CE 8 ch., 17-11-2021, n° 445981
A03817C4
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHS:2021:445981.20211117
Référence
► La possibilité pour un contribuable de s'adresser au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional constitue une garantie substantielle ouverte à l'intéressé à deux moments distincts de la procédure d'imposition : en premier lieu, au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification, pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, et, en second lieu, après la réponse faite par l'administration fiscale aux observations du contribuable sur cette proposition, pour ce qui a trait au bien-fondé des rectifications envisagées.
M. B D a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à sa charge au titre des années 2005 à 2007 et de l'année 2010, ainsi que des pénalités correspondantes. Par un jugement n°1711546 du 30 avril 2019, ce tribunal a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu mises à la charge de M. D dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre des années 2005, 2006 et 2007, ainsi que des pénalités correspondantes, et celle des pénalités de 80% appliquées en 2010 à ses cotisations supplémentaires d'impôts sur le revenu dans la même catégorie.
Par un arrêt n°19PA02008 du 23 septembre 2020, la cour administrative d'appel de Paris⚖️, statuant sur appel de M. D, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence d'un dégrèvement intervenu en cours d'instance, a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu restant en litige, ainsi que des pénalités correspondantes, et celle de l'amende mise à sa charge au titre de l'année 2010 sur le fondement de l'article 1736 du code général des impôts🏛 et réformé en conséquence le jugement du tribunal administratif.
Par un pourvoi enregistré le 5 novembre 2020 au secrétariat du contentieux du conseil d'Etat, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande au conseil d'Etat :
1°) d'annuler les articles 2 à 4 de cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond dans cette mesure, de rejeter l'appel de M. D.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts🏛🏛 et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes,
- les conclusions de Mme Karin Ciavaldini, rapporteure publique ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. D ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. D a fait l'objet d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle au titre des années 2009 et 2010 et de deux vérifications de comptabilité successives de son activité de joueur de poker ayant porté sur la période du 1er janvier 2003 au 31 décembre 2010. Par deux propositions de rectification du 31 juillet 2013 et du 31 juillet 2014, l'administration a procédé à un rehaussement de ses revenus dans la catégorie des traitements et salaires, a estimé qu'il avait exercé pendant les années 2005 à 2007 et l'année 2010 une activité professionnelle de joueur de poker imposable dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, et a en conséquence mis à sa charge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu au titre des années en cause, ainsi que les pénalités correspondantes, et une amende pour défaut de déclaration de compte bancaire à l'étranger. Par un jugement du 30 avril 2019, le tribunal administratif de Paris a déchargé M. D des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti dans la catégorie des bénéfices non commerciaux au titre des années 2005, 2006 et 2007, ainsi que des pénalités correspondantes, et de la majoration de 80% appliquée aux rehaussements prononcés au titre de l'année 2010 dans la même catégorie et rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance se pourvoit en cassation contre l'arrêt du 23 septembre 2020 de la cour d'appel de Paris en tant que celui-ci, statuant sur appel de M. D, après avoir prononcé un non-lieu à statuer à concurrence de dégrèvements accordés en cours d'instance, a prononcé la décharge des impositions restant en litige et de la pénalité pour défaut de déclaration de compte bancaire à l'étranger.
2. Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 10 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Avant l'engagement d'une des vérifications prévues aux articles L. 12 et L. 13, l'administration des impôts remet au contribuable la charte des droits et obligations du contribuable vérifié ; les dispositions contenues dans la charte sont opposables à l'administration ".
3. Le paragraphe 6 du chapitre Ier de la charte, dans sa version remise au contribuable, prévoit que : " En cas de difficultés, vous pouvez vous adresser à l'inspecteur divisionnaire ou principal et ensuite à l'interlocuteur départemental ou régional. Leur rôle vous est précisé plus loin (page 16). Vous pouvez les contacter pendant la vérification ". Pour sa part, le paragraphe 4 du chapitre III de cette charte indique que : " Si le vérificateur a maintenu totalement ou partiellement les redressements envisagés, des éclaircissements supplémentaires peuvent vous être fournis si nécessaire par l'inspecteur principal. / (). Si après ces contacts des divergences importantes subsistent, vous pouvez faire appel à l'interlocuteur spécialement désigné par le directeur dont dépend le vérificateur (voir p. 4) ".
4. La possibilité pour un contribuable de s'adresser, dans les conditions édictées par les passages précédemment cités de la charte, au supérieur hiérarchique du vérificateur puis à l'interlocuteur départemental ou régional constitue une garantie substantielle ouverte à l'intéressé à deux moments distincts de la procédure d'imposition, en premier lieu, au cours de la vérification et avant l'envoi de la proposition de rectification, pour ce qui a trait aux difficultés affectant le déroulement des opérations de contrôle, et, en second lieu, après la réponse faite par l'administration fiscale aux observations du contribuable sur cette proposition, pour ce qui a trait au bien-fondé des rectifications envisagées.
5. En premier lieu, la cour a relevé, par une appréciation souveraine non entachée de dénaturation, que l'administration n'avait pas donné suite, avant l'envoi des propositions de rectification, à la demande de rencontre avec le supérieur hiérarchique du vérificateur que M. D avait formée dans un courrier, remis le 13 novembre 2012 à ce dernier, qui faisait état de difficultés rencontrées au cours du contrôle. En en déduisant que la procédure d'examen de la situation fiscale personnelle du requérant était entachée d'une irrégularité qui, compte tenu du caractère substantiel du vice en cause, justifiait la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu en litige, la cour, qui n'était pas tenue, pour déterminer si le contribuable avait été privée d'une garantie, d'apprécier la réalité exacte des difficultés invoquées à l'appui de la demande d'entretien, n'a pas commis d'erreur de droit.
6. En deuxième lieu, les motifs de l'arrêt par lesquels la cour a relevé que cette irrégularité de la procédure d'imposition a eu une influence sur la décision d'imposition revêtant un caractère surabondant. Par suite, le moyen dirigé contre ces motifs est inopérant et ne peut qu'être écarté.
7. En troisième et dernier lieu, la cour administrative d'appel a relevé, par des motifs non argués de dénaturation, que l'amende pour non-déclaration de compte bancaire à l'étranger mise à la charge de M. D en application du IV de l'article 1736 du code général des impôts🏛 avait été appliquée au vu des éléments recueillis dans le cadre de la procédure de contrôle entachée d'irrégularité. Par suite, elle a pu sans erreur de droit juger que cette irrégularité entraînait la décharge de cette amende.
8. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la relance n'est pas fondé à demander l'annulation des articles 2 à 4 de l'arrêt qu'il attaque.
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros à verser à M. D au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
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Article 1er : Le pourvoi du ministre de l'économie, des finances et de la relance est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. B D la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de la relance et à M. D.
Délibéré à l'issue de la séance du 28 septembre 2021 où siégeaient : M. Pierre Collin, président de chambre, présidant ; M. Benoît Bohnert, conseiller d'Etat et Mme Ophélie Champeaux, maître des requêtes-rapporteure.
Rendu le 17 novembre 2021.
Le président :
Signé : M. Pierre Collin
La rapporteure :
Signé : Mme Ophélie Champeaux
La secrétaire :
Signé : Mme A C445981- 3 -
Arrêt, 19PA02008, 23-09-2020 Examen contradictoire de la situation fiscale personnelle Vérification de la comptabilité Comptes bancaires Majoration appliquée Inspecteurs divisionnaires Directeur Constitution des garanties Procédure entachée d'irrégularité Suppléments d'impôt sur le revenu Entretien Caractère surabondant Moyen inopérant