Jurisprudence : Cass. civ. 1, 10-04-2013, n° 11-28.406, F-P+B+I, Cassation sans renvoi

Cass. civ. 1, 10-04-2013, n° 11-28.406, F-P+B+I, Cassation sans renvoi

A9955KBC

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2013:C100350

Identifiant Legifrance : JURITEXT000027303784

Référence

Cass. civ. 1, 10-04-2013, n° 11-28.406, F-P+B+I, Cassation sans renvoi. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/8063234-cass-civ-1-10042013-n-1128406-fp-b-i-cassation-sans-renvoi
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Abstract

Porte atteinte à la présomption d'innocence, l'affichage par un médecin, sur la porte de la salle d'attente de son cabinet de consultation, lieu public par destination, du jugement correctionnel condamnant son associé pour abus de confiance, en une version expurgée, et précédée de la mention par laquelle il informe ainsi les patients de sa séparation d'avec celui-ci.



CIV. 1 SM
COUR DE CASSATION
Audience publique du 10 avril 2013
Rejet
M. CHARRUAULT, président
Arrêt no 350 F-P+B+I
Pourvoi no D 11-28.406
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant

Statuant sur le pourvoi formé par M. Pierre Z, domicilié Nice,
contre l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (1re chambre C), dans le litige l'opposant à M. Antoine Y, domicilié Tourrette Levens,
défendeur à la cassation ;
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 12 mars 2013, où étaient présents M. Charruault, président, M. Gridel, conseiller rapporteur, Mme Crédeville, conseiller, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Gridel, conseiller, les observations de Me Le Prado, avocat de M. Z, de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de M. Y, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches

Attendu, selon l'arrêt confirmatif attaqué (Aix-en-Provence, 20 octobre 2011), rendu en référé, que M. Z, médecin, avait affiché sur la porte de la salle d'attente de son cabinet de consultation, lieu public par destination, le jugement correctionnel condamnant son associé M. Y pour abus de confiance, en une version expurgée, et précédée de la mention par laquelle il informait ainsi les patients de sa séparation d'avec celui-ci ;

Attendu que M. Z fait grief à l'arrêt de lui ordonner le retrait du jugement ainsi affiché alors, selon le moyen
1o/ que ne saurait caractériser une atteinte à la présomption d'innocence, le seul affichage d'une décision de justice, rendue publiquement ; qu'il résulte des énonciations de la cour d'appel que M. Z s'est borné à afficher dans son cabinet médical un jugement de condamnation de M. Y, rendu publiquement ; qu'en estimant caractérisée une atteinte à la présomption d'innocence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 9-1 du code civil ;
2o/ que ne saurait caractériser une atteinte à la présomption d'innocence, le compte-rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires et que doit y être assimilé l'affichage d'une décision de justice ; qu'il résulte des énonciations de la cour d'appel, statuant en référé, que M. Z a affiché dans son cabinet médical un jugement de condamnation de M. Y rendu publiquement ; qu'en estimant qu'était caractérisée une atteinte à la présomption d'innocence, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 9-1 du code civil ensemble l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 809 du code de procédure civile ;
3o/ que l'atteinte à la présomption d'innocence est celle qui contient des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité d'une personne ; qu'en retenant une atteinte à la présomption d'innocence, en se bornant à énoncer que M. Z avait présenté la décision de justice affichée dans son cabinet comme la raison de l'extinction de la société civile de moyens existant entre lui et M. Y, décision d'où résultait seulement l'existence d'un litige entre les associés, sans relever l'existence de conclusions définitives de M. Z manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de M. Y, la cour d'appel a violé l'article 9-1 du code civil ;

Mais attendu que la cour d'appel, qui a condamné sous astreinte M. Z à faire cesser l'affichage du jugement, a par motifs propres et adoptés, relevé qu'avait été supprimé le passage relatif à l'argumentation par laquelle M. Y avait plaidé sa relaxe, et omise l'indication que celui-ci avait relevé appel de la décision, puis exactement énoncé que l'atteinte portée à la présomption d'innocence est réalisée chaque fois qu'avant sa condamnation irrévocable, une personne est publiquement présentée comme nécessairement coupable des faits pénalement répréhensibles pour lesquels elle est poursuivie, ajoutant que l'affichage d'une décision de justice ne peut s'assimiler à l'immunité propre dont bénéficie celui qui se livre au compte-rendu de débats judiciaires, une telle activité devant du reste être menée avec fidélité et bonne foi, conditions que démentent les expurgations opérées sur la pièce affichée ; que la décision, qui fait ainsi ressortir le caractère manifestement illicite du trouble présent dans le litige sur lequel elle statue, est légalement justifiée ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Z aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix avril deux mille treize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils pour M. Z
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué
D'AVOIR ordonné le retrait par Monsieur Z du jugement du Tribunal correctionnel de Nice prononcé le 3 juin 2009 affiché dans la salle d'attente de son cabinet médical sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;
AUX MOTIFS QUE " le premier juge a exactement rappelé les conditions dans lesquelles le docteur Z a affiché, dans la salle d'attente de son cabinet médical, certaines pages, dont une incomplète, du jugement du Tribunal correctionnel de Nice du 3 juin 2009 qui a condamné Monsieur Y à une peine d'amende pour abus de confiance ; que l'appelant reprend, au soutien de son appel, le moyen tiré de l'absence de caractère public de l'affichage de la décision précitée ; que la référence à la requête aux fins de constat présentée par Monsieur Y au président du Tribunal de grande instance de Nice le 9 avril 2010 est vaine puisque l'intéressé n'indique nullement qu'il s'agit d'opérer dans un lieu privé ; que dans son arrêt infirmatif de l'ordonnance rendue, la Cour d'appel ne se prononce pas davantage sur le caractère public ou non du cabinet médical ; si l'accès au cabinet médical ne s'effectue que sur rendez-vous, il n'est pas allégué que d'autres conditions soient requises, ou des restrictions appliquées, sauf à respecter les conditions d'horaire prescrites ; qu'il convient donc d'admettre qu'il s'agit d'un lieu public par destination, comme l'a retenu le premier juge ; que l'appelant argue de ce qu'un jugement de condamnation est bien intervenu à l'encontre de Monsieur Y ; que ce jugement n'est pas irrévocable puisqu'il a été frappé d'appel par Monsieur Y et que celui-ci a formé un pourvoi à l'encontre de l'arrêt confirmatif du 29 juin 2011 ; qu'il convient d'ailleurs de relever que la mention de ce qu'un appel a été formé ne figure pas sur le jugement affiché, comme ayant été partiellement supprimée ; que l'appelant invoque curieusement les mentions portées en page 4 du jugement alors précisément que celle-ci, dans laquelle figure l'argumentation de Monsieur Y, n'est pas affichée ; qu'il se prévaut à tort d'un aveu de l'infraction par Monsieur Y, alors que celui-ci a seulement reconnu la matérialité des faits, mais nullement la commission d'un délit, et a fait plaider sa relaxe, selon ce que révèle la lecture de la même page 4 du jugement ; qu'il importe peu que par la suite, Monsieur Z ait apposé la mention de l'appel formé contre le jugement ; que l'atteinte à la présomption d'innocence est caractérisée en l'état des éléments précités, au sens de l'article 9-1 du Code civil, sans que Monsieur Z puisse utilement invoquer une immunité applicable en matière de presse ; que l'ordonnance déférée doit être confirmée en ce qu'elle a prescrit la mesure nécessaire pour faire cesser cette atteinte " ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE " il est constant qu'en mars 2002, le docteur Z et le docteur Y ont conclu un contrat d'association et constitué une société civile de moyens pour exercer leur art dans la commune de TOURETTE-LEVENS ; que le jugement du Tribunal correctionnel de Nice en date du 3 juin 2009, Antoine Y a été condamné du chef d'abus de confiance, décision dont il a relevé appel le 8 juin 2009 ; que le 19 juillet 2010, Antoine Y a fait constater par huissier qu'était affichée sur la porte de la salle d'attente du cabinet médical de Pierre Z une version expurgée du jugement rendu le 3 juin 2009 comportant la prévention, les condamnations pénales et civiles, le tout précédé de la mention " le docteur Pierre Z vous informe de sa séparation d'avec son associé le docteur Whabib Y pour les raisons suivantes ; que l'examen du document apposé fait apparaître que figure en première page la mention " pel/6/09 " ; que pour fonder sa demande Antoine Y fait valoir que cet affichage révèle la volonté de lui nuire que manifeste Pierre Z et surtout l'atteinte au principe de la présomption d'innocence dont il bénéficie, puisque l'instance d'appel est toujours pendante ; que pour sa part, Pierre Z soutient que son cabinet médical n'étant pas un lieu public, il a été en droit dès le 3 juin 2009 d'afficher le jugement sans commentaire qui correspond à la vérité judiciaire et qu'il ne saurait y avoir atteinte à l'honneur dès lors que le document affiché correspond à une décision prononcée par des magistrats neutres et indépendants ; que par ailleurs, il produit une photographie de la salle d'attente de son cabinet prise à une date indéterminable, mais postérieure au constat d'huissier établi le 19 juillet 2010 où figure la mention en lettres capitales " le docteur Y a interjeté appel de cette décision " ; qu'Antoine Y a maintenu ses demandes estimant qu'un cabinet médical devait à l'évidence être considéré comme un lieu privé accueillant du public ; que l'article 9-1 du Code civil dispose ; chacun a droit au respect de la présomption d'innocence, qu'il s'agit d'un principe supérieur constituant une liberté fondamentale, que seule une condamnation pénale devenue irrévocable fait disparaître relativement aux faits sanctionnés, la présomption d'innocence dont l'article 9-1 assure le respect ; qu'est recevable à se réclamer de la protection que lui offre l'article 9-1 toute personne, dont la présomption d'innocence a été publiquement atteinte ; qu'un cabinet médical est un lieu public par destination qui accueille toute personne qui souhaite y venir pour peu qu'elle respecte les conditions d'ouverture ; qu'en apposant sur la porte de la salle d'attente d'un cabinet médical la décision de justice du Tribunal correctionnel de Nice qu'elle soit accompagnée ou non de la mention explicite qu'un appel a été interjeté, Pierre Z a porté atteinte à la présomption d'innocence dont bénéficie Antoine Y jusqu'à la survenance d'une décision de condamnation ayant force de chose jugée, ce qui constitue un trouble illicite au sens de l'article 809 du Code de procédure civile ; que par suite, il convient de condamner Pierre Z à retirer le jugement du Tribunal correctionnel de Nice en date du 3 juin 2009 affiché dans la salle d'attente de son cabinet médical le jour même où lui sera signifiée la présente décision et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ; qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'affichage de la présente ordonnance " ;
1o) ALORS QUE ne saurait caractériser une atteinte à la présomption d'innocence, le seul affichage d'une décision de justice, rendue publiquement ; qu'il résulte des énonciations de la Cour d'appel que Monsieur Z s'et borné à afficher dans son cabinet médical un jugement de condamnation de Monsieur Y, rendu publiquement ; qu'en estimant caractérisée une atteinte à la présomption d'innocence, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé l'article 9-1 du Code civil ;
2o) ALORS QUE ne saurait caractériser une atteinte à la présomption d'innocence, le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires et que doit y être assimilé l'affichage d'une décision de justice ; qu'il résulte des énonciations de la Cour d'appel, statuant en référé, que Monsieur Z a affiché dans son cabinet médical un jugement de condamnation de Monsieur Y rendu publiquement ; qu'en estimant qu'était caractérisée une atteinte à la présomption d'innocence, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a ainsi violé les article 9-1 du Code civil ensemble l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881 et l'article 809 du Code de procédure civile ;
3o) ALORS QUE l'atteinte à la présomption d'innocence est celle qui contient des conclusions définitives manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité d'une personne ; qu'en retenant une atteinte à la présomption d'innocence, en se bornant à énoncer que le docteur Z avait présenté la décision de justice affichée dans son cabinet comme la raison de l'extinction de la société civile de moyens existant entre lui et le docteur Y, décision d'où résultait seulement l'existence d'un litige entre les associés, sans relever l'existence de conclusions définitives de Monsieur Z manifestant un préjugé tenant pour acquise la culpabilité de Monsieur Y, la Cour d'appel a violé l'article 9-1 du Code civil.

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