CE 5/6 ch.-r., 28-09-2022, n° 452212
A26058L3
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:452212.20220928
Référence
► Les " personnalités politiques " devant voir leur temps d'antenne décompté sont celles appartenant ou ayant récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d'autre part, qu'elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national.
Par une requête, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 3 mai, 7 mai et 3 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la société Groupe Canal Plus, la société d'édition Canal Plus, la société C8 et la société d'exploitation d'un service d'information demandent au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions des 3 et 10 mars 2021 par lesquelles le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) a demandé aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter intégralement les temps d'intervention dans les médias audiovisuels de Mme A B et de MM. Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls ;
2°) de mettre à la charge du CSA la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, notamment son Préambule ;
- la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986🏛 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Joachim Bendavid, auditeur,
- les conclusions de M. Florian Roussel, rapporteur public.
1. Par une délibération du 3 mars 2021, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), devenu au 1er janvier 2022 l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, a demandé aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de " décompter intégralement les temps d'intervention dans les médias audiovisuels " de Mme A B et de MM. Nicolas Hulot, Laurent Joffrin, Arnaud Montebourg et Manuel Valls. La société Groupe Canal Plus, la société d'édition Canal Plus, la société C8 et la société d'exploitation d'un service d'information demandent l'annulation pour excès de pouvoir de cette délibération ainsi que du courrier électronique du 10 mars 2021 par lequel le CSA a procédé à sa notification aux éditeurs de services de communication audiovisuelle.
Sur le cadre juridique :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 30 septembre 1986🏛 relative à la liberté de communication : " La communication au public par voie électronique est libre. / L'exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise () par le respect () du caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion () ". L'article 3-1 de la même loi dispose, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité publique indépendante, garantit l'exercice de la liberté de communication audiovisuelle par tout procédé de communication électronique, dans les conditions définies par la présente loi. / () Le conseil peut adresser aux éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle des recommandations relatives au respect des principes énoncés dans la présente loi. () ". Aux termes de l'article 13 de la même loi, dans sa rédaction applicable : " Le Conseil supérieur de l'audiovisuel assure le respect de l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion dans les programmes des services de radio et de télévision, en particulier pour les émissions d'information politique et générale. / Les services de radio et de télévision transmettent les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes au Conseil supérieur de l'audiovisuel selon les conditions de périodicité et de format que le conseil détermine. Le Conseil supérieur de l'audiovisuel communique chaque mois aux présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat et aux responsables des différents partis politiques représentés au Parlement le relevé des temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes. Ce relevé est également publié dans un format ouvert, aisément réutilisable et exploitable par un système de traitement automatisé ". Par ces dispositions, le législateur a confié à l'autorité de régulation la mission d'assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notamment politiques. Cette autorité est tenue d'exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision selon des modalités qu'il lui incombe, en l'état de la législation, de déterminer. Elle dispose, à cette fin, d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les règles propres à assurer une présentation équilibrée de l'ensemble du débat politique national.
3. Par une délibération du 22 novembre 2017, le CSA a énoncé les critères au regard desquels, sans préjudice des règles qu'il fixe pour les campagnes électorales et pour le traitement de l'actualité qui leur est liée en vertu de l'article 16 de la loi du 30 septembre 1986🏛, et sous réserve de l'examen particulier de chaque situation, il entend apprécier le respect, par les services de radio et de télévision, de leurs obligations en matière de pluralisme politique et, s'il en constate la méconnaissance, adresser à ces services une mise en demeure puis, le cas échéant, prononcer à leur encontre des sanctions dans les conditions prévues aux articles 42, 42-1, 48-1 et 48-2 de la loi du 30 septembre 1986🏛🏛🏛🏛. Cette délibération prévoit que, pour les interventions autres que celles du Président de la République relevant du débat politique national, de ses collaborateurs et des membres du Gouvernement, dont le temps d'intervention cumulé doit correspondre au tiers du temps total d'intervention, les éditeurs de services de communication audiovisuelle " veillent à assurer aux partis et groupements politiques qui expriment les grandes orientations de la vie politique nationale un temps d'intervention équitable au regard des éléments de leur représentativité, notamment les résultats des consultations électorales, le nombre et les catégories d'élus qui s'y rattachent, l'importance des groupes au Parlement et les indications de sondages d'opinion, et de leur contribution à l'animation du débat politique national ".
Sur les fins de non-recevoir opposées par le CSA :
4. La délibération du 3 mars 2021 par laquelle l'autorité de régulation a demandé aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter les temps d'intervention de Mme B et de MM. Hulot, Joffrin, Montebourg et Valls et de lui en transmettre les données, au regard desquelles, notamment, il apprécie le respect du pluralisme politique par les médias audiovisuels, constitue une décision administrative faisant grief susceptible de recours pour excès de pouvoir, contrairement au courrier électronique du 10 mars 2021 par lequel l'autorité de régulation a assuré sa notification à ces éditeurs de services. Par suite, le CSA est seulement fondé à demander que les conclusions des requérantes tendant à l'annulation du courrier électronique du 10 mars 2021 soient rejetées comme irrecevables.
Sur la légalité externe de la délibération du 3 mars 2021 :
5. En premier lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Toute décision prise par une administration comporte la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci ". S'agissant d'une autorité de caractère collégial, il est satisfait aux exigences découlant de ces prescriptions dès lors que les décisions que prend le CSA portent la signature de son président, accompagnée des mentions, en caractères lisibles, prévues par cet article. Il ressort des pièces du dossier que la décision attaquée du 3 mars 2021 répond à ces exigences. Par suite, le moyen tiré de leur méconnaissance doit être écarté.
6. En second lieu, en vertu du premier alinéa de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration🏛, les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. La délibération attaquée n'ayant pas le caractère d'une décision administrative individuelle défavorable, elle n'entre pas dans les catégories de décisions que ces dispositions imposent de motiver, ni d'ailleurs dans celles pour lesquelles la loi du 30 septembre 1986🏛 ou tout autre texte ou principe prévoit une telle obligation. Par suite, les requérantes ne sauraient utilement soutenir qu'elle est entachée d'insuffisance de motivation.
Sur la légalité interne de la délibération du 3 mars 2021 :
7. En premier lieu, l'obligation pour les éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter et de transmettre au CSA, pour l'appréciation du respect du pluralisme politique, les données relatives aux temps d'intervention des personnalités politiques dans les journaux et les bulletins d'information, les magazines et les autres émissions des programmes des services de radio et de télévision résulte des dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986🏛 rappelées au point 2. Les requérantes ne sauraient, par suite, utilement soutenir que la délibération du 3 mars 2021 porterait atteinte à la liberté d'expression des personnes en cause et à la liberté éditoriale des services de télévision et de radio en ce qu'elle prévoit, s'agissant de certaines personnalités politiques, une telle obligation.
8. En deuxième lieu, en retenant, par la délibération attaquée, que doivent être décomptés les temps d'intervention des cinq personnes qu'elle désigne, le CSA ne s'est pas fondé, contrairement à ce qui est soutenu, sur la délibération du 22 novembre 2017 citée au point 2, mais sur les dispositions du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986🏛. En estimant que ces personnalités devaient être regardées comme des personnalités politiques au sens et pour l'application de ces dispositions, alors même qu'elles n'étaient, à la date de sa décision, ni élues ni candidates à aucune élection et n'étaient pas ou n'étaient plus adhérentes à un parti ou à un groupement politique, l'autorité de régulation n'a pas entaché sa délibération d'une méconnaissance de la loi.
9. En troisième lieu, la délibération attaquée fixe la liste nominative des personnalités politiques dont le CSA demande aux éditeurs de services de communication audiovisuelle de décompter et de transmettre les données relatives aux temps d'intervention. Dès lors, et contrairement à ce qui est soutenu, elle ne comporte aucune incertitude ou imprécision quant à son champ d'application. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle méconnaîtrait le principe de sécurité juridique doit être écarté.
10. En quatrième et dernier lieu, en se fondant, pour estimer que Mme B et MM. Valls, Montebourg, Hulot et Joffrin devaient être regardés comme des personnalités politiques au sens et pour l'application du second alinéa de l'article 13 de la loi du 30 septembre 1986🏛 et que les éditeurs de services de communication audiovisuelle devaient, en conséquence, décompter et transmettre au CSA les données relatives à leurs temps d'intervention, sur la circonstance, d'une part, que ces personnalités appartenaient ou avaient récemment appartenu à des partis, groupements ou mouvements politiques et avaient récemment exercé des fonctions politiques ou aspiraient à exercer de telles fonctions et, d'autre part, qu'elles participaient activement, à la date de la décision attaquée, au débat politique national, l'autorité de régulation n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante la somme que demandent, à ce titre, la société Groupe Canal Plus et autres.
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Article 1er : La requête de la société Groupe Canal Plus et autres est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la société Groupe Canal Plus, première dénommée, pour l'ensemble des requérantes, et à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique.
Copie en sera adressée pour information à la ministre de la culture.
Délibéré à l'issue de la séance du 14 septembre 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; Mme Isabelle de Silva, présidente de chambre ; M. Jean-Philippe Mochon, président de chambre ; Mme Suzanne von Coester, Mme Fabienne Lambolez, M. Olivier Yeznikian, M. Cyril Roger-Lacan, M. Laurent Cabrera, conseillers d'Etat et M. Joachim Bendavid, auditeur-rapporteur.
Rendu le 28 septembre 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Joachim Bendavid
Le secrétaire :
Signé : M. Bernard Longieras
Loi, 86-1067, 30-09-1986 Société d'édition Service de l'information Autorité publique Communications électroniques Service de radio Transmission de données Autorité de régulation Objectif de valeur constitutionnelle Campagne électorale Mise en demeure Vie politique Consultations électorales Courrier électronique Personne physique Insuffisance de motivation Liberté d'expression Services de télévision Intervention des personnes Méconnaissance du principe de sécurité juridique Erreur d'appréciation