CIV. 3
JL
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 2 février 2022
Cassation
Mme TEILLER, président
Arrêt n° 131 FS-D+B
Pourvoi n° X 20-23.468
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 2 FÉVRIER 2022
1°/ M. [B] [G],
2°/ Mme [W] [F], épouse [G],
tous deux domiciliée [Adresse 3],
ont formé le pourvoi n° X 20-23.468 contre l'arrêt rendu le 23 octobre 2020 par la cour d'appel de Paris (pôle 4 - chambre 1), dans le litige les opposant à M. [H] [D], domicilié [… …], défendeur à la cassation.
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de M. et Mme [Aa], de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [D], et l'avis de M. Brun, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 décembre 2021 où étaient présents Mme Teiller, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Ab, Mme A, MM. Jacques, Bech, Boyer, conseillers, Mme Djikpa, M. Zedda, Mme Brun, conseillers référendaires, M. Brun, avocat général, et Mme Besse, greffier de chambre,
la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 octobre 2020), par acte du 25 avril 2017, reçu par M. [Ac], avec la participation de Mme [C], notaires, M. [D] a consenti à M. et Mme [Aa] une promesse unilatérale de vente portant sur un appartement.
2. Une indemnité d'immobilisation était prévue en cas de non-réalisation de la vente.
3. La promesse a été notifiée à M. et Mme [Aa] par lettre recommandée avec demande d'avis de réception reçue le 29 avril 2017.
4. Par courriel du 9 mai 2017, ils ont fait savoir au notaire chargé de la rédaction de l'acte de vente qu'ils exerçaient leur droit de rétractation. Par une lettre recommandée avec demande d'avis de réception, datée du 9 mai et envoyée le 10 mai 2017, ils ont confirmé cette rétractation et demandé la restitution de la somme séquestrée.
5. M. [D] les a assignés en paiement de l'indemnité d'immobilisation.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. M. et Mme [Aa] font grief à l'arrêt d'accueillir la demande de M. [D], alors « qu'aux termes de l'
article L. 271-1, alinéa 2, du code de la construction et de l'habitation🏛, la faculté de rétractation du bénéficiaire d'une promesse de vente est exercée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise ; que les époux [Aa] ont fait valoir que la promesse de vente indiquait que « le promettant constitue pour son mandataire l'office notaire de [Localité 5], [Adresse 1] aux fins de recevoir la notification de l'exercice éventuel de cette faculté », c'est-à-dire l'office [4], et que leur courriel de rétraction avait été envoyé, le 9 mai 2017, à Me [O] [V], notaire assistant au sein de l'office « Monassier & Associés », qui en avait en outre informé, le même jour, le notaire de M. [D], Me [C] ; qu'ils ont ajouté que cette date de réception était attestée par Me [O] [V], en sa qualité d'officier ministériel, la valeur probatoire de l'attestation du notaire, pris en cette qualité, ne pouvant être remise en cause ; qu'en retenant que le courriel adressé par les acquéreurs le 9 mai 2017 à « leur notaire » n'avait pas présenté des garanties équivalentes à une lettre recommandée motif pris, in abstracto, qu'un courriel ne permettait pas d'identifier l'expéditeur, le destinataire ni d'attester de la date de réception, sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'envoi d'un courriel à leur notaire qui était aussi et surtout dûment mandaté par les vendeurs pour recevoir la notification de la rétractation, lequel avait de surcroît attesté en justice l'avoir effectivement reçu à cette date, n'avait pas présenté dans les circonstances de l'espèce une garantie équivalente à une lettre recommandée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 271-1, alinéa 2, du code de la construction et de l'habitation🏛 :
7. Aux termes de ce texte, l'acte est notifié à l'acquéreur par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise. La faculté de rétractation est exercée dans ces mêmes formes.
8. Pour dire que l'envoi par M. et Mme [G] du courriel du 9 mai 2017 ne leur avait pas permis d'exercer régulièrement leur droit de rétractation, l'arrêt retient que ce mode de notification ne présente pas, pour la détermination de la date de réception ou de remise, des garanties équivalentes à celles de la lettre recommandée avec demande d'avis de réception, qu'en effet, l'envoi d'un courriel ne permet ni d'identifier l'expéditeur et le destinataire ni d'attester sa date de réception, que si la
loi du 7 octobre 2016🏛 et son décret d'application du 9 mai 2018 affirment l'équivalence entre la lettre recommandée papier et la lettre recommandée électronique, il en résulte que cette équivalence ne peut être étendue à un simple courriel.
9. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'envoi d'un tel document au notaire mandaté par le vendeur pour recevoir l'éventuelle notification de la rétractation, lequel a attesté en justice avoir reçu le courriel litigieux le 9 mai 2017 à 18 heures 25, n'avait pas présenté des garanties équivalentes à celles d'une notification par lettre recommandée avec demande d'avis de réception, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 octobre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne M. [D] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par M. [D] et le condamne à payer à M. et Mme [G] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux février deux mille vingt-deux. MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat aux Conseils, pour M. et Mme [Aa]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. et Mme [Aa] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué de les avoir condamnés à payer à M. [D] la somme de 122 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation dont 61 000 sont présentement séquestrés entre les mains de Me [E] [C], notaire séquestre conventionnelle et dit que la somme de 61 000 euros correspondant au surplus de l'indemnité d'immobilisation sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2017 ;
Alors qu'aux termes de l'
article L. 271-1, alinéa 2, du code de la construction et de l'habitation🏛, la faculté de rétractation du bénéficiaire d'une promesse de vente est exercée par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou par tout autre moyen présentant des garanties équivalentes pour la détermination de la date de réception ou de remise ; que les époux [Aa] ont fait valoir (concl., p. 11) que la promesse de vente indiquait que « le promettant constitue pour son mandataire l'office notaire de [Adresse 1] aux fins de recevoir la notification de l'exercice éventuel de cette faculté », c'est-à-dire l'office [4], et que leur courriel de rétraction avait été envoyé, le 9 mai 2017, à Me [O] [V], notaire assistant au sein de l'office « Monassier & Associés », qui en avait en outre informé, le même jour, le notaire de M. [D], Me [C] ; qu'ils ont ajouté que cette date de réception était attestée par Me [O] [V], en sa qualité d'officier ministériel, la valeur probatoire de l'attestation du notaire, pris en cette qualité, ne pouvant être remise en cause (pièce n° 13 : attestation de Me [O] [V] du 5 avril 2019) ; qu'en retenant que le courriel adressé par les acquéreurs le 9 mai 2017 à « leur notaire » n'avait pas présenté des garanties équivalentes à une lettre recommandée motif pris, in abstracto, qu'un courriel ne permettait pas d'identifier l'expéditeur, le destinataire ni d'attester de la date de réception, sans avoir recherché, comme elle y était invitée, si l'envoi d'un courriel à leur notaire qui était aussi et surtout dûment mandaté par les vendeurs pour recevoir la notification de la rétractation, lequel avait de surcroît attesté en justice l'avoir effectivement reçu à cette date, n'avait pas présenté dans les circonstances de l'espèce une garantie équivalente à une lettre recommandée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de la disposition susvisée.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. et Mme [Aa] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué de les avoir condamnés à payer à M. [D] la somme de 122 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation dont 61 000 sont présentement séquestrés entre les mains de Me [E] [C], notaire séquestre conventionnelle et dit que la somme de 61 000 euros correspondant au surplus de l'indemnité d'immobilisation sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2017 ;
Alors que tout jugement doit être motivé à peine de nullité ; que, pour écarter l'exception de mauvaise foi invoquée par les époux [G], la cour d'appel a énoncé que « l'exercice par M. [D] de son droit au paiement de la somme prévue par la promesse en cas de non-levée de l'option de constitue pas une exécution de mauvaise foi du contrat alors que [sic] » ; qu'en statuant par de tels motifs, incomplets, d'où il résulte qu'elle s'est déterminée par voie de simple affirmation et a omis de s'expliquer sur la mauvaise foi de la partie venderesse, la cour d'appel a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)
M. et Mme [Aa] font grief à l'arrêt confirmatif attaqué de les avoir condamnés à payer à M. [D] la somme de 122 000 euros au titre de l'indemnité d'immobilisation dont 61 000 sont présentement séquestrés entre les mains de Me [E] [C], notaire séquestre conventionnelle et dit que la somme de 61 000 euros correspondant au surplus de l'indemnité d'immobilisation sera augmentée des intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2017 ;
Alors que 1°) la cour d'appel, pour condamner les époux [G] au paiement de la totalité de l'indemnité d'immobilisation, a énoncé que « la stipulation qualifiée improprement d'indemnité d'immobilisation constitue la contrepartie de l'engagement du vendeur envers les bénéficiaires de la promesse de vente » et « ne constitue donc pas une clause pénale », pouvant donner lieu à réduction ; qu'en décidant ainsi que la « stipulation » contractuelle ne pouvait revêtir la qualification d'indemnité d'immobilisation mais qu'elle ne pouvait cependant être considérée comme une clause pénale, sans en expliquer les raisons, la cour d'appel a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛 ;
Alors que 2°) et en tout état de cause, la fixation conventionnelle et forfaitaire des dommages et intérêts dus par un débiteur en cas d'inexécution de son obligation correspond à une clause pénale ; qu'en se bornant, pour écarter la qualification de clause pénale, à retenir que la clause litigieuse était la contrepartie de l'engagement du vendeur envers les bénéficiaires de la promesse de vente, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si l'objet de la clause n'était pas de sanctionner l'inexécution de l'acquéreur, « en contrepartie du préjudice qui pourrait résulter » pour le vendeur d'avoir à rechercher un nouvel acquéreur (promesse, p. 18), et ne présentait pas un caractère comminatoire, d'où il résultait qu'il s'agissait d'une clause pénale (conclusions, p. 18), la cour d'appel a privé son arrêt de base légale au regard de l'
article 1231-5 du code civil🏛.