CE 3/8 ch.-r., 31-03-2022, n° 453904, publié au recueil Lebon
A10247SQ
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2022:453904.20220331
Référence
01-04-03-07 1) Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable....2) S’agissant des titres exécutoires, a) sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an b) à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance. ...3) Un débiteur qui saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu’il a introduit cette instance avant son expiration. ...a) Il est recevable à saisir la juridiction administrative jusqu’au terme d’un délai de deux mois b) à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s’est, de manière irrévocable, déclarée incompétente....c) Il en résulte que, dans le cas où la notification du titre exécutoire comporte des mentions ambigües ne permettant pas de faire partir le délai de recours, que le débiteur l’a contesté devant un tribunal de grande instance dans un délai n’excédant pas un an, que la cour d’appel, saisie dans le délai légalement imparti, a confirmé le jugement de ce tribunal rejetant la contestation comme présentée devant une juridiction incompétente et que la demande d’annulation de ce titre exécutoire est formée devant un tribunal administratif alors que la Cour de cassation, elle-même saisie de l’arrêt d’appel dans le délai imparti, ne s’est pas encore prononcée, cette demande d’annulation n’est pas tardive.
La société en nom collectif (SNC) Sarcelles Investissements a contesté devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise le titre exécutoire de 7 056 811,24 euros émis à son encontre le 19 septembre 2021 par le département du Val-d'Oise en vue du remboursement des travaux de dévoiement des réseaux de chauffage installés sur le terrain occupé par cette société.
Par un jugement n° 1602208 du 12 juillet 2018, ce tribunal a annulé le titre exécutoire émis le 19 septembre 2011 par le département du Val-d'Oise en vue du remboursement de travaux de dévoiement des réseaux de chauffage.
Par un arrêt n° 18VE03060 du 11 mai 2021, la cour administrative d'appel de Versailles⚖️ a rejeté l'appel formé par le département du Val-d'Oise contre ce jugement ainsi que les conclusions incidentes formées par la société Sarcelles Investissements tendant au renvoi de l'affaire au Tribunal des conflits.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 24 juin et 21 septembre 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'État, le département du Val-d'Oise demande au Conseil d'État :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) de mettre à la charge de la société Sarcelles Investissements la somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat du département du Val-d'Oise et à la SCP Marlange, de la Burgade, avocat de la société Sarcelles Investissements ;
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 mars 2022, présentée par la société Sarcelles Investissements ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis au juge du fond que l'établissement public " Syndicat des transports d'Ile-de-France " a confié au conseil général du Val-d'Oise la maîtrise d'ouvrage des travaux de création d'une ligne de tramway en site propre dont le tracé traverse notamment le territoire de la commune de Sarcelles et que ces travaux ont nécessité le dévoiement de réseaux situés sous la voirie de cette commune, notamment le réseau de chauffage installé par la société Sarcelles Investissements et exploité par la société Sarcelles Energie. En application d'un protocole signé le 15 juillet 2009 entre la société Sarcelles Investissements et le département du Val-d'Oise, ce dernier a procédé à ses frais aux travaux de dévoiement des réseaux en cause. Il a émis le 19 septembre 2011, à l'encontre de la société Sarcelles Investissements, un titre exécutoire de 7 056 811,24 euros en vue du remboursement du coût de ces travaux. Cette société a demandé au tribunal de grande instance de Pontoise d'annuler ce titre. Par un jugement du 2 septembre 2014, le tribunal s'est déclaré incompétent pour connaître de cette demande. Ce jugement a été confirmé par un arrêt du 16 novembre 2015 de la cour d'appel de Versailles. La société Sarcelles Investissement a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt, qui a été rejeté par un arrêt du 29 mars 2017. Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise, saisi entre temps par la société Sarcelles Investissements, a annulé le titre exécutoire contesté par un jugement du 12 juillet 2018. Le département du Val-d'Oise se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 11 mai 2021 par lequel la cour administrative d'appel de Versailles a rejeté l'appel qu'il avait formé contre ce jugement.
Sur le bien-fondé de l'arrêt en tant qu'il a écarté la fin de non-recevoir opposée par le département du Val-d'Oise à la demande d'annulation du titre exécutoire :
2. Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative🏛 : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ". Aux termes du 2° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales🏛 : " L'action dont dispose le débiteur d'une créance assise et liquidée par une collectivité territoriale ou un établissement public local pour contester directement devant la juridiction compétente le bien-fondé de ladite créance se prescrit dans le délai de deux mois suivant la réception du titre exécutoire ou, à défaut, du premier acte procédant de ce titre ou de la notification d'un acte de poursuite ". Il en résulte que le non-respect de l'obligation d'informer le débiteur sur les voies et les délais de recours, prévue par la première de ces dispositions, ou l'absence de preuve qu'une telle information a été fournie, est de nature à faire obstacle à ce que le délai de forclusion, prévu par la seconde, lui soit opposable.
3. Toutefois, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable.
4. S'agissant des titres exécutoires, sauf circonstances particulières dont se prévaudrait son destinataire, le délai raisonnable ne saurait excéder un an à compter de la date à laquelle le titre, ou à défaut, le premier acte procédant de ce titre ou un acte de poursuite a été notifié au débiteur ou porté à sa connaissance. Un débiteur qui saisit la juridiction judiciaire, alors que la juridiction administrative était compétente, conserve le bénéfice de ce délai raisonnable dès lors qu'il a introduit cette instance avant son expiration. Il est recevable à saisir la juridiction administrative jusqu'au terme d'un délai de deux mois à compter de la notification ou de la signification de la décision par laquelle la juridiction judiciaire s'est, de manière irrévocable, déclarée incompétente.
5. Il résulte de ce qui précède, qu'en relevant que la notification du titre exécutoire comportait des mentions ambigües ne permettant pas de faire partir le délai de recours et que la société l'avait contesté devant le tribunal de grande instance de Pontoise dans un délai n'excédant pas un an, que la cour d'appel de Versailles, saisie dans le délai légalement imparti, avait confirmé le jugement de ce tribunal de grande instance rejetant la contestation comme présentée devant une juridiction incompétente pour en connaître et que la Cour de cassation, elle-même saisie dans le délai légalement imparti, n'avait rejeté le pourvoi contre cet arrêt que le 29 mars 2017 et en jugeant, en conséquence, que la demande d'annulation de ce titre exécutoire formée par la société Sarcelles Investissements dès le 7 mars 2016 devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise n'était pas tardive, la cour administrative d'appel n'a pas commis d'erreur de droit.
Sur le bien-fondé de l'arrêt en ce qui concerne la légalité du titre exécutoire :
6. Le bénéficiaire d'une autorisation d'occupation du domaine public, doit, quelle que soit sa qualité, supporter sans indemnité les frais de déplacement ou de modification des installations aménagées en vertu de cette autorisation lorsque ce déplacement est la conséquence de travaux entrepris dans l'intérêt du domaine public occupé et que ces travaux constituent une opération d'aménagement conforme à la destination de ce domaine. Le titulaire d'une servitude de droit privé permettant l'implantation d'ouvrages sur le terrain d'une personne publique, maintenue après son incorporation dans le domaine public, doit être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation du domaine à raison de ces ouvrages, quand bien même il n'acquitterait pas de redevance à ce titre. Par suite, il doit supporter les frais de déplacement des ouvrages implantés à raison de cette servitude, pour permettre l'exécution de travaux dans l'intérêt du domaine public et conformes à sa destination.
7. Il résulte de ce qui précède qu'en jugeant que les frais exposés par le département du Val d'Oise pour procéder, à l'occasion des travaux de construction d'une ligne de tramway en site propre, au déplacement du réseau de chauffage urbain installé par la société Sarcelles Investissements sur le domaine public au titre d'une servitude de droit privé, au motif que la redevance réclamée à raison de l'occupation du domaine public par les installations litigieuses n'avait pas été mise sa charge, mais à celle de la société les exploitant et que le titulaire d'une servitude sur le domaine public ne peut être regardé comme titulaire d'une autorisation d'occupation de ce domaine au titre des ouvrages installés à raison de cette servitude, la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit. Par suite, le département du Val-d'Oise est fondé à demander, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de son pourvoi, l'annulation de son arrêt.
8. Il y a lieu dans les circonstances de l'espèce de mettre à la charge de la société Sarcelles Investissements la somme de 3 000 euros à verser au département du Val-d'Oise au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛. Ces dispositions font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de ce département, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
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Article 1er : L'arrêt du 11 mai 2021 de la cour administrative d'appel de Versailles est annulé.
Article 2 : L'affaire est renvoyée à la cour administrative d'appel de Versailles.
Article 3 : La société Sarcelles Investissement versera au département du Val-d'Oise une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Article 4 : Les conclusions de la société Sarcelles Investissements présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au département du Val-d'Oise et à la société en nom collectif Sarcelles Investissements.
Délibéré à l'issue de la séance du 21 mars 2022 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; ; M. I C, M. Pierre Collin, présidents de chambre ; M. G K, M. D J, M. A L, M. H F, M. Jean-Marc Vié, conseillers d'Etat et M. Jonathan Bosredon, conseiller d'Etat-rapporteur.
Rendu le 31 mars 2022.
Le président :
Signé : M. Rémy Schwartz
Le rapporteur :
Signé : M. Jonathan Bosredon
La secrétaire :
Signé : Mme B E453904
Société en nom collectif (snc) Réseau du chauffage Terrains occupés Maîtrise d'ouvrage Ligne de tramways Voirie de la commune Émission de titres Établissements publics locaux Notification des actes de poursuite Forclusion Sécurité juridique Délai raisonnable Délai à compter d'une notification Bénéficiaire de l'autorisation d'occupation Conséquences des travaux Intérêt du domaine public Opération d'aménagement Destination du domaine Servitude Titulaires d'autorisations d'occupation