Jurisprudence : CJUE, 17-11-2011, aff. C-454/10, Oliver Jestel c/ Hauptzollamt Aachen

CJUE, 17-11-2011, aff. C-454/10, Oliver Jestel c/ Hauptzollamt Aachen

A9211HZ8

Identifiant européen : ECLI:EU:C:2011:752

Identifiant CELEX : n° 62010CJ0454

Référence

CJUE, 17-11-2011, aff. C-454/10, Oliver Jestel c/ Hauptzollamt Aachen. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/5631224-cjue-17112011-aff-c45410-oliver-jestel-c-hauptzollamt-aachen
Copier

Abstract

Aux termes d'un arrêt rendu le 17 novembre 2011, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) retient que la personne qui a servi d'intermédiaire à l'entrée sur le territoire douanier de l'Union de marchandises en provenance de Chine doit être considérée comme débitrice de la dette douanière, dès lors qu'elle savait, ou devait raisonnablement savoir, que cette introduction serait irrégulière.



ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

17 novembre 2011 (*)

" Code des douanes communautaire - Article 202, paragraphe 3, deuxième tiret - Naissance d'une dette douanière à la suite de l'introduction irrégulière de marchandises - Notion de 'débiteur' - Participation à l'introduction irrégulière - Personne ayant agi en tant qu'intermédiaire lors de la conclusion des contrats de vente relatifs aux marchandises introduites de façon irrégulière "

Dans l'affaire C-454/10,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l'article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Allemagne), par décision du 3 septembre 2010, parvenue à la Cour le 17 septembre 2010, dans la procédure

Oliver Jestel

contre

Hauptzollamt Aachen,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de M. J. N. Cunha Rodrigues, président de chambre, MM. U. Lõhmus (rapporteur), A. Rosas, A. Ó Caoimh et A. Arabadjiev, juges,

avocat général : M. P. Cruz Villalón,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

- pour le gouvernement tchèque, par M. M. Smolek et Mme K. Havlicková, en qualité d'agents,

- pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme L. Bouyon, en qualité d'agents,

ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 14 juillet 2011,

rend le présent

Arrêt

1. - La demande de décision préjudicielle porte sur l'interprétation de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire (JO L 302, p. 1, ci-après le " code des douanes ").

2. - Cette demande a été présentée dans le cadre d'un litige opposant M. Jestel au Hauptzollamt Aachen (bureau principal des douanes d'Aix-la-Chapelle, ci-après le " Hauptzollamt ") au sujet du paiement d'une dette douanière née du fait de l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de l'Union européenne.

Le cadre juridique

3. - L'article 202 du code des douanes dispose :

" 1. Fait naître une dette douanière à l'importation :

a) l'introduction irrégulière dans le territoire douanier de la Communauté d'une marchandise passible de droits à l'importation

[…]

Au sens du présent article, on entend par introduction irrégulière, toute introduction en violation des articles 38 à 41 et article 177, deuxième tiret.

2. La dette douanière naît au moment de l'introduction irrégulière.

3. Les débiteurs sont :

- la personne qui a procédé à cette introduction irrégulière,

- les personnes qui ont participé à cette introduction en sachant ou en devant raisonnablement savoir qu'elle était irrégulière,

- ainsi que celles qui ont acquis ou détenu la marchandise en cause et qui savaient ou devaient raisonnablement savoir au moment où elles ont acquis ou reçu cette marchandise qu'il s'agissait d'une marchandise introduite irrégulièrement. "

Le litige au principal et les questions préjudicielles

4. - Il ressort de la décision de renvoi ainsi que du dossier soumis à la Cour que, entre le mois d'avril de l'année 2004 et le mois de mai de l'année 2006, M. Jestel a mis aux enchères des articles originaires de Chine sur la plateforme Internet eBay, sur laquelle il exploitait deux boutiques en ligne. Il a agi en tant qu'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente de ces marchandises et a récupéré la contrepartie de la vente. La fixation des prix et la fourniture desdites marchandises ont été assurées par le fournisseur chinois de celles-ci. C'est en effet ce dernier qui les a envoyées, par voie postale, directement aux acheteurs établis en Allemagne.

5. - Les marchandises en cause au principal ont été livrées à ces acheteurs sans avoir été présentées en douane et sans que les droits à l'importation aient été perçus, apparemment en raison d'indications erronées communiquées par ledit fournisseur quant au contenu et à la valeur de l'expédition.

6. - Le Hauptzollamt a émis un avis d'imposition à l'égard de M. Jestel pour des montants d'environ 10 000 euros au titre des droits de douane ainsi que d'environ 21 000 euros au titre de la taxe sur la valeur ajoutée à l'importation. Il a fait valoir, notamment, que M. Jestel a participé à l'introduction irrégulière de marchandises sur le territoire douanier de l'Union, au sens de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes. La réclamation administrative introduite contre ledit avis n'a pas été accueillie.

7. - Le Finanzgericht Düsseldorf a rejeté le recours introduit par M. Jestel contre la décision du Hauptzollamt. Il ressort du dossier que cette juridiction a jugé que, premièrement, l'introduction des marchandises en question avait été irrégulière au sens de l'article 202 du code des douanes, en ce que, d'une part, elle avait été effectuée en violation de certaines des dispositions figurant aux articles 38 à 41 de ce code et, d'autre part, la dispense, pour des envois postaux, de l'obligation d'être conduits en douane ne s'appliquait pas auxdites marchandises dès lors que leur valeur réelle excédait le seuil prescrit de 22 euros. Deuxièmement, M. Jestel était débiteur de la dette douanière, notamment au titre de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du même code.

8. - Saisie du recours en " Revision " contre ce jugement, la juridiction de renvoi relève que, selon M. Jestel, la conclusion des contrats de vente sur eBay ainsi que la transmission des nom et adresse des acheteurs au fournisseur chinois, opérations qui ont eu lieu bien avant l'acheminement desdites marchandises et qui se rapportaient exclusivement à la transaction causale, ne constituaient pas une participation à cette introduction au sens de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes.

9. - La juridiction de renvoi relève que la question de savoir si M. Jestel s'attendait à ce que les importations en cause au principal soient irrégulières ou si, comme il l'affirme, il avait supposé qu'elles seraient effectuées de manière régulière, en dépit de certains doutes qu'il aurait éprouvés à cet égard, n'a pas encore été tranchée. Toutefois, cette juridiction considère comme douteux que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, une personne soit débitrice d'une dette douanière en vertu de ladite disposition, et ce même dans le cas où elle envisage, voire s'attend, à ce que le vendeur procède à l'introduction irrégulière dans le territoire douanier de l'Union de la marchandise en question.

10. - Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

" 1) Une dette douanière découlant de la 'participation' à l'introduction irrégulière d'une marchandise dans le territoire douanier de l'Union européenne, au sens de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du [code des douanes], naît-elle à la charge de celui qui, sans apporter directement son concours à l'introduction, sert d'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente relatifs aux marchandises en question et envisage, dans ce contexte, que le vendeur puisse livrer les marchandises ou une partie d'entre elles en fraude des droits à l'importation?

2) Suffit-il, le cas échéant, qu'il considère cela comme concevable ou ne devient-il débiteur que s'il s'attend à ce que cela se produise? "

Sur les questions préjudicielles

11. - Par ses questions, qu'il y a lieu d'examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme ayant participé à l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de l'Union une personne qui, sans apporter directement son concours à cette introduction, a servi d'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente relatifs auxdites marchandises. Dans l'affirmative, ladite juridiction souhaite savoir si une telle personne ne devient débitrice de la dette douanière au titre de cette disposition que lorsqu'elle s'attend à l'irrégularité de l'introduction des marchandises concernées ou s'il suffit, pour la qualifier comme telle, qu'elle considère seulement concevable une telle introduction.

12. - Il convient d'emblée de rappeler que le législateur de l'Union a, depuis l'entrée en vigueur du code des douanes, entendu fixer de façon complète les conditions de détermination des personnes débitrices de la dette douanière (voir arrêts du 23 septembre 2004, Spedition Ulustrans, C-414/02, Rec. p. I-8633, point 39; du 3 mars 2005, Papismedov e.a., C-195/03, Rec. p. I-1667, point 38, ainsi que du 15 septembre 2005, United Antwerp Maritime Agencies et Seaport Terminals, C-140/04, Rec. p. I-8245, point 30). Dans le cas d'une dette douanière née de l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire de l'Union, telle que visée à l'article 202 dudit code, les personnes susceptibles d'être débitrices sont énumérées au paragraphe 3 de cet article.

13. - Conformément à la jurisprudence de la Cour, il ressort du libellé de ce dernier paragraphe que le législateur de l'Union a entendu définir de façon large les personnes susceptibles d'être reconnues débitrices de la dette douanière, en cas d'introduction irrégulière d'une marchandise passible de droits à l'importation (voir arrêts précités Spedition Ulustrans, point 25, ainsi que Papismedov e.a., point 38).

14. - Il y a lieu ensuite de constater qu'une personne telle que M. Jestel, dans la mesure où son activité s'est limitée à intervenir dans la conclusion des contrats de vente des marchandises, à récupérer la contrepartie de la vente ainsi qu'à communiquer les nom et adresse des acheteurs au fournisseur desdites marchandises, n'est pas susceptible d'être débitrice de la dette douanière au titre des premier et troisième tirets dudit paragraphe 3. En effet, ces tirets concernent, respectivement, la personne qui a introduit matériellement les marchandises sans les déclarer (voir arrêts du 4 mars 2004, Viluckas et Jonusas, C-238/02 et C-246/02, Rec. p. I-2141, point 29, ainsi que Papismedov e.a., précité, point 39) et les personnes qui ont acquis ou détenu celles-ci à la suite de leur introduction.

15. - En vertu de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes, sont débitrices de la dette douanière les personnes qui ont participé à l'introduction irrégulière de marchandises sur le territoire de l'Union en sachant, ou en devant raisonnablement savoir, que cette introduction était irrégulière. Il en résulte que la qualification de débiteur, au titre de cette disposition, est subordonnée à deux conditions, dont la première est objective, à savoir la participation à ladite introduction, et la seconde subjective, à savoir que les personnes aient participé sciemment aux opérations d'introduction irrégulière (voir, en ce sens, arrêt Papismedov e.a., précité, point 40).

16. - S'agissant, en premier lieu, de la condition objective figurant à ladite disposition, la Cour a jugé qu'ont participé à l'introduction irrégulière les personnes qui ont pris une quelconque part dans cette introduction (arrêt Spedition Ulustrans, précité, point 27).

17. - À cet égard, ainsi que M. l'avocat général l'a relevé au point 39 de ses conclusions, le législateur n'a pas précisé que les personnes visées par cette même disposition sont uniquement celles qui ont contribué de manière directe à l'introduction irrégulière. Il peut donc s'agir également de celles qui sont impliquées dans des actes qui sont liés à cette introduction.

18. - En ce qui concerne les circonstances de l'affaire au principal, il y a lieu de relever que tant la conclusion des contrats de vente en cause que la livraison des marchandises faisant l'objet de ces contrats constituent des éléments d'une seule opération, à savoir la vente de ces marchandises. Dès lors, une personne, tel M. Jestel dans l'affaire au principal, qui, sans apporter directement son concours à l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de l'Union, a servi d'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente relatifs à ces marchandises doit être regardée comme ayant participé à cette introduction au sens de l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes.

19. - En second lieu, s'agissant de la condition subjective figurant à ladite disposition, la juridiction de renvoi demande si, pour que cette condition soit remplie, il est nécessaire que les participants visés par cette même disposition s'attendent à l'irrégularité de l'introduction ou s'il suffit qu'ils la considèrent seulement concevable. Cette interrogation relève des circonstances particulières de l'affaire au principal où l'introduction irrégulière est intervenue postérieurement à l'acte de participation.

20. - Or, la condition subjective figurant à l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes repose sur le fait que les personnes qui ont participé à cette introduction savaient ou devaient raisonnablement savoir qu'elle était irrégulière, ce qui implique qu'elles avaient, ou devaient raisonnablement avoir, la connaissance de l'existence d'une ou de plusieurs irrégularités.

21. - Ladite condition portant sur des considérations d'ordre factuel, il appartient, au regard de la répartition des compétences entre les juridictions de l'Union et les juridictions nationales, à la juridiction de renvoi d'apprécier si elle est remplie dans l'affaire au principal (voir, en ce sens, arrêt Papismedov e.a., précité, point 41). Toutefois, la Cour, statuant sur renvoi préjudiciel, peut, le cas échéant, apporter des précisions visant à guider cette juridiction dans son appréciation (voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2009, Severi, C-446/07, Rec. p. I-8041, point 60, et du 11 novembre 2010, Danosa, C-232/09, non encore publié au Recueil, point 34).

22. - À cet égard, d'une part, il convient de considérer que la formule " devant raisonnablement savoir ", figurant à l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes, fait référence au comportement d'un opérateur avisé et diligent.

23. - D'autre part, il incombe à la juridiction de renvoi d'effectuer une appréciation globale des circonstances de l'affaire au principal.

24. - Ainsi, notamment, il y a lieu de considérer qu'une personne servant d'intermédiaire pour la conclusion de contrats de vente doit savoir que la livraison de marchandises en provenance d'un État tiers et à destination de l'Union fait naître l'obligation d'acquitter des droits d'importation. Est donc pertinente la question de savoir si l'intermédiaire a entrepris toutes les démarches pouvant raisonnablement être attendues de lui pour s'assurer que les marchandises en question ne seront pas introduites de façon irrégulière, notamment s'il a informé le fournisseur de son obligation de déclarer ces dernières en douane.

25. - Il convient aussi de tenir compte des informations qui étaient à la disposition de l'intermédiaire ou dont il devait raisonnablement avoir connaissance, notamment en raison de ses obligations contractuelles. Dans ce contexte, il importe également de savoir si les droits d'importation à acquitter étaient indiqués sur les contrats de vente ou sur d'autres documents à la disposition de l'intermédiaire, suggérant ainsi que l'introduction des marchandises dans le territoire de l'Union s'effectue d'une manière régulière.

26. - Par ailleurs, peut être prise en compte la période pendant laquelle l'intermédiaire a fourni ses prestations au vendeur des marchandises en question. En effet, si l'intermédiaire a fourni ses prestations au cours d'une longue période, il peut apparaître peu probable qu'il n'ait pas eu l'occasion de prendre connaissance des pratiques de ce vendeur concernant la livraison desdites marchandises.

27. - Au vu de ce qui précède, il convient de répondre aux questions posées que l'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du code des douanes doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme débitrice de la dette douanière née de l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de l'Union la personne qui, sans apporter directement son concours à cette introduction, a participé à celle-ci en tant qu'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente relatifs auxdites marchandises, dès lors que cette personne savait, ou devait raisonnablement savoir, que ladite introduction serait irrégulière, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier.

Sur les dépens

28. - La procédure revêtant, à l'égard des parties au principal, le caractère d'un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l'objet d'un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

L'article 202, paragraphe 3, deuxième tiret, du règlement (CEE) n° 2913/92 du Conseil, du 12 octobre 1992, établissant le code des douanes communautaire, doit être interprété en ce sens que doit être considérée comme débitrice de la dette douanière née de l'introduction irrégulière de marchandises dans le territoire douanier de l'Union européenne la personne qui, sans apporter directement son concours à cette introduction, a participé à celle-ci en tant qu'intermédiaire pour la conclusion des contrats de vente relatifs auxdites marchandises, dès lors que cette personne savait, ou devait raisonnablement savoir, que ladite introduction serait irrégulière, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi d'apprécier.

Signatures

* Langue de procédure : l'allemand.

Agir sur cette sélection :