Jurisprudence : CAA Marseille, 3e, 23-06-2022, n° 19MA04862


Références

Cour administrative d'appel de Marseille

N° 19MA04862

3ème chambre
lecture du 23 juin 2022
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société à responsabilité limitée (SARL) F a demandé au tribunal administratif de Montpellier de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2012 et 2013 et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014.

Par un jugement n° 1801472 du 23 septembre 2019, le tribunal administratif de Montpellier a, par son article 1er, réduit les bases de l'impôt sur les sociétés assignées à la SARL F au titre des exercices clos en 2012 et 2013 des honoraires de gestion versés aux sociétés Get A, par son article 2, l'a déchargée des droits et pénalités correspondant à cette réduction des bases d'imposition, par son article 3, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et par son article 4, a rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés le 12 novembre 2019 et le 20 février 2020, le ministre de l'action et des comptes publics demande à la Cour :

1°) d'annuler les articles 1er et 2 de ce jugement du 23 septembre 2019 du tribunal administratif de Montpellier en tant que le tribunal a fait droit à la demande de décharge de la SARL F s'agissant de la réduction de la base de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2013 des honoraires de gestion versés à la société A à proportion de la rémunération versée à M. Bdans cette société ;

2°) de remettre à la charge de la SARL F les impositions dont elle a été déchargée par le tribunal administratif, au titre de l'exercice 2013, à hauteur, en droits et pénalités, respectivement de 20 964 euros et 1 284 euros.

Il soutient que :

- les conclusions d'appel incident présentées par la SARL F sont irrecevables ;

- les premiers juges ont commis une erreur dans l'appréciation des faits et ont dénaturé les faits en prononçant la réduction de la base de l'impôt sur les sociétés de la SARL F au titre de l'exercice clos en 2013 à hauteur de l'intégralité des honoraires de gestion versés à la société A en omettant la décision d'abandon partiel des rectifications à la suite de la décision du recours hiérarchique du 10 mai 2016 ;

- le versement des honoraires de gestion à la société A constitue un appauvrissement de la SARL F et partant, un acte anormal de gestion, dès lors que les fonctions confiées à la société A par la convention signée le 1er juin 2013 entre les deux sociétés font double emploi avec les fonctions normalement dévolues au gérant de la société bénéficiaire des prestations.

Par un mémoire en défense, enregistré le 20 janvier 2020, la SARL F, représentée par Me Alle et Me Bichard, demande à la Cour :

1°) de rejeter le recours du ministre et confirmer le jugement en tant qu'elle a obtenu satisfaction ;

2°) d'" annuler la procédure de rectification " et de lui accorder " la décharge des rectifications contestées " ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, elle est fondée à obtenir la déduction du résultat fiscal des charges afférentes aux contrats de prestations de services conclus avec les sociétés G et A ainsi que la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée déductible afférente à ces prestations ;

- les moyens du recours ne sont pas fondés.

Une ordonnance de clôture immédiate de l'instruction a été émise le 5 juin 2020.

Par courrier du 2 mai 2022, des pièces complémentaires ont été demandées à la SARL F pour compléter l'instruction, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative, laquelle n'a pas répondu.

Le 19 mai 2022, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement du tribunal administratif de Montpellier en tant qu'il a omis de prononcer le non-lieu partiel à statuer résultant du dégrèvement intervenu le 7 septembre 2018, à concurrence de la somme de 920 euros.

Le 19 mai 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance a produit un mémoire, en réponse à ce moyen d'ordre public, qui a été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la Cour a désigné Mme Bernabeu, présidente assesseure, pour présider la formation de jugement, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus, au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme D,

- et les conclusions de Mme Courbon, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SARL F, qui a pour activité la cession temporaire de droits de représentation publique d'œuvres audiovisuelles à partir de supports destinés à une diffusion non commerciale, a fait l'objet d'une vérification de sa comptabilité à l'issue de laquelle elle a été assujettie à des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, respectivement, au titre de ses exercices clos en 2012 et 2013 et de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Elle a saisi le tribunal administratif de Montpellier d'une demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires ainsi mises à sa charge. Par un jugement du 23 septembre 2019, le tribunal administratif a réduit les bases de l'impôt sur les sociétés assignées à la SARL F au titre des exercices clos en 2012 et 2013 des honoraires de gestion versés aux sociétés G et A et l'a déchargée des droits et pénalités correspondant à cette réduction. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance relève appel de ce jugement en tant qu'il a fait droit à la demande de décharge de la SARL F s'agissant de la réduction de la base de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2013 des honoraires de gestion versés à la société A à proportion de la rémunération versée à M. B dans cette société. La SARL F doit être regardée comme demandant à la Cour, par la voie de l'appel incident, de prononcer la décharge des rappels de taxe sur la valeur ajoutée afférente à ces honoraires de gestion.

Sur la recevabilité de l'appel incident :

2. Un appel incident est recevable, sans condition de délai, s'il ne soumet pas au juge un litige distinct de celui soulevé par l'appel principal, portant notamment sur des impositions ou des années d'imposition différentes. En l'espèce, l'appel principal du ministre ne concerne que la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle a été assujettie la SARL F au titre de l'exercice clos 2013. Par suite, l'appel incident que cette dernière a formé relatif aux rappels de taxe sur la valeur ajoutée, présenté après l'expiration du délai d'appel, soulève un litige distinct de celui de l'appel principal et est, ainsi que le fait valoir le ministre, irrecevable.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. D'une part, hormis le cas où le juge de première instance a méconnu les règles de compétence, de forme ou de procédure qui s'imposaient à lui et a ainsi entaché son jugement d'une irrégularité, il appartient au juge d'appel non d'apprécier le bien-fondé des motifs par lesquels le juge de première instance s'est prononcé sur les moyens qui lui étaient soumis mais de se prononcer directement sur les moyens dont il est saisi dans le cadre de l'effet dévolutif de l'appel. Le ministre ne peut donc utilement se prévaloir, pour demander l'annulation du jugement attaqué, de la dénaturation des faits et de l'erreur d'appréciation des faits que les premiers juges auraient commises.

4. D'autre part, il résulte de l'instruction que, par une décision du 7 septembre 2018, l'administration fiscale a accordé à la SARL F un dégrèvement à hauteur de la somme de 920 euros au titre des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés pour la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2014. Dans ces conditions, la demande présentée par la SARL F était devenue sans objet à hauteur de cette somme. Alors qu'il a mentionné ce dégrèvement dans les motifs du jugement, le tribunal a omis de prononcer un non-lieu à statuer à concurrence de l'imposition dégrevée dans son dispositif. Il y a lieu d'annuler sur ce point le jugement attaqué, d'évoquer les conclusions de la demande devenues sans objet au cours de la procédure de première instance et de décider qu'il n'y a pas lieu d'y statuer.

Sur le bien-fondé du jugement :

5. Aux termes du 1 de l'article 39 du code général des impôts dont les dispositions sont applicables à l'impôt sur les sociétés en vertu du I de l'article 209 de ce même code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature (). / Toutefois les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu. Cette disposition s'applique à toutes les rémunérations directes ou indirectes, y compris les indemnités, allocations, avantages en nature et remboursements de frais. ". En vertu de ces dispositions combinées, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal. Toutefois, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que l'entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.

6. Il résulte de l'instruction que le 1er juin 2013, la SARL F a conclu avec la société A une convention pour la réalisation de ses tâches administratives et financières, le développement de son suivi managérial, de sa politique administrative, l'amélioration de ses méthodes de travail, la mise à jour de ses outils de gestion, la gestion des évolutions légales et administratives, le contrôle de sa gestion comptable et financière, ainsi que la détermination de sa stratégie opérationnelle et de développement. Au titre de l'exercice clos en 2013, la SARL F a comptabilisé, au compte 622005 sous l'intitulé " Honoraires A ", des charges correspondant à la rémunération des prestations de la société A et déduit la taxe sur la valeur ajoutée correspondante. Ces prestations ont été effectuées par M. B, co-gérant de la société A et qui exerce les fonctions de gérant, non rémunérées, de la SARL F. L'administration fiscale a estimé que ladite convention était frappée de nullité en application de l'article 1131 du code civil dès lors que les missions confiées à la société A relevaient des fonctions mêmes du gérant avec lesquelles elles faisaient double emploi et a ainsi considéré que les charges correspondantes, qui résultaient d'un acte anormal de gestion, ne pouvaient être admises en déduction. Il résulte de l'instruction que les prestations réalisées par la société A relèvent non de fonctions techniques spécifiques, mais des fonctions inhérentes à celles d'un gérant de société à responsabilité limitée qui incluent la gestion des ressources humaines, des moyens matériels et financiers, l'élaboration, le suivi et l'évaluation des décisions et orientations administratives et commerciales et des ressources humaines. Il résulte, en effet, de l'article 13 des statuts de la SARL F, librement accessibles sur internet, que le gérant dispose des pouvoirs les plus étendus pour représenter la société, contracter en son nom et l'engager pour tous les actes et opérations entrant dans l'objet social, ce dernier comprenant, selon l'article 2, toutes les opérations commerciales, industrielles, financières mobilières et immobilières se rattachant à la diffusion d'œuvres audiovisuelles. Si la SARL F fait valoir que certaines prestations effectuées par M. B, telles la mise à jour des outils de gestion et la stratégie opérationnelle et de développement sont purement techniques, aucune des pièces versées au débat, tant en première instance qu'en appel, ne permettent de le justifier. Par suite, alors que la SARL F avait pris la décision de ne pas rémunérer son gérant et que cette décision de gestion lui est opposable, la société A n'ayant fourni aucune prestation de service distincte des activités que M. B doit déployer dans le cadre normal de ses fonctions de gérant de la SARL F, l'administration fiscale établit que les charges comptabilisées au titre des prestations réalisées par ce dernier doivent être regardées comme constituant un acte anormal de gestion. Il en résulte que le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge demandée sur ce point.

7. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a prononcé la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la SARL F a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 résultant de la réintégration dans ses charges des honoraires de gestion versés à la société A à proportion de la rémunération versée à M. B. Il y a lieu d'annuler les articles 1er et 2 du jugement dans cette mesure et de remettre à la charge de la SARL F l'imposition et les pénalités en cause.

Sur les frais liés au litige :

8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL F la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 septembre 2019 est annulé en tant qu'il a omis de prononcer un non-lieu à statuer sur l'imposition ayant donné lieu à un dégrèvement le 7 septembre 2018, à concurrence de la somme de 920 euros.

Article 2 : A concurrence de la somme de 920 euros, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la demande de la SARL F.

Article 3 : Les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Montpellier du 23 septembre 2019, en tant qu'il a fait droit à la demande de décharge de la SARL F s'agissant de la réduction de la base de l'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2013 des honoraires de gestion versés à la société A à proportion de la rémunération versée à M. B, sont annulés.

Article 4 : La cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle la SARL F a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2013 est remise à sa charge pour un montant de 20 964 euros, ainsi que les pénalités y afférentes pour un montant de 1 284 euros.

Article 5 : Les conclusions d'appel incident et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative présentées par la SARL F sont rejetées.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la société à responsabilité limitée F.

Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-Mer.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2022, où siégeaient :

- Mme Bernabeu, présidente assesseure, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- Mme D et Mme E, premières conseillères.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 juin 2022.

La rapporteure,

SIGNE

S. DLa présidente

de la formation de jugement,

SIGNE

M. CLa greffière d'audience,

SIGNE

N. CHALULEU La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

nc

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