Jurisprudence : Cass. civ. 2, 24-11-2011, n° 10-17.742, F-D, Cassation

Cass. civ. 2, 24-11-2011, n° 10-17.742, F-D, Cassation

A0187H3C

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Cass. civ. 2, 24-11-2011, n° 10-17.742, F-D, Cassation. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5634351-cass-civ-2-24112011-n-1017742-fd-cassation
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CIV. 2 CH.B
COUR DE CASSATION
Audience publique du 24 novembre 2011
Cassation
M. LORIFERNE, président
Arrêt no 1852 F-D
Pourvois no S 10-17.742
et no Q 10-17.970 JONCTION
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant

I - Statuant sur le pourvoi no S 10-17.742 formé par M. Hervé Le Maignan Z Z, domicilié Annecy,
contre une ordonnance rendue le 23 mars 2010 par le premier président de la cour d'appel de Chambéry, dans le litige l'opposant à M. Guillaume Y, domicilié Epersy,
défendeur à la cassation ;
II - Statuant sur le pourvoi no Q 10-17.970 formé par M. Hervé Le Maignan Z Z,
contre la même ordonnance dans un litige l'opposant à M. Guillaume Y, défendeur à la cassation ;
Le demandeur au pourvoi no S 10-17.742 invoque, à l'appui de son recours, un moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 19 octobre 2011, où étaient présents M. Loriferne, président, Mme Fontaine, conseiller référendaire rapporteur, M. Bizot, conseiller, Mme Laumône, greffier de chambre ;
Sur le rapport de Mme Fontaine, conseiller référendaire, les observations de la SCP Boullez et de Me Le Prado, avocats de M. Le Maignan Z Z, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. Y, l'avis de M. Lautru, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Joint les pourvois no S 10-17.742 et no Q 10-17.970 ;

Attendu, selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel, qu'à l'occasion de l'instance en réparation de ses dommages subis à la suite d'un accident de la circulation, M. Y, représenté par sa mère en sa qualité d'administratrice légale, a confié la défense de ses intérêts à M. X X (l'avocat) ; que celui-ci a demandé le paiement d'une certaine somme correspondant pour partie à des honoraires de résultat et pour partie à des honoraires de diligences ; que M. Y a saisi le bâtonnier de l'ordre des avocats pour en contester le montant ;
Sur la recevabilité du pourvoi no Q 10-17.970
Attendu que le pourvoi formé par M. Le Maignan ZX ZX le 21 mai 2010 sous le no Q 10-17.970 contre l'ordonnance du 23 mars 2010, qui succède à un précédent pourvoi introduit par lui le 18 mai 2010 sous le no S 10-17.742 contre cette décision, n'est pas recevable ;

Mais, sur le moyen unique du pourvoi no S 10-17.742, pris en sa première branche
Vu les articles 1134 et 1156 du code civil, ensemble l'article 10 de la loi no 71-1130 du 31 décembre 1971 ;
Attendu que, pour fixer à une certaine somme le montant des honoraires, l'ordonnance retient que la convention, qui prévoyait des honoraires fixes et des honoraires "variables", est pour le moins ambiguë et doit être écartée, pour en déduire que l'avocat n'est pas fondé à revendiquer le paiement d'un honoraire de résultat à défaut d'accord entre lui et son client sur ce point ;

Qu'en statuant ainsi, alors qu'il constatait l'ambiguïté de la convention et qu'il lui incombait de l'interpréter en vue de fixer les honoraires, le premier président a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen unique du pourvoi no S 10-17.742
DÉCLARE IRRECEVABLE le pourvoi no Q 10-17.970 ;
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 23 mars 2010, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Chambéry ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ladite ordonnance et, pour être fait droit, les renvoie devant le premier président de la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne M. Y aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille onze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.
Moyen produit au pourvoi no S 10-17.742 par la SCP Boullez, avocat aux Conseils pour M. Le Maignan ZX ZX.
Le pourvoi fait grief à l'ordonnance attaquée D'AVOIR fixé à la somme de 52 479 euros HT, soit 67 764 euros 88 TTC, le montant des honoraires dus à Me de KERANGAT par M. Guillaume Y ;
AUX MOTIFS QUE le recours de Maître de KERANGAT est recevable ; que M. Guillaume Y a été victime en tant que passager d'un accident de la circulation le 11 avril 2000 qui lui a causé de très sévères séquelles avec une incapacité permanente de 95 % et la nécessité de l'aide constante d'une tierce personne à domicile ; que ses parents ont contacté Maître de KERANGAT qui a dressé une convention d'honoraires non datée et signée pour le compte de M. Guillaume Y par sa mère en qualité d'administrateur légal "celui-ci ne pouvant pas signer" ; que cette convention stipule que le paiement des honoraires de Maître de KERANGAT est composé, d'une part, de "honoraires fixes ; ces honoraires correspondent aux diligences effectuées par Maître de KERANGAT jusqu'à obtention des sommes obtenues en réparation des dommages subis par le client. Ils sont fixés forfaitairement à la somme de 6.000 F HT plus TVA à 19.6 %, soit la somme de 7.176 F TTC" et, d'autre part, de "honoraires variables" qui "en raison de la durée de la procédure, de l'importance des intérêts en cause" sont fixés à "un taux de 6 % HT" sur les "règlements par les responsables ou l'organisme régleur des indemnités" ; qu'il est, en outre, énoncé qu'en cas de "versement d'une rente de quelque nature qu'elle soit" les honoraires seront calculés sur la base du capital constitutif à hauteur de 4 % HT ; que les procédures suivies par Maître de KERANGAT sont, après un contact avec l'assureur, l'instance en référé expertise, le suivi des expertises et l'instance au fond en première instance et en appel ; qu'il convient de noter, comme le souligne avec pertinence la décision critiquée, que ce "dossier ne présente, au plan de la discussion sur la responsabilité civile, aucune difficulté, s'agissant d'un passager victime titulaire d'un droit à indemnisation totale de son préjudice" ; que la Cour d'appel de Chambéry, par arrêt du 7 octobre 2008, a fixé les indemnisations à la charge de la compagnie d'assurance GAN par l'allocation de sommes au titre des préjudices patrimoniaux et extra-patrimoniaux de 2.938.543 euros et de 4.089.763,68 euros au titre du capital constitutif d'une rente trimestrielle de 41.610 euros au bénéfice de M. Y ; que Maître de KERANGAT, qui a prélevé des provisions en cours d'instance, a établi très tardivement sa facture, le 17 décembre 2008, pour un solde de 288.909,40 euros TTC correspondant pour lui aux honoraires de résultat ; qu'il y ajoute des provisions de 131.430,74 euros au titre, selon ses écritures, de sommes dues en "sus" correspondant à des honoraires de diligences ; que dans un décompte du 3 juin 2009 adressé au Bâtonnier de l'Ordre il établit son honoraire pour
"diligences accomplies" à 157.437,90 euros fixant ainsi le total de ses honoraires à 451.913,17 euros TTC ; qu'il est manifeste que Maître de KERANGAT s'est affranchi de lui-même de la convention d'honoraires qu'il prétend pourtant imposer comme étant la loi des parties ; qu'il a, en effet, restreint cette convention, d'ailleurs contestée par M. Y, à la partie relative aux "honoraires de résultat" et s'en est écarté, quant aux "honoraires fixes "en produisant un décompte de ses honoraires de diligences, par envoi du 3 juin 2009, comprenant 56 heures de rendez-vous, 163 heures d'appels téléphoniques, 81 heures 50 de correspondances au tarif horaire de 300 euros HT outre des frais notamment de déplacement ; qu'il inclut ses diligences pour actes de procédure en première instance et en appel ; que le total des heures tarifées par cet avocat dépasse 521 heures ; qu'avec les divers frais il fixe, dans le dernier état de ses prétentions, sa réclamation d'honoraires de diligences à 157.437,90 euros HT ; que, parallèlement, Maître de KERANGAT, à l'issue de la procédure devant le juge du premier degré, a proposé par courriel du 2 septembre 2008 une seconde convention d'honoraires prévoyant des taux minorés de "3 % sur le capital" et de "0,5 % sur la capitalisation de la rente au titre de la tierce personne" ; que M. Y n'a pas accepté cette modalité ; qu'il est évident, comme le souligne avec pertinence la décision critiquée, que la convention d'honoraires dont se prévaut Maître de KERANGAT à l'encontre de M. Guillaume Y est pour le moins ambigüe et doit être écartée ; que Maître de KERANGAT n'est pas fondé, en conséquence, à revendiquer le paiement d'un honoraire de résultat à défaut d'accord entre lui-même et son client sur ce point ; qu'aux termes des dispositions de l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971, modifiée par la loi du 10 juillet 1991, critères rappelés par le décret du 12 juillet 2005, " à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci " ; qu'il est établi que Maître de KERANGAT, avocat au barreau d'Annecy, s'est spécialisé dans le traitement des dossiers de réparation de préjudices corporels ; que s'il s'attribue une grande notoriété pour justifier le montant de ses honoraires, celle-ci doit être relativisée et n'a pas été retenue par le Bâtonnier de l'Ordre auquel il appartient ; que Maître de KERANGAT met en valeur pour expliquer le montant de ses honoraires la difficulté de dossier concernant M. Guillaume Y et la qualité de ses diligences ; qu'il a expliqué avoir d'abord aidé la famille de son client dans des démarches avec l'assureur GAN, fait examiner son client par un médecin spécialisé et listé le matériel adapté à son état de santé ; qu'il a obtenu une provision initiale ; qu'il a assigné en référé l'assureur GAN ; que par ordonnance du 26 juin 2001 une expertise médicale a été ordonnée avec versement de provision à M. Guillaume Y et à ses parents ; que l'avocat expose avoir ensuite assisté à des réunions d'expertise et obtenu des provisions judiciaires ; qu'il explique avoir fait procéder à des saisies sur le GAN, mis en cause la Caisse primaire d'assurance maladie et avoir rédigé de longues conclusions, de nombreux courriers et plaidé le dossier le 5 octobre 2006 devant le Tribunal de grande instance de Chambéry ; qu'il est intervenu dans le cadre d'une requête en interprétation en 2004 et d'une requête en rectification d'erreur matérielle en 2008 ; qu'en appel il a établi le dossier de plaidoirie sans le soutenir lui-même ; que Maître de KERANGAT ajoute qu'il a été très souvent en contact téléphonique personnel avec M. Guillaume Y, qui conteste formellement cette allégation précisant au contraire que cet avocat était très difficile à joindre ; que, quelle que soit la gravité des séquelles subies par M. Guillaume Y, le traitement de son dossier, qui a certes duré sept ans, ne présente, comme indiqué ci-dessus, aucune difficulté particulière, notamment pour un avocat spécialisé ; que la décision déférée a parfaitement mesuré la relative complexité de ce dossier et les diligences de l'avocat ; qu'elle réduit notablement le décompte des durées que Maître de KERANGAT prétend y avoir consacré et qui sont à l'évidence excessives ; que la décision du Bâtonnier de l'Ordre, qui a diminué le tarif horaire à 150 euros au vu de la pratique normale des avocats à Annecy, doit être confirmée s'agissant d'un tarif moyen correspondant à celui généralement admis par les avocats de ce barreau pour des dossiers de moyenne difficulté sur la période de temps considérée ; que c'est par des motifs, qui ne sauraient être critiqués, que la décision indique qu'à l'égard de son client, Maître de KERANGAT, comme tout avocat, est tenu à un devoir de délicatesse et d'information claire qui s'étend à la facturation des honoraires ; que dès lors c'est par une exacte application des dispositions légales susvisées aux faits de la cause que la décision du Bâtonnier de l'Ordre a fixé les honoraires dus à Maître de KERANGAT à la somme de 52 479 euros HT, soit 62 764.88 euros TTC ; que c'est de façon erronée que Maître de KERANGAT soutient que M. Guillaume Y ayant réglé les sommes n'est pas fondé le remettre en cause ces paiements alors que celui-ci n'a versé que de simples provisions ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'honoraire variable s'apparente plus à un pacte de quota litis qu'à un véritable honoraire de résultat justifié par des critères précis ;
1. ALORS QUE les juges du fond sont tenus d'interpréter les actes qui leur sont soumis ; qu'en écartant l'application de la convention d'honoraires qui stipulait un honoraire variable en considération du résultat obtenu pour la raison qu'elle était ambiguë au lieu de procéder à son interprétation, le conseiller délégataire a violé les articles 1134 et 1156 du Code civil ;
2. ALORS QU'il suffit que les parties soient préalablement convenues du paiement d'un honoraire de résultat sans qu'il soit nécessaire que le montant et les modalités de calcul en aient été déterminés à l'avance ; qu'en écartant l'application de l'honoraire de résultat en raison de l'ambiguïté de la convention et de l'imprécision de ses critères de détermination au lieu d'en déterminer le montant, ainsi qu'il en avait le pouvoir, le conseiller délégataire a violé l'article 10 de la loi du 31 décembre 1971 ;
3. ALORS QU'est licite la convention qui, outre la rémunération des prestations effectuées, prévoit la fixation d'un honoraire complémentaire en fonction du résultat obtenu ou du service rendu ; qu'en retenant, par motifs adoptés, que la stipulation d'un honoraire de résultat s'apparente à un pacte de quota litis, bien que la rémunération des prestations de l'avocat soit prévue à la convention stipulant un honoraire complémentaire de résultat, le conseiller délégataire n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations ; qu'ainsi, il a violé l'article 10, alinéa 3, de la loi du 31 décembre 1971 ;
4. ALORS QU'à défaut de convention entre l'avocat et son client, l'honoraire est fixé selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l'affaire, des frais exposés par l'avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci ; qu'en se déterminant d'après un tarif horaire de 150 euros correspondant à la pratique normale des avocats au barreau d'Annecy, le conseiller délégataire a déduit un motif d'ordre général ; qu'ainsi, il a privé sa décision de base légale au regard de l'article 10, alinéa 2, de la loi du 31 décembre 1971.

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