CIV. 3
VB
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 7 septembre 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 602 F-D
Pourvoi n° C 21-17.750
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 7 SEPTEMBRE 2022
La société du [Adresse 5], société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 5], a formé le pourvoi n° C 21-17.750 contre l'arrêt rendu le 17 mars 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (4e chambre civile), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [Ab], domicilié [… …],
2°/ à la société Laurent Mayon, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4], prise en qualité de mandataire liquidateur de Mme [O] [M],
3°/ à M. [I] [A], domicilié [… …],
4°/ à la société PCMT, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 5],
5°/ à M. [L] [X], domicilié [… …],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Aldigé, conseiller référendaire, les observations de la SAS Boulloche, Colin, Ac et Associès, avocat de la société du [Adresse 5], de la SARL Boré, Ad de Bruneton et Mégret, avocat de M. [X], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de M. [Ab] et de la société Laurent Mayon ès qualités, de la SCP Spinosi, avocat de M. [A] et de la société PCMT, après débats en l'audience publique du 14 juin 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Aldigé, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 17 mars 2021), le 29 mars 2016, Mme [M] et M. [Ab], locataires de locaux commerciaux appartenant à la société civile immobilière du [Adresse 5] (la bailleresse), ont cédé leur fonds de commerce à la société PCMT par acte sous signature privée contresigné par M. [X] en sa qualité d'avocat de toutes les parties.
2. Le bail commercial contenait une clause stipulant que : « Toute cession ou sous-location devra être réalisée par acte authentique auquel le bailleur sera appelé et dont une grosse sera délivrée sans frais ».
3. Le 20 mai 2016, la bailleresse a délivré à Mme [M] et M. [Ab] un commandement de payer visant la clause résolutoire inscrite au bail et leur a notifié un congé avec refus de renouvellement, puis les a assignés, ainsi que la société PCMT, en constatation de l'acquisition de la clause résolutoire et en inopposabilité de l'acte de cession.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
4. La bailleresse fait grief à l'arrêt de lui déclarer opposable la cession du fonds de commerce au profit de la société PCMT et de déclarer, en conséquence, de nul effet le congé délivré le 20 mai 2016 à Mme [M] et M. [Ab], alors « que par lettre du 24 mars 2016, la SCI du [Adresse 5], bailleur, a indiqué à Me [X], conseil des consorts [M] et [Ab], cédants, que les modalités du bail initial devraient être rappelées aux parties à l'acte de cession et être respectées en leur intégralité ; que tout en précisant que le bail contenait une clause prévoyant que toute cession ou sous-location devrait être réalisée par acte authentique auquel le bailleur serait appelé et dont une grosse lui serait délivrée sans frais, la cour d'appel a considéré que par ladite lettre du 24 mars 2016, le bailleur avait manifesté son accord pour la forme retenue, à savoir un acte sous seing privé contresigné par avocat « puisqu'il lui demandait de rappeler aux parties les modalités du bail initial. Ces modalités ne pouvaient concerner la forme retenue pour la cession mais bien les modalités d'exécution du bail, la mention étant sinon dépourvue de sens » ; qu'en estimant ainsi que par la lettre du 24 mars 2016, la SCI du [Adresse 5] avait renoncé à la forme authentique prévue dans le contrat de bail pour tout acte de cession, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel les juges ne doivent pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis.
Réponse de la Cour
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer l'écrit qui lui est soumis :
5. Pour déclarer l'acte de cession opposable à la bailleresse, l'arrêt retient qu'en demandant à l'avocat rédacteur de cet acte de rappeler aux parties les modalités du bail initial, la bailleresse a implicitement mais nécessairement renoncé à la formalité de l'acte authentique, et en déduit que le courrier du 24 mars 2016 constitue un acte positif et non équivoque par lequel elle a accepté la cession par acte sous seing privé.
6. En statuant ainsi, alors qu'il ne résultait de ce courrier aucune renonciation claire et expresse de la bailleresse à se prévaloir de la clause du bail imposant la forme authentique pour toute cession, la cour d'appel, qui en a dénaturé les termes clairs et précis, a violé le principe susvisé.
Mise hors de cause
7. En application de l'
article 625 du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de mettre hors de cause M. [Ab] et la société Laurent Mayon, en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [M], dont la présence est nécessaire devant la cour d'appel de renvoi.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux, autrement composée ;
Dit n'y avoir lieu de mettre hors de cause M. [Ab] et la société Laurent Mayon, en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [M] ;
Condamne la société Laurent Mayon, en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [M], M. [Ab], la société PCMT, M. [A] et M. [X] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes formées par la société Laurent Mayon, en sa qualité de mandataire liquidateur de Mme [M], M. [Ab], la société PCMT, M. [A] et M. [X] et les condamne à payer à la société du [Adresse 5] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept septembre deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SAS Boulloche, Colin, Ac et Associès, avocat aux Conseils, pour la société du [Adresse 5]
La SCI du [Adresse 5] fait grief à l'arrêt attaqué de lui avoir déclaré la cession du fonds de commerce au profit de la société PCMT opposable et d'avoir en conséquence déclaré de nul effet le congé délivré le 25 mai 2016 aux consorts [M]-[Ab] ;
1°) Alors que par lettre du 24 mars 2016, la SCI du [Adresse 5], bailleur, a indiqué à Me [X], conseil des consorts [M] et [Ab], cédants, que les modalités du bail initial devraient être rappelées aux parties à l'acte de cession et être respectées en leur intégralité ; que tout en précisant que le bail contenait une clause prévoyant que toute cession ou sous-location devrait être réalisée par acte authentique auquel le bailleur serait appelé et dont une grosse lui serait délivrée sans frais, la cour d'appel a considéré que par ladite lettre du 24 mars 2016, le bailleur avait manifesté son accord pour la forme retenue, à savoir un acte sous seing privé contresigné par avocat « puisqu'il lui demandait de rappeler aux parties les modalités du bail initial. Ces modalités ne pouvaient concerner la forme retenue pour la cession mais bien les modalités d'exécution du bail, la mention étant sinon dépourvue de sens » ; qu'en estimant ainsi que par la lettre du 24 mars 2016, la SCI du [Adresse 5] avait renoncé à la forme authentique prévue dans le contrat de bail pour tout acte de cession, la cour d'appel a méconnu le principe selon lequel les juges ne doivent pas dénaturer les écrits qui leur sont soumis ;
2°) Alors que la renonciation à un droit ne résulte que d'actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ; que dans ses conclusions d'appel (p. 13 & 14), la SCI du [Adresse 5] a fait valoir que l'acte rédigé le 29 mars 2016 par Me [X] portant cession de fonds de commerce comportait la mention suivante « en conséquence cédant et cessionnaire déclarent chacun faire leur affaire personnelle (
) de la cession du fonds de commerce par acte contresigné par avocat » et précisait que Me [X] avait « informé et éclairé cédant et cessionnaire des conséquences de la demande de renouvellement du bail commercial (
) quant à la forme de la cession » ; qu'il en résultait que selon le rédacteur de l'acte, le bailleur n'avait pas renoncé précédemment à la forme authentique ; qu'en considérant que par la lettre du 24 mars 2016, la SCI avait manifesté son accord sous la forme retenue d'un acte sous seing privé contresigné par avocat, sans répondre à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛.