TA Rouen, du 12-09-2022, n° 2203654
A99368HH
Référence
Par une requête enregistrée le 10 septembre 2022, MM. Philippe C, Anthony Gremont, Jérôme Fleuriot, Xavier Garlan, Teddy Reboursier, Mickael Cote, François Besnier, Pierrick Lebourgeois, Eric Lavice et Florian Marechal, représentés par Me Savine Bernard, demande, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-2 du code de justice administrative :
- d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté n°2022-09-10 du 10 septembre 2022 portant réquisition de personnels grévistes au sein de la plateforme Normandie Total Energies ou toutes mesures de nature à suspendre immédiatement les effets de cet arrêté ;
-de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Les requérants soutiennent que :
-la condition d'urgence est remplie dès lors que l'arrêté produit donc ses effets jusqu'au mardi 13 septembre à 6 heures, il porte une atteinte grave et immédiate au droit de grève des requérants alors qu'il s'agit d'une liberté fondamentale ;
-le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens des dispositions de l'article L521-2 du Code de justice administrative ;
-il est porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit de grève dès lors qu'en application de l'article L.2215-1 4° du code général des collectivités territoriales le Préfet ne peut réquisitionner du personnel d'entreprises privées qu'en même temps qu'il réquisitionne l'entreprise elle- même ou le service, qu'il ne peut le faire que dans le cadre de circonstances exceptionnelles pour rétablir l'ordre public et non comme en l'espèce pour permettre le fonctionnement normal d'une entreprise et que la solution alternative de fermeture des unités n'a pas été envisagée.
Vu :
- la décision par laquelle le président du tribunal a désigné Mme A comme juge des référés ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné Mme Boyer, présidente de la 4ème chambre, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendues au cours de l'audience publique qui s'est tenue le 12 septembre 2022 à 10h00 en présence de Mme Manon Savornin, greffière d'audience :
- le rapport de Mme A ;
- Me Marcel qui substitue Me Bernard, pour les requérants, reprend les faits, moyens et conclusions exposés dans la requête, en précisant en outre qu'aucune circonstance exceptionnelle permettant la mise en œuvre de l'article L.2215-1-4° du code général des collectivités territoriales n'est établie, que la mesure qui a pour effet de mettre en place un fonctionnement normal du service de secours de l'unité de pétrochimie qui compte 35 personnes dont 34 sont grévistes, n'est pas conforme à l'objectif poursuivi par la mise en œuvre du pouvoir de réquisition du préfet qui doit poursuivre un objectif d'ordre public et apparaît comme étant disproportionnée dès lors qu'elle permet un fonctionnement normal du service en réquisitionnant 22 salariés sur trois jours, que la préfecture n'a pas recherché de solution alternative qui pourtant existe dès lors que la mise à l'arrêt et la mise en sécurité du site est possible, de même que l'intervention du service de secours de l'unité de raffinage, que la mesure a pour effet d'interdire au personnel du service de secours d'exercer son droit de grève.
-M. Bouet pour le préfet de la Seine-Maritime conclut au rejet de la requête et fait valoir que la réquisition de 5 pompiers par quart est nécessaire pour assurer la surveillance et la sécurité du site et correspond au nombre minimal de personnes nécessaires pour gérer les alertes de détection gaz ou feu et la mise en œuvre des premiers moyens en cas d'incendie, les pompiers disposent d'une formation et d'habilitations spécifiques pour gérer les alertes et intervenir ainsi que le souligne l'avis de la Dréal du 10 septembre 2022, que la disproportion de la mesure n'est pas établie ;
-M. Lagneaux de la DREAL pour le préfet de la Seine-Maritime ajoute que l'arrêt de l'usine prends du temps et suppose des phases délicates à mettre en œuvre et que le stockage inévitable de produits chimiques et de gaz nécessite de toute façon que la sécurité des installations soient assurées, il ne constitue pas une solution alternative ; si d'autres salariés interviennent au soutien du poste central incendie (PCI), ce dernier est seul compétent pour déclencher des opérations de secours ;
-M. Mabire, médiateur de la sécurité civile, pour le préfet de la Seine-Maritime, a également été entendu, il indique que l'avis de l'inspection du travail a été verbalisé avant l'édiction de la décision contestée.
1. MM. Philippe C, Anthony Gremont, Jérôme Fleuriot, Xavier Garlan, Teddy Reboursier, Mickael Cote, François Besnier, Pierrick Lebourgeois, Eric Lavice et Florian Marechal demandent au juge des référés statuant sur le fondement de l'article L.521-2 du code de justice administrative d'ordonner la suspension de l'exécution de l'arrêté du 10 septembre 2022 portant réquisition de personnels grévistes au sein de la plateforme Normandie Total Energies ou toutes mesures de nature à suspendre immédiatement les effets de cet arrêté.
Sur le bien-fondé de la requête :
2. En vertu de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : " Saisi d'une demande en ce sens justifiée par l'urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale à laquelle une autorité administrative aurait porté, dans l'exercice d'un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. ".
3. Il résulte des termes de l'arrêté du 10 septembre 2022 portant réquisition de personnels grévistes du poste central incendie de l'activité de pétrochimie au sein de la plateforme Normandie Total Energies que cet arrêté a pour effet de faire obstacle à l'exercice du droit de grève en contraignant les intéressés à reprendre immédiatement leur activité professionnelle en désignant les agents réquisitionnés pour les journées des 10, 11 et 12 septembre 2022 en distinguant les trois périodes matin, après-midi et nuit.
4. Aux termes de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales : " () 4° En cas d'urgence, lorsque l'atteinte constatée ou prévisible au bon ordre, à la salubrité, à la tranquillité et à la sécurité publiques l'exige et que les moyens dont dispose le préfet ne permettent plus de poursuivre les objectifs pour lesquels il détient des pouvoirs de police, celui-ci peut, par arrêté motivé, pour toutes les communes du département ou plusieurs ou une seule d'entre elles, réquisitionner tout bien ou service, requérir toute personne nécessaire au fonctionnement de ce service ou à l'usage de ce bien et prescrire toute mesure utile jusqu'à ce que l'atteinte à l'ordre public ait pris fin ou que les conditions de son maintien soient assurées. / L'arrêté motivé fixe la nature des prestations requises, la durée de la mesure de réquisition ainsi que les modalités de son application () ".
5. Le droit de grève présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative. Toutefois le préfet peut légalement, sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales, requérir les salariés en grève d'une entreprise privée dont l'activité présente une importance particulière pour le maintien de l'activité économique, la satisfaction des besoins essentiels de la population ou le fonctionnement des services publics, lorsque les perturbations résultant de la grève créent une menace pour l'ordre public et la sécurité sanitaire ; il ne peut toutefois prendre que les mesures nécessaires, imposées par l'urgence et proportionnées aux nécessités de l'ordre public.
6. En l'espèce, l'arrêté litigieux a été pris à la demande du directeur de la plateforme Normandie Total Energie du 9 septembre 2022 à la suite du mouvement de grève du personnel chargé de la sécurité du site classé Seveso seuil haut. Si les requérants soutiennent que la mesure est disproportionnée dès lors qu'elle aboutit à rétablir un service normal de cinq personnes par quart, il résulte des pièces produites, des écritures et des débats que le mouvement de grève est la conséquence de revendications non satisfaites présentées en juin 2022 exclusivement par les salariés du poste central incendie de l'unité de pétrochimie, que malgré le soutien de salariés de l'unité de production, l'unité de production de pétrochimie est en fonctionnement. Dans ces conditions l'effectif de 5 personnes par quart quand bien même serait-il l'effectif ordinairement présent sur site n'est manifestement pas excessif dès lors qu'il ressort notamment de l'avis de la Dréal Normandie qu'un tel effectif est l'effectif minimum requis pour assurer la sécurité du site, de ses installations, de son personnel et ainsi que le fait valoir la préfecture à l'audience la protection des personnes et des biens dans un rayon de plus d'un kilomètre aux alentours. Si les requérants soutiennent également qu'une solution alternative aurait pu être mise en œuvre comme notamment l'arrêt de l'unité de production, le préfet de la Seine-Maritime fait au demeurant valoir sans être utilement contesté sur ce point que l'arrêt de l'unité de pétrochimie nécessite le maintien des moyens humains et matériels nécessaires à la sécurité du site en raison des stocks de matières dangereuses et des gaz qui y seraient forcément conservés. De même, le transfert même partiel des salariés du poste central d'incendie de l'unité de raffinage ainsi que cela a été évoqué par les requérants lors des débats, à le supposer réalisable, ne ferait qu'étendre l'insuffisance des moyens de secours sur les deux sites. Ainsi, en réquisitionnant les effectifs nécessaires au maintien du poste central d'incendie de l'unité de pétrochimie, pour une durée au demeurant limitée à trois jours, le préfet de la Seine-Maritime, qui n'a pas entendu imposer au personnel un service normal mais a poursuivi l'objectif du maintien de la sécurité d'un site classé Seveso niveau haut, n'a pas porté une atteinte grave et manifestement illégale à la liberté fondamentale que constitue le droit de grève.
7. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la condition d'urgence, que la requête de M. C et autres doit être rejetée. Il en va de même par voie de conséquence des conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 1er : La requête de M. C et autres est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. C, à Me Bernard et au préfet de la Seine-Maritime.
Fait à Rouen, le 12 septembre 2022.
La juge des référés,
Signé :
C. A
La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Maritime en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°2203654
Article, L521-2, CJA Avis, 10-09-2022 Arrêté, 10-09-2022 Atteinte grave et immédiate Caractère d'une liberté fondamentale Entreprise privée Fonctionnement de l'entreprise Circonstance exceptionnelle Fonctionnement normal du service Pouvoirs du préfet Droit de grève Stockage de produits Produit chimique Sécurité civile Mesures nécessaires à la sauvegarde d'une liberté fondamentale Prescription de toute mesure utile Ordre public Maintien d'une activité Nécessités de l'ordre public Mouvement de grève Site classé Moyens matériels Moyens de secours Atteinte grave à une liberté fondamentale