul motif d'inconstitutionnalité de la commission consultative.
Il ressort en effet des décisions n° 76-88 L du 3 mars 1976 et 77-98 L du 27 avril 1977 du Conseil constitutionnel que les règles de composition des organismes de nature administrative susceptibles d'émettre des avis concernant l'exercice des libertés publiques fondamentales relèvent du domaine réservé à la loi par la Constitution.
La commission consultative répondant à une telle définition, on doit voir là une deuxième raison pour laquelle le Gouvernement aurait dû inclure dans la loi de prorogation de l'état d'urgence un article portant création d'une telle commission.
V :
Les articles 6 et 9 de la loi du 3 avril 1955 donnent au ministre de l'intérieur le pouvoir de prononcer l'assignation à résidence ou de se faire remettre les armes de première, quatrième et cinquième catégorie, ainsi que les munitions correspondantes, détenues par les citoyens concernés par l'état d'urgence.
Le décret n° 85-46 du 14 janvier 1985 permet au haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie d'exercer les attributions confiées au ministre de l'intérieur par la loi du 3 avril 1955.
Ces attributions sont à compter au nombre de celles qui sont de nature à porter atteinte à l'exercice des libertés publiques et relèvent de ce fait du domaine de la loi.
Il s'ensuit qu'un décret ne saurait transférer de telles attributions à un titulaire autre que celui que la loi a expressément prévu.
Le respect de l'article 34 de la Constitution exigeait donc que la loi de prorogation de l'état d'urgence comporte un article transférant au haut-commissaire les pouvoirs confiés au ministre de l'intérieur par la loi du 3 avril 1955.
£7A2$Texte 60 sénateurs 1985-01-25
I :
SAISINE DEPUTES
Les soussignés, députés à l'Assemblée nationale, défèrent à la censure du Conseil constitutionnel, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, la loi relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, et concluent qu'il plaise au Conseil déclarer les dispositions de ladite loi non conformes à la Constitution.
La requête se fonde sur les moyens suivants :
Premier moyen :
en l'état du droit positif, la loi prorogeant l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie, pour porter une atteinte exceptionnelle aux libertés, doit se fonder sur la Constitution.
On ne peut invoquer une loi antérieure pour fonder cette compétence, car il s'agit des lois ordinaires qui ne lient pas le législateur, ni le justifient à agir. On peut invoquer en ce sens la décision du 27 juillet 1982 relative à la loi sur la planification, dans laquelle le Conseil a marqué que le législateur ne pouvait à l'avance définir une procédure que devrait suivre le futur législateur. Seul le constituant peut le faire.
Donc le législateur ne peut porter d'atteintes, même exceptionnelles et temporaires, aux libertés constitutionnelles que dans les cas prévus par la Constitution.
Or la Constitution prévoit exclusivement l'état de siège (art 36).
La loi déférée n'entre pas dans cette catégorie juridique.
Subsidiairement, et pour le cas où le Conseil n'aurait pas retenu ce moyen :
Deuxième moyen pris de la violation de l'article 74 de la Constitution en ce que l'état d'urgence qui, par l'extension qu'il donne aux pouvoirs du représentant de l'Etat et les restrictions qu'il permet d'apporter aux libertés publiques, constitue une modification, fût-elle temporaire, de l'organisation du territoire, est prorogé par une loi qui n'a pas été l'objet d'une consultation de l'Assemblée territoriale.
Discussion :
il n'est pas sérieusement discutable que l'institution de l'état d'urgence modifie, pendant la durée de son application, l'organisation du territoire. Elle a essentiellement pour effet de renforcer et d'étendre les pouvoirs du haut-commissaire.
Le Conseil constitutionnel admet une notion large de l'organisation particulière au sens de l'article 74. Il y fait entrer la procédure pénale, et par conséquent les libertés publiques, les dérogations au monopole de la radiodiffusion, les lois de plan, etc (cf Favoreu et Philip, p 431 et 432).
On ne saurait soutenir que la consultation de l'Assemblée territoriale aurait déjà eu lieu au motif que l'article 119 de la loi du 6 septembre 1984 portant statut de la Nouvelle-Calédonie et dépendances autorise le haut-commissaire à déclarer l'état d'urgence, sous réserve d'une prorogation au terme de douze jours, et que ladite loi du 6 septembre 1984 a été bien adoptée après consultation de l'Assemblée territoriale.
En effet, l'article 119 prévoit lui-même la nécessité d'une loi pour proroger l'état d'urgence, c'est une loi de cette nature qui est déférée au Conseil. Or une telle loi a une existence propre, et l'on ne saurait soutenir qu'une fois pour toutes, l'Assemblée territoriale aurait été suffisamment consultée sur toutes les lois qui interviendraient ultérieurement à l'effet de proroger un état d'urgence.
Dès lors que toute prorogation exige une loi spéciale, la validité de cette loi postule qu'elle ait donné lieu à une consultation spéciale.
Troisième moyen :
la loi déférée au Conseil constitutionnel ne détermine pas suffisamment les dérogations au régime des libertés publiques qu'elle autorise le haut-commissaire à appliquer et lui confère un pouvoir d'appréciation exorbitant.
S'agissant d'atteintes à des libertés, les règles doivent être définies par le législateur de telle manière que le principe de légalité soit respecté dans toute la mesure du possible.
La simple référence à une loi, dont les dispositions datent de trente ans et ont été conçues en considération d'une situation donnée, ne satisfait pas à cette exigence.
La loi devrait s'organiser elle-même l'état d'urgence au lieu de s'en remettre au haut-commissaire.
Quatrième moyen pris de la violation de l'article 66 de la Constitution et de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que la loi déférée autorise des mesures portant atteinte à la liberté individuelle, et notamment l'assignation à résidence, sans prévoir un contrôle de l'autorité judiciaire.
Discussion :
l'état d'urgence entraîne des conséquences définies par la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée. Celles-ci consistent notamment dans le pouvoir, pour l'autorité administrative, d'assigner à résidence des personnes non coupables d'infractions, mais dont l'activité est simplement dangereuse (a6). Si les personnes assignées à résidence peuvent demander le retrait de la mesure, leur demande est soumise à une commission dont la composition a été déterminée pour la Nouvelle-Calédonie par le décret n° 85-46 du 14 janvier 1985. Aux termes de l'article 2 dudit décret, cette commission, dont le rôle est purement administratif, deux personnes désignées par le haut-commissaire et deux élus. Aucun magistrat du corps judiciaire n'y siège. Les décisions du haut-commissaire ne sont susceptibles de recours que devant le tribunal administratif.
Ces dispositions ne sont pas conformes aux exigences constitutionnelles, telles qu'elles ont été rappelées par le Conseil en ses décisions du 12 janvier 1977 et du 9 janvier 1980.
Il y a donc lieu de déclarer que la loi déférée prorogeant l'application de dispositions autorisant des atteintes à la liberté individuelle sans qu'aucun contrôle judiciaire permette d'en vérifier la légalité et la nécessité, n'est pas conforme à la Constitution.
On ne saurait soutenir que la loi du 3 avril 1955 a prévu de telles mesures, et que la loi soumise au Conseil constitutionnel se contente de s'y référer.
Il y a lieu de considérer, en effet, que la mise en vigueur de la Constitution et du préambule de la Constitution, tels qu'ils sont interprétés par la jurisprudence du Conseil, ont rendu caduques, ou abrogé implicitement, les dispositions de la loi du 3 avril 1955 qui leur étaient contraires.
Or la loi déférée redonne vigueur, par voie de référence, à des dispositions devenues caduques à raison de leur contrariété avec la Constitution. Elle doit être elle-même déclarée non conforme à la Constitution.
L'Assemblée nationale a été mise en état de réparer le vice du texte par un amendement n° 5 de M Jean Foyer qui prévoyait un contrôle judiciaire. Elle a repoussé cet amendement (séance du 23 janvier 1985) par le motif non concluant que la loi du 3 avril 1955 comportait un contrôle administratif et prévoyait un recours devant le juge administratif.
On ne saurait davantage tirer argument de la circonstance que l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 a modifié la loi du 3 avril 1955 et que cette ordonnance est postérieure à l'entrée en vigueur de la Constitution, dès lors que cet acte ne s'applique pas de plano et qu'une loi spéciale est nécessaire. Cette loi spéciale détermine l'état d'urgence. Ainsi qu'il a été démontré sous le premier moyen, une loi antérieure, devenue inattaquable, ne constitue pas un titre de compétence pour le législateur futur.

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