CIV. 2
LM
COUR DE CASSATION
______________________
Audience publique du 3 février 2022
Cassation
sans renvoi
M. PIREYRE, président
Arrêt n° 167 F-B
Pourvoi n° P 20-20.355
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 3 FÉVRIER 2022
La société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° P 20-20.355 contre l'arrêt rendu le 23 juillet 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 5, chambre 6), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [Ab],
2°/ à Mme [W] [Ac], épouse [Ab],
domiciliés tous deux [Adresse 2],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Jollec, conseiller référendaire, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit foncier de France, de Me Le Prado, avocat de M. [Ab] et Mme [Ac], épouse [Ab], après débats en l'audience publique du 15 décembre 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, Mme Jollec, conseiller référendaire rapporteur, Mme Martinel, conseiller doyen, et Mme Thomas, greffier de chambre,
la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué et les productions (Paris, 23 juillet 2020), sur le fondement d'un jugement du 11 décembre 2014, le Crédit foncier de France (la banque) a fait délivrer à M. [Ab] et Mme [Ac], le 3 août 2015, un commandement de payer valant saisie immobilière sur un bien immobilier leur appartenant. Ce commandement a été publié le 22 septembre 2015.
2. Le 12 octobre 2015, un notaire a adressé à la banque une lettre indiquant que M. [Ab] et Mme [Ac] envisageaient de vendre l'immeuble saisi et a sollicité de la banque qu'elle l'informe du montant de sa créance. Le 2 novembre 2015, M. [Ab] s'est personnellement adressé à la banque pour connaître le montant actualisé de sa créance et obtenir son accord en vue de procéder à la vente amiable du bien saisi.
3. La banque a indiqué, par lettre du 6 novembre 2015, ne pas s'opposer sur le principe à la vente amiable du bien.
4. Le 20 novembre 2015, la banque a assigné M. [Ab] et Mme [Ac] à une audience d'orientation.
5. Par un jugement du 26 juillet 2016, un juge de l'exécution a fixé la créance de la banque à une certaine somme et autorisé M. [Ab] et Mme [Ac] à vendre amiablement leur bien.
6. Le 15 mai 2017, le juge de l'exécution a constaté l'absence de réalisation de la vente au prix déterminé par la juridiction et a fixé la date de la vente forcée au 14 novembre 2017.
7. Reprochant à la banque d'avoir compromis la réalisation d'une vente amiable d'un prix supérieur au prix d'adjudication, M. [Ab] et Mme [Ac] ont assigné la banque en réparation de leur préjudice.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
8. Le Crédit foncier de France fait grief à l'arrêt de le condamner à payer à M. [Ab] et à Mme [Ac] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de 3 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, alors « que tout créancier poursuivant est libre de déterminer les modalités de recouvrement de sa créance et d'exercer les droits dont il dispose dans le cadre de la procédure de saisie immobilière selon ce qu'il estime être le plus conforme à ses intérêts ; que le créancier ayant initié une procédure de saisie ne saurait par conséquent voir sa responsabilité engagée à l'égard de son propre débiteur pour avoir refusé de consentir à la vente amiable du bien saisi ou pour ne pas avoir accédé suffisamment tôt à la demande du débiteur tendant à être autorisé à procéder à cette vente, motif pris qu'il en allait de son intérêt ou de l'intérêt de son débiteur ; qu'en jugeant cependant que le Crédit Foncier de France avait commis une « faute de négligence » en ne répondant pas avec suffisamment de célérité aux courriers par lesquels le notaire des époux [Ab] avait sollicité son accord afin qu'il soit procédé à la vente amiable du bien dont il avait entrepris la saisie, au motif qu'un tel retard était de nature à dissuader l'acquéreur avec lequel les époux [Ab] étaient en négociation, la cour d'appel a violé l'
article 1382 (devenu 1240) du code civil🏛, ensemble les
articles L. 111-1 et L. 111-7 du code des procédures civiles d'exécution🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 111-1, L. 111-7 et L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution🏛 :
9. Selon les deux premiers de ces textes, tout créancier peut, dans les conditions prévues par la loi, contraindre son débiteur défaillant à exécuter ses obligations à son égard. Le créancier a le choix des mesures propres à assurer l'exécution ou la conservation de sa créance. L'exécution de ces mesures ne peut excéder ce qui se révèle nécessaire pour obtenir le paiement de l'obligation.
10. Aux termes de l'
article L. 321-1 du code des procédures civiles d'exécution🏛, l'acte de saisie rend l'immeuble indisponible.
11. Selon les
articles R. 322-15, R. 322-17 et R. 322-20 du code des procédures civiles d'exécution🏛, le débiteur saisi peut demander au juge de l'exécution l'autorisation de vendre amiablement le bien, y compris avant la signification de l'assignation à comparaître à l'audience d'orientation.
12. Il en résulte que, après avoir délivré un commandement de payer valant saisie immobilière, le créancier poursuivant ne peut, sauf abus de saisie, voir sa responsabilité engagée à raison de ce qu'il aurait tardé à répondre, avant le jugement d'orientation autorisant la vente amiable, à une sollicitation du débiteur saisi tendant à l'autoriser à vendre amiablement le bien saisi.
13. Pour condamner la banque à payer à M. [Ab] et Mme [Ac] la somme de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt retient, d'une part, que la banque prétendant ne pas avoir reçu le courrier du 21 septembre 2015, le délai pris pour y répondre n'est pas admissible, le retard pris étant de nature à décourager l'acheteur, d'autre part, que même si le prix n'était pas mentionné dans les lettres du notaire, la banque pouvait subordonner son accord à la mise en vente au prix qu'il lui appartenait de fixer et qu'enfin, le fait qu'elle était en droit de refuser la vente amiable et qu'une procédure de saisie rendait le bien indisponible n'expliquent pas sa négligence.
14. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
15. Après avis donné aux parties, conformément à l'
article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du
code de procédure civile.
16. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.
17. Il résulte de ce qui est dit au paragraphe 12 que la banque n'a pas commis de faute en répondant tardivement à la proposition de vente amiable des débiteurs saisis. Le jugement du 23 mai 2018 doit donc être confirmé.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 juillet 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du 23 mai 2018 rendu par le tribunal de grande instance de Paris ;
Condamne M. [Ab] et Mme [Ac] aux dépens exposés tant devant la cour d'appel de Paris que devant la Cour de cassation ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes formées à ce titre par M. [Ab] et Mme [Ac], tant devant la cour d'appel de Paris que devant la Cour de cassation, et les condamne à payer au Crédit foncier de France la somme globale de 3 000 euros, au titre des demandes formées par ce dernier, tant devant la cour d'appel de Paris que devant la Cour de cassation ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille vingt-deux. MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Crédit foncier de France
Le Crédit Foncier de France fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamné à verser à Monsieur [Aa] [Ab] et à Madame [W] [Ac] la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts, outre une indemnité de 3.000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
1°) ALORS QUE tout créancier poursuivant est libre de déterminer les modalités de recouvrement de sa créance et d'exercer les droits dont il dispose dans le cadre de la procédure de saisie immobilière selon ce qu'il estime être le plus conforme à ses intérêts ; que le créancier ayant initié une procédure de saisie ne saurait par conséquent voir sa responsabilité engagée à l'égard de son propre débiteur pour avoir refusé de consentir à la vente amiable du bien saisi ou pour ne pas avoir accédé suffisamment tôt à la demande du débiteur tendant à être autorisé à procéder à cette vente, motif pris qu'il en allait de son intérêt ou de l'intérêt de son débiteur ; qu'en jugeant cependant que le Crédit Foncier de France avait commis une « faute de négligence » en ne répondant pas avec suffisamment de célérité aux courriers par lesquels le notaire des époux [Ab] avait sollicité son accord afin qu'il soit procédé à la vente amiable du bien dont il avait entrepris la saisie, au motif qu'un tel retard était de nature à dissuader l'acquéreur avec lequel les époux [Ab] étaient en négociation, la Cour d'appel a violé l'
article 1382 (devenu 1240) du code civil🏛, ensemble les
articles L.111-1 et L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution🏛 ;
2°) ALORS de même QUE le créancier étant libre de refuser de consentir à la vente amiable du bien saisi, le débiteur ne justifie d'aucun intérêt légitime à reprocher à son créancier de ne pas avoir répondu avec suffisamment de célérité à sa demande tendant à être autorisé à vendre amiablement le bien saisi ; qu'en condamnant cependant le Crédit Foncier de France à verser aux époux [Ab] une somme de 40.000 euros indemnisant la perte d'une chance de vendre le bien saisi de gré à gré et pour un meilleur prix, au motif que le Crédit Foncier de France n'avait pas donné son consentement à la vente amiable de ce bien suffisamment tôt, la Cour d'appel a violé l'
article 1382 (devenu 1240) du code civil🏛, ensemble les
articles 31 du code de procédure civile🏛, L.111-1 et
L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution🏛 ;
3°) ALORS QUE seul l'abus commis par le créancier poursuivant dans l'exercice de ses droits et dans la conduite de la saisie-immobilière dont il assure la conduite peut justifier la mise en jeu de sa responsabilité à l'égard de son débiteur défaillant ; que l'abus s'entend d'une faute grossière, révélant la mauvaise foi du créancier ou son intention de nuire au débiteur ; qu'en se bornant, pour condamner le Crédit Foncier de France à verser aux époux [Ab] une indemnité compensant la perte d'une chance de procéder à une vente à meilleur prix, à relever que la banque avait commis une faute de négligence en tardant à donner son accord afin qu'il soit procédé à la vente amiable du bien saisi, sans caractériser l'abus commis par le créancier poursuivant dans l'exercice de son droit au recouvrement, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article 1382 (devenu 1240) du code civil🏛, ensemble les
articles L.111-1 et L.111-7 du code des procédures civiles d'exécution🏛 ;
4°) ALORS enfin QUE conformément aux
articles R.322-15 et R.322-20 du code des procédures civiles d'exécution🏛, le débiteur dispose lui-même de la faculté de faire réaliser la vente amiable du bien saisi à bref délai, sans qu'il soit nécessaire de recueillir le consentement du créancier poursuivant ; qu'en jugeant que le Crédit Foncier de France avait commis une faute engageant sa responsabilité en tardant à donner son consentement à la vente amiable du bien saisi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si les époux [Ab] n'étaient pas responsables de leur propre préjudice faute d'avoir fait eux-mêmes procéder à la vente amiable du bien ainsi qu'ils en avaient la faculté, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'
article 1382 (devenu 1240) du code civil🏛, ensemble les
articles R.322-15 et R.322-20 du code des procédures civiles d'exécution🏛 ;