TA Lyon, du 20-10-2022, n° 2207732
A44768QT
Référence
I. Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, sous le n° 2207732, la confédération générale du travail force ouvrière (CGT-FO) et M. B C, représentés par Me Ilic, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre l'exécution des arrêtés des 17 et 18 octobre 2022 du préfet du Rhône portant réquisition des personnels chargés de l'activité d'expédition du site Total Energies de Feyzin ;
2°) de suspendre l'exécution de tout arrêté de réquisition visant les salariés grévistes de la plateforme de Feyzin qui serait édicté entre la saisine du tribunal et l'ordonnance à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la procédure de réquisition a directement pour effet de faire obstacle à l'exercice du droit de grève ;
- les arrêtés portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève qui constitue une liberté fondamentale garantie par l'alinéa 7 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et reconnue par le Conseil Constitutionnel dès lors que :
* en méconnaissance de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛, la durée des réquisitions n'est pas mentionnée dans les arrêtés mais seulement dans leurs annexes, les annexes 2 et 3 n'ayant fait l'objet d'aucune publicité ou notification, leur nécessité n'est pas justifiée dès lors, d'une part, qu'aucune atteinte constatée ou prévisible à l'ordre public n'est caractérisée et, d'autre part, que le préfet du Rhône n'a pas recherché de mesures alternatives ni tenté de recourir à des sociétés extérieures ;
* ces mesures sont disproportionnées en l'absence de publication et de notification aux intéressés des annexes ; seule l'annexe 1 avait fait l'objet d'une notification à la date d'introduction de la requête, l'annexe 2 ayant été notifiée avec l'arrêté du 18 octobre 2022, le lendemain, l'annexe 3 n'ayant, au jour de l'audience fait l'objet d'aucune notification ; ce procédé fait obstacle à l'exercice du droit à un recours effectif.
Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés le 19 octobre 2022, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête ne comporte aucun développement spécifique justifiant de ce que la condition d'urgence serait remplie ;
- en application de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛, le préfet peut légalement requérir les agents en grève d'un établissement dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité et la continuité de son fonctionnement dès lors que ses mesures sont imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public au nombre desquelles figure la sécurité publique ;
- aucune disposition de droit interne, ni aucune stipulation des conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ne lui imposait d'engager une concertation préalable avec les salariés grévistes ;
- la pénurie de carburant affecte l'ordre public et notamment la circulation et la sécurité routières ; à la date de l'arrêté, la situation de pénurie était particulièrement tendue dans les stations-services et nécessitait l'action de l'Etat afin de garantir le ravitaillement en carburant de véhicules de secours, les soins à domicile ou la livraison de produits pharmaceutiques et médicaux et ce, à la veille des départs en vacances de la Toussaint ; en outre, alors que des arrêtés en matière de limitation d'emport de carburant et de priorisation de la distribution ont été pris, ils se sont révélés insuffisamment efficaces ;
- le climat économique et social est par ailleurs tendu, le tissu économique et régional est gravement menacé par ces tensions ; la perpétuation de cette pénurie menace directement la survie de nombreuses entreprises ;
- le dépôt de Feyzin est essentiel dans la desserte des besoins des départements des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne Franche-Comté et une substitution de personnels en sollicitant des personnels non-grévistes n'a pu être mise en place ; du fait du mouvement de grève nationale, les autres dépôts ne peuvent compenser à eux seuls les besoins des deux régions ;
- ces mesures sont proportionnées ; l'arrêté du 18 octobre complète celui du 17 octobre 2022 ; l'arrêté initialement contesté qui précise la durée de la réquisition, de 14 h à 20 h, a en outre été notifié accompagné de son annexe ; la circonstance que les annexes 2 et 3 qui portent sur les quarts de mercredi 19 et vendredi 21 octobre n'aient pas été notifiées, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 17 octobre qui a vocation à s'exécuter par phase, au plus près des besoins d'approvisionnement.
II. Par une requête, un mémoire et une pièce complémentaires, enregistrés les 17 et 19 octobre 2022, sous le n° 2207733, la fédération nationale des industries chimiques CGT, représentée par la Selas JDS avocats, et le syndicat CGT Totalénergies raffinerie Feyzin, représenté par Me Bernard et Me Marcel, demandent au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 octobre 2022 du préfet du Rhône portant réquisition des personnels chargés de l'activité d'expédition du site Total Energies de Feyzin et de l'arrêté du 18 octobre 2022 complétant celui du 17 octobre et ses six annexes;
2°) de suspendre l'exécution de tout arrêté de réquisition visant les salariés grévistes de la plateforme de Feyzin qui serait édicté entre la saisine du tribunal et l'ordonnance à intervenir ;
3°) de prendre toute mesure nécessaire à la sauvegarde du droit de grève et suspendre l'exécution de toute réquisition visant les salariés grévistes du site TotalEnergies de Feyzin
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- les arrêtés contestés ne sont pas limités dans leur durée et méconnaissent les dispositions des articles L. 221-7 et L. 221-7 du code des relations entre le public et l'administration🏛 dès lors qu'ils n'ont jamais été portés à la connaissance de leurs destinataires dans leur totalité, l'administration rendant ainsi tout recours au juge ineffectif ;
- ils portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève en méconnaissance du préambule de la Constitution de 1946, de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛 et des conventions de l'OIT ; en effet :
* ils ne respectent pas les conditions d'urgence et de nécessité fixées au 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales🏛 ;
* aucune mesure alternative à la réquisition n'a été recherchée et le préfet du Rhône n'établit pas que la réquisition serait le seul moyen de prévenir les atteintes supposées à l'ordre public ;
* la proportionnalité et l'utilité des mesures de réquisition ne sont pas démontrées ; ils sont essentiellement motivés par la volonté de fournir les clients habituels des dépôts, de rétablir un fonctionnement normal de l'entreprise en reconstituant ses effectifs dès lors notamment qu'ont été réquisitionnés des salariés grévistes alors que de nombreux salariés ne l'étaient plus ;
* l'absence d'organisation d'une concertation préalable et le caractère unilatéral de l'intervention de l'administration constitue une violation des conventions de l'OIT ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que la mesure de réquisition est immédiate et irréversible, qu'en outre, l'annexe 3 de l'arrêté n'a pas été diffusée ni remise aux salariés réquisitionnés, qu'ainsi, l'arrêté du 17 octobre 2022 est toujours en cours et celui du 18 octobre 2022 l'est jusqu'au 21 octobre.
Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés le 19 octobre 2022, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête ne comporte aucun développement spécifique justifiant de ce que la condition d'urgence serait remplie ;
- en application de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛, le préfet peut légalement requérir les agents en grève d'un établissement dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité et la continuité de son fonctionnement dès lors que ses mesures sont imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public au nombre desquelles figure la sécurité publique ;
- aucune disposition de droit interne, ni aucune stipulation des conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ne lui imposait d'engager une concertation préalable avec les salariés grévistes ;
- la pénurie de carburant affecte l'ordre public et notamment la circulation et la sécurité routières ; à la date de l'arrêté, la situation de pénurie était particulièrement tendue dans les stations-services et nécessitait l'action de l'Etat afin de garantir le ravitaillement en carburant de véhicules de secours, les soins à domicile ou la livraison de produits pharmaceutiques et médicaux et ce, à la veille des départs en vacances de la Toussaint ; en outre, alors que des arrêtés en matière de limitation d'emport de carburant et de priorisation de la distribution ont été pris, ils se sont révélés insuffisamment efficaces ;
- le climat économique et social est par ailleurs tendu, le tissu économique et régional est gravement menacé par ces tensions ; la perpétuation de cette pénurie menace directement la survie de nombreuses entreprises ;
- le dépôt de Feyzin est essentiel dans la desserte des besoins des départements des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne Franche-Comté et une substitution de personnels en sollicitant des personnels non-grévistes n'a pu être mise en place ; du fait du mouvement de grève nationale, les autres dépôts ne peuvent compenser à eux seuls les besoins des deux régions ;
- ces mesures sont proportionnées ; l'arrêté du 18 octobre complète celui du 17 octobre 2022 ; l'arrêté initialement contesté qui précise la durée de la réquisition, de 14 h à 20 h, a en outre été notifié accompagné de son annexe ; la circonstance que les annexes 2 et 3 qui portent sur les quarts de mercredi 19 et vendredi 21 octobre n'aient pas été notifiées, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 17 octobre qui a vocation à s'exécuter par phase, au plus près des besoins d'approvisionnement.
III. Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés les 17, 18 et 19 octobre 2022, sous le n° 2207737, la fédéchimie CGT force ouvrière, représentée par Me Borgel, demande au juge des référés, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du 17 octobre 2022 du préfet du Rhône portant réquisition des personnels chargés de l'activité d'expédition du site TotalEnergies de Feyzin ;
2 °) de suspendre l'exécution de tout arrêté de réquisition visant les salariés grévistes de la plateforme de Feyzin qui serait édicté entre la saisine du tribunal et l'ordonnance à intervenir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité pour agir ;
- la condition d'urgence est remplie dès lors que des salariés grévistes ont été réquisitionnés pour le jour même et jusqu'au 19 octobre 2022 ;
- l'arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève dès lors que :
* en méconnaissance de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛, il ne détermine pas la durée de la réquisition ; les annexes devant prévoir cette durée n'ont pas été notifiées aux salariés grévistes ;
* en méconnaissance du préambule de la Constitution de 1946, de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛 et de la jurisprudence de l'OIT, l'arrêté n'est ni nécessaire ni proportionné alors qu'il existe dans la région Auvergne Rhône-Alpes plusieurs autres dépôts pétroliers qui ne sont pas en grève et qu'il n'est pas démontré que les services publics essentiels ne pourraient être approvisionnés qu'en réquisitionnant la raffinerie de Feyzin.
Par un mémoire en défense et une pièce, enregistrés le 19 octobre 2022, le préfet du Rhône conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête ne comporte aucun développement spécifique justifiant de ce que la condition d'urgence serait remplie ;
- en application de l'article L. 2215-1, 4° du code général des collectivités territoriales🏛, le préfet peut légalement requérir les agents en grève d'un établissement dans le but d'assurer le maintien d'un effectif suffisant pour garantir la sécurité et la continuité de son fonctionnement dès lors que ses mesures sont imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public au nombre desquelles figure la sécurité publique ;
- aucune disposition de droit interne, ni aucune stipulation des conventions de l'Organisation internationale du Travail (OIT) ne lui imposait d'engager une concertation préalable avec les salariés grévistes ;
- la pénurie de carburant affecte l'ordre public et notamment la circulation et la sécurité routières ; à la date de l'arrêté, la situation de pénurie était particulièrement tendue dans les stations-services et nécessitait l'action de l'Etat afin de garantir le ravitaillement en carburant de véhicules de secours, les soins à domicile ou la livraison de produits pharmaceutiques et médicaux et ce, à la veille des départs en vacances de la Toussaint ; en outre, alors que des arrêtés en matière de limitation d'emport de carburant et de priorisation de la distribution ont été pris, ils se sont révélés insuffisamment efficaces ;
- le climat économique et social est par ailleurs tendu, le tissu économique et régional est gravement menacé par ces tensions ; la perpétuation de cette pénurie menace directement la survie de nombreuses entreprises ;
- le dépôt de Feyzin est essentiel dans la desserte des besoins des départements des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne Franche-Comté et une substitution de personnels en sollicitant des personnels non-grévistes n'a pu être mise en place ; du fait du mouvement de grève nationale, les autres dépôts ne peuvent compenser à eux seuls les besoins des deux régions ;
- ces mesures sont proportionnées ; l'arrêté du 18 octobre complète celui du 17 octobre 2022 ; l'arrêté initialement contesté qui précise la durée de la réquisition, de 14 h à 20 h, a en outre été notifié accompagné de son annexe ; la circonstance que les annexes 2 et 3 qui portent sur les quarts de mercredi 19 et vendredi 21 octobre n'aient pas été notifiées, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 17 octobre qui a vocation à s'exécuter par phase, au plus près des besoins d'approvisionnement.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, notamment son préambule ;
- la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail du 9 juillet 1948 concernant la liberté syndicale et la protection du droit syndical adoptée à San Francisco lors de la trente-et-unième session de la conférence internationale du travail, ratifiée le 28 juin 1951 ;
- la convention n° 98 de l'Organisation internationale du travail du 1er juillet 1949 concernant l'application des principes du droit d'organisation et de négociation collective adoptée à Genève lors de la trente-deuxième session de la conférence internationale du travail, ratifiée le 26 octobre 1951 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente du tribunal a désigné Mme Baux, vice-présidente, pour statuer sur les demandes de référé.
Après avoir convoqué les parties à l'audience publique.
Au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 19 octobre 2022 à 15 heures, ont été entendus :
- les rapport de Mme Baux, vice-présidente, informant les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative🏛, que le tribunal était susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions de la requête tendant à ce que soit suspendue l'exécution de tout arrêté de réquisition visant les salariés grévistes de la plateforme de Feyzin qui serait édicté entre la saisine du tribunal et l'ordonnance à intervenir ;
- les observations de Me Ilic, représentant la confédération générale du travail force ouvrière (CGT-FO) et M. C qui conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens et qui ajoute que :
* en sollicitant la suspension de tout arrêté, il entendait solliciter celle de l'arrêté du 18 octobre et des annexes à venir ;
* le renvoi des arrêtés aux annexes ne peut être considéré comme une motivation suffisante, chaque arrêté devant être motivé ;
* le préfet du Rhône ne justifie pas de l'inexistence de toute solution alternative çà la réquisition ;
- les observations de Me Bernard et de Me Marcel, représentant le syndicat CGT Totalénergies raffinerie Feyzin qui concluent aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens et qui précisent que :
* la circonstance que les arrêtés soient accompagnés d'annexes qui seules prévoient les destinataires et la durée des réquisitions empêche le tribunal d'en apprécier la proportionnalité et les parties d'exercer un recours effectif ;
* des grévistes sont réquisitionnés alors que le service comporte des salariés non-grévistes, le service est ainsi assuré à plus de 100 % ;
* le préfet du Rhône ne justifie ni d'incidents caractérisés qui permettraient de porter atteinte au droit de grève pour restaurer l'ordre public ni de ce que les mesures de réquisition seraient absolument nécessaires alors que les services essentiels ou prioritaires font état de difficultés depuis le 5 octobre ;
- les observations de Me Braun, représentant la fédération nationale des industries chimiques CGT, qui conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens et qui ajoute que :
* la mesure de réquisition ne devrait être utilisée qu'à titre subsidiaire et doit demeurer proportionnée ;
* le préfet du Rhône ne justifie ni de la réalité des incidents dont il fait état, le constat d'huissier produit n'étant pas suffisamment probant ni davantage de ce que des solutions alternatives ne pouvaient être trouvées ;
* ces arrêtés méconnaissent les recommandations de l'OIT que la Cour de Cassation appliquent ;
les observations de Me Borgel, représentant la fédéchimie CGT force ouvrière, qui conclut aux mêmes fins que la requête et par les mêmes moyens et qui précise que :
* il n'est pas justifié de ce que des dépôts proches la ville de Lyon aient été utilisés ;
* en l'absence de notification de toutes les annexes, le droit au recours effectif est méconnu ;
- le préfet du Rhône représenté par M. E, préfet délégué pour la défense et la sécurité, assisté de Mme A D, directrice, conclut au rejet de ces trois requêtes. Il persiste dans ses écritures et précise que :
* le site de Feyzin dispose des dépôts de carburants les plus nombreux et les plus importants de la région ; aucune expédition de carburant n'était plus faite avant les mesures de réquisition ;
* les réquisitions peuvent être utilisées alors que les atteintes à l'ordre public ne sont que prévisibles ;
* les mesures de réquisition sont nécessaires car si certains dépôts fonctionnent, ils approvisionnement la région Auvergne-Rhône-Alpes et la région voisine, de façon insuffisante ; elles sont proportionnées ainsi que le démontre leur progressivité notamment s'agissant du nombre de salariés réquisitionnés ;
* des mesures alternatives, notamment des arrêtés interdisant l'emport de carburant ou instituant des files prioritaires ont été prises les 14 et 15 octobre mais elles se sont avérées insuffisantes ; des stocks ont été débloqués au niveau national et l'Etat a eu recours aux " stocks stratégiques " mais cela demeure également insuffisant ;
* les arrêtés motivés sont accompagnés d'annexes qui précisent la durée de la réquisition ; ces annexes permettent que ne soient réquisitionnés, en temps utile, les seuls salariés travaillant dans les services, absolument nécessaires ;
* en manque de carburant, le service de maintenance de l'aéroport international Saint Exupéry de Lyon ne fonctionne plus.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience à 18 heures.
Une note en délibéré présentée par le préfet du Rhône a été enregistrée le 19 octobre à 19 heures 51.
1. Aux termes de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛 : " Saisi d'une
demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures
nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative
aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégal.
Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
2. Les requêtes susvisées présentées par la confédération générale du travail force ouvrière (CGT-FO), M. C, la fédération nationale des industries chimiques CGT, le syndicat CGT Totalénergies raffinerie Feyzin, et la fédéchimie CGT force ouvrière qui contestent les arrêtés des 17 et 18 octobre 2022 du préfet du Rhône, posent des questions similaires. Par suite, il y a lieu de les joindre pour statuer par une seule ordonnance
Sur la recevabilité :
3. Il n'appartient pas au juge des référés de statuer sur des conclusions tendant à la suspension de décisions inexistantes. Par suite les conclusions des requêtes tendant à ce que le juge suspende l'exécution de tout arrêté de réquisition visant les salariés grévistes de la plateforme de Feyzin qui serait édicté entre la saisine du tribunal et l'ordonnance à intervenir sont irrecevables.
Sur le surplus des conclusions des trois requêtes :
4. Aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités
territoriales : " () 4° En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le
préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de
police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou
plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute
personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire
toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions
de son maintien soient assurées. L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la
durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application. Le préfet peut
faire exécuter d'office les mesures prescrites par l'arrêté qu'il a édicté. () ".
5. Le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative🏛. Toutefois le préfet peut légalement, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales🏛, requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public. Il ne peut prendre que les mesures nécessaires, imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public.
6. En premier lieu, il résulte de l'instruction qu'une pénurie croissante de carburants a débuté le 22 septembre 2022 sur le plan national et a été massivement suivie dans de très nombreux établissements qui ont totalement cessé de fonctionner, alors que la raffinerie de Feyzin permet l'approvisionnement de 55 % des carburants vendus en région Auvergne-Rhône-Alpes, le taux d'indisponibilité de carburant dans les stations-services du département du Rhône qui augmente chaque jour, était de près de 40 % à la date du 17 octobre 2022, sur 200 stations-services, 72 étaient en rupture partielle et 13 en rupture totale. L'épuisement des stocks disponibles des quatre dépôts de carburant du département, qui couvrent l'ensemble des besoins de la région Auvergne-Rhône-Alpes ainsi que partiellement ceux de la région Bourgogne Franche-Comté, menaçait le ravitaillement des véhicules de services publics, de transports en commun, certaines compagnies ayant cessé de travailler et, des véhicules de première nécessité, le préfet du Rhône ajoutant à l'audience qu'en l'absence de carburant, le service de maintenance de l'aéroport international de Lyon Saint Exupéry n'est désormais plus en capacité d'assurer ses missions. Ainsi, alors que le préfet fait état de ce que les stocks dits " stratégiques " ont commencé à être utilisés, l'épuisement des stocks ordinaires largement constaté crée des risques pour la sécurité routière et l'ordre public et ce alors même que certains dépôts de moindre capacité continuaient d'alimenter les stations-services du département. Si par ailleurs, des mesures ont été prises pour limiter l'emport de carburant, prioriser sa distribution ou remédier ponctuellement aux heurts, ces mesures n'ont suffi ni à apaiser les tensions croissantes aux abords et au sein des stations-services ni à prévenir les risques d'accidents associés aux files d'attente et aux abandons de véhicules. Enfin, s'il est fait état de ce que certains des personnels des dépôts en cause ne seraient pas grévistes, il ne résulte pas de l'instruction que ceux-ci auraient pu faire fonctionner les services nécessaires à l'expédition et au transport de carburant, alors qu'il est constant qu'aucun carburant n'a été distribué ou livré en provenance de ces dépôts, depuis le début du mouvement de grève au sein de la raffinerie de Feyzin, ni davantage qu'il aurait été possible de recourir à des opérateurs extérieurs eu égard à la technicité des fonctions exercées. Par suite, le recours à des mesures de réquisition individuelles d'agents qualifiés présente un caractère nécessaire pour prévenir les risques d'atteinte à l'ordre public résultant d'une pénurie croissante de carburant.
7. En deuxième lieu, si les requérants soutiennent que le procédé utilisé consistant à notifier un premier puis un second arrêté, auxquels étaient jointes des annexes numérotées, trois pour l'arrêté du 17 octobre 2022 et six pour l'arrêté du 18 octobre suivant, comportant la durée de la réquisition et le nom des agents requis ferait obstacle à la possibilité pour le tribunal d'apprécier le caractère de proportionnalité de la mesure de réquisition, il est constant toutefois, d'une part, que chaque arrêté, qui comporte une motivation claire et suffisante de la mesure de réquisition, est notifié à chaque agent réquisitionné accompagné de l'une de ses annexes sur laquelle son nom et la durée de la réquisition figurent, et ce au moins huit heures avant le début de l'exercice de ses fonctions, lui permettant ainsi utilement d'exercer son droit au recours et d'autre part, que chaque mesure de réquisition prévue par un arrêté et son annexe n'est dès lors pas, en l'espèce, disproportionnée et ne porte pas une atteinte excessive au droit de grève, sans qu'en tout état de cause aient été méconnues les dispositions du code des relations entre le public et l'administration.
8. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que l'effectif de sept agents initialement réquisitionnés par l'arrêté préfectoral du 17 octobre 2022, auquel est venu s'ajouter celui de trois agents supplémentaires réquisitionnés par l'arrêté du lendemain ne portent que sur deux sous-secteurs d'activité, les services " VEMU " (Valorisation Energie Mouvement produit Utilité) et " expédition ", nécessaires à l'expédition des carburants à destination des dépôts, par camions, à l'exclusion de toute autre activité. L'effectif réquisitionné ne représente que 17 % des agents de quart en situation normale et 3% des agents normalement " postés ", les trois agents supplémentaires ayant été réquisitionnés le 18 octobre 2022 pour assurer l'expédition par rail. Par suite, le choix fait par l'autorité administrative de privilégier une réquisition ponctuelle, par l'édiction d'un premier puis d'un second arrêté comportant des annexes délivrées quotidiennement, ainsi limitée en nombre et en durée et adaptée tant à l'évolution de la pénurie de carburants qu'à celle des effectifs de salariés grévistes ou non-grévistes, n'a pas tendu à mettre en place un service normal mais à assurer, par un nombre restreint mais suffisant de salariés et une liste réduite de tâches essentielles et définies, un service minimum nécessaire à l'expédition de carburants par camions et par rail en régions Auvergne-Rhône-Alpes et Bourgogne Franche-Comté.
9. En quatrième lieu, les mesures de réquisition contestées, dont les effets sont limités, ne méconnaissent pas le droit de grève reconnu et protégé par les conventions de l'OIT n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical du 9 juillet 1948, n° 98 sur le droit d'organisation et de négociation collective du 1er juillet 1949 et n° 135 concernant les représentants des travailleurs du 23 juin 1971. Par ailleurs, aucune disposition de droit interne, aucun principe général du droit ni encore aucune stipulation d'une convention internationale ne faisait obligation au préfet du Rhône d'engager une concertation préalable avec les salariés grévistes.
10. Il résulte de ce qui précède qu'en mettant en place un service visant à assurer, par un nombre restreint, suffisant et adapté de salariés, la seule expédition de carburants, le préfet du Rhône n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève. Par suite, la requête n° 2207732 présentée par la confédération générale du travail force ouvrière (CGT-FO) et M. C, la requête n° 2207733 présentée par la fédération nationale des industries chimiques CGT et le syndicat CGT Totalénergies raffinerie Feyzin, et la requête n° 2207737 présentée par la fédéchimie CGT force ouvrière doivent être rejetées. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter leurs conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Article 1er : Les requêtes n° 2207732, 2207733 et 2207737 sont rejetées.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la confédération générale du travail force ouvrière (CGT-FO), à M. C, à la fédération nationale des industries chimiques CGT, au syndicat CGT Totalénergies raffinerie Feyzin, à la fédéchimie CGT force ouvrière et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Rhône.
Fait à Lyon, le 20 octobre 2022.
La juge des référés,
A. Baux
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des Outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Un greffier
2, 2207733, 2207737
Article, L521-2, CJA Article, R611-7, CJA Arrêté, 18-10-2022 Arrêté, 17-10-2022 Convention, 98, 01-07-1949, organisation internationale du travail Nécessités de l'ordre public Concertation préalable Livraisons de produits Produit pharmaceutique Mouvement de grève Fédérations Mesures nécessaires à la sauvegarde Fonctionnement de l'entreprise Intervention de l'administration Libertés syndicales Exercice d'un recours effectif Services assurés Huissier Recours effectif Ordre public Sauvegarde de la liberté Droit de grève Caractère d'une liberté fondamentale Maintien d'une activité Couverture de l'ensemble Transports en commun Risque pour la sécurité Risque à l'ordre public Effectif de salariés Service minimum Effets limités