CIV. 1 LG
COUR DE CASSATION
Audience publique du 13 mars 2013
Cassation
M. PLUYETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt no 164 FS-P+B+I
Pourvoi no T 09-72.962
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par la société Carte blanche, société à responsabilité limitée, dont le siège est Pessac,
contre l'arrêt rendu le 28 octobre 2009 par la cour d'appel de Bordeaux (2e chambre civile), dans le litige les opposant à la société Bailly voyages, société anonyme, dont le siège est Paris,
défenderesse à la cassation ;
En présence de la société Christophe Mandon, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est Bordeaux, prise en sa qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société Carte blanche ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 29 janvier 2013, où étaient présents M. Pluyette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Maitrepierre, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bignon, conseiller doyen, Mme Monéger, MM. Suquet, Savatier, Matet, conseillers, Mmes Degorce, Capitaine, Guyon-Renard, M. Mansion, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, conseillers référendaires, M. Sarcelet, avocat général, Mme Nguyen, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Maitrepierre, conseiller référendaire, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de la société Carte blanche et de la société Christophe Mandon, ès qualités, de la SCP Boullez, avocat de la société Bailly voyages, l'avis de M. Sarcelet, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen relevé d'office, après avis donné aux parties, en application de l'article 1015 du code de procédure civile
Vu l'article 19 de la Convention de Montréal du 28 mai 1999, pour l'unification de certaines règles relatives au transport aérien international, applicable à la date des faits ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'en décembre 2004, la Caisse d'épargne Aquitaine Nord a confié à la société Carte blanche l'organisation d'un voyage à Rome, à l'occasion du match de rugby Italie-France, prévu le 19 mars 2005 et dont le coup d'envoi était fixé à 14 heures ; que, pour organiser ce voyage, la société Carte blanche s'est adressée à deux agences, l'une en Italie, pour diverses prestations prévues sur place, l'autre en France, dénommée Bailly voyages, avec laquelle elle a conclu un contrat ayant pour objet l'affrètement d'un aéronef et la fourniture des titres de transport pour quatre-vingt quatorze passagers, afin d'assurer le trajet aller-retour Bordeaux-Rome, le départ étant prévu le 19 mars 2005, à 8 heures, et le retour le lendemain à 17 heures, et ce pour un prix de 40 500 euros, dont la société Carte blanche s'est en partie acquittée ; que, le jour convenu pour le départ, les passagers n'ayant pu embarquer à l'heure prévue du fait de l'absence de l'aéronef destiné à effectuer le transport et n'ayant pas accepté la proposition de reporter le départ du vol à 16 heures, il a été décidé d'annuler le voyage ; que la société Carte blanche a alors assigné la société Bailly voyages en paiement de diverses sommes à titre de dommages-intérêts, sur le double fondement de l'article 1147 du code civil et de l'article 19 de la Convention de Varsovie ; que la société Bailly voyages s'est alors prévalue des causes d'exonération de responsabilité prévues à l'article 1148 du code civil et à l'article 20 de la Convention de Varsovie ;
Attendu que, pour exonérer la société Bailly voyages de toute responsabilité, l'arrêt relève que l'absence de l'avion à l'heure prévue pour l'embarquement est due à la conjonction de deux circonstances, à savoir, d'une part, la nécessité de reconfigurer en transport de passagers cet aéronef, lequel venait d'effectuer un service de fret de nuit et se trouvait le 18 mars au matin à Rennes, cette opération devant être réalisée à l'aéroport de Roissy-Charles de Gaulle, d'autre part, la présence sur cet aéroport parisien d'un épais brouillard ayant empêché le décollage de l'appareil de Rennes à l'heure prévue; que, sur la première circonstance, l'arrêt ajoute qu'il ne pouvait être exigé par la société Carte Blanche, sauf à ce que cela ait été conventionnellement prévu, que l'appareil se trouve à l'aéroport de Bordeaux dès le 18 mars au soir, la réalité des rotations imposées aux avions commerciaux rendant cette exigence irréaliste ; que, sur la seconde circonstance, il relève qu'il est constant que la présence de brouillard rendant impossible le décollage d'un avion et la décision imposée par un service de navigation aérienne de ne pas autoriser un décollage constituent un cas de force majeure au sens de l'article 1148 du code civil ; que l'arrêt en déduit que la caractéristique de la force majeure étant d'être imprévisible et irrésistible, il ne peut pas, sur le fondement de l'article 20 de la Convention de Varsovie, être reproché à la société Bailly voyages de ne pas avoir prévu "un autre plan de vol", cette dernière justifiant d'autre part que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour permettre un départ de Bordeaux dans les meilleurs délais le courrier du 21 mars 2005 de la société Avico à Bailly voyages étant explicite sur la recherche d'un autre avion ; qu'il relève encore que le brouillard ne s'étant finalement levé qu'à 12 heures, un décollage de l'avion même immédiat n'aurait de toute façon pas pu permettre une arrivée à Rome pour 14 heures ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs insuffisants à caractériser la réunion des conditions exigées par l'article 19 de la Convention de Montréal, dont l'application est exclusive de celle de l'article 1148 du code civil, pour accorder à un transporteur aérien, tel que la société Bailly voyages, en sa qualité de transporteur contractuel, le bénéfice de l'une ou de l'autre des causes d'exonération de responsabilité qui y sont prévues, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur les moyens
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 28 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;
Condamne la société Bailly voyages aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize mars deux mille treize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour la société Carte blanche et la société Christophe Mandon, ès qualités,
PREMIER MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Carte Blanche de sa demande tendant au versement de la somme de 90 908,32 euros à titre de dommages et intérêts et de l'avoir condamnée à verser à la société Bailly Voyages la somme de 5 618,14 euros ;
AUX MOTIFS QUE l'absence de l'avion affrété par la SA Bailly voyages à l'aéroport de Bordeaux Mérignac le 19 mars 2005 au matin, à l'origine du préjudice revendiqué par l'appelante, est dû à la conjonction de deux circonstances principales la nécessité de reconfigurer en transport de passagers cet aéronef qui venait d'effectuer un service de fret de nuit et qui se trouvait le 18 mars 2005 au matin à Rennes, cette opération devant se faire à l'aéroport de Roissy Charles ... ..., et la présence sur l'aéroport de Roissy Charles ... ... le 19 mars 2005 au matin d'un épais brouillard (visibilité réduite variant de 100 à 300 m) ayant empêché le décollage de l'appareil de Rennes à l'heure prévue et devant en cas d'atterrissage puis de décollage possible de Roissy Charles ... ... occasionner un retard conséquent ; que sur le premier point il ne pouvait être exigé par la SARL Carte blanche, sauf à ce que cela ait été conventionnellement prévu, que l'appareil affrété soit présent à Bordeaux Mérignac dès le 18 mars 2005 au soir, la réalité des rotations imposées aux avions commerciaux rendant cette exigence irréaliste ; que sur le second point il est constant que la présence de brouillard rendant impossible le décollage d'un avion et la décision imposée par un service de navigation aérienne de ne pas autoriser un décollage constitue un cas de force majeure au sens de l'article 1148 du code civil ; que la caractéristique de la force majeure étant d'être imprévisible et irrésistible il ne peut pas, sur le fondement de l'article 20 de la convention de Varsovie qui dispose que " le transporteur n'est pas responsable s'il prouve que lui et ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu'il leur était impossible de les prendre ", être reproché à la SARL Bailly voyages de ne pas avoir prévu " un autre plan de vol ", celle-ci justifiant d'autre part que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour permettre un départ de Bordeaux dans les meilleurs délais, le courrier du 21 mars 2005 de la SARL Avico à Bailly voyages étant explicite sur la recherche d'un autre avion ; que si le départ de Bordeaux, dans un premier temps recalé à 10h30, restait alors encore envisageable le brouillard ne s'étant finalement levé qu'à 12 heures, un décollage de l'avion même immédiat n'aurait de toute façon pu permettre une arrivée à Rome pour 14 heures ; qu'un départ de Bordeaux à 16 heures a été proposé, l'annulation du vol ayant été le fait des représentants de la Caisse d'épargne ; que dès lors que, compte tenu de la force majeure faisant obstacle rédhibitoire à un départ de Bordeaux à l'heure prévue, elle n'était plus tenue que d'une obligation de moyens il doit être considéré que la SA Bailly voyages s'en est acquittée en sorte qu'aucune responsabilité ne peut lui être imputée ; (...) que par ailleurs si la SA Bailly voyages n'est pas recevable à opposer à la SARL Carte blanche de s'être comportée illicitement en agent de voyages, ce qu'elle n'est pas, en contravention avec la loi no 92-645 du 7 juillet 1992 réglementant cette profession, dès lors qu'elle a accepté de contracter avec elle en toute connaissance de cause elle est en revanche fondée à faire valoir qu'en se comportant comme tel, ayant pris en charge la commande de toutes les prestations composant le voyage organisé par elle et ne lui ayant commandé qu'un vol " sec ", il lui appartenait d'en assumer la responsabilité ; que ce raisonnement s'applique en particulier aux conséquences possibles d'un " timing " justement qualifié " serré " et d'une marge de sécurité réduite compte tenu des aléas du transport aérien ; que l'offre de remboursement par la SA Bailly voyages de la somme de 40 500 euros sous déduction de celle restant due de 5.618,14 euros trouvait place dans une tentative de règlement amiable du litige qui a tourné court et ce remboursement qu'elle ne maintient pas et qui ne s'analyse pas en une reconnaissance de responsabilité ne peut lui être imposé nonobstant le fait qu'elle ait elle-même été remboursée par Avico ;
1o ALORS QUE le transporteur aérien ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il a pris les mesures nécessaires pour éviter le dommage ou qu'il lui était impossible de les prévoir ; que tel n'est pas le cas lorsque le dommage résulte d'une pratique délibérée du transporteur en matière de rotation des aéronefs, impliquant un flux extrêmement tendu des rotations des appareils et mettant la disponibilité de ceux-ci à la merci du moindre incident ; qu'en exonérant le transporteur de toute responsabilité au seul motif, insusceptible de caractériser une force majeure faute de toute responsabilité, que l'avion prévu pour partir de Bordeaux n'avait pu décoller de Roissy en temps utile en raison du brouillard, cette escale étant par ailleurs nécessaire pour le reconfigurer en mode passagers et " la réalité des rotations imposées aux avions commerciaux rendant " irréalisable " son exigence que l'avion soit présent plus tôt à Bordeaux, la Cour d'appel qui fait peser sur la société Carte Blanche les conséquences d'un " timing serré " propre au seul transporteur et résultant de décisions d'organisations de celui-ci, n'a pas caractérisé la force majeure ni l'impossibilité par le transporteur d'éviter le dommage et a violé l'article 20 de la Convention de Varsovie ;
2o ALORS QUE le transport contractuellement prévu devait être effectué entre Bordeaux et Rome ; que le passage par Roissy n'était que le résultat de l'organisation interne du transporteur, inopposable à son client ; qu'en retenant, comme exonératoire de responsabilité, l'existence d'un brouillard ayant empêché l'avion de décoller de Roissy vers Bordeaux, en l'absence de toute clause contractuelle sur le passage par Roissy, et de toute contrainte constatée imposant que l'avion destiné à assurer le transport passe par Roissy, la Cour d'appel a encore violé l'article 20 de la Convention de Varsovie du 12 octobre 1929 et l'article 1134 du Code civil ;
3o) ALORS QUE la prévisibilité de l'événement qui fait obstacle à l'exécution du transport et dont le transporteur est censé empêcher la réalisation par l'adoption de mesures nécessaires s'apprécie au jour de la conclusion du contrat de transport ; qu'en appréciant la suffisance des mesures prises par le transporteur au moment où l'événement empêchant l'accomplissement du vol se réalisait, quand la nécessité des mesures s'apprécient notamment au regard de la prévisibilité de l'événement au jour de la conclusion du contrat, la cour d'appel, qui ne s'est pas expliquée sur ce point, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 20 de la convention de Varsovie du 12 octobre 1929 ;
4o) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Carte Blanche relevait que la société Bailly Voyages n'établissait pas que le brouillard sur Roissy, qui a empêché l'aéronef de rejoindre Bordeaux pour effectuer le vol vers Rome, était imprévisible pour la météo et donc que le transporteur n'aurait pu l'anticiper en prévoyant un autre plan de vol (conclusions, p. 10, §1) ; qu'en ne procédant pas à la recherche ainsi demandée, sans laquelle la cour d'appel ne pouvait établir que l'évènement ayant empêché d'exécution du transport était imprévisible, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;
5o) ALORS QUE dans ses conclusions d'appel, la société Carte Blanche demandait que des précisions soient apportées sur le moment où le brouillard est apparu à Roissy afin de savoir s'il n'était pas apparu suffisamment tôt pour prendre les mesures nécessaires ou s'il n'est pas apparu à un moment où l'aéronef n'aurait pas en tout état de cause pu se trouver à Bordeaux à l'heure prévue étant donnée sa présence tardive à Rennes (conclusions, p.11) ; qu'en ne recherchant pas à quel moment le brouillard est apparu sur Roissy pour déterminer si des mesures nécessaires avaient été en conséquence prises par le transporteur, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6o) ALORS QUE le transporteur aérien est responsable contractuellement du défaut d'exécution du transport qu'il s'était engagé à fournir à ses cocontractants, fussent-il agents de voyages; qu'en excluant la responsabilité de la société Bailly Voyages au motif inopérant que la société Carte Blanche se serait comportée en tant qu'agent de voyages et qu'elle devrait en assumer comme tel la responsabilité, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil, ensemble l'article L. 211-17 du code de tourisme.
SECOND MOYEN DE CASSATION
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté la société Carte Blanche de sa demande tendant au remboursement de la somme de 34 881,86 euros au titre de la prestation de transport non-exécutée par la société Bailly Voyages et de l'avoir condamnée à verser à cette dernière la somme de 5 618,14 euros au titre du paiement du reliquat du prix ;
AUX MOTIFS QUE compte tenu de la force majeure faisant obstacle rédhibitoire à un départ de Bordeaux à l'heure prévue, la société Bailly Voyages n'était plus tenue que d'une obligation de moyens il doit être considéré que la SA Bailly voyages s'en est acquittée en sorte qu'aucune responsabilité ne peut lui être imputée (arrêt, p.5, §6) ; (...) qu'il n'est pas contesté que la somme de 5 618,14 euros représentant le montant de deux factures des 10 mars et 7 avril 2005, n'ait pas été réglée (sic) et que cette somme correspondant à des prestations exécutées est due (arrêt, p.6, §1) ;
1o) ALORS QUE pour condamner la société Carte Blanche à payer le reliquat du prix du transport, la cour d'appel a considéré que les prestations avaient été exécutées ; qu'en se prononçant ainsi, alors qu'elle avait préalablement retenu que l'avion n'avait pas été affrété par le transporteur le jour convenu et qu'en raison du retard pris conséquemment, le vol avait été annulé, la cour d'appel s'est contredite en méconnaissance de l'article 455 du code de procédure civile ;
2o) ALORS QUE lorsque le juge constate que le contrat ne peut plus être exécuté en raison d'un cas de force majeure, il prononce la résolution et ordonne la restitution de ce qui a été payé par le créancier ; qu'en refusant d'accorder à la société Carte Blanche la somme qu'elle demandait au titre de la restitution du prix qu'elle avait versé pour le transport, dont elle avait constaté qu'il n'avait pu être effectué en raison d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé les articles 1147 et 1184 du code civil ;
3o) ALORS QUE le juge ne peut ordonner le paiement d'une prestation dont il a constaté qu'elle ne pouvait être définitivement exécutée en raison d'un événement constitutif d'un cas de force majeure ; qu'en condamnant la société Carte Blanche à payer le reliquat du prix du transport bien qu'elle eût constaté que ce transport n'avait pu être effectué en raison d'un cas de force majeure, la cour d'appel a violé l'article 1147 et 1184 du code civil.