Jurisprudence : Cass. civ. 1, 02-03-2022, n° 20-16.674, FS-B, Cassation

Cass. civ. 1, 02-03-2022, n° 20-16.674, FS-B, Cassation

A24617PT

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2022:C100185

Identifiant Legifrance : JURITEXT000045309030

Référence

Cass. civ. 1, 02-03-2022, n° 20-16.674, FS-B, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/81829905-cass-civ-1-02032022-n-2016674-fsb-cassation
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Abstract

► Selon les articles 764 et 765-1 du Code civil, le conjoint survivant dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement ; si cette manifestation de volonté peut être tacite, elle ne peut résulter du seul maintien dans les lieux.


CIV. 1

SG


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mars 2022


Cassation partielle


M. CHAUVIN, président


Arrêt n° 185 FS-B

Pourvoi n° N 20-16.674


Aide juridictionnelle partielle en défense
au profit de Mme [L].
Admission au bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 25 novembre 2020.

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 2 MARS 2022


M. [Aa] [I], domicilié [Adresse 2], a formé le pourvoi n° N 20-16.674 contre l'arrêt rendu le 12 mars 2019 par la cour d'appel de Grenoble (chambre des affaires familiales), dans le litige l'opposant à Mme [K] [L], veuve [Ab], domiciliée [Adresse 1], défenderesse à la cassation.


Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SARL Boré, Ac de Bruneton et Mégret, avocat de M. [I], de la SCP Duhamel-Rameix-Gury-Maitre, avocat de Mme [L], veuve [I], et l'avis de Mme Caron-Deglise, avocat général, après débats en l'audience publique du 11 janvier 2022 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, Mmes Antoine, Poinseaux, M. Fulchiron, Mme Beauvois, conseillers, M. Duval, Mme Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, Mme Caron-Deglise, avocat général, Mme Tinchon, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.


Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 12 mars 2019), [O] [I] est décédé le 24 avril 2010, en laissant pour lui succéder son fils [J], né d'une première union, et son épouse commune en biens, Mme [L], qui occupait alors un bien acquis par les deux époux.

2. Des difficultés sont survenues lors du règlement de la succession.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [I] fait grief à l'arrêt de dire que Mme [L], en restant dans les lieux, a formé une demande tacite de bénéficier du droit au logement résultant des dispositions de l'article 764 du code civil🏛 et de dire qu'elle dispose, en ce qui concerne l'immeuble commun, d'un droit d'usage et d'habitation sur la partie du bien dépendant de la succession, alors « que le seul maintien dans les lieux ne caractérise pas la manifestation de volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit d'usage et d'habitation viager sur le logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 764 et 765-1 du code civil🏛. »


Réponse de la Cour

Vu les articles 764 et 765-1 du code civil🏛 :

4. Selon ces textes, le conjoint survivant dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté de bénéficier de son droit viager au logement.

5. Si cette manifestation de volonté peut être tacite, elle ne peut résulter du seul maintien dans les lieux.

6. Pour dire que Mme [L] dispose, en ce qui concerne l'immeuble commun, d'un droit d'usage et d'habitation sur la partie du bien dépendant de la succession, l'arrêt retient que, sauf cas de renonciation expresse, le fait de se maintenir dans les lieux un an après le décès suffit à permettre au conjoint survivant de bénéficier des dispositions de l'article 764 du code civil🏛, que Mme [L] jouit paisiblement du logement familial de façon ininterrompue depuis le décès de [O] [I] et que son maintien dans les lieux doit s'analyser en une demande tacite de bénéficier du droit viager au logement, quand bien même elle n'a formulé de façon expresse cette demande que par conclusions du 30 août 2016.

7. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.


PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit que Mme [L], en restant dans les lieux, a formé une demande tacite de bénéficier du droit au logement résultant des dispositions de l'article 764 du code civil🏛 et dit qu'elle dispose, en ce qui concerne l'immeuble commun sis [Adresse 1], d'un droit d'usage et d'habitation sur la partie du bien immobilier dépendant de la succession, l'arrêt rendu le 12 mars 2019, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne Mme [L] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par Mme [L] et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux mars deux mille vingt-deux et signé par lui et Mme Berthomier, greffier de chambre.


Le conseiller rapporteur le president


Le greffier de chambre

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SARL Boré, Ac de Bruneton et Mégret, avocat aux Conseils, pour M. [Ab]

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR infirmé le jugement en ce qu'il avait rejeté la demande de Mme [L] tendant à se voir reconnaître un droit viager au logement sur l'immeuble sis [Adresse 1], d'AVOIR dit que Mme [L], en restant dans les lieux, avait formé une demande tacite de bénéficier du droit au logement résultant des disposition de l'article 764 du code civil🏛 et d'AVOIR dit qu'elle dispose, en ce qui concerne l'immeuble commun sis [Adresse 1], d'un droit d'usage et d'habitation sur la partie du bien immobilier dépendant de la succession ;

AUX MOTIFS QUE, « sur le bénéfice pour le conjoint survivant du droit viager au logement, vu les articles 764 et 765-1 du code civil🏛, selon le premier juge, Mme [L], qui n'a pas manifesté son désir de bénéficier du droit viager au logement dans le délai d'un an à compter du décès (pourtant mentionné dans l'acte de notoriété qu'elle a refusé de signer en 2012), ne peut plus y prétendre, même si elle fait savoir dans un courriel en date du 8 août 2013 qu'elle refusait de vendre la maison ; qu'il est constant en l'espèce que Mme [L] a refusé de signer l'acte de notoriété établi en 2012, qui reprenait les dispositions des articles 763, 764 et 765-1 du code civil🏛, mais mentionnait aussi que le conjoint survivant n'entend se prévaloir que de ses droits contractuels, à l'exclusion de ses droits légaux ; qu'il est constant aussi que Mme [L], domiciliée avec son époux dans l'immeuble commun sis [Adresse 1] (Isère), jusqu'au décès de celui-ci, y réside encore à ce jour, n'ayant jamais quitté les lieux, ce dont elle justifie en versant aux débats diverses factures, et qu'elle a clairement fait connaître à M. [Aa] [I] et au notaire chargé de la succession de ce qu'elle n'entendait pas vendre la maison, souhaitant au contraire s'y maintenir (pièces 3 et 8 de M. [Aa] [I], 4 à 28 de Mme [L]) ; qu'il résulte des articles 764 et 971 du code civil🏛 que le conjoint survivant ne peut être privé du droit d'habitation du logement servant d'habitation principale et d'usage du mobilier le garnissant que par la volonté du défunt exprimée dans un testament authentique reçu par deux notaires ou un notaire assisté de deux témoins, et qu'à défaut de respect de ce formalisme très strict, il ne peut être privé du droit viager au logement ; que, par ailleurs, l'article 765-1 du code civil🏛, qui dispose que le conjoint dispose d'un an à partir du décès pour manifester sa volonté, n'impose aucune formalité particulière pour cette demande ; que, dès lors, sauf cas de renonciation expresse, le fait de se maintenir dans les lieux un an après le décès suffit à permettre au conjoint survivant de bénéficier des dispositions de l'article 764 du code civil🏛, s'agissant alors d'une demande tacite de bénéfice du droit viager au logement ; qu'en l'espèce, M. [Aa] [I] soutient que la jouissance n'était ni paisible ni de bonne foi, puisqu'il reproche à Mme [L] de ne pas l'avoir avisé du décès de son père, alors qu'elle connaissait selon lui son adresse, inchangée depuis 1998, lui-même n'ayant appris le décès qu'en mars 2012 (pièces 4, 9 et 11 de M. [Aa] [I]) ; qu'or, les pièces qu'il produit font état de l'intervention d'un généalogiste, mandaté dès 2010 par le notaire chargé de la succession, ce généalogiste signalant le 27 juillet 2010 avoir trouvé l'adresse postale de M. [Aa] [I] (dans le cadre d'une association de réinsertion à [Localité 3]), sans domicile fixe et bénéficiaire du RSA, l'intéressé étant recherché par la police, sachant que le logement dont se prévaut M. [Aa] [Ab] est une chambre de 10 m² au 8e étage du [Adresse 2], où il ne peut résider en même temps que sa mère, propriétaire des lieux, même s'il justifie y recevoir les courriers de la CAF correspondant au versement de l'AAH et des factures d'électricité, dont il ne justifie pas du règlement par ses soins (pièces 5, 9 à 15 de M. [Aa] [I]) ; que, dès lors, il ne démontre pas la mauvaise foi de Mme [L], qui jouit paisiblement du logement familial de façon interrompue depuis le décès de [O] [I] et encore à ce jour, son maintien dans les lieux devant être analysé comme une demande tacite de bénéfice du droit viager au logement, quand bien même elle n'a formulé de façon expresse cette demande qu'au cours de la procédure de première instance, par conclusions notifiées le 30 août 2016 (cf. le dossier du premier juge) ; que le jugement frappé d'appel sera donc infirmé en ce qu'il a rejeté la demande de Mme [L] tendant à se voir reconnaître le droit viager au logement visé à l'article 764 du code civil🏛 en ce qui concerne l'immeuble sis [Adresse 1], qui lui sera au contraire octroyé, puisqu'elle dispose d'un droit d'usage et d'habitation sur le bien immobilier dépendant de la succession en application des dispositions de l'article 764 du code civil🏛, après avoir formé tacitement sa demande en ce sens » ;

ALORS QUE le seul maintien dans les lieux ne caractérise pas la manifestation de volonté du conjoint survivant de bénéficier du droit d'usage et d'habitation viager sur le logement appartenant aux époux ou dépendant totalement de la succession ; qu'en jugeant le contraire, la cour d'appel a violé les articles 764 et 765-1 du code civil🏛.
Le greffier de chambre

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