CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 27 octobre 2022
Cassation partielle
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 1099 FS-B
Pourvoi n° J 21-24.426
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 27 OCTOBRE 2022
1°/ M. [U] [O] [K],
2°/ Mme [T] [K],
3°/ Mme [C] [K],
4°/ [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P], épouse [K],
tous quatre domiciliés [Adresse 1] (Etats-Unis),
ont formé le pourvoi n° J 21-24.426 contre l'
arrêt n° RG : 20/09349 rendu le 16 septembre 2021 par la cour d'appel de Paris⚖️ (pôle 4, chambre 12), dans le litige les opposant :
1°/ au Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [Adresse 2],
2°/ à la caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne, dont le siège est [Adresse 3],
3°/ à Mme [E] [P], épouse [K], domiciliée [Adresse 1] (Etats-Unis), prise en son nom personnel,
défendeurs à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Martin, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K], de la SARL Boré, Aa de Bruneton et Mégret, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, et l'avis de M. Ab, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 20 septembre 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Martin, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Isola, conseillers, MM. Ittah, Pradel, Mmes Brouzes, Philippart, conseillers référendaires, M. Ab, premier avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 septembre 2021), et les productions, Mme [P] se trouvait dans le magasin Hypercasher de Vincennes, le 9 janvier 2015, lorsqu'un terroriste s'y est introduit. Elle y était prise en otage, aux côtés d'autres clients, jusqu'à sa libération, plusieurs heures plus tard, par les services de police.
2. Après avoir reçu des provisions du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (le FGTI), Mme [P], son mari, M. [K] et leurs filles, Mmes [T] et [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux, M. [K] et Mme [P], (les consorts [K] [P]) l'ont assigné aux fins d'indemnisation de leurs préjudices.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
3. Les consorts [K] [P] font grief à l'arrêt de les dire irrecevables en leurs demandes, alors « qu'il résulte des dispositions des
articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛 que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au FGTI l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K] que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut », cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les
articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛, dans leur rédaction applicable au litige :
4. Selon le premier de ces textes, les victimes d'actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l'étranger de ces mêmes actes, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L. 422-1 à L. 422-3.
5. Selon le deuxième, pour l'application de l'article L. 126-1, la réparation intégrale des dommages résultant d'une atteinte à la personne est assurée par l'intermédiaire du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
6. Selon le troisième, le Fonds de garantie est tenu, dans le délai d'un mois à compter de la demande qui lui est faite, de verser une ou plusieurs provisions à la victime qui a subi une atteinte à sa personne ou, en cas de décès de la victime, à ses ayants droit sans préjudice du droit pour ces victimes de saisir le juge des référés.
7. Aucun de ces textes n'exclut l'indemnisation des proches de la victime directe d'un attentat, en cas de survie de celle-ci.
8. Par ailleurs, il résulte des travaux préparatoires de la loi n° 86-120 du 9 septembre 1986, ultérieurement codifiée aux articles susmentionnés, que l'intention du législateur était de répondre, par l'application des règles du droit commun de la réparation, à la nécessité d'indemniser entièrement et rapidement le préjudice corporel des victimes d'actes terroristes, à la différence du régime d'indemnisation des victimes de dommages corporels résultant d'une infraction, alors applicable, issu de la
loi n° 77-5 du 3 janvier 1977🏛, qui ne prévoyait qu'une indemnisation partielle.
9. Depuis que la
loi n° 90-589 du 6 juillet 1990🏛 modifiant l'
article 706-3 du code de procédure pénale🏛 a étendu aux victimes d'infractions dont elle assure l'indemnisation le principe de la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne, la
Cour de cassation juge de manière constante, à la suite de deux arrêts rendus le 14 janvier 1998 (2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-11.328⚖️, Bulletin civil 1998, II, n° 14,
2e Civ., 14 janvier 1998, pourvoi n° 96-16.255⚖️), que cet article n'exclut pas, lorsque la victime d'une infraction a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun.
10. Interpréter les
articles L. 126-1, L. 422-1 et L. 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛 comme excluant l'indemnisation des proches d'une victime survivante conduirait à réserver aux proches des victimes d'attentats un sort plus défavorable qu'à ceux des victimes d'autres infractions.
11. Un tel résultat, que ne commande aucune différence rédactionnelle entre les textes qui régissent les droits de ces victimes, n'apparaît pas conforme à l'intention du législateur.
12. En outre, par un arrêt rendu en chambre mixte le 25 mars 2022 (Ch. mixte, 25 mars 2022, pourvoi n° 20-17.072 en cours de publication), la Cour de cassation a admis l'indemnisation du préjudice d'attente et d'inquiétude que peuvent subir les proches d'une victime exposée à un péril de nature à porter atteinte à son intégrité corporelle, y compris en cas de survie de celle-ci.
13. Pour dire les consorts [K] [P] irrecevables en leurs demandes d'indemnisation, l'arrêt énonce que les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayants droit faisant défaut.
14. En statuant ainsi, alors que n'est pas exclue, lorsque la victime directe d'un acte de terrorisme a survécu, l'indemnisation du préjudice personnel de ses proches selon les règles du droit commun, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K] représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Laisse les dépens à la charge du Trésor public ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions et le condamne à payer à M. [K], M. [K] et Mme [P] es qualités de représentants légaux de leur fille mineure [G] [K], et Mmes [T] et [C] [K] la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-sept octobre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et [G] [K], représentée par ses représentants légaux M. [U] [O] [K] et Mme [E] [P] épouse [K]
Les consorts [K], exposants, font grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit M. [U] [O] [K], Mme [T] [K], Mme [C] [K] et Mme [G] [K], représentée par Mme [E] [K] et M. [U] [O] [K], irrecevables en leurs demandes,
Alors que, il résulte des dispositions des
articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛 que toute victime, directe ou par ricochet, d'actes de terrorisme commis sur le territoire national est recevable à demander au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) l'indemnisation des dommages résultant de l'atteinte à sa personne ; que ces textes n'excluent donc pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme ; qu'en affirmant, pour juger irrecevables les demandes de l'époux et des filles de Mme [K], que « les personnes recevables à réclamer l'indemnisation de leurs préjudices sont (
) d'une part les victimes directes de l'acte de terrorisme, d'autre part leurs ayants droit » et que par suite « les préjudices subis par les proches de la victime directe non décédée ne sont pas indemnisés par le FGTI, leur qualité d'ayant droit faisant défaut » (arrêt, p. 13), cependant que les textes précités n'excluent pas l'indemnisation par le FGTI du préjudice personnellement subi par les proches de la victime directe, même non décédée, d'un acte de terrorisme, la cour d'appel a violé les
articles L 126-1, L 422-1 et L 422-2 du code des assurances🏛🏛🏛.