Jurisprudence : Cass. soc., 18-05-2022, n° 21-11.870, F-D, Cassation

Cass. soc., 18-05-2022, n° 21-11.870, F-D, Cassation

A96077X4

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2022:SO00604

Identifiant Legifrance : JURITEXT000045836545

Référence

Cass. soc., 18-05-2022, n° 21-11.870, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/85132408-cass-soc-18052022-n-2111870-fd-cassation
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SOC.

CA3


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 mai 2022


Cassation


M. HUGLO, conseiller doyen
faisant fonction de président


Arrêt n° 604 F-D

Pourvoi n° M 21-11.870


R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 18 MAI 2022


M. [B] [L], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 21-11.870 contre l'arrêt rendu le 18 novembre 2020 par la cour d'appel de Versailles (19e chambre), dans le litige l'opposant à la société Renault, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Lanoue, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [L], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Renault, après débats en l'audience publique du 23 mars 2022 où étaient présents M. Huglo, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Lanoue, conseiller référendaire rapporteur, M. Rinuy, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 18 novembre 2020), M. [Aa] a été engagé à compter du 15 septembre 1993 par la société Renault (la société) en qualité de technicien de méthodes principales.

2. Se plaignant notamment d'une stagnation au coefficient 305 depuis 2000, date à laquelle il a commencé à exercer des fonctions de membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, il a saisi la juridiction prud'homale le 6 juillet 2016 en invoquant une discrimination syndicale, sollicitant à titre de réparation le paiement de dommages-intérêts et le bénéfice du coefficient 400.


Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

3. Le salarié fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevables comme étant prescrites les demandes en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale qu'il a formées, alors « qu'il résulte des dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail🏛 que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que pour dire prescrite l'action relative à une discrimination syndicale qu'il a engagée le 6 juillet 2016, la cour d'appel retient que les ‘'lettres de transparence'‘ permettant de faire une comparaison de sa situation avec celle des autres salariés lui ont été remises à partir du 25 juin 2009 ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il se plaignait de stagner encore le 1er juillet 2019 dans le même coefficient 305 depuis sa prise de mandats intervenue en 2000, ce dont il résultait qu'il se fondait sur faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets postérieurement à la date du 25 juin 2009, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les dispositions de l'article L. 1134-5 du code du travail🏛 ; »


Réponse de la Cour

Recevabilité du moyen

4. La société conteste la recevabilité de la première branche du moyen au motif qu'elle est en contradiction avec l'argumentation défendue devant la cour d'appel consistant à dire que la révélation de la discrimination se situait au 29 janvier 2013.

5. Cependant, dans ses conclusions d'appel, le salarié faisait également valoir qu'il était victime d'une discrimination syndicale caractérisée notamment par une stagnation au coefficient 305 depuis 2000, toujours en cours, impactant son salaire et sa future retraite.

6. Le moyen, qui ne fait que reprendre une thèse contenue dans les conclusions d'appel du salarié, est donc recevable.

Bien-fondé du moyen

Vu l'article L. 1134-5 du code du travail🏛 et l'article 26, II, de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008🏛 :

7. Aux termes du premier de ces textes, l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination.

8. Avant l'entrée en vigueur de la loi susvisée du 17 juin 2008 l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination était soumise à la prescription trentenaire de l'article 2262 du code civil🏛 dans sa rédaction alors applicable. Selon l'article 26, II, de la loi susvisée, les dispositions qui réduisent le délai de la prescription s'appliquent aux prescriptions à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

9. Pour dire prescrite l'action relative à une discrimination engagée par le salarié le 6 juillet 2016, l'arrêt retient que les indicateurs relatifs à la durée moyenne de promotion des salariés, qu'il invoque au titre d'une stagnation au coefficient 305, lui sont connus depuis 2008, que les entretiens d'évaluation qu'il invoque lui ont été notifiés en 2002, 2003, 2004 et 2007, que les lettres de transparence établies par l'employeur permettant de faire une comparaison entre sa situation et celle des autres salariés lui ont été remises à partir du 25 juin 2009.

10. En statuant ainsi, alors que si le salarié faisait état d'une discrimination syndicale ayant commencé en février 2000, à compter de sa prise de mandat, il faisait valoir que cette discrimination s'était poursuivie tout au long de sa carrière en terme d'évolution professionnelle, tant salariale que personnelle, et qu'il stagnait ainsi au coefficient 305 depuis mai 2000, ce dont il résultait que le salarié se fondait sur des faits qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets avant la période non atteinte par la prescription, la cour d'appel a violé les textes susvisés.



PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;

Condamne la société Renault aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Renault et la condamne à payer à M. [Aa] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit mai deux mille vingt-deux.


MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [L]


Le moyen reproche à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir déclaré irrecevables comme étant prescrites les demandes en réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale formées par Monsieur [B] [L] ;

ALORS, EN PREMIER LIEU, QU'il résulte des dispositions de l'article L. 1134-5 du Code du travail🏛 que l'action en réparation du préjudice résultant d'une discrimination se prescrit par cinq ans à compter de la révélation de la discrimination ; que pour dire prescrite l'action relative à une discrimination syndicale engagée par Monsieur [B] [L] le 6 juillet 2016, la Cour d'appel retient que les « lettres de transparence » permettant de faire une comparaison de sa situation avec celle des autres salariés lui ont été remises à partir du 25 juin 2009 ; qu'en statuant ainsi, alors que Monsieur [Ab] [L] se plaignait de stagner encore le 1er juillet 2019 dans le même coefficient 305 depuis sa prise de mandats intervenue en 2000, ce dont il résultait que le salarié se fondait sur faits sur qui n'avaient pas cessé de produire leurs effets postérieurement à la date du 25 juin 2009, la Cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les dispositions de l'article L. 1134-5 du Code du travail🏛 ;

ALORS, EN DEUXIEME LIEU, QU'en considérant que la seule remise par l'employeur à Monsieur [B] [L] des « lettres de de transparence » établies par la société Renault suffisait à constituer la « révélation » de la discrimination qu'il estimait avoir subie en matière d'évolution professionnelle, alors que c'était seulement la lecture des arrêts rendus le 29 janvier 2013 par la Cour d'appel de Versailles dans le contentieux opposant à leur employeur deux autres syndicalistes travaillant au sein de l'entreprise Renault au sujet d'une discrimination en matière d'évolution de salaire et de déroulement de carrière qui avait incité Monsieur [B] [L] à procéder à l'analyse des « lettres de transparence » qui faisaient ressortir une différence de traitement en sa défaveur, la Cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les dispositions de l'article L. 1134-5 du Code du travail🏛 ;

ALORS, ENFIN, QU'il ressort de la lecture des arrêts rendus par la Cour d'appel de Versailles le 29 janvier 2013 dans le contentieux opposant Messieurs [M] [C] ET [J] [D] à la société Renault au sujet d'une discrimination syndicale en matière d'évolution salariale et de déroulement de carrière que ces décisions judicaires se sont attachées à mettre en évidence en quoi l'analyse des « lettres de transparence » établies par l'employeur faisaient ressortir une différence de traitement significative au détriment des deux salariés demandeurs d'une réparation du préjudice résultant d'une discrimination syndicale ; qu'en affirmant que les arrêts du 29 janvier 2013🏛 ne faisaient que très accessoirement référence à ces « lettres de transparence », la Cour d'appel en a dénaturé les termes ; qu'elle a ainsi violé le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause.

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