CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N°
364081
M. THERON
Mme Sophie Roussel, Rapporteur
Mme Suzanne von Coester, Rapporteur public
Séance du 11 février 2013
Lecture du
20 février 2013
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 6ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 6ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 23 novembre 2012 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par M. Pierre Théron, domicilié au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, BP 90321, 20, chemin de la providence à Bourg-en-Bresse (01011) ; M. Théron demande au Conseil d'Etat d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet résultant du silence gardé par la garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 57-8-10 du code de procédure pénale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution, notamment son Préambule et son article 61-1 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009, notamment son article 35 ;
Vu le décret n° 2010-1635 du 23 décembre 2010 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Sophie Roussel, Auditeur,
- les conclusions de Mme Suzanne von Coester, rapporteur public ;
1. Considérant qu'aux termes de l'article 35 de la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 : " Le droit des personnes détenues au maintien des relations avec les membres de leur famille s'exerce soit par les visites que ceux-ci leur rendent, soit, pour les condamnés et si leur situation pénale l'autorise, par les permissions de sortir des établissements pénitentiaires. Les prévenus peuvent être visités par les membres de leur famille ou d'autres personnes, au moins trois fois par semaine, et les condamnés au moins une fois par semaine. / L'autorité administrative ne peut refuser de délivrer un permis de visite aux membres de la famille d'un condamné, suspendre ou retirer ce permis que pour des motifs liés au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions. / L'autorité administrative peut également, pour les mêmes motifs ou s'il apparaît que les visites font obstacle à la réinsertion du condamné, refuser de délivrer un permis de visite à d'autres personnes que les membres de la famille, suspendre ce permis ou le retirer. / Les permis de visite des prévenus sont délivrés par l'autorité judiciaire. / Les décisions de refus de délivrer un permis de visite sont motivées " ;
2. Considérant que le décret du 23 décembre 2010, pris pour l'application de la loi pénitentiaire a inséré dans le code de procédure pénale un article R. 57-8-10 dont le premier alinéa dispose que : " Pour les personnes condamnées, incarcérées en établissement pénitentiaire ou hospitalisées dans un établissement de santé habilité à recevoir des personnes détenues, les permis de visite sont délivrés, refusés, suspendus ou retirés par le chef de l'établissement pénitentiaire " ; que M. Théron conteste le refus implicitement opposé par le garde des sceaux, ministre de la justice, à sa demande tendant à l'abrogation de cette disposition ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
3. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 23-5 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution peut être soulevé (.) à l'occasion d'une instance devant le Conseil d'Etat (.) " ; qu'il résulte des dispositions de ce même article que le Conseil constitutionnel est saisi de la question prioritaire de constitutionnalité à la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question soit nouvelle ou présente un caractère sérieux ;
4. Considérant, en premier lieu, que M. Théron soutient que le législateur, en autorisant de manière trop générale et imprécise, au deuxième alinéa de l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009, les chefs d'établissements pénitentiaires à restreindre ou à supprimer les permis de visite des détenus, n'aurait pas exercé pleinement la compétence qui lui est confiée par l'article 34 de la Constitution et n'aurait ainsi pas institué les garanties permettant qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté fondamentale que constitue, pour les détenus, le droit au maintien de leurs liens familiaux dans les limites inhérentes aux contraintes de la détention ; que, toutefois, les dispositions contestées énumèrent de façon claire et limitative les motifs qui permettent à l'autorité administrative de restreindre ou de supprimer les permis de visite et qui tiennent au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions ; que le requérant n'est par suite pas fondé à soutenir que le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le requérant soutient que la décision de refuser, de suspendre ou de retirer un permis de visite, doit être regardée, eu égard à sa nature et sa gravité, comme une mesure ayant le caractère d'une punition et que les dispositions du deuxième alinéa de l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 sont par suite contraires aux principes de légalité des délits et des peines, de nécessité des peines, des droits de la défense et de la présomption d'innocence, garantis par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en ce que, d'une part, le permis de visite peut être suspendu à titre conservatoire et sans respect des droits de la défense, d'autre part, aucune disposition n'encadre la situation des prévenus ; que cependant, une telle mesure ne constitue pas une sanction ayant le caractère de punition, mais une mesure de police administrative tendant à assurer le maintien de l'ordre public et de la sécurité au sein de l'établissement pénitentiaire ou, le cas échéant, la prévention des infractions ; que, par suite, les principes constitutionnels régissant la matière répressive ne peuvent être utilement invoqués ;
6. Considérant, en troisième lieu, que M. Théron soutient que la disposition législative qu'il conteste porte atteinte aux principes constitutionnels découlant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen en ce que, d'une part, il attribue aux chefs d'établissements pénitentiaires, en méconnaissance du principe de la séparation des pouvoirs, des pouvoirs qui relèvent normalement de l'autorité juridictionnelle et, d'autre part, il n'organise aucune procédure juste et équitable de nature à assurer le respect des droits de la défense du bénéficiaire du permis de visite et la possibilité d'obtenir le sursis de l'exécution de la décision restreignant ce permis ; que, toutefois, les décisions tendant à restreindre, supprimer ou retirer les permis de visite relèvent, ainsi qu'il vient d'être dit, du pouvoir de police des chefs d'établissements pénitentiaires et ne sauraient être regardées comme des sanctions ; qu'en tout état de cause, de telles mesures sont entourées de garanties effectives et peuvent par ailleurs faire l'objet d'une procédure de référé devant le juge administratif, en application des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de justice administrative ; que, par suite, les griefs invoqués ne peuvent être regardés comme présentant un caractère sérieux ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la question soulevée, qui n'est pas nouvelle, ne présente pas un caractère sérieux ; qu'ainsi, sans qu'il soit besoin de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité invoquée, les moyens tirés de ce que l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009 porterait atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution doivent être écartés ;
Sur les autres moyens :
8. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 22 de la loi du 24 novembre 2009 : " L'administration pénitentiaire garantit à toute personne détenue le respect de sa dignité et de ses droits. L'exercice de ceux-ci ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles résultant des contraintes inhérentes à la détention, du maintien de la sécurité et du bon ordre des établissements, de la prévention de la récidive et de la protection de l'intérêt des victimes. Ces restrictions tiennent compte de l'âge, de l'état de santé, du handicap et de la personnalité de la personne détenue " ; qu'il résulte de ces dispositions et de celles de l'article 35 de la même loi que les restrictions susceptibles d'être apportées aux droits des détenus, notamment en matière de permis de visite des détenus, sont inhérentes au maintien du bon ordre et de la sécurité ou à la prévention des infractions et que les décisions de refus, de suspension ou de retrait d'un permis de visite ne peuvent intervenir que pour l'un de ces motifs ; que, dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant, en deuxième lieu, que les mesures prévues à l'article R. 57-8-10 du code de procédure pénale constituant, ainsi qu'il a été dit, des mesures de police, M. Théron ne saurait utilement invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
10. Considérant, enfin, que M. Théron soulève divers moyens tirés de l'inconstitutionnalité de l'article R. 57-8-10 du code de procédure pénale ; que, toutefois, il met ce faisant en cause non des vices propres dont seraient entachées ces dispositions, mais la conformité à la Constitution de l'article 35 de la loi du 24 novembre 2009, pour l'application duquel elles ont été édictées ; que ces moyens ne peuvent, par suite, qu'être écartés ;
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1. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. Théron n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision implicite de rejet résultant du silence gardé sur sa demande tendant à l'abrogation de l'article R. 57-8-10 du code de procédure pénale ;
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par M. Théron.
Article 2 : La requête de M. Théron est rejetée.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Pierre Théron, à la garde des sceaux, ministre de la justice. Copie en sera adressée au Conseil constitutionnel et au Premier ministre.
Délibéré dans la séance du 11 février 2013 où siégeaient : M. Jacques Arrighi de Casanova, Président adjoint de la Section du Contentieux, présidant ; Mme Christine Maugüé, Présidente de sous-section ; M. Marc Sanson, M. Yves Doutriaux, M. François Delion, M. Mattias Guyomar, Conseillers d'Etat et Mme Sophie Roussel, Auditeur-rapporteur.