CIV. 2
CM
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 10 mars 2022
Rejet
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 253 F-B
Pourvoi n° C 20-19.655
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 10 MARS 2022
Mme [K] [P], épouse [N]-[V], domiciliée [Adresse 2], a formé le pourvoi n° C 20-19.655 contre l'arrêt rendu le 1er juillet 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 3, chambre 1), dans le litige l'opposant à M. [D] [N], domicilié [… …], défendeur à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Besson, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de Mme [P], de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. [N], et après débats en l'audience publique du 25 janvier 2022 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Besson, conseiller rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, et M. Carrasco, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 1er juillet 2020), rendu sur renvoi après cassation (
2e Civ., 13 juin 2019, pourvoi n° 18-14.954⚖️), lors de son adhésion à la garantie décès d'un contrat d'assurance sur la vie souscrit auprès de la société Gan vie (l'assureur), [Z] [N] avait désigné son fils, M. [Aa] [N] ou, à défaut, son épouse, Mme [Ab] [N]-[V], comme bénéficiaire des sommes garanties. Il avait ensuite fait part à l'assureur, dans une lettre du 20 juin 1982, de la modification de la clause bénéficiaire en faveur de son épouse.
2. À la suite du décès de son époux survenu le 1er septembre 1990, Mme [N]-[V] a obtenu de l'assureur le règlement du capital garanti, qui lui a été versé le 17 octobre 1991.
3. M. [Ac], se prévalant de l'intention de son père de le désigner en définitive comme unique bénéficiaire du contrat d'assurance, a assigné Mme [N]-[V] en restitution de ce capital.
Examen du moyen
Sur le moyen pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches, ci-après annexé
4. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. Mme [N]-[V] fait grief à l'arrêt de la condamner à payer à M. [N] la somme de 132 379,41 euros, alors « qu'en matière d'assurances sur la vie, l'assuré peut modifier jusqu'à son décès le nom du bénéficiaire dès lors que la volonté du stipulant est exprimée d'une manière certaine et non équivoque et que l'assureur en a eu connaissance ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [Ad] [N] était décédé le 1er septembre 1990, soit avant le 18 octobre 1991, date à laquelle Maître [M] avait adressé au Gan la lettre datée du 29 juillet 1987 par laquelle M. [Ac] avait demandé d'effectuer les démarches afin que le capital-décès des assurances soit bloqué sur le compte de son fils ; qu'il résultait de ces constatations que l'assureur n'avait pas eu connaissance, avant le décès du stipulant, de la volonté de celui-ci de modifier le nom du bénéficiaire, ce qui faisait obstacle à toute modification ultérieure ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'
article L. 132-8 du code des assurances🏛. »
Réponse de la Cour
6. La désignation ou la substitution du bénéficiaire d'un contrat d'assurance sur la vie, que l'assuré peut, selon l'
article L. 132-8 du code des assurances🏛 dans sa rédaction applicable au litige, opérer jusqu'à son décès n'a pas lieu, pour sa validité, d'être portée à la connaissance de l'assureur lorsqu'elle est réalisée par voie testamentaire.
7. Par suite, c'est à bon droit que l'arrêt, retenant que [Z] [N] avait indiqué dans un écrit du 29 juillet 1987, s'analysant en un testament olographe, que le capital décès de son assurance-vie devait revenir à son fils, décide que ce dernier soutient à juste titre que la substitution de bénéficiaire peut être effectuée par voie testamentaire, cette modalité étant expressément prévue par l'article L.132-8 précité, peu important que l'assureur n'en ait pas été avisé.
8. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme [N]-[V] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [N]-[V] et la condamne à payer à M. [D] [N] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix mars deux mille vingt-deux.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour Mme [P]
Madame [K] [N] fait grief à l'arrêt attaqué, infirmatif de ce chef, de l'AVOIR condamnée à payer à M. [D] [N] la somme de 132.379,41 € avec intérêts de droit à compter de l'assignation du 12 septembre 2008 et capitalisation à compter de cette même date en application de l'
article 1154 du code civil🏛 ;
1°) ALORS QU'en matière d'assurances sur la vie, l'assuré peut modifier jusqu'à son décès le nom du bénéficiaire dès lors que la volonté du stipulant est exprimée d'une manière certaine et non équivoque et que l'assureur en a eu connaissance ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constatations de l'arrêt que M. [Ad] [N] était décédé le 1er septembre 1990, soit avant le 18 octobre 1991, date à laquelle Me [M] avait adressé au Gan la lettre datée du 29 juillet 1987 par laquelle M. [Ac] avait demandé d'effectuer les démarches afin que le capital-décès des assurances soit bloqué sur le compte de son fils ; qu'il résultait de ces constatations que l'assureur n'avait pas eu connaissance, avant le décès du stipulant, de la volonté de celui-ci de modifier le nom du bénéficiaire, ce qui faisait obstacle à toute modification ultérieure ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé l'
article L. 132-8 du code des assurances🏛 ;
2°) ALORS QUE la contradiction de motifs équivaut au défaut de motifs ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que le 20 juin 1982, M. [Ad] [N] avait expressément signifié à l'assureur sa volonté de changer le bénéficiaire de l'assurance-décès en substituant son épouse à son fils - ce qui signifiait qu'au jour du décès, le 1er septembre 1990, Mme [N] était seule bénéficiaire de ce contrat - ce que le Gan a rappelé dans sa lettre du 9 juillet 1991, visée par l'arrêt ; qu'en relevant, par ailleurs « l'absence de volonté contraire du défunt » quant à la désignation de son fils comme bénéficiaire, la cour d'appel s'est contredite et a ainsi violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛 ;
3°) ALORS QUE le juge ne peut méconnaître les termes du litige dont il est saisi, notamment par voie de dénaturation des conclusions ; qu'en l'espèce, Mme [Ac] avait expressément invoqué la lettre du Gan l'informant qu'elle avait été déclarée bénéficiaire de l'assurance-décès aux lieu et place de son fils, précisant que cette modification de bénéficiaire s'inscrivait dans une logique de réciprocité, elle-même ayant également, le 7 décembre 1981, signé un bulletin d'adhésion sur sa tête pour permettre à son époux de percevoir le capital-décès s'il lui survivait (conclusions d'appel p. 11) ; qu'en énonçant que Mme [N] ne faisait « aucune observation sur [le] point » relatif au plein et entier effet de la désignation bénéficiaire notifiée pendant la période de validité du précédent contrat, la cour d'appel a dénaturé les conclusions de Mme [N] en violation de l'
article 4 du code de procédure civile🏛 ;
4°) ALORS QUE le juge doit observer lui-même le principe de la contradiction ; qu'en l'espèce, M. [D] [N] avait admis que l'avenant au contrat n° 1877 « permettait (
) à Mme [K] [P], en sa qualité de conjoint de l'affilié de bénéficier d'une assurance-décès (
)» sans nullement soutenir que celle-ci n'aurait pas accepté le bénéfice de cette assurance ; qu'en relevant donc d'office ce moyen sans avoir préalablement invité les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a méconnu le principe de la contradiction en violation de l'
article 16 du code de procédure civile🏛 ;
5°) ALORS QU'en l'absence de désignation d'un bénéficiaire dans la police ou à défaut d'acceptation par le bénéficiaire, le contractant a le droit de désigner un bénéficiaire ou de substituer un bénéficiaire à un autre ; que l'acceptation du bénéficiaire rend cependant irrévocable la stipulation en vertu de laquelle le bénéfice de l'assurance est attribué à un bénéficiaire déterminé, cette acceptation n'étant soumise à aucune forme particulière ; qu'en l'espèce, Mme [Ac] avait expressément accepté le bénéfice de l'assurance-décès souscrite par le contrat n° 1877 annulant et remplaçant le précédent n°1873 en le signant et en ayant apposé la mention « lu et approuvé » sur le bulletin d'affiliation du contrat attribuant le capital-décès à son conjoint en cas de décès de celle-ci ; qu'en retenant dès lors que « ce document ne saurait (
) constituer une prétendue acceptation d'une assurance consentie au profit de Mme [N] », sans rechercher si la signature de ce bulletin, qui n'était que la contrepartie de l'autre stipulant l'attribution d'un capital-décès à son profit en cas de décès de son mari, ne constituait pas une acceptation tacite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article L. 132-9 du code des assurances🏛.