Jurisprudence : CA Paris, 5, 1, 22-09-2020, n° 19/10492, Confirmation

CA Paris, 5, 1, 22-09-2020, n° 19/10492, Confirmation

A60213UK

Référence

CA Paris, 5, 1, 22-09-2020, n° 19/10492, Confirmation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/60521490-ca-paris-5-1-22092020-n-1910492-confirmation
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Abstract

Mots clés : preuve constat • huissier • smartphone • applications Le contentieux lié aux applications mobiles n'est qu'à ses balbutiements, mais touche déjà de nombreuses thématiques juridiques : droit de la concurrence, parasitisme, contrefaçon... et preuve.


Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 5 - Chambre 1

ARRÊT DU 22 SEPTEMBRE 2020

(n° 085/2020, 11 pages)

Numéro d'inscription au répertoire général : 19/10492 - N° Portalis 35L7-V-B7D-B77KP

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Mai 2019 -Président du TGI de Paris - RG n° 19/55291


APPELANTES

Association RMC / BMF

Association de loi 1901, enregistrée sous le numéro SIRET 50520476800012

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

12 rue d'Oradour sur Glane

75015 Paris

Représentée par Me Sylvie BENOLIEL CLAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C0415

SAS AEDMAP FRANCE

Immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de NANTERRE sous le numéro 789 303 583

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités audit siège

44 rue Escudier

92100 BOULOGNE-BILLANCOURT

Représentée par Me Sylvie BENOLIEL CLAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C0415

INTIMÉE

Association SECOURS ASSISTANCE FACE À L'URGENCE VÉCUE - SAUV LIFE

Association de loi 1901 enregistrée sous le numéro SIRET 83284675200018

Prise en la personne de son représentant légal, Monsieur Aa A, domicilié en cette qualité audit siège

76 rue Lecourbe 75015 PARIS

Représentée par Me Patricia HARDOUIN de la SELARL 2H Avocats à la cour, avocat au barreau de PARIS, toque : L0056


COMPOSITION DE LA COUR :

En application :

* de l'article 4 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19;

* de l'ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux

juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de

copropriété, notamment ses articles 1er et 8 ;

* de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 modifiée relative à la prorogation des délais

échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette

même période ;

L'affaire a été retenue selon la procédure sans audience le 11 mai 2020, les avocats y ayant consenti expressément ou ne s'y étant pas opposés dans le délai de 15 jours de la proposition qui leur a été faite de recourir à cette procédure;

La cour composée comme suit en a délibéré :

Monsieur David PEYRON, Président de chambre

Mme Isabelle DOUILLET, Conseillère

M. François THOMAS, Conseiller

ARRÊT :

* Arrêt contradictoire

* par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement

avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

* signé par Isabelle DOUILLET, présidente, en remplacement de David PEYRON, Président

de chambre empêché et par Karine ABELKALON, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


EXPOSÉ DU LITIGE

L'association de loi 1901 RMC/BFM et la société AEDMAP FRANCE (ci-après, AEDMAP) exposent qu'elles développent depuis 2010 une base de données recensant et localisant les défibrillateurs cardiaques accessibles au public et une application sur téléphone mobile, dénommée Ab Ac, permettant de géolocaliser les défibrillateurs enregistrés dans cette base.

Elles indiquent qu'en 2018, elles ont constaté l'arrivée d'une application concurrente à l'application Ab Ac, dénommée Sauv-Life et développée par l'association SAUV LIFE, permettant elle aussi de géolocaliser des défibrillateurs.

L'association de loi 1901 SECOURS ASSISTANCE FACE A L'URGENCE VECUE - SAUV LIFE (ci-après, l'association SAUV LIFE) expose qu'elle a été créée en 2014 par le Docteur Aa A, médecin anesthésiste-réanimateur auprès de l'Université de Paris et de l'Assistance publique des hôpitaux de Paris, lequel, constatant chaque jour que la vie de nombreuses personnes pourrait être sauvée si l'on réduisait de quelques minutes le délai d'intervention des secours et la pratique de massages cardiaques, a lancé en mars 2018, au travers de l'association, une application mobile gratuite permettant de pallier cette problématique.

Prétendant que début septembre 2018, l'application Sauv-Life, qui géolocalisait une dizaine de milliers de défibrillateurs en France, avait quintuplé ce nombre et que plusieurs de ces nouveaux défibrillateurs ne pouvaient être connus que par extraction de leur propre base de données, l'association RMC/BFM et la société AEDMAP ont fait établir, le 11 octobre 2018, un procès-verbal de constat d'huissier sur les applications Sauv-Life et Ab Ac.

Autorisées par ordonnance sur requête du 17 octobre 2018, elles ont ensuite fait pratiquer chez M. Jordan BONNET, développeur de la société SAUV LIFE, des mesures d'instruction qui ont conduit à la saisie d'un fichier 'defib' transmis en août 2018 par M. Ad contenant les coordonnées de défibrillateurs.

Le 13 novembre 2018, elles ont été autorisées sur requête à faire procéder à des mesures d'instruction dans les locaux de l'hébergeur de l'application Sauv-Life, la société PICTIME GROUPE dite 'COREYF', aux fins notamment de saisir la base de données litigieuse afin de la comparer avec la base données Ab Ac.

Le 7 janvier 2019, l'association RMC/BFM et la société AEDMAP ont assigné en référé l'association SAUV LIFE devant le président du tribunal de grande instance de Paris, notamment pour lui voir interdire, sous astreinte, de réutiliser tout ou partie de la base de données Ab Ac.


Par une ordonnance rendue le 10 mai 2019, le juge des référés a :

* validé le procès-verbal de constat du -10-18" (lire 11 octobre 2018),

* annulé le rapport de mission d'huissier de justice relatif aux investigations effectuées au sein des locaux de la société COREYE,

* rejeté toutes les demandes de l'association RMC/BFM et de la société AEDMAP à l'encontre de l'association SAUV LIFE,

* condamné l'association RMC/BFM et la société AEDMAP aux dépens et au paiement à

l'association SAUV LIFE de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du

code de procédure civile,

* rappelé que l'exécution provisoire est de plein droit.


Le 16 mai 2019, l'association RMC/BFM et de la société AEDMAP ont interjeté appel de cette décision.

Dans leurs dernières conclusions numérotées 2 transmises le 6 mars 2020, elles demandent à la cour :

- d'infirmer l'ordonnance rendue le 10 mai 2019 par le président du tribunal de grande instance

de Paris en ce qu'il a :

* annulé le rapport de mission d'huissier de justice relative aux investigations effectuées au sein des locaux de la société COREYE,

* débouté l'association RMC/BFM et la société AEDMAP de toutes leurs demandes,

* condamné l'association RMC/BFM et la société AEDMAP aux dépens et à payer la somme

de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

statuant à nouveau,

* d'interdire à l'association SAUV LIFE de réutiliser tout ou partie de la base de données

Ab Ac, sur quelque support que ce soit, de l'association RMC/BFM et de la société

AEDMAP sous astreinte provisoire de 1 000 € par infraction journalière constatée à compter du 15 ème jour suivant la signification de l'arrêt ('Par infraction constatée, la Cour voudra

bien entendre chacune des simples constatations matérielles, par tout moyen, de toute

utilisation, sur quelque support que ce soit, et à quelque titre que ce soit de tout ou partie du contenu de la base Ab Ac"),

* dire que la cour restera compétente pour statuer sur la liquidation de l'astreinte,

* condamner l'association SAUV LIFE à leur payer la somme de 5 000 € euros au titre de

l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions numérotées 3 transmises le 15 mai 2020, l'association SAUV LIFE demande à la cour :

- In limine litis :

- de déclarer l'assignation du 7 janvier 2019 signifiée par la société AEDMAP et l'association RMC/BFM irrecevable,

- de constater la nullité du procès-verbal du 11 octobre 2018,

- de constater la nullité des rapports de mission dressés par l'huissier,

- en conséquence :

- de débouter la société AEDMAP et l'association RMC/BFM de l'intégralité de leurs demandes,

- de dire n'y avoir lieu à référé,

- à titre principal :

- de confirmer l'ordonnance de référé du 10 mai 2019 en toutes ses dispositions,

- en conséquence, de débouter la société AEDMAP et l'association RMC/BFM de l'intégralité de leurs demandes,

- à titre subsidiaire :

- de déclarer que les données relatives à la localisation des défibrillateurs ne sont pas appropriables,

- de constater que la société AEDMAP et l'association RMC/BFM échouent à apporter la preuve d'investissements substantiels au titre de l'article L. 341-1 du code de la propriété intellectuelle,

- en conséquence :

- de juger que la société AEDMAP et l'association RMC/BFM ne bénéficient pas des droits relatifs aux producteurs de base de données,

- de débouter la société AEDMAP et l'association RMC/BFM de l'intégralité de leurs demandes,

- de dire n'y avoir lieu à référé,

- à titre infiniment subsidiaire :

- de constater que les preuves rapportées par la société AEDMAP et l'association RMC/BFM ne permettent pas de conclure à l'extraction de la base de données litigieuse par l'association SAUV LIFE,

- en conséquence :

- de juger qu'il n'est pas vraisemblablement porté atteinte aux droits de producteur de base de données de la société AEDMAP et de l'association RMC/BFM,

- de débouter la société AEDMAP et l'association RMC/BFM de l'intégralité de leurs demandes,

- de dire n'y avoir lieu à référé,

- en tout état de cause, de condamner la société AEDMAP et l'association RMC/BFM à lui la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est du 25 mai 2020.

Par messages électroniques des 22 et 28 avril 2020 adressés au président de la chambre, ainsi que par attestations déposées avec leurs dossiers, la société AEDMAP et l'association RMC/BFM d'une part, et l'association SAUV LIFE, d'autre part, ont expressément consenti à la procédure sans audience prévue par l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020 portant adaptation des règles applicables aux juridictions de l'ordre judiciaire statuant en matière non pénale et aux contrats de syndic de copropriété.


MOTIFS DE L'ARRET

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est expressément renvoyé, pour un exposé exhaustif des prétentions et moyens des parties, aux conclusions écrites qu'elles ont transmises, telles que susvisées.

Sur les moyens de défense de l'association SAUV LIFE

Sur la recevabilité de l'assignation du 7 janvier 2019

L'association SAUV LIFE soutient que faute d'avoir agi aux côtés de la société IGUZKIRAT et de la fondation AJILA, copropriétaires de la base de données Staying Alive, l'association RMC/BFM et la société AEDMAP devaient être déclarées irrecevables en leur assignation.

L'association RMC/BFM et la société AEDMAP objectent qu'elles sont les seules productrices de la base de données Staying Life pour laquelle elles ont consenti des investissements importants et qu'elles bénéficient seules, de ce fait, des droits attachés à cette qualité de coproductrices. Elles soutiennent que la société IGUZKIRAT est un simple prestataire et que la référence à un 'copyright' de la fondation AJILA, fonds de dotation avec lequel travaille l'association RMC/BFM sur l'application Staying Life, ne peut la rendre propriétaire de l'application et encore moins coproductrice de la base de données dès lors qu'elles ont intégralement supporté les investissements nécessaires à la réalisation de cette base de données.

Pour soutenir que la société IGUZKIRAT et la fondation AJILA ont contribué au développement de l'application Staying Life, l'association SAUV LIFE invoque :

* des factures, produites par les appelantes (leurs pièces 9 à 13), adressées par différents prestataires à la société IGUZKIRAT desquelles il ressortirait que cette dernière a financé un certain nombre de prestations,

* la mention ‘Copyright © AEDMAP & AJILA Foundation" présente sur l''Apple Store"

(plate-forme de téléchargement) de l'application Ab Ac qui indiquerait que les droits

sur l'application sont détenus par la société AEDMAP et la fondation AJILA.

Mais s'il est versé au dossier huit factures de la société MOBICREA et deux factures de la société ALPHA, toutes adressées à la société IGUZKIRAT, pour un montant global d'environ 38 000 €, sont également fournies trois factures envoyées par cette dernière à la société AEDMAP ou à l'association RMC/BFM concernant des prestations relatives au "développement de l'application Ab Ac v3" (‘ergonomie et design, développement et tests, mise à niveau du back-office) et à l''adaptation de l'application arrêt'cardiaque'android pour mobilier'urbain intelligent' pour un montant total de plus de 100 000 €. Ces pièces sont de nature à accréditer la thèse des appelantes selon laquelle la société IGUZKIRAT est un de leurs prestataires qui a fait appel à d'autres prestataires et leur a facturé l'ensemble des prestations. En outre, les appelantes justifient des investissements substantiels qu'elles ont engagés en produisant les factures qui leur ont été adressées par les sociétés précitées IGUZKIRAT et MOBICREA et également par les sociétés ALPHA et AMAZON, concernant des prestations relatives au développement de l'application (pièces 7, 10, 13), à l'internationalisation de l'application et de la base de données (pièces 9 et 12), à l'hébergement de l'application (pièce 17) et à la communication (pièce 18). Si ces investissements - d'un montant de plus de 150 000 € au vu des factures produites - concernent tant l'application Ab Ac que la base de données elle-même, les appelantes observent à juste raison que les dépenses relatives à l'application ont une incidence directe sur la présentation, l'accessibilité et le développement de la base de données.

Les appelantes produisent encore des fiches de paie établies pour M. B, M. C et Mme X, tous trois employés par la société AEDMAP en qualité, respectivement, de responsable des développements informatiques (de février à décembre 2016, en décembre 2017 et décembre 2018), d'employé en qualité de commercial au cours des mêmes périodes et de chargée de communication (décembre 2017 et décembre 2018)

Par ailleurs, la mention 'copyright' - qui n'a pas en soi de portée juridique en droit français - associée à la fondation AJILA sur la plate-forme de téléchargement de l'application ne peut à elle-seule conférer à cette dernière la qualité de coproductrice de la base de données revendiquée.

C'est donc à juste raison que le juge des référés, après avoir en outre relevé qu'il ne ressortait d'aucune pièce au dossier que la société IGUZKIRAT ou la fondation AJILA avait revendiqué la titularité de droits sur la base de données objet du litige, a rejeté la fin de non-recevoir soulevée par l'association SAUV LIFE, sans toutefois l'indiquer dans le dispositif de son ordonnance.

Sur la validité du procès-verbal de constat d'huissier du 11 octobre 2018

L'association SAUV LIFE soutient que le procès-verbal de constat dressé le 11 octobre 2018 encourt la nullité dès lors i) que l'huissier instrumentaire n'a pas conservé un rôle passif mais a procédé au téléchargement des applications Sauv-Life et Ab Ac en créant au préalable un compte privé sur la plateforme de téléchargement Apple Store et en utilisant des codes d'accès à l'application Sauv-Life sans avoir demandé l'autorisation préalable de l'association SAUV LIFE, ce qui lui était interdit, ii) que l'huissier instrumentaire a bénéficié de l'assistance du requérant, lequel n'est pas un tiers indépendant, qui lui a communiqué des codes de connexion personnalisés, iii) que l'huissier n'a pas précisé comment il a pu procéder à ses constatations concernant les captures d'écran extraites des pièces 34b, 34c, 34d et 34e jointes au procès-verbal.

L'association RMC/BFM et la société AEDMAP répondent que les griefs formulés par l'intimée n'ont pas à être discutés dans la présente procédure dans la mesure où le juge des référés n'a pas le pouvoir d'annuler des actes de procédure et qu'un constat même annulé peut conserver sa valeur probante si ses constatations sont corroborées par d'autres éléments du dossier. Elles ajoutent qu'en tout état de cause, les griefs ne sont pas fondés dès lors i) qu'en téléchargeant une application librement accessible à tous, l'huissier a conservé un rôle passif, ii) qu'elles n'ont pu, en fournissant les identifiants d'un compte, manipuler les informations présentes sur l'application de l'intimée, iii) que les captures d'écran évoquées ne sont pas issues du procès-verbal de constat.

Il doit d'abord être observé que c'est au soutien de leur demande d'interdiction à l'encontre de l'association SAUV LIFE présentée au juge des référés que l'association RMC/BFM et la société AEDMAP ont fait établir le procès-verbal de constat d'huissier en date du 11 octobre 2018 et l'ont produit en première instance (leur pièce 11 en première instance). C'est donc à juste raison que le juge des référés, appelé à se prononcer sur le bien-fondé de la demande et saisi par la défenderesse d'une demande de nullité de ce procès-verbal de constat, a examiné la régularité de cette pièce. En appel, l'association RMC/BFM et la société AEDMAP ne peuvent donc soutenir que les griefs formulés contre ce procès-verbal de constat d'huissier 'n'ont pas à être discutés’.

Les huissiers de justice sont habilités par l'article 1er de l'ordonnance 45-2592 du 2 novembre 1945 à effectuer sur requête de particuliers, "des constatations purement matérielles, exclusives de tout avis sur les conséquences de fait ou de droit qui peuvent en résulter".

En l'espèce, c'est à juste raison que le premier juge a estimé qu'en procédant au téléchargement des deux applications à partir du compte privé de son étude mentionnant clairement sa qualité (legrain@legrain-huissier.fr) sur la plate-forme 'App Store', l'huissier a conservé un rôle passif dès lors que cette opération ne requérait aucun contrôle ou autorisation préalables et entraînait l'ouverture automatique du compte sans tri ni sélection. L'application Sauv-Life était par ailleurs librement accessible à tous sans restriction, sans qu'il soit nécessaire d'obtenir l'autorisation préalable de l'association SAUV LIFE.

L'huissier indique dans son constat que l'application Sauv-Life s'ouvre après qu'il a entré les informations de connexion communiquées par le requérant. L'intimée ne peut en déduire que l'huissier a procédé à des constatations 'sur la base d'une application paramétrée directement par son requérant’. Il n'est en effet pas démontré ni même soutenu clairement que la simple transmission des codes de connexion personnalisés par les requérantes ait pu permettre une quelconque manipulation des bases de données.

Enfin, contrairement à ce qui est soutenu, il ressort de la lecture du procès-verbal de constat que l'huissier a précisément décrit comment il a pu procéder à ses constatations (pages 2 à 5, 16, 18, 20 et 21 du procès-verbal). Par ailleurs, rien ne permet d'affirmer que les copies de captures d'écran des applications Ab Ac et Sauv-Life produites par les appelantes en pièces 34a, 34b, 34c et 34d soient des annexes au procès-verbal de constat d'huissier (pièce 34), l'huissier ne mentionnant pas l'existence de telles annexes dans son acte.

Il convient dans ces conditions, en cause de référé, en l'absence d'irrégularité manifeste lors de l'établissement du procès-verbal de constat du 11 octobre 2018, non pas de le 'valider' mais de dire qu'il n'y a pas lieu de l'écarter des débats. L'ordonnance sera réformée en ce sens.

Sur la validité des deux rapports de mission établis par l'huissier relatifs aux investigations menées chez M. BONNET et au sein des locaux de la société COREYE

L'association SAUV LIFE soutient que les deux rapports de mission de l'huissier encourent l'annulation dès lors :

- que le président du tribunal de grande instance a autorisé les saisies au domicile de M. BONNET et au sein de la société COREYE sur la base des constatations biaisées du constat du 11 octobre 2018 dont l'annulation doit entraîner celle des deux rapports de mission,

- que ces rapports de mission ne respectent pas les termes des ordonnances autorisant les saisies puisque :

* chez M. BONNET, l'huissier a saisi un email échangé entre M. SOLOMON et M. BONNET ne contenant aucunement le ou les termes 'Staying Alive', 'aedmap' ou 'samaritain’,

* au sein des locaux de la société COREYE, comme l'a relevé le juge des référés, l'huissier n'a pas procédé selon la méthode décrite dans la mission donnée par le juge qui permettait de

s'assurer que la base de données de l'application Ab Ac utilisée pour effectuer l'analyse comparative des deux bases de données soit authentique et dépourvue de tout stratagème,

- que le rapport établi à la suite des investigations au sein des locaux de la société COREYE à Lille méconnaît les règles essentielles afférentes aux mesures d'instruction dans la mesure où l'huissier était autorisé à procéder non pas seulement à de simples constatations mais à l'analyse comparative des deux bases de données et qu'il a donc méconnu les règles relatives à la territorialité des huissiers de justice qui prévoient que ces derniers ont compétence nationale mais seulement pour effectuer des constatations purement matérielles (articles 1 et 3 de l'ordonnance n° 2015-990 du 2 novembre 1945 résultant de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques).

L'association RMC/BFM et la société AEDMAP répondent, comme précédemment, que le juge des référés n'a pas le pouvoir d'ordonner la nullité des actes de procédure et qu'un constat même annulé peut conserver sa valeur probante si ses constatations sont corroborées par d'autres éléments du dossier. Elle argue qu'en tout état de cause, les griefs ne sont pas fondés dès lors que :

* l'huissier de justice était compétent dès lors qu'il a été nommément désigné par l'ordonnance du 13 novembre 2018 pour effectuer sa mission au sein des locaux de la société COREYE à

Lille et que la restriction territoriale invoquée ne s'applique qu'à certaines activités désignées à l'article 1 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, parmi lesquelles ne figurent pas les

opérations d'instruction,

* elles ne peuvent être soupçonnées d'avoir manipulé la copie de leur propre base de données

afin de fausser les résultats de la comparaison des deux bases de données puisque l'huissier

avait eu l'obligation de placer les éléments saisis sous séquestre ce qui les empêchaient

d'avoir accès au contenu de la base de données de l'intimée et de l'intégrer dans la copie de

leur propre base de données remise à l'huissier ; de plus, rien n'indiquait dans l'ordonnance

que l'huissier devait récupérer leur base de données sur les serveurs et qu'il ne devait pas se la faire remettre par le requérant.

En ce qui concerne le rapport de mission relatif aux investigations effectuées chez M. BONNET

L'ordonnance sur requête du 17 octobre 2018 indique notamment que l'huissier doit 'c. Se rendre au domicile de M. BONNET (...) et 'i. Procéder à la recherche, sur l'ensemble des postes informatiques, de tout ficher ou courrier électronique contenant le ou les termes 'Staying live', 'aedmap' ou 'samaritain' quel que soit le format, et enregistrer tout fichier ainsi identifié sur un support USB ou disque dur externe vierge ; et

ii. Procéder à la recherche des courriers électroniques échangés entre l'Association SAUV et/ou son Président et Monsieur Jordan Bonnet contenant le ou les termes 'Staying live', 'aedmap' ou 'samaritain', et enregistrer tout fichier ainsi identifié sur un support USB ou disque dur externe

Dans son rapport de mission, l'huissier indique (page 6) 'Monsieur BONNET s'est connecté à sa messagerie Gmail, monsieur Y [expert informatique] effectue les recherches sur la messagerie sur les mots clés figurant au paragraphe c-i et c-ii de l'ordonnance. Il procède à l'export de 21 emails trouvés à l'aide de l'outil Google Takeout. dans la messagerie 'jordan@jb4.fr'. Je demande à monsieur BONNET comment il a reçu les données intégrées à l'application SAUV LIFE, il m'indique avoir reçu les données par email d'un salarié de la société SAUV LIFE. Dans les données exportées par la recherche je trouve l'email ci-après reproduit adressé le 7 août 2018 par 'a.solomon@mailfacile.fr' à 'jordan@jb4.fr' (...) Cet email contient un fichier Excel joint (...)'.

Les extraits du fichier Excel joint au rapport de mission (pièces 45 à 47 des appelantes) contiennent des listes de lieux, en France et à l'étranger, où se trouvent des défibrillateurs avec des adresses électroniques dont certaines contiennent le terme 'aedmap', visé par l'ordonnance susvisée.

L'association intimée ne peut donc être suivie quand elle avance que l'email produit a nécessairement été saisi grâce à une manoeuvre.

C'est par conséquent à juste raison que le premier juge a estimé que l'huissier n'avait pas, de ce chef, outrepassé les termes de sa mission.

Il n'y a donc lieu d'écarter des débats le rapport de mission de l'huissier relatif aux investigations effectuées chez M. BONNET, ce qui sera précisé dans le dispositif.

En ce qui concerne le rapport de mission relatif aux investigations effectuées au sein de la société COREYE

L'ordonnance sur requête du 13 novembre 2018 indique notamment que l'huissier doit :

‘a. Se faire communiquer par les représentants de l'Association RMC/BFM et AEDMAP France et les enregistrer sur un support USB ou disque dur externe vierge une copie à jour de la base de données Ab Ac ;

b. Se faire communiquer par les représentants de l'Association RMC/BFM et d'AEDMAP France, les codes d'accès aux archives de l'application Ab Ac, conservées sur les serveurs de la société Amazon Web Services, Inc., dont l'adresse est située 410 Terry Ave North à Seattle, WA 98109 5210 (US) et l'enregistrer sur un support USB ou disque dur externe vierge, une copie de la base de données Ab Ac, telle qu'enregistrée à la plus proche des dates antérieures :

i. Au 01 février 2018, soit avant le lancement de l'application Sauv Life ; et

ii. Au 01 juin 2018, soit avant la date supposée de l'extraction de la base de données Ab Ac par SAUV ;

c. Se rendre dans les locaux de COREYE identifiés ci-dessus et se faire communiquer par les représentants de cette société l'ensemble des données relatives à l'application Sauv Life ainsi qu'aux données relatives à l'environnement de développement ou de 'pré-production' ;

d. Se constituer séquestre de l'ensemble des éléments obtenus dans le cadre des opérations ci- dessus détaillées et du tout établir un rapport.

(...) ensuite poursuivre la mission comme suit :

e. Procéder à l'analyse comparative de la base de données saisie de Sauv Life auprès de l'hébergeur COREYE, avec la base de données de Ab Ac (...)".

Or, dans son rapport de mission, l'huissier indique, en ce qui concerne la base de données de l'association RMC/BFM et de la société AEDMAP (page 3), qu'il a reçu de M. B (responsable informatique au sein de la société AEDMAP) : le 18 octobre 2018, deux fichiers au sujet desquels M. B a indiqué qu'il s'agissait notamment d''un dump SQL de la table des défibrillateurs 'dsa-locations' au 6 juin 2018" ; le 22 octobre 2018 , un fichier dont M. B a indiqué qu'il s'agissait du 'dump de la base de données au 14 mars 2018" et du "dump de la base de données au 20 octobre 2018" ; et le 30 novembre 2018 un dernier fichier consistant, selon M. B, en un fichier contenant ‘tous les défibrillateurs de StayingAlive au 1 mars 2018 (...)".

Il en résulte que toutes les versions de la base de données des requérantes ont été communiquées directement à l'huissier par ces dernières et que l'huissier s'est abstenu d'obtenir une copie de la base de données Ab Ac telle que conservée sur le serveur de la société AMAZON WEB SERVICES avant de procéder à la comparaison avec la base de données Sauv-Life, étape pourtant expressément mentionnée dans l'ordonnance sur requête et qui était de nature, comme l'affirme l'intimée et comme l'a retenu le premier juge, à garantir l'authenticité de la base de données des requérantes et l'absence de tout stratagème consistant pour les requérantes à modifier leur base de données pour la rendre similaire à la base de données litigieuse et fausser ainsi les résultats de la comparaison.

Les appelantes arguent vainement qu'une telle manipulation était impossible dans la mesure où, l'ordonnance prévoyant que l'huissier devrait conserver sous séquestre les documents copiés et les remettre aux requérantes à l'issue d'un délai de deux mois à défaut d'assignation en rétractation de l'ordonnance, elles n'ont pu avoir accès à la base de données de l'association SAUV LIFE. L'intimée fait en effet valoir pertinemment que les requérantes n'avaient nul besoin d'avoir accès à sa base de données mise sous séquestre pour connaître son contenu qui était librement accessible en consultant l'application Sauv-Life, ce qu'elles ont d'ailleurs nécessairement fait avant d'engager la présente action. Par conséquent, et sans qu'il soit besoin d'examiner le second moyen soulevé par l'association SAUV LIFE tiré de la violation des règles de compétence territoriale applicables aux huissiers de justice, il y a lieu, en cause de référé, non pas d'annuler le rapport de mission relatif aux investigations effectuées au sein de la société COREYE, mais de constater qu'il est entaché d'une irrégularité manifeste et qu'il doit être écarté des débats.

Sur le bien-fondé de la demande de l'association RMC/BFM et de la société AEDMAP

L'article L. 343-2 du code de la propriété intellectuelle prévoit notamment que : 'Toute personne ayant qualité pour agir dans le cas d'une atteinte aux droits du producteur de bases de données peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l'encontre du prétendu auteur de cette atteinte ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure urgente destinée à prévenir une atteinte aux droits du producteur de bases de données ou à empêcher la poursuite d'actes portant prétendument atteinte à ceux-ci. (..) Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu'il est porté atteinte à ses droits ou qu'une telle atteinte est imminente (...).

Aux termes de l'ordonnance du 13 novembre 2018, l'huissier devait :

‘e. Procéder à l'analyse comparative de la base de données saisie de Sauv-Life auprès de l'hébergeur COREYE, avec la base de données de Ab Ac et déterminer :

i. Les champs identiques ou similaires entre les deux bases de données ;

ii. Le taux de similitude entre les deux bases de données, par champs et par données ;

iii. (L'existence et la présence des Similitudes critiques, définies au $21 de la requête, dans la base de données de Sauv-Life.

f. Procéder à l'analyse des entrées dans la base de données saisie de l'application Sauv-Life.

g. Procéder à l'analyse des origines des entrées dans la base de données saisie de l'application Sauv-Life.

h. Du tout établir un second rapport’.

Du fait du rejet des débats du rapport de mission relatif aux investigations effectuées au sein de la société COREYE, l'analyse comparative entre les deux bases de données qu'invoquent l'association RMC/BFM et la société AEDMAP pour fonder leur demande présentée au juge des référés n'est pas suffisamment réalisée, au vu des seuls procès-verbal de constat du 11 octobre 2018 et rapport de mission concernant les investigations effectuées chez M. BONNET, pour démontrer qu'une atteinte vraisemblable a été portée à leurs droits au sens de l'article L. 343-2 du code de la propriété intellectuelle.

L'ordonnance déférée sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande d'interdiction présentée par l'association RMC/BFM et la société AEDMAP.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

L'association RMC/BFM et la société AEDMAP, parties perdantes, seront condamnées aux dépens d'appel et garderont à leur charge les frais non compris dans les dépens qu'elles ont exposés à l'occasion de la présente instance, les dispositions prises sur les dépens et frais irrépétibles de première instance étant confirmées.

La somme qui doit être mise à la charge de l'association RMC/BFM et de la société AEDMAP au titre des frais non compris dans les dépens exposés par l'association SAUV LIFE peut être équitablement fixée à 3 000 €, cette somme complétant celle allouée en première instance.


PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, contradictoirement et selon la procédure sans audience au sens de l'article 8 de l'ordonnance 2020-304 du 25 mars 2020,

Constate que l'ordonnance déférée n'a pas statué dans son dispositif sur la fin de non-recevoir soulevée par l'association SAUV LIFE, ni sur la régularité du rapport de mission de l'huissier de justice relatif aux investigations effectuées chez M. BONNET,

Réforme l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a validé le procès-verbal de constat d'huissier du 11octobre 2018 et annulé le rapport de mission de l'huissier de justice relatif aux investigations effectuées au sein des locaux de la société COREYE,

Complétant et statuant à nouveau,

Rejette la fin de non-recevoir soulevée par l'association SAUV LIFE,

Dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats le rapport de mission de l'huissier de justice relatif aux investigations effectuées chez M. BONNET,

Dit qu'il n'y a pas lieu d'écarter des débats le procès-verbal de constat d'huissier du 11 octobre 2018,

Ecarte des débats le rapport de mission relatif aux investigations effectuées au sein de la société COREYE,

Confirme l'ordonnance entreprise pour le surplus,

Y ajoutant,

Condamne l'association RMC/BFM et la société AEDMAP aux dépens d'appel et au paiement à l'association SAUV LIFE de la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE PRÉSIDENT LE GREFFIER

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