Jurisprudence : CEDH, 09-06-2009, Req. 28142/04, BENDAYAN AZCANTOT ET BENALAL BENDAYAN c/ ESPAGNE

CEDH, 09-06-2009, Req. 28142/04, BENDAYAN AZCANTOT ET BENALAL BENDAYAN c/ ESPAGNE

A4140IRR

Référence

CEDH, 09-06-2009, Req. 28142/04, BENDAYAN AZCANTOT ET BENALAL BENDAYAN c/ ESPAGNE. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/6570091-cedh-09062009-req-2814204-bendayan-azcantot-et-benalal-bendayan-c-espagne
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TROISIÈME SECTION

AFFAIRE BENDAYAN AZCANTOT ET BENALAL BENDAYAN c. ESPAGNE

(Requête n° 28142/04)

ARRÊT

STRASBOURG

9 juin 2009

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l'affaire Bendayan Azcantot et Benalal Bendayan c. Espagne,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,

Elisabet Fura-Sandström,

Boštjan M. Zupanèiè,

Alvina Gyulumyan,

Ineta Ziemele,

Ann Power, juges,

Alejandro Saiz Arnaiz, juge ad hoc,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 19 mai 2009,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 28142/04) dirigée contre le Royaume d'Espagne et dont deux ressortissants de cet Etat, MM. Gimol-Violeta Bendayan Azcantot et Samuel Benalal Bendayan (" les requérants "), ont saisi la Cour le 26 juillet 2004 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ").

2. Les requérants sont représentés par Me Cobo Del Rosal, avocat à Madrid. Le gouvernement espagnol (" le Gouvernement ") est représenté par son agent, M. I. Blasco Lozano, chef du service juridique des droits de l'homme du ministère de la Justice.

3. Les requérants allèguent en particulier que leur cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable.

4. Le 24 novembre 2005, la Cour a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 3 de la Convention, elle a en outre été décidé que seraient examinés en même temps la recevabilité et le fond de l'affaire.

5. A la suite du déport de M. L. López Guerra, juge élu au titre de l'Espagne (article 28 du règlement), le Gouvernement a désigné M. A. Saiz Arnaiz comme juge ad hoc pour siéger à sa place (articles 27 § 2 de la Convention et 29 § 1 du règlement).

EN FAIT

I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

6. Les requérants résident à Madrid.

1. La plainte pénale déposée par les requérants à l'encontre de M.L.R.

7. Le 24 octobre 1988, les requérants déposèrent une plainte pénale à l'encontre de M.L.R. pour escroquerie, faux et augmentation frauduleuse des prix, devant le juge d'instruction n° 2 de Santa Cruz de Tenerife.

8. Une fois l'instruction close, M.L.R. fut renvoyé en jugement devant l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife, qui, par un jugement du 9 mars 1991, relaxa l'accusé du chef des délits pour lesquels il avait été inculpé.

9. Contre ce jugement, les requérants se pourvurent en cassation devant le Tribunal suprême, qui, par un arrêt du 9 juillet 1993, cassa le jugement entrepris et renvoya l'affaire devant l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife. Par un jugement contradictoire du 17 février 1995, rendu après la tenue d'une audience publique, l'Audiencia Provincial reconnut M.L.R. coupable d'un délit d'escroquerie prévu par les articles 528 et 529 §§ 2 et 7 du code pénal et le condamna à une peine d'un an et trois mois d'emprisonnement ainsi qu'au paiement de 396 556 002 pesetas (2 383 349,57 euros) aux requérants, à majorer de l'intérêt légal à compter du 30 novembre 1987, au titre des préjudices subis. Elle le condamna également au paiement des frais et dépens.

10. M.L.R. se pourvut alors en cassation devant le Tribunal suprême. Par un arrêt du 22 avril 1997, celui-ci rejeta le recours et confirma la condamnation prononcée par l'Audiencia Provincial. Par une ordonnance du 24 juin 1997, l'Audiencia Provincial déclara le caractère définitif et exécutoire du jugement du 17 février 1995.

2. La procédure d'exécution du jugement pénal devant l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife et les recours d'amparo devant le Tribunal constitutionnel

11. Le 24 juillet 1997, les requérants sollicitèrent l'exécution du jugement auprès de l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife.

12. Il ressort du dossier que le 29 juillet 1997, l'Audiencia Provincial ordonna le remboursement aux requérants d'une somme de 9 247 597 pesetas (55 579,18 euros).

13. Le 20 novembre 1997, les requérants s'adressèrent à nouveau à l'Audiencia Provincial en vue de voir exécuter le jugement pénal rendu en leur faveur, sollicitant notamment le paiement dans les plus bref délais d'une somme de 947 710 732 pesetas (5 695 856,21 euros), représentant la somme octroyée au titre de la responsabilité civile plus les intérêts calculés jusqu'au 24 juillet 1997.

14. Le 3 décembre 1997, l'Audiencia Provincial communiqua aux requérants que le sursis à exécution de la peine d'emprisonnement de M.L.R. avait été accordé pour maladie grave de ce dernier, sans pour autant faire référence à l'exécution de la responsabilité civile.

15. Le 11 décembre 1997, les requérants attaquèrent cette décision devant l'Audiencia Provincial.

16. Par une décision du 27 février 1998, l'Audiencia Provincial rejeta le recours formé par les requérants, tout en ordonnant qu'il soit procédé à la liquidation de la responsabilité civile due aux requérants.

17. L'épouse de M.L.R sollicita l'application de l'article 1373 du Code civil, en demandant que l'exécution soit limitée à la partie d'acquêts pouvant correspondre à son mari.

18. Le 28 mai 1998, l'Audiencia Provincial approuva la liquidation des intérêts dus au titre de la responsabilité civile, exigeant à M.L.R. le paiement d'une somme de 707 022 484 pesetas (4 249 290,71 euros). Elle accorda la saisie de plusieurs propriétés et actions appartenant au condamné et à son épouse et demanda aux banques du territoire national de lui fournir des informations sur ses fonds bancaires.

19. Le 28 mai 1998, la vérification judiciaire des frais et dépens de la procédure fut effectuée par la greffière de la chambre de l'Audiencia Provincial. Elle fixa une somme de 7 617 678 pesetas (45 783,17 euros) correspondant aux honoraires de l'avocat et de l'avoué.

20. Le 5 juin 1998, l'Audiencia Provincial mit en demeure M.L.R. de remettre les actions saisies et de payer la somme de 707 022 484 pesetas (4 249 290,71 euros). Elle informa l'épouse de M.L.R. de l'existence de la procédure d'exécution entamée à l'encontre de son mari, notamment quant aux saisies ordonnées.

21. Pour ce qui est de la vérification judiciaire des dépens résultant du pourvoi en cassation finalement rejeté, par une ordonnance du 20 octobre 1998, le Tribunal suprême décida que M.L.R. devait verser aux requérants une somme de 5 096 984 pesetas (30 633,49 euros) à titre de frais et dépens résultant du pourvoi en cassation, correspondant aux honoraires de l'avocat et de l'avoué.

22. Le 24 décembre 1998, l'Audiencia Provincial notifia aux requérants une décision par laquelle elle ordonnait la réalisation d'une expertise sur la valeur d'une propriété saisie de M.L.R. Contre cette décision, les requérants formèrent un recours de súplica, alléguant notamment qu'ils avaient droit à la restitution partielle de la propriété saisie ayant été l'objet de l'infraction pénale commise par M.L.R

23. Le 2 février 1999, l'Audiencia Provincial ordonna qu'il soit procédé à la désignation d'un ingénieur agricole afin de réaliser l'expertise sur la propriété rustique saisie. Les requérants attaquèrent également cette décision, faisant valoir que cet expert était manifestement inadéquat pour l'expertise de la propriété en cause, qu'ils considéraient comme un terrain pouvant être urbanisé.

24. Par une décision du 22 février 1999, les deux recours furent rejetés, au motif que le jugement condamnatoire devant être exécuté obligeait au paiement d'une somme et non pas à la restitution d'une propriété.

25. Le 5 avril 1999, les requérants saisirent le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo sur la base de l'article 24 de la Constitution (droit à un procès équitable et droit à un procès dans un délai raisonnable). Par une décision du 13 octobre 1999, notifiée le 2 novembre 1999, la haute juridiction déclara le recours irrecevable. Elle n'apprécia pas l'existence de retards injustifiés dans la procédure d'exécution, dans la mesure où le délai écoulé entre les différentes décisions rendues portant sur l'exécution de la peine d'emprisonnement ou de la responsabilité civile de M.L.R. (notamment la liquidation des intérêts, les saisies des biens et la vérification de la valeur des immeubles saisis) n'avait en aucun cas été supérieur à trois mois. Par ailleurs, elle nota que les requérants avaient formé plusieurs recours contre ces décisions.

26. Le 26 janvier 2000, l'Audiencia Provincial ordonna la remise des actions saisies d'une valeur de 19 millions de pesetas (114 192,30 euros) aux requérants. Elle nomma à l'expert J.G.P., proposé par les requérants, pour fixer la valeur de la propriété saisie.

27. Le 28 mars 2000, M.L.R. décéda.

28. Le 26 juillet 2000, J.G.P. remit son expertise à l'Audiencia Provincial.

29. Les enfants de M.L.R. engagèrent par la suite une procédure de succession testamentaire devant le juge de première instance n° 5 de Santa Cruz de Tenerife. Par une décision du 7 novembre 2000, le juge de première instance déclara cette action irrecevable. Il ressort du dossier que les enfants de M.L.R. firent appel.

30. Le 10 novembre 2000, les enfants de M.L.R. sollicitèrent la suspension de la procédure d'exécution du jugement pénal en cause.

31. Le 17 novembre 2000, la veuve de M.L.R. contesta les résultats de l'expertise réalisée par J.G.P. et proposa la désignation d'un architecte pour effectuer une nouvelle expertise sur les propriétés saisies. Cet expert fut nommé par l'Audiencia Provincial le 18 janvier 2001.

32. Le 9 janvier 2001, les requérants se plaignirent auprès du Tribunal suprême du retard dans l'exécution par l'Audiencia Provincial du jugement litigieux.

33. Le 23 janvier 2001, le Tribunal suprême rappela qu'il avait déjà envoyé une communication officielle à l'Audiencia Provincial afin que celle-ci procède à la liquidation des frais et dépens et que, par une notification du 31 mai 1999, la juridiction d'instance lui avait fait savoir que la liquidation se trouvait pendante, du fait de la fixation de la valeur des propriétés de M.L.R. saisies.

34. Le 27 janvier 2001, le président de l'Audiencia Provincial adressa une communication officielle au Tribunal suprême, dans laquelle il signala que suite au décès de M.L.R, la vente aux enchères des biens se trouvait pendante en attendant l'issue de la procédure portant sur la succession testamentaire de ce dernier, engagée par ses enfants.

35. Le 29 janvier 2001, l'Audiencia Provincial demanda à la veuve de M.L.R. de faire une déclaration de ses propres biens et de ceux de l'héritage de M.L.R.

36. Face à cette demande, la veuve de M.L.R. réitéra sa demande d'application de l'article 1373 du Code civil.

37. Par une communication officielle du 7 mars 2001 adressée au Tribunal suprême, le président de l'Audiencia Provincial avertit à nouveau de l'impossibilité de l'exécution immédiate des frais et dépens, eu égard au fait que la vente publique aux enchères des propriétés saisies se trouvait pendante en attendant la réalisation d'une expertise sur la valeur de la propriété par l'expert désigné par la partie défenderesse. Il signala en outre l'absence d'autres biens appartenant à M.L.R.

38. Le 10 mars 2001, l'expert proposé par la veuve de M.L.R. remit son expertise à l'Audiencia Provincial.

39. Par une décision du 27 mars 2001, l'Audiencia Provincial déclara la dissolution de la communauté d'acquêts entre le condamné et son épouse en application de l'article 1373 du Code civil. Contre cette décision, les requérants se pourvurent en cassation devant le Tribunal suprême. Le ministère public adhéra à ce pourvoi, en faisant valoir le manque de compétence de la chambre pénale de l'Audiencia Provincial pour se prononcer sur ces questions suite au décès de M.L.R. Le ministère public estima que les requérants devaient faire valoir leurs créances reconnues par le jugement pénal dans le cadre d'une procédure civile engagée à l'encontre des héritiers de M.L.R Il allégua par ailleurs que l'option prévue par l'article 1373 du Code civil ne pouvait s'appliquer à des biens d'origine illicite, tels que les propriétés saisies de M.L.R., dont l'origine délictueuse avait été reconnue par le jugement pénal au fond.

40. Les requérants demandèrent également la nullité de la procédure d'exécution devant l'Audiencia Provincial au motif que l'écrit par lequel l'épouse de M.L.R. avait exercé le droit prévu par l'article 1373 du Code civil ne leur avait pas été notifié.

41. Les requérants présentèrent le 26 novembre 2001 devant le Tribunal suprême un mémoire sollicitant que celui-ci ordonne à l'Audiencia Provincial d'accorder la saisie des biens de M.L.R. aux fins de l'exécution du jugement du 17 février 1995.

42. Par une ordonnance du 14 janvier 2002, le Tribunal suprême rappela qu'il revenait à la juridiction de l'Audiencia Provincial de procéder à l'exécution sollicitée par les requérants.

43. Contre cette décision, les requérants formèrent un recours de súplica devant le Tribunal suprême, qui, par une décision du 12 juin 2002, le rejeta.

44. Le 9 juillet 2002, invoquant l'article 24 §§ 1 et 2 (droit à un procès équitable et droit à un procès dans un délai raisonnable), les requérants saisirent une deuxième fois le Tribunal constitutionnel d'un recours d'amparo. Ils se plaignirent de la non-exécution du jugement du 17 février 1995 et des retards injustifiés imputables à l'Audiencia Provincial.

45. Le pourvoi en cassation contre la décision du 27 mars 2001 fut déclaré irrecevable par le Tribunal suprême en date du 29 avril 2002. Par une décision du 21 décembre 2002, l'Audiencia Provincial statua alors sur l'action en nullité présentée par les requérants dans le cadre de la procédure d'exécution (cf. ci-dessus paragraphe 40). Quant à la prétendue absence de notification reprochée, elle nota qu'il ressortait du dossier que les requérants avaient eu connaissance dès le mois de janvier ou février 2001 de l'invocation par la veuve du condamné de l'option prévue par l'article 1373 du Code civil.

46. Entre-temps, les requérants invoquèrent un deuxième moyen de nullité de la procédure d'exécution, à savoir le manque de compétence de l'Audiencia Provincial depuis le décès du condamné le 28 mars 2000. Ce faisant, ils sollicitèrent la nullité de tous les actes réalisés depuis cette date ainsi que le classement de l'exécution par la voie pénale, tel que le ministère public l'avait indiqué lors de son adhésion au pourvoi en cassation présenté par les requérants contre la décision du 27 mars 2001.

47. Dans sa décision du 21 décembre 2002, l'Audiencia Provincial fit droit à cette dernière demande et classa l'exécution par la voie pénale. Elle nota que tous les aspects relatifs à l'exécution du jugement en question, y compris ceux ayant trait à la dissolution de la communauté d'acquêts entre le condamné et son épouse, pourraient être débattus lors d'un procès civil. Cette décision fut confirmée par l'Audiencia Provincial le 5 avril 2003.

48. Par la suite, une action civile exécutive fut introduite par les requérants devant le juge de première instance n° 5 de Santa Cruz de Tenerife. Ils sollicitèrent le recouvrement d'une somme de 6 078 601,49 euros à la veuve de M.L.R. Par une décision du 18 juin 2003, le juge de première instance rejeta cette action pour manque de compétence. Cette décision fut confirmée par l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife le 8 mars 2004.

49. Par une décision du 4 mars 2004, notifiée le 9 mars 2004, le Tribunal constitutionnel déclara le recours d'amparo du 9 juillet 2002 irrecevable comme étant manifestement dépourvu de fondement constitutionnel. La haute juridiction nota que le Tribunal suprême avait considéré qu'il ne lui appartenait pas d'ordonner l'exécution du jugement, y compris la liquidation des dépens, et que cette interprétation des normes de procédure et de compétence quant à l'exécution des jugements n'était pas entachée d'arbitraire. Pour ce qui est du grief tiré des retards injustifiés, elle releva que les prétendues défaillances dans la phase d'exécution du jugement n'étaient pas étayées, les requérants se limitant à se plaindre du temps objectivement écoulé à partir de la date où le jugement était devenu définitif.

50. En mai et juillet 2004, les requérants demandèrent à l'Audiencia Provincial de rouvrir l'exécution par la voie pénale du 21 décembre 2002, eu égard au fait que leur action civile tendant à faire exécuter le jugement pénal avait été rejetée par le juge de première instance n° 5.

51. Par une décision du 1er septembre 2004, l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife rejeta cette demande, sans préjudice des actions " pertinentes " disponibles aux requérants pour recouvrer leurs créances par la voie civile. Le tribunal nota que sa décision du 21 décembre 2002 classant l'exécution était devenue définitive. Le 21 décembre 2004, l'Audiencia Provincial rejeta le recours de súplica formé par les requérants.

52. Par une ordonnance du 20 avril 2005, l'Audiencia Provincial classa définitivement l'exécution du jugement pénal en cause.

53. Il ne ressort pas du dossier que les requérants aient engagé d'autres actions civiles pour faire exécuter intégralement la responsabilité civile ou la condamnation aux frais et dépens de M.L.R.

II. LE DROIT INTERNE PERTINENT

A. La Constitution

54. La disposition pertinente en la matière se lit ainsi :

Article 24

" 1. Toute personne a le droit d'obtenir la protection effective des juges et des tribunaux pour exercer ses droits et ses intérêts légitimes, sans qu'en aucun cas elle ne soit mise dans l'impossibilité de se défendre.

2. De même, toute personne a droit à un juge de droit commun déterminé préalablement par la loi, à se défendre et à se faire assister par un avocat, à être informée de l'accusation portée contre elle, à avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, à utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, à ne pas s'incriminer soi-même, à ne pas s'avouer coupable et à être présumée innocente (...) ".

B. Le Code civil

55. La disposition pertinente est libellée ainsi :

Article 1373

" Chacun des époux répond de ses propres dettes sur son propre patrimoine et, lorsque ses biens propres ne sont pas suffisants pour faire face à celles-ci, le créancier peut poursuivre leur paiement sur les biens de la communauté d'acquêts, ce qui est immédiatement notifié à l'autre époux, qui peut solliciter que lors de la saisie les biens communs soient remplacés par la partie appartenant à l'époux débiteur, entraînant ainsi la dissolution de la communauté ".

EN DROIT

I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

56. Les requérants se plaignent de ce que leur cause n'a pas été entendue dans un délai raisonnable. Ils estiment que le jugement rendu dans le cadre de la procédure pénale entamée par eux, devenu définitif le 24 juin 1997, n'a pas été exécuté dans un délai raisonnable. Les requérants font valoir que les retards injustifiés sont dus à l'inaction de l'Audiencia Provincial, auxquels ni le Tribunal suprême ni le Tribunal constitutionnel n'ont remédié, ainsi qu'aux agissements du condamné et de sa famille. Ils invoquent l'article 6 de la Convention, dont la partie pertinente est ainsi libellée :

" Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) "

57. Le Gouvernement s'oppose à cette thèse.

A. Sur la recevabilité

58. La Cour constate que la requête n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention. La Cour relève par ailleurs qu'elle ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B. Sur le fond

1. Les arguments des parties

a) Le Gouvernement

59. Le Gouvernement considère d'emblée que le grief des requérants porte sur la procédure d'exécution du jugement pénal litigieux, et non sur les retards dans la procédure pénale au fond en tant que telle. Il note par ailleurs que le grief est limité à l'exécution de la responsabilité civile découlant du délit et de la condamnation aux frais et dépens, en particulier les honoraires de l'avocat des requérants.

60. Le Gouvernement affirme qu'il y a eu plusieurs démarches procédurales durant la phase d'exécution du jugement pénal, tel que le Tribunal constitutionnel l'a constaté dans sa décision du 13 octobre 1999, notamment la liquidation des intérêts dus, les saisies des propriétés et la vérification de la valeur des immeubles saisis. Il fait valoir que la complexité de l'exécution du jugement en question s'explique en partie par le comportement des requérants. D'une part, les requérants ont prétendu à la restitution des immeubles saisis tout au long de la procédure, alors que le jugement pénal n'obligeait qu'au paiement d'une somme d'argent au titre de la responsabilité civile. D'autre part, ils ont déployé une intense activité procédurale destinée à éviter les effets de la dissolution de la communauté d'acquêts sollicitée par la veuve de M.L.R. D'après le Gouvernement, les requérants n'étant pas d'accord avec la manière dont ces deux questions avaient été tranchées par le tribunal de l'exécution, ils sollicitèrent d'abord la nullité des démarches effectuées en obtenant par la suite le classement de l'exécution par la voie pénale.

61. Le Gouvernement fait observer qu'il n'y a eu aucun acte d'exécution omis pouvant être signalé par les requérants, qui se bornent à faire référence au temps objectivement écoulé à partir de la date où le jugement est devenu définitif. Il n'y a donc eu aucune période précise et injustifiée d'inactivité imputable aux organes juridictionnels, les requérants se limitant à contester la façon dont les tribunaux ont statué sur leurs prétentions dans le cadre de l'exécution.

62. Pour conclure, le Gouvernement note que le comportement des requérants a contribué aux retards dans l'exécution du jugement litigieux, dans la mesure où ils ont introduit de nombreux recours contre les décisions entreprises. Il souligne que lorsque les requérants sollicitèrent la nullité de la procédure, tous les actes d'exécution possibles avaient été pratiqués, notamment la remise des actions et d'une somme d'argent, la recherche d'autres biens ou l'exécution des saisies.

b) Les requérants

63. Les requérants se plaignent tout d'abord de ce que le jugement du 17 février 1995, par lequel l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife a condamné M.L.R. à leur verser une certaine somme au titre de la responsabilité civile, confirmé en cassation le 22 avril 1997, n'a pas été exécuté. Ils mettent en cause le comportement des autorités judiciaires et font valoir que les retards ne peuvent être imputables ni à la complexité de l'affaire ni à leur propre comportement.

64. Les requérants soutiennent qu'ils ont déployé tous les efforts nécessaires en vue de voir exécuter le jugement définitif et que c'est la famille du condamné qui a fait preuve d'une volonté d'obstruction, suite au décès de M.L.R. en 2000, en engageant une procédure de succession testamentaire. En tout état de cause, l'exécution aurait dû être achevée avant le décès de M.L.R, soit trois ans après la date où le jugement est devenu définitif. Les requérants insistent sur le fait que pendant la phase immédiatement postérieure à l'arrêt du Tribunal suprême, l'Audiencia Provincial s'est limitée à ordonner le sursis à l'exécution de la peine d'emprisonnement de M.L.R. Ils font valoir que les seuls actes réalisés par le tribunal de l'exécution, notamment les ordres de saisies, la recherche des biens ou la vérification de la valeur des immeubles, n'étaient pas très complexes. Par ailleurs, on ne saurait reprocher aux requérants d'avoir exercé les recours prévus par la loi contre les décisions qu'ils estimaient contraires à leurs intérêts dans le cadre de la procédure d'exécution.

65. Quant à la dissolution de la communauté d'acquêts sollicitée par la veuve de M.L.R., les requérants allèguent qu'ils ont utilisé toutes les voies procédurales disponibles afin de contester la régularité de cette mesure, vu l'origine illicite des biens en question telle que reconnue par le jugement pénal au fond. Ils font observer que la veuve de M.L.R. tentait uniquement de se soustraire au paiement des responsabilités dérivées du jugement pénal prononcé à l'encontre de son époux.

66. Pour conclure, les requérants contestent la thèse du Gouvernement. Ils considèrent que les autorités judiciaires n'ont réalisé aucun acte d'exécution du jugement pénal du 17 février 1995, malgré toutes leurs demandes.

2. L'appréciation de la Cour

67. La Cour observe d'emblée que le grief des requérants porte pour l'essentiel sur la procédure d'exécution du jugement pénal et non sur les retards dans la procédure pénale au fond en tant que telle. Elle note par ailleurs que les deux recours d'amparo formés par les requérants devant le Tribunal constitutionnel ne visaient que les retards dans la procédure d'exécution du jugement définitif. Par conséquent, la Cour se limitera à l'examen de la procédure d'exécution du jugement pénal rendu en faveur des requérants, devenu définitif le 24 juin 1997 après avoir été confirmé en cassation.

68. La Cour tient à réitérer sa jurisprudence constante, selon laquelle l'article 6 § 1 de la Convention exige que toutes les phases des procédures judiciaires tendant à vider des " contestations sur des droits et obligations de caractère civil " aboutissent dans un délai raisonnable, sans que l'on puisse excepter les phases postérieures aux décisions sur le fond (voir les arrêts Robins c. Royaume-Uni, 23 septembre 1997, § 28, Recueil des arrêts et décisions 1997 V, Estima Jorge c. Portugal, 21 avril 1998, § 35, Recueil des arrêts et décisions 1998 II, et Buj c. Croatie, n° 24661/02, § 16, 1er juin 2006). Ainsi, l'exécution d'un jugement ou arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considérée comme faisant partie intégrante du " procès " au sens de l'article 6 (arrêt Hornsby c. Grèce, 19 mars 1997, § 40, Recueil des arrêts et décisions 1997 II).

69. Dans le cas d'espèce, il s'agissait de l'exécution d'un jugement imposant à un particulier une obligation de verser des dommages-intérêts au titre de la responsabilité civile résultant d'une infraction pénale ainsi que des frais et dépens encourus dans le cadre d'une procédure pénale. A cet égard, la Cour rappelle la nécessité de préserver les droits des victimes des infractions pénales et la place qui leur revient dans le cadre des procédures pénales (Perez c. France [GC], n° 47287/99, § 72, CEDH 2004 I). Cela vaut également pour la phase d'exécution d'un jugement pénal rendu en leur faveur, dans la mesure où c'est durant celle-ci que la réparation pécuniaire du dommage subi par les victimes trouve sa réalisation effective.

70. En l'espèce, en ce qui concerne la durée de la procédure d'exécution litigieuse, la Cour considère que la période à prendre en considération va du 24 juin 1997, date à laquelle le jugement pénal est devenu définitif et exécutoire, au 20 avril 2005, date de l'ordonnance de l'Audiencia Provincial de Santa Cruz de Tenerife classant définitivement l'exécution du jugement pénal en cause. La durée à examiner est de sept ans, neuf mois et vingt-sept jours.

71. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes ainsi que l'enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d'autres, Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, CEDH 2000 VII, Quiles Gonzalez c. Espagne, n° 71752/01, § 23, 27 avril 2004, et Alberto Sanchez c. Espagne, n° 72773/01, § 46, 16 novembre 2004). Ces critères s'appliquent également dans le cas présent, où est en cause la durée de la procédure d'exécution d'un jugement définitif (voir, par exemple, Gorokhov et Roussyaïev c. Russie, n° 38305/02, § 31, 17 mars 2005).

72. La Cour relève que les requérants sollicitèrent l'exécution du jugement auprès de l'Audiencia Provincial dès le 24 juillet 1997 (paragraphe 11 ci-dessus). Ce n'est qu'en mai 1998 que le tribunal de l'exécution approuva la liquidation des intérêts dus au titre de la responsabilité civile, exigeant au condamné, M.L.R., le paiement d'une somme d'argent. A cette date, le tribunal accorda la saisie de plusieurs propriétés et actions appartenant au condamné et demanda des informations sur ses avoirs aux banques nationales (paragraphe 18 ci-dessus). En décembre 1998, l'Audiencia Provincial ordonna la réalisation d'une expertise sur la valeur d'une propriété de M.L.R (paragraphe 22 ci-dessus). En janvier 2000, elle ordonna la remise aux requérants des actions saisies (paragraphe 26 ci-dessus). La Cour ne peut donc partager la position des requérants, selon lesquels les autorités judiciaires n'ont réalisé aucun acte d'exécution du jugement définitif.

73. La Cour concède que la présentation des plusieurs recours par les requérants a pu retarder le déroulement de la procédure d'exécution. A cet égard, elle note que les requérants introduisirent plusieurs recours contre les décisions relatives à l'expertise sur la valeur de la propriété saisie du condamné, insistant notamment sur la restitution de celle-ci (paragraphes 22-24 ci-dessus). La Cour observe en outre que les requérants attaquèrent devant le Tribunal suprême la dissolution de la communauté d'acquêts entre le condamné et son épouse, prononcée le 27 mars 2001 par le tribunal de l'exécution (paragraphe 39 ci-dessus). Toutefois, elle ne saurait reprocher aux requérants d'avoir utilisé les voies procédurales disponibles pour défendre leurs intérêts, notamment face à la dissolution de la communauté d'acquêts accordée à la veuve de M.L.R., qui fut d'ailleurs contestée devant le Tribunal suprême par le ministère public.

74. La Cour admet que l'affaire revêtait une certaine complexité, notamment après le décès de M.L.R., du fait de l'existence parallèle d'une procédure de succession testamentaire engagée par ses enfants (paragraphe 29 ci-dessus) et de la dissolution de la communauté d'acquêts mentionnée. Elle observe toutefois que lorsque le condamné décéda, le 28 mars 2000, la vente aux enchères des propriétés saisies n'avait pas encore eu lieu. Ce n'est qu'en juillet 2000, soit plus d'un an après le rejet des recours exercés par les requérants contre les décisions relatives à l'expertise, que l'expert remit la première expertise au tribunal de l'exécution (paragraphe 28 ci-dessus). La Cour estime que les autorités compétentes auraient dû agir avec plus de diligence afin de ne pas porter préjudice aux possibilités réelles d'exécution du jugement rendu au principal et pour ne pas favoriser le débiteur et sa famille.

75. En conclusion, au vu des circonstances de la cause, qui commandent une évaluation globale, la Cour estime qu'un laps de temps de sept ans, neuf mois et vingt-sept jours pour la phase d'exécution d'un jugement pénal définitif ne saurait, en soi, être considéré comme répondant aux exigences du " délai raisonnable " garanti par l'article 6 § 1 de la Convention.

76. Ces éléments suffisent à la Cour pour conclure que la cause des requérants n'a pas été entendue dans un délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention.

II. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

77. Aux termes de l'article 41 de la Convention,

" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "

A. Dommage

78. Les requérants réclament 6 778 362,69 euros (EUR) au titre du préjudice qu'ils auraient subi. Cette somme représente la créance octroyée par le jugement du 15 février 1995, plus les intérêts moratoires fixés par l'Audiencia Provincial en 1998 et les intérêts dus jusqu'à la présentation de la requête devant la Cour.

79. Le Gouvernement conteste les montants réclamés, qu'il considère exorbitants car supérieurs aux sommes allouées par le jugement définitif. Il fait observer que les intérêts moratoires réclamés couvrent des périodes postérieures à la clôture de la procédure d'exécution. Le Gouvernement fait valoir que cette somme ne tient pas compte de la responsabilité des requérants pour les retards dans l'exécution. Il considère enfin que les requérants essaient de rendre l'État responsable de l'insolvabilité du condamné.

80. La Cour rappelle que le constat de violation de la Convention auquel elle parvient résulte exclusivement d'une méconnaissance du droit des requérants à voir leur cause entendue dans un " délai raisonnable ". Dans ces circonstances, elle n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et un quelconque dommage matériel dont les requérants auraient eu à souffrir ; il y a donc lieu de rejeter cet aspect de ses prétentions (Alberto Sanchez, précité, § 54).

81. Quant au dommage moral, statuant en équité, comme le veut l'article 41, elle considère que le prolongement de la procédure litigieuse au-delà du " délai raisonnable " a causé aux requérants un tort moral certain, justifiant l'octroi d'une indemnité, et alloue à chacun des requérants 8 000 EUR au titre du préjudice moral.

B. Frais et dépens

82. Les requérants demandent également 30 633,49 euros (EUR) pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes, assortis d'intérêts à compter du 20 octobre 1998, date à laquelle le Tribunal suprême fixa ces frais et dépens dans le cadre du pourvoi en cassation formé par M.L.R. (paragraphe 21 ci-dessus), jusqu'à la date d'introduction de la requête devant la Cour en 2004.

83. Le Gouvernement ne formule pas d'observations à cet égard.

84. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. La Cour estime que les requérants n'ont pas droit au remboursement de l'ensemble des frais et dépens nécessaires pour leur défense devant les tribunaux espagnols, mais seulement de ceux nécessaires pour se plaindre de la violation invoquée devant la Cour. Elle observe que les requérants fournissent la note d'honoraires de leur avocat dans le cadre du pourvoi en cassation formé par M.L.R. contre le jugement de condamnation et réclament le remboursement des frais et dépens fixés par le Tribunal suprême. La Cour note toutefois que ces frais et dépens ne portent pas sur le grief tiré de la durée déraisonnable de la procédure d'exécution soulevé devant elle mais sur la procédure pénale au principal. Elle relève par ailleurs qu'ils n'ont pas réclamé le remboursement des frais et dépens engagés pour leur défense devant la Cour. En conséquence, la Cour estime qu'il n'y a pas lieu de leur accorder une somme à ce titre.

C. Intérêts moratoires

85. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1. Déclare, à l'unanimité, la requête recevable ;

2. Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 de la Convention ;

3. Dit, à l'unanimité,

a) que l'État défendeur doit verser à chacun des requérants, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 8 000 EUR (huit mille euros), pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt;

b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4. Rejette, par cinq voix contre deux, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 9 juin 2009, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago Quesada, Greffier

Josep Casadevall, Président


Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion partiellement dissidente commune des juges Ziemele et Saiz Arnaiz


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE À LA JUGE ZIEMELE ET AU JUGE AD HOC SAIZ ARNAIZ

(Traduction)

1. Avec la majorité, nous estimons qu'il y a eu violation de l'article 6 § 1 dans la présente affaire, mais nous ne partageons pas la position adoptée au paragraphe 75 consistant à requalifier la cause en affaire de durée de procédure et à ne plus y voir une affaire de non-exécution. En conséquence, nous marquons notre désaccord avec les conclusions de la Cour à propos de l'article 41.

2. Après avoir dit clairement, au paragraphe 56, que les requérants se plaignaient de ce que le jugement devenu définitif le 24 juin 1997 n'ait pas été exécuté dans un délai raisonnable et avoir relevé au paragraphe 71 que le caractère raisonnable de la durée d'une procédure dans les affaires de non exécution s'apprécie de la même manière que dans la procédure au principal, et après avoir examiné l'ensemble du processus d'exécution du jugement - lequel n'a toujours pas été exécuté à ce jour -, la Cour parvient à la conclusion que l'exigence du délai raisonnable posée par l'article 6 § 1 a été méconnue. Nous sommes quelque peu perplexes, l'argumentation des parties qui a fait suite à la communication de la requête ayant trait au retard apporté à exécuter le jugement (paragraphes 59-66 de l'arrêt) et non à la durée de la procédure en tant que telle.

3. Nous sommes davantage d'accord avec la majorité lorsqu'elle conclut, au paragraphe 74, que " les autorités compétentes auraient dû agir avec plus de diligence afin de ne pas porter préjudice aux possibilités réelles d'exécution du jugement rendu au principal et pour ne pas favoriser le débiteur et sa famille ". Selon nous, il y a eu violation de l'article 6 § 1 à raison de la non-exécution du jugement.

4. Chaque fois que la Cour constate un problème de non-exécution d'une décision judiciaire, elle apprécie l'ensemble du préjudice subi par le requérant et évalue les prétentions formulées pour dommage matériel et moral. Elle énonce l'obligation de l'Etat en ces termes : " [d]ans la présente affaire, il s'agissait d'exécuter un jugement enjoignant une obligation de paiement à des particuliers. A cet égard, l'Etat était tenu de mettre à la disposition du requérant un système lui permettant d'obtenir du débiteur le paiement des sommes allouées par les juridictions " (voir, mutatis mutandis, Dachar c. France (déc.), n° 42338/98, 6 juin 2000). Ainsi, soit la Cour observe que l'exécution du jugement dont il s'agit constitue le meilleur moyen de se conformer à l'article 6 § 1 soit elle alloue un montant forfaitaire au titre du dommage subi (comparer Schrepler c. Roumanie, n° 22626/02, § 46, 15 mars 2007, et Nicolescu c. Roumanie, n° 31153/03, §§ 55-56, 20 janvier 2009). Quoi qu'il en soit, quand il s'agit de se prononcer sur l'application de l'article 41, c'est le principe de la restitutio in integrum qui constitue le point de départ.

5. Le constat auquel la Cour parvient au paragraphe 80 est contradictoire avec le véritable objet de l'affaire à l'examen et avec les propres conclusions de la Cour au paragraphe 74. La Cour ayant constaté une violation de l'article 6 § 1 à raison de l'intervalle de plus de sept ans écoulé depuis le jugement définitif du 24 juin 1997, les requérants sont parfaitement en droit de demander la restitutio in integrum. Comme la Cour le rappelle, un arrêt constatant une violation entraîne pour l'Etat défendeur l'obligation juridique au regard de la Convention de mettre un terme à la violation et d'en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (Iatridis c. Grèce (satisfaction équitable) [GC], n° 31107/96, § 32, CEDH 2000-XI).

6. Dans le cas où la non-exécution d'un jugement est imputée à un Etat et où le requérant formule des demandes étayées pour dommage matériel, la Cour applique toujours le principe de la restitutio in integrum : soit le jugement doit être exécuté soit, si ce n'est plus possible, il faut accorder une réparation financière équivalente lorsque le requérant présente une demande en ce sens.

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