CINQUIÈME SECTION
AFFAIRE ALBOREO c. FRANCE
(Requête n° 51019/08)
ARRÊT
STRASBOURG
20 octobre 2011
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.
En l'affaire Alboreo c. France,
La Cour européenne des droits de l'homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :
Dean Spielmann, président,
Jean-Paul Costa,
Karel Jungwiert,
Botjan M. Zupanèiè,
Mark Villiger,
Isabelle Berro-Lefèvre,
Angelika Nußberger, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 27 septembre 2011,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (n° 51019/08) dirigée contre la République française et dont un ressortissant de cet État, M. Éric Alboreo (" le requérant "), a saisi la Cour le 3 octobre 2008 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (" la Convention ).
2. Le requérant est représenté par Me P. Spinosi, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation. Le gouvernement français (" le Gouvernement ") a été représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.
3. Le 2 décembre 2009, le président de la cinquième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1963 et était détenu, lors de l'introduction de la requête, à Lannemezan.
5. Le 24 janvier 1999, il fut placé en détention provisoire par un juge d'instruction du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence pour des faits, notamment, d'homicide volontaire, de vol avec arme et de participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime. Il lui était reproché d'avoir participé avec deux complices, P. et V., au braquage d'un fourgon blindé au cours duquel un convoyeur avait été abattu.
6. Du 3 février 2000 au 26 novembre 2009, il fut inscrit par l'administration pénitentiaire au registre des " détenus particulièrement signalés " (DPS). Il fut alors soumis à un régime de sécurité comportant notamment de fréquents changements d'établissement ainsi que des placements à l'isolement.
7. Pour les infractions qui lui étaient reprochées, le requérant fut condamné par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône le 22 novembre 2002 à une peine de vingt années de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de dix ans.
8. Le 14 avril 2003, alors qu'il purgeait sa peine à la maison d'arrêt d'Aix Luynes, le requérant ainsi que deux autres codétenus s'évadèrent en hélicoptère. P., V. et le requérant furent interpellés le 9 mai 2003 et réincarcérés. Pour cette évasion, le requérant fut condamné par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône le 19 janvier 2007 à cinq années de prison supplémentaires.
9. Le requérant a fait l'objet d'une période de sûreté qui a pris fin le 24 mai 2008. Libérable le 9 juillet 2018, il a bénéficié le 17 mars 2010 d'une libération conditionnelle pour raison de santé.
1. Les transfèrements du requérant
10. Entre le 9 mai 2003, date de sa réincarcération, et le 16 juillet 2007, le requérant fut transféré à dix-sept reprises dans différentes maisons d'arrêt réparties sur l'ensemble du territoire métropolitain. Il fut successivement affecté aux établissements de Lyon Saint-Paul, Marseille-Baumettes, Fleury-Mérogis, Marseille-Baumettes, Fresnes, Marseille-Baumettes, Lyon Saint-Paul, Villeneuve-lès-Maguelone, Toulouse-Seysses, Perpignan, Marseille-Baumettes, Toulon-la-Farlède, Lyon Saint-Paul, Marseille Baumettes, Aix-Luynes, Marseille-Baumettes (du 11 décembre 2006 au 14 janvier 2007), Perpignan et Lannemezan.
11. Selon le requérant, ces transferts lui furent imposés par l'administration pénitentiaire sur la base d'une note confidentielle rédigée le 20 octobre 2003 par le ministère de la Justice et relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt. Cette note prescrivait un régime de " rotations de sécurité " pour les détenus particulièrement signalés.
12. Il ressort des pièces versées au dossier par le Gouvernement que sur les dix-sept transferts opérés entre le 9 mai 2003 et le 16 juillet 2007, quatorze eurent lieu dans le cadre de rotations de sécurité, deux furent effectués à la demande d'un juge pour permettre au requérant de comparaître et celui du 16 juillet 2007 concernait l'affectation définitive du requérant au centre pénitentiaire de Lannemezan. Depuis cette date, le requérant a fait également de courts séjours à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses pour y bénéficier de soins.
13. A une date non précisée le requérant saisit le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d'Aix-en-Provence d'une demande de mise en liberté. Cette demande lui fut refusée le 10 juin 2004, le juge relevant que s'il pouvait être justifié de changer le requérant d'établissement pénitentiaire régulièrement pour éviter tout risque d'évasion, ces transferts ne devaient pas avoir pour conséquence d'interdire toute relation avec sa famille et ses avocats. Il ajouta que l'éloignement du requérant, au regard de sa durée, devenait attentatoire au respect des droits de la défense. Il estima néanmoins que la nature des faits poursuivis de même que les antécédents judiciaires du requérant justifiaient son maintien en détention.
14. Le 17 janvier 2006, le ministre de la Justice ordonna le transfert du requérant de la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses à celle de Perpignan en application du régime des rotations de sécurité.
15. Le 21 mars 2006, le requérant saisit le juge des référés du tribunal administratif de Toulouse d'une demande de suspension de l'exécution de la mesure de transfèrement. A l'appui de cette demande, il fit valoir, sous l'angle des articles 3, 6 et 8 de la Convention, que les décisions de transfèrement successives portaient atteinte au droit au respect de la dignité humaine, qu'elles compromettaient la préparation de son procès prévu devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône, qu'elles contribuaient à la dégradation de son état de santé mentale et portaient atteinte à sa vie familiale.
16. Par une ordonnance du 10 avril 2006, le juge des référés rejeta la demande. Il considéra que cette décision, qui ne modifiait pas le régime de détention applicable au requérant, devait s'analyser en une mesure d'ordre intérieur insusceptible d'être annulée par la voie du recours pour excès de pouvoir. Par un arrêt du 20 décembre 2006, le Conseil d'État, saisi d'un pourvoi contre cette ordonnance, estima qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande de suspension, dès lors que la décision de transfèrement critiquée avait été entièrement exécutée. Il constata en effet que par une décision du 10 mai 2006, le ministre de la Justice avait à nouveau ordonné le changement d'affectation du requérant de la maison d'arrêt de Perpignan à celle de Marseille-Baumettes.
17. Le requérant précise qu'une demande d'annulation de la décision ministérielle a été introduite devant le tribunal administratif de Toulouse le 12 janvier 2006, mais n'indique pas l'issue de cette procédure.
Par ailleurs, le 29 mai 2007, il introduisit un recours devant le tribunal administratif de Marseille, dont il se désista ultérieurement.
18. A compter du 16 juillet 2007 et jusqu'à sa libération, le requérant fut détenu au centre pénitentiaire de Lannemezan.
2. Les mesures d'isolement du requérant
19. Le requérant a passé plusieurs phases de sa détention dans des quartiers d'isolement.
20. A compter du 23 juin 2003, soit un mois et demi après sa réincarcération, le requérant fut placé à l'isolement complet, d'abord au centre pénitentiaire de Marseille-Baumettes puis, à compter du 14 janvier 2004, à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis. Cette mesure perdura jusqu'au 15 octobre 2004, date à laquelle le requérant fut transféré à la maison d'arrêt de Fresnes où il put bénéficier d'un régime de détention ordinaire. Le requérant demeura donc à l'isolement un an, trois mois et vingt-trois jours.
21. Le 7 mars 2005, le requérant fut transféré à la maison d'arrêt de Lyon Saint-Paul où il demeura jusqu'au 11 juillet 2005. A cette occasion, il fut de nouveau placé à l'isolement pendant quatre mois et quatre jours. Il contesta cette décision dans un courrier adressé au ministère de la Justice qui lui répondit le 1er avril 2005 que cette nouvelle mesure d'isolement avait été décidée en raison de la dangerosité actuelle qu'il présentait en termes d'évasion. Le ministère lui précisa également que le régime de détention ordinaire dont il avait pu bénéficier à la maison d'arrêt de Fresnes se concevait dans cet établissement qui accueille de nombreux prévenus criminels et des condamnés à de longues peines, mais qu'en revanche, un tel régime n'était pas envisageable à la maison d'arrêt de Lyon Saint-Paul, qui présentait un taux d'occupation important.
3. Les faits de violence
22. Dans le cadre d'une rotation de sécurité, le requérant fut transféré le 2 novembre 2005, sur ordre du ministre de la Justice, à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses. A son arrivée, il fut conduit dans une cellule du quartier d'isolement. Il refusa d'intégrer sa cellule pour protester contre l'impossibilité de contester les décisions de transfèrement successives et son éloignement par rapport à sa famille et son avocat. Le 3 novembre, il fut placé au quartier disciplinaire pour avoir refusé d'intégrer sa cellule et ultérieurement, la commission de discipline de la maison d'arrêt le condamna à une peine de sept jours de cellule disciplinaire. Les 14 et 21 novembre, il fut de nouveau condamné à la même peine pour des faits identiques.
a) La version des faits du requérant
23. Le 26 novembre 2005, alors que le requérant s'apprêtait à se rendre en promenade et que la température extérieure avoisinait zéro degré, il demanda aux surveillants d'aller lui chercher sa veste dans un vestiaire fermé. Les surveillants refusèrent en raison du ton qu'il avait employé. Il renonça à réintégrer sa cellule, restant statique devant la porte de celle-ci. Les surveillants le poussèrent alors violemment dans sa cellule, tout en le maintenant à la gorge, effectuant ainsi un acte de strangulation.
24. Le même incident se reproduisit le lendemain pour les mêmes motifs. Les surveillants se montrèrent cependant plus violents que la veille puisqu'ils attrapèrent cette fois le requérant par le bras et la tête avant de lui asséner des coups sur l'ensemble du corps, sans aucune raison.
Le requérant estime qu'il est manifeste que l'usage de la force était lourdement disproportionné par rapport à sa simple inertie.
25. Le 2 décembre 2005, un surveillant informa le requérant que la durée maximale de placement en quartier disciplinaire serait atteinte le lendemain et qu'il devrait réintégrer le quartier d'isolement. Le requérant exprima son refus de quitter le quartier disciplinaire afin de protester " contre ses transfèrements incessants et ses multiples placements à l'isolement ". Face à ce refus, la directrice de la maison d'arrêt décida de faire appel aux équipes régionales d'intervention et de sécurité (ERIS) pour contraindre le requérant à quitter sa cellule.
26. Le 3 décembre au matin, quatre agents des ERIS pénétrèrent dans la cellule du requérant, le plaquèrent contre le mur et lui donnèrent des coups de matraque pour le mettre au sol avant de le menotter dans le dos. Il fut ensuite soulevé par les bras puis transporté en position horizontale par les quatre agents jusqu'à sa cellule du quartier d'isolement. Pendant le trajet, afin d'éviter des insultes de la part du requérant, un agent des ERIS lui bâillonna la bouche avec sa main. A l'arrivée dans la cellule d'isolement, le requérant fut intégralement mis à nu et fouillé par les agents des ERIS.
27. Le requérant demanda un examen médical pour faire constater les lésions causées par l'intervention des quatre agents. Le médecin refusa de l'ausculter en l'absence des ERIS. Le requérant refusa l'examen en faisant valoir que la présence de ces quatre agents violait le secret médical.
28. Le même jour, dans l'après-midi, le requérant refusa de se rendre en promenade. Les ERIS entrèrent à nouveau dans sa cellule et, sans même tenter de parlementer, lui donnèrent des coups de matraque dans les jambes pour le plaquer au sol, le menotter et l'emmener de force en promenade. A la fin de celle-ci, le requérant refusa de réintégrer le quartier d'isolement. Il fut alors à nouveau frappé, menotté et conduit de force dans sa cellule.
b) La version du Gouvernement
29. Concernant les événements du 26 novembre 2005, le Gouvernement produit le procès-verbal de synthèse dressé par un officier de police judicaire suite à la commission rogatoire délivrée par le juge d'instruction le 9 mai 2006. Celui-ci se lit notamment :
" Les agents intervenants (...) se présentent à la cellule [du requérant] pour l'inviter à se rendre à la promenade. Ce dernier leur réclame alors sur un ton jugé insolent et méprisant un blouson qui se trouve dans sa fouille. Les surveillants refusent au motif qu'il en a un dans sa cellule. [Le requérant] refuse alors de se rendre en promenade ou de réintégrer sa cellule. Devant son comportement, il est ceinturé par D. et repoussé dans sa cellule qui est aussitôt refermée. Les faits font l'objet d'un signalement auprès de l'administration pénitentiaire. Les agents réfutent les faits de violence volontaire et estiment avoir agi conformément aux textes afin de faire respecter leur décision.
Les intéressés soulignent le profil particulier [du requérant] qui n'a de cesse de provoquer des incidents, par rébellions, outrages ou résistance. [Le requérant] en raison de son profil carcéral fait l'objet d'un signalement particulier de mesures de sécurité renforcées, mesures qu'il n'admet pas. Durant son séjour à Seysses, il a fait l'objet de 10 signalements. "
30. Pour ce qui est des faits du 3 décembre 2005 et de l'intervention des ERIS, le Gouvernement produit une note du chef de l'Inspection des services pénitentiaires rédigée d'après les déclarations du personnel. Cette note se lit ainsi :
" Vers 8 h 30, M.D., responsable de l'ERIS, demandait au [requérant] de coopérer pour rejoindre le quartier d'isolement. Ce dernier refusait et injuriait les agents. La force était donc employée pour le conduire jusqu'au quartier d'isolement. Dans un premier temps, il était maîtrisé au sol, menotté, fouillé par palpation puis conduit au quartier d'isolement.
Au cours du trajet, un agent lui mettait la main sur la bouche car il ne cessait de les injurier.
Dans la cellule du quartier d'isolement, il était fouillé à corps, de force, car il refusait toujours de se soumettre aux injonctions de l'équipe.
Vers 15 h, M.D. décidait de proposer la promenade au détenu. Constatant que l'illeton de la cellule était obstrué et entendant [le requérant] parler vivement par la fenêtre avec des codétenus, le CSP [chef de service pénitentiaire] faisait entrer en force ses agents dans la cellule où ils constataient que le réfrigérateur avait été placé en travers de la porte.
Après avoir maîtrisé au sol et menotté [le requérant], les agents lui proposaient de se rendre en promenade, ce qu'il acceptait. Le détenu était alors conduit dans la cour ; dans le trajet, il essayait de mordre l'agent qui lui mettait la main sur la bouche pour l'empêcher de crier.
A l'issue de la promenade, M.D. proposait au [requérant] une réintégration volontaire en cellule, ce dernier refusait et reprenait ses injures à l'encontre des agents qui étaient donc contraints d'user à nouveau de la force pour maîtriser le détenu et le conduire dans sa cellule.
(...)
Le chef de détention, (...), assistait à la première intervention de l'ERIS. (...), de même que les agents de service aux quartiers disciplinaire et d'isolement ce 3 décembre étaient présents lors des différentes interventions.
Ces personnels ont affirmé que l'intervention de l'ERIS avait toujours été proportionnée au comportement du [requérant], que M. D. avait systématiquement tenté de lui faire entendre raison mais que le détenu avait toujours cherché l'affrontement, refusant d'obéir aux injonctions, injuriant et menaçant les agents.
Les agents de l'ERIS ainsi que son responsable admettent que la maîtrise d'un détenu dans de telles conditions peut donner lieu à des ecchymoses en particulier aux bras et que, malgré les précautions systématiquement prises, des égratignures au visage du détenu peuvent survenir à l'occasion de la mise au sol. "
c) Les examens médicaux
31. Suite à ces violences, le requérant fut examiné par le docteur B., médecin à l'unité de consultation et de soins ambulatoires de Seysses, le 29 novembre 2005. Le certificat médical rédigé à cette occasion mentionne que le requérant qui mesurait 1, 72 m et pesait 66 kgs, présentait quatre dermabrasions [lésion aigüe de la peau étendue en surface et ne dépassant pas la couche inférieure de la peau], dont une de 1 cm de long, fine et linéaire, de la face latérale droite du cou, cinq lésions ecchymotiques violacées des deux membres supérieurs et des membres inférieurs qui s'avéraient compatibles avec des lésions de préhension. Il conclut à l'absence d'incapacité temporaire de travail.
32. Le requérant fut de nouveau examiné par le docteur B. le 6 décembre 2005. Celui-ci lui délivra un certificat de coups et blessures faisant état de lésions aux poignets compatibles avec des traces dues au menottage, de diverses lésions au visage, notamment à l'arcade sourcilière, ainsi que d'une douleur à la palpation de la région sous-costale droite liée à une probable contracture musculaire inter-costale.
33. Un autre certificat médical, délivré le 7 mars 2006 par un médecin du centre hospitalier de Perpignan, précisa que le requérant était atteint d'un " cal vicieux " au niveau de la dixième côte droite.
34. Un rapport d'examen médico-légal en date du 27 mars 2009, établi par un médecin du centre hospitalier de Bigorre à la demande du juge de l'application des peines, mentionne un " traumatisme thoracique avec fracture de la huitième côte droite en décembre 2005, sans complication ", qui " a consolidé avec séquelle à type de cal osseux hypertrophique et douloureux ".
35. Le 24 juin 2010, le requérant fut opéré d'une hypertrophie du cartilage de la huitième côte droite.
d) Les suites disciplinaires
36. Le 4 décembre 2005, le requérant fut traduit en commission de discipline pour son agression sur le personnel des ERIS et condamné à une peine de quarante-cinq jours de quartier disciplinaire. Pendant cette période, du 9 au 23 janvier 2006 (date de son transfèrement dans une autre maison d'arrêt), il fit une grève de la faim pour protester contre ses conditions de détention.
4. Sur les conditions matérielles de détention du requérant
37. Le requérant explique également avoir fait l'objet de brimades et d'humiliations en détention, notamment lors de son incarcération à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses. Il précise que plusieurs de ses douches ont été brusquement interrompues, soit par des coupures d'eau, soit par des coupures d'eau chaude, qu'il a parfois été contraint de se rendre en promenade par une température de zéro degré sans vêtement chaud, que lors de son affectation au quartier disciplinaire, il a été privé de papier hygiénique pendant deux jours et n'a ensuite eu droit qu'à huit feuilles par jour. Il ajoute que le ravitaillement de base de son hygiène personnelle a été réduit, l'obligeant à vivre dans la saleté et que ses parloirs ont parfois été annulés ou refusés malgré le déplacement de sa famille.
5. Le suivi médical du requérant
38. Le 23 juillet 2006, le requérant adressa un courrier à l'Observatoire international des prisons (OIP) dans lequel il se plaignait, d'une part, de ses difficultés pour obtenir une consultation médicale avec un neurologue et, d'autre part, des multiples pertes de son dossier médical au gré de ses transfèrements. Ce courrier était accompagné d'un certificat médical délivré par un médecin du centre hospitalier de Perpignan attestant que le requérant présentait des anomalies neurologiques nécessitant des explorations, mais que cet examen ne pourrait être réalisé avant deux à six mois.
39. Dans un courrier du 3 août 2006, la section française de l'OIP attira l'attention du ministère de la Santé sur la situation du requérant et plus généralement sur les difficultés de suivi médical que rencontrent les détenus particulièrement signalés qui font l'objet de transfèrements réguliers pour des motifs de sécurité, précisant que ces transfèrements sont souvent accompagnés de la perte des dossiers médicaux.
6. La procédure devant les autorités judiciaires
a) La plainte simple du requérant
40. Le 5 décembre 2005, l'avocat du requérant écrivit au procureur de la République de Toulouse pour l'informer des violences subies par son client et lui communiqua le certificat médical rédigé le 29 novembre 2005. Ce courrier fut enregistré le 15 décembre.
Le 15 décembre 2005, le procureur près le tribunal de grande instance de Toulouse prescrivit à la brigade de gendarmerie de Seysses de procéder à une enquête préliminaire. Le requérant fut entendu le 6 janvier 2006, de même que les trois surveillants qu'il mettait en cause. La gendarmerie se procura par ailleurs tous les comptes rendus d'incidents se rapportant au comportement du requérant. Le 13 février 2006, la brigade de gendarmerie rendit compte au procureur de la République de ces actes d'enquête. A l'issue de cette enquête, le procureur de la République prit une décision de classement sans suite le 4 septembre 2006.
b) La plainte avec constitution de partie civile du requérant
41. Le 19 décembre 2005, le requérant déposa une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction de Toulouse afin de dénoncer ses conditions de détention. Dans cette plainte, le requérant fit notamment valoir que ses transfèrements incessants l'avaient éloigné de sa famille et de son avocat, qu'il avait subi des violences commises par le personnel de l'administration pénitentiaire et avait été " sauvagement agressé à six reprises " par des surveillants et des membres des ERIS, qu'il avait été victime de brimades et humiliations quotidiennes, en particulier des perquisitions arbitraires, des fouilles corporelles intimes et dégradantes, des provocations verbales, des restrictions injustifiables de ses conditions d'hygiène, des coupures d'eau brutales, des suppressions de parloirs injustifiées et des refus de lui donner un vêtement chaud pour se rendre en promenade, malgré une température extérieure très faible. La plainte visait les infractions de torture et d'acte de barbarie, de coups et blessures volontaires, de mise en danger et d'association de malfaiteurs finalisée au crime de torture et d'actes de barbarie et de coups et blessures volontaires, commis par des personnes dépositaires de l'autorité publique. Il joignait à sa plainte les certificats médicaux rédigés les 29 novembre et 6 décembre 2005.
42. Le 9 mai 2006, le juge d'instruction du tribunal de grande instance de Toulouse délivra une commission rogatoire à la gendarmerie de Muret afin qu'elle procède à une enquête en vue de caractériser les faits de coups et blessures volontaires n'ayant pas entraîné d'ITT, en réunion, les 26 novembre et 3 décembre 2005, d'identifier et d'interpeller leur(s) auteur(s).
Le 20 juin 2006, les agents de l'administration pénitentiaire présents au moment des faits furent entendus par des officiers de police judiciaire.
43. Le 19 août 2006, le parquet requit l'ouverture d'une information judiciaire sur les faits dénoncés dans la plainte avec constitution de partie civile.
44. Au cours de l'instruction, cinq détenus témoins des faits furent entendus, de même que les quatre membres des ERIS en qualité de témoins anonymes (voir la partie " droit interne pertinent "). Lors de leurs auditions, les membres des ERIS nièrent leur participation aux violences prétendument commises sur le requérant, mais des détenus, présents dans des cellules du quartier disciplinaire proches de celle où les violences auraient été commises, confirmèrent, au travers des bruits qu'ils avaient pu percevoir, les déclarations du requérant. En raison de son éloignement, ce dernier ne fut pas directement auditionné par le magistrat instructeur, mais par l'un de ses collègues du tribunal de grande instance de Marseille.
Les enquêteurs se procurèrent également tous les rapports d'incidents concernant le requérant dans les différents établissements où il avait séjourné.
45. Le 24 mai 2007, le procureur de Toulouse requit un non-lieu, estimant que l'enquête démontrait qu'aucune violence illégitime n'avait été commise.
46. Le 12 juillet 2007, le juge d'instruction de Toulouse rendit une ordonnance de non-lieu et condamna le requérant pour procédure abusive à une amende de 500 euros. L'ordonnance comporte le passage suivant :
" Les investigations menées à partir de l'exposé de cette plainte, loin d'établir les faits énoncés, révélaient au contraire que [le requérant] incarcéré pour des faits criminels, avait toujours adopté une attitude provocatrice à l'égard du personnel pénitentiaire, dans la plupart des établissements qui avaient dû le recevoir ; soit il refusait de quitter sa cellule dans laquelle il ne semblait pas opportun de le laisser trop longtemps en raison des risques d'évasion qu'il avait déjà manifestés, soit il menaçait des agents pénitentiaires. Il est même arrivé que lors de visites pour des parloirs, c'était des membres de sa famille qui s'autorisaient à des incorrections à l'égard des surveillants. S'agissant des ERIS, il a été établi que leur intervention et les modalités de celle-ci ont été conditionnées par le comportement [du requérant] qui refusait d'obéir à des ordres légitimement donnés par des surveillants ; le caractère manifestement abusif de la plainte avec constitution de partie civile [du requérant] ainsi que les termes excessifs et outrageants employés, doivent entraîner un non-lieu. "
47. La chambre de l'instruction de la cour d'appel de Toulouse, saisie par le requérant, statua par arrêt du 4 avril 2008.
Elle constata en premier lieu que les infractions de torture, d'actes de barbarie, de mise en danger et d'association de malfaiteurs n'étaient pas susceptibles d'être constituées. Elle conclut que l'information ne pouvait porter que sur les violences dénoncées par le requérant, lesquelles n'avaient pas entraîné d'incapacité de travail, mais étaient susceptibles d'avoir été commises en réunion par des personnes chargées d'une mission de service public dans l'exercice de leurs fonctions.
Elle releva ensuite que la plainte évoquait " six sauvages agressions ", sans préciser leurs dates ni leurs circonstances.
Concernant les faits du 26 novembre 2005, la chambre de l'instruction nota que le surveillant mis en cause avait convenu qu'il avait dû utiliser la force pour faire réintégrer sa cellule au requérant, mais que le recours à la force avait été très limité. Elle constata encore que le certificat médical ne confirmait pas l'affirmation du requérant selon laquelle il aurait subi une tentative de strangulation, la lésion constatée ne correspondant en rien à une tentative de strangulation.
Pour ce qui est des faits du 27 novembre 2005, la cour d'appel constata que le requérant avait déclaré au médecin que " deux surveillants l'auraient saisi, l'un par le bras gauche, l'autre par la tête, après quoi il aurait reçu plusieurs coups sur l'ensemble du corps sans pouvoir en préciser le nombre, la nature ou l'intensité. ". Elle nota qu'ils n'avaient fait l'objet d'aucun rapport d'incident et que les déclarations faites par un autre détenu indiquant que le requérant lui avait dit qu'il était blessé et avait une côte cassée étaient peu crédibles puisque c'est dans un certificat médical du 6 décembre 2005 que le médecin avait indiqué que le requérant se plaignait d'une douleur au niveau des côtes. Sur ce point, la chambre de l'instruction conclut qu'aucun élément ne permettait de caractériser des violences commises sur le requérant le 27 novembre 2005.
Pour ce qui est enfin des faits du 3 décembre 2005, elle releva que le certificat médical ne faisait état d'aucune blessure importante et que le médecin-expert évoquait de petites blessures, des dermabrasions et une douleur à la palpation de la région sous-costale droite liée à une probable contracture musculaire. Selon les fonctionnaires des ERIS, le requérant avait été repoussé vers le fond de sa cellule, puis saisi par deux d'entre eux aux membres supérieurs, allongé à plat ventre sur le sol, menotté dans le dos puis soulevé, extrait de sa cellule et déposé dans la cellule du quartier d'isolement où il fut laissé après avoir été fouillé. La chambre de l'instruction releva que tous les intervenants avaient indiqué qu'il n'avait été fait usage que de " la force strictement nécessaire " pour mener à bien cette mission et " selon les techniques préconisées pour opérer dans de tels cas ".
La chambre de l'instruction conclut qu'aucune violence illégitime n'apparaissait davantage caractérisée pour cette journée du 3 décembre 2005 et qu'il ressortait de l'information que les fonctionnaires pénitentiaires avaient agi dans le respect des dispositions de l'article D 283-5 du code de procédure pénale.
48. Elle confirma donc l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction.
49. Le requérant introduisit un pourvoi en cassation en invoquant entre autres l'article 3 de la Convention. Il se plaignait notamment de ce que la chambre de l'instruction n'avait pas statué sur les faits dénoncés au titre des rotations de sécurité et de la mise à l'isolement et de ce qu'une enquête effective n'avait pas été menée sur les faits de violence dénoncés et sur le régime de détention imposé.
L'avocat général conclut à la réformation de l'arrêt attaqué pour insuffisance de motifs. Il considéra dans son avis que la cour d'appel n'avait répondu qu'en partie aux griefs soulevés par le requérant. Il souligna notamment que la cour d'appel avait omis " de se prononcer sur les éléments constitutifs du crime de torture et d'actes de barbarie [alors que] la question soulevée par le plaignant revenait à s'interroger sur le fait de savoir si l'usage des mesures d'isolement et des rotations sécuritaires dont il prétend avoir été soumis après sa réincarcération (...) en application de la circulaire ministérielle du 20 octobre 2003 était ou non avéré dans les faits et si, dans l'affirmative, cet usage était ou non constitutif [de l'infraction précitée] ".
50. Par un arrêt du 3 février 2009, la Cour de cassation rejeta le pourvoi en précisant que les énonciations de l'arrêt attaqué la mettaient en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction, après avoir analysé l'ensemble des faits énoncés dans la plainte, avait exposé les motifs pour lesquels elle avait estimé qu'il n'existait pas de charges contre quiconque d'avoir commis les faits reprochés. Elle ajouta que le requérant se bornait à critiquer les motifs de la décision, sans justifier d'aucun des griefs que l'article 575 du code de procédure pénale autorise la partie civile à formuler à l'appui de son pourvoi contre un arrêt de la chambre de l'instruction, en l'absence d'un recours du ministère public.
7. L'enquête administrative
51. Le 10 décembre 2005, le requérant se plaignit au directeur de la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses d'être "victime de mauvais traitements de la part de certains personnels de surveillance" qu'il ne nommait pas. Celui-ci demanda une enquête administrative. Le chef de service pénitentiaire entendit séparément cinq surveillants susceptibles d'être visés par les propos du requérant. Un rapport de cette enquête administrative, fondé sur ces auditions et sur cinq comptes rendus professionnels rédigés entre le 17 novembre 2005 et le 16 décembre 2005, fut remis à cette dernière date au directeur de la maison d'arrêt et transmis le même jour au directeur régional des services pénitentiaires de Toulouse, avec copie au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Toulouse.
8. La saisine de la Commission nationale de déontologie et de sécurité
52. Par courrier du 6 janvier 2006, le sénateur B., estimant que les faits dénoncés par le requérant pouvaient constituer un manquement aux règles déontologiques ainsi qu'à la Convention, saisit la Commission nationale de déontologie et de sécurité (CNDS). Le 19 janvier 2009, celle-ci demanda au garde des Sceaux de faire diligenter une inspection.
53. Le chef de l'Inspection des services pénitentiaires remit son rapport le 15 mars 2006, après un déplacement les 6 et 7 mars 2006 au centre pénitentiaire de Perpignan et à la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses pour auditionner le requérant, ainsi que les personnels concernés et le directeur de la maison d'arrêt.
54. La commission rendit son avis le 18 décembre 2006. Cet avis fut adressé au ministre de la Justice. Il contenait les passages suivants :
" Préalablement [à l'intervention des ERIS], le directeur avait demandé à la directrice adjointe de s'enquérir des intentions [du requérant]. Celui-ci avait indiqué qu'il ne sortirait pas pour protester contre son transfert et aurait même déclaré : Faudra-t-il que je prenne quelqu'un en otage pour obtenir satisfaction ?
Ne souhaitant pas que les surveillants avec qui [le requérant] avait des relations quotidiennes interviennent, le directeur a sollicité de la direction régionale l'intervention de l'ERIS de Toulouse.
(...)
Le personnel pénitentiaire concerné (...) a précisé que les vêtements chauds des détenus au quartier disciplinaire sont regroupés dans un vestiaire situé au fond du couloir. Lors de la promenade, le détenu est conduit à la cour individuellement et on lui apporte, s'il le demande, son vêtement. D'après les surveillants, [le requérant] demandait sa veste sur un ton méprisant et refusait de se rendre en promenade s'il ne l'avait pas. Les surveillants refusant d'obtempérer à l'injonction impolie, [le requérant] réintégrait sa cellule. Depuis, selon [le] premier surveillant, les surveillants vont chercher le vêtement et l'accrochent à la poignée de la cellule avant la sortie du détenu.
(...)
En ce qui concerne l'intervention des ERIS, la Commission rejoint l'Inspection des services pénitentiaires sur l'absence d'une phase de rencontre et de négociation avant l'usage de la force, d'autant plus qu'en l'espèce il s'agissait d'un simple transfert d'une cellule disciplinaire à une cellule d'isolement située dans le même bâtiment, au même étage, à quelques mètres l'une de l'autre. Sa mission a d'ailleurs surpris le commandant de l'ERIS.
De même, il n'apparaît pas qu'il soit nécessaire d'obliger par la force un détenu à se rendre dans la cour de promenade, celui-ci pouvant renoncer à ce droit, sans pour autant encourir une sanction disciplinaire.
Le directeur de la maison d'arrêt a précisé, à la demande de la Commission, comment il gérait les situations difficiles avant l'existence des ERIS : " Nous essayions de persuader en discutant avec le détenu, on passait beaucoup de temps pour cela et la plupart du temps, nous réussissions à rétablir un dialogue, à obtenir une compréhension.
La Commission estime que le commandant des ERIS aurait pu prendre plus de temps pour convaincre [le requérant] de changer de cellule et n'aurait pas dû intervenir pour le conduire de force à une promenade qu'il refusait.
Elle estime qu'en l'espèce les conditions d'une fouille intégrale par les ERIS n'étaient pas réunies.
RECOMMANDATIONS
La Commission demande que les conditions d'emploi des ERIS soient réexaminées de telle manière que la force ne soit employée qu'après discussion avec le détenu dans le but d'obtenir la compréhension et l'acceptation de ce qui lui est demandé. "
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
1. Les transfèrements et rotations de sécurité
55. Pour les textes et la jurisprudence internes applicables à ces mesures la Cour renvoie à l'arrêt Payet c. France, (n° 19606/08, §§ 25 à 28, 20 janvier 2011).
Le rapport 2005 de l'OIP sur les conditions de détention en France contient les passages suivants :
" (...) Le transfert imposé compte parmi les (...) mesures de sécurité employées (...) comme mode de gestion des détenus [particulièrement signalés] (...). Ces détenus font donc l'objet de transferts incessants, au mépris de leur droit à une vie familiale normale, d'autant que, selon la note du 20 octobre 2003, les visites qu'ils reçoivent se déroulent dans un parloir avec dispositif de séparation, communément appelé " parloir hygiaphone " (...)
Un traitement contraire aux dispositions du Code de procédure pénale. Le Code prévoit en effet que les prévenus sont incarcérés dans la maison d'arrêt de la ville où siège la juridiction d'instruction ou de jugement et, s'agissant des condamnés, que l'affectation ne peut être modifiée que s'il survient un fait ou un élément d'appréciation nouveau. Surtout, comme le soulignait déjà le CPT dans son rapport de 1993, " le transfèrement continuel d'un détenu peut engendrer des effets très néfastes sur son bien-être physique et psychique. Les conditions minimales pour l'existence dans un milieu de vie cohérent et suivi ne sont plus assurées ". " De plus ", ajoutait le CPT, " un détenu qui se trouve dans une telle situation aura de très sérieuses difficultés à maintenir des contacts avec sa famille, ses proches et son avocat. " " L'effet des transfèrements successifs sur un détenu pourrait ", selon le CPT, " constituer un traitement inhumain et dégradant ". A l'unisson du CPT, la [Commission nationale consultative des droits de l'Homme] (CNCDH) a estimé en 2004, que " l'utilisation de mesures d'éloignement en cascade pour briser la résistance psychologique du détenu face à l'administration doit absolument être proscrite ". En conséquence, elle a recommandé " que la loi vienne fixer précisément les motifs pour lesquels un transfert peut être décidé et rappeler le caractère tout à fait exceptionnel de cette mesure " (...) "
2. Les mesures d'isolement
56. Pour les textes et la jurisprudence applicables à ces mesures la Cour renvoie à l'arrêt Khider c. France, (n° 39364/05, §§ 49 à 59, 9 juillet 2009).
Le rapport précité de l'OIP, dans sa partie consacrée à l'isolement contient les passages suivants :
" Par mesure de précaution et de sécurité, le chef d'établissement peut décider de placer à l'isolement un détenu suspecté de vouloir créer des troubles en détention - une préparation d'un mouvement de revendication, par exemple - ou de projeter une évasion. Les personnes enregistrées au répertoire des DPS font généralement l'objet d'une telle mesure, reconduite systématiquement par période de trois mois. Ce régime consiste à placer le détenu dans un quartier spécial, à l'écart du reste de la détention, et entraîne de fait une impossibilité de travailler en atelier et de participer à des activités sportives ou culturelles. Généralement les contacts à l'intérieur de la prison se résument aux surveillants, voire parfois aux membres cagoulés des ERIS. En outre, ainsi que l'a noté la CNCDH, " les conditions d'existence au sein du quartier d'isolement se sont durcies " depuis l'intervention d'une note de l'administration pénitentiaire du 18 avril 2003. Celle-ci énonce qu' " aucune activité ne doit être organisée dans la cour de promenade " où les " détenus dangereux doivent impérativement être placés seuls ". (...).
Le CPT estime, dans son rapport de 2000, que " la mise à l'isolement peut constituer un traitement inhumain et dégradant " et qu' " en tout état de cause, elle [devait] être de la durée la plus courte possible ". Rappelant dans son rapport relatif à sa visite de juin 2003 ses préoccupations formulées en 2000 sur le régime de détention et l'efficacité des voies de recours dont disposent les détenus face à une décision de placement à l'isolement, le CPT constate " qu'il y a eu peu de progrès en ce domaine ".
3. Le recours à la force
57. Le code de procédure pénale se lit comme suit :
Article D 283-5
" Le personnel de l'administration pénitentiaire ne doit utiliser la force envers les détenus qu'en cas de légitime défense, de tentative d'évasion ou de résistance par la violence ou par inertie physique aux ordres donnés.
Lorsqu'il y recourt, il ne peut le faire qu'en se limitant à ce qui est strictement nécessaire. "
58. La circulaire de la direction de l'administration pénitentiaire en date du 16 novembre 1996 dispose notamment :
" Le refus de quitter le quartier disciplinaire est constitutif d'un refus d'obtempérer aux injonctions des membres du personnel de l'établissement, faute disciplinaire de troisième degré prévue par l'article D. 249-3, 4o) du CPP. (...) Dans cette hypothèse, il y a lieu de mettre en uvre les moyens appropriés, y compris l'usage proportionné de la force, pour répondre à l'exigence consistant à ne pas laisser un détenu dans une cellule disciplinaire au-delà du maximum réglementaire. Le détenu est alors réintégré en détention ordinaire ou placé à l'isolement dans le respect des préconisations de la circulaire du 14 décembre 1998. Ces mesures font l'objet d'une préparation et d'une anticipation dans les jours précédant la fin de la sanction de cellule disciplinaire.
Dans les cas exceptionnels et extrêmes dans lesquels l'attitude et les menaces du détenu font craindre un péril physique important pour lui-même ou les personnels, le chef d'établissement établit un compte rendu d'incident constatant l'impossibilité absolue de faire sortir le détenu du quartier disciplinaire. En application de l'article D. 280 du CPP, il adresse ce compte rendu aux autorités judiciaires compétentes qui peuvent prendre toute disposition utile : audition du détenu, expertise notamment. "
59. Le rapport précité de l'OIP, dans sa partie consacrée à la sécurité, dénonce les conditions d'intervention des ERIS en ces termes :
" [Les ERIS] ont la particularité d'intervenir cagoulés et, le cas échéant, armés de " flash-ball ", voire de fusils anti-émeutes " riot-gun " (...). S'il peut conduire à des dérapages, (...) le port de cagoules contribue également à créer un climat délétère en détention (...). La création des ERIS n'est pas sans apparaître comme un signal émis par la Chancellerie en direction des personnels de l'administration pénitentiaire ; un signal susceptible d'être perçu localement comme un blanc-seing au regard de la mise en uvre de méthodes musclées. "
4. Les fouilles corporelles
60. Pour les textes et la jurisprudence applicables à ces mesures la Cour renvoie à l'arrêt Khider, précité, §§ 60 à 68.
5. Le rapport 2007 du CPT, relatif à la visite en France effectuée du 27 septembre au 9 octobre 2006
61. Les passages pertinents de ce rapport figurent aux paragraphes 82 à 84 de l'arrêt Khider précité.
6. La saisine de la CNDS
62. La loi n° 2000-494 du 6 juin 2000 portant création d'une Commission nationale de déontologie de la sécurité se lit comme suit :
Article 4
" Toute personne qui a été victime ou témoin de faits dont elle estime qu'ils constituent un manquement aux règles de la déontologie, commis par une ou plusieurs des personnes mentionnées à l'article 1er, peut, par réclamation individuelle, demander que ces faits soient portés à la connaissance de la Commission nationale de déontologie de la sécurité. Ce droit appartient également aux ayants droit des victimes. Pour être recevable, la réclamation doit être transmise à la commission dans l'année qui suit les faits.
La réclamation est adressée à un député ou à un sénateur. Celui-ci la transmet à la commission si elle lui paraît entrer dans la compétence de cette instance et mériter l'intervention de cette dernière. "
7. L'amende civile
63. Le code de procédure pénale se lit comme suit :
Article 177-2
" Lorsqu'il rend une ordonnance de non-lieu à l'issue d'une information ouverte sur constitution de partie civile, le juge d'instruction peut, sur réquisitions du procureur de la République et par décision motivée, s'il considère que la constitution de partie civile a été abusive ou dilatoire, prononcer contre la partie civile une amende civile dont le montant ne peut excéder 15 000 euros. "
8. L'audition des témoins
64. Le code de procédure pénale se lit comme suit :
Article 706-58
" En cas de procédure portant sur un crime ou sur un délit puni d'au moins trois ans d'emprisonnement, lorsque l'audition d'une personne visée à l'article 706-57 est susceptible de mettre gravement en danger la vie ou l'intégrité physique de cette personne, des membres de sa famille ou de ses proches, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête motivée du procureur de la République ou du juge d'instruction, peut, par décision motivée, autoriser que les déclarations de cette personne soient recueillies sans que son identité apparaisse dans le dossier de la procédure. (...) "
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
A. Sur le volet matériel
1. Quant aux violences que le requérant aurait subies en détention
65. Le requérant allègue qu'il a subi des violences contraires à l'article 3 de la Convention de la part du personnel pénitentiaire les 26 et 27 novembre 2005 ainsi que de la part des ERIS le 3 décembre 2005. L'article 3 se lit :
" Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. "
a) Sur la recevabilité
66. Le Gouvernement soulève une exception de non-épuisement des voies de recours internes.
Il expose qu'à la date d'introduction de la requête, la décision des juridictions internes sur la plainte avec constitution de partie civile du requérant du 19 décembre 2005 n'était pas encore définitive.
67. Le requérant se réfère à la décision Rezgui c. France ((déc.), n° 49859/99, 7 novembre 2000) et argue du fait qu'il s'exposait au rejet de sa requête pour tardiveté, le délai de six mois devant être calculé à partir de la date de la notification de l'arrêt de la chambre d'accusation.
68. La Cour rappelle que, selon la jurisprudence constante des organes de la Convention (voir Ringeisen c. Autriche, 16 juillet 1971, § 91 série A n° 13, Selmouni c. France [GC], n° 25803/94, § 71, CEDH 1999 V, et Sud Est Réalisations c. France, n° 6722/05, § 38, 2 décembre 2010), les voies de recours internes doivent être épuisées au plus tard au moment de la décision sur la recevabilité de la requête. Or tel est le cas en l'espèce. Il s'ensuit que cette exception doit être rejetée.
69. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
b) Sur le fond
i. Argumentation des parties
70. Le requérant conteste l'affirmation du Gouvernement selon laquelle le choix de recourir aux ERIS pour opérer la mutation de cellule le 3 décembre 2005 était justifié par le fait que l'administration redoutait une prise d'otage. Il ajoute qu'il ressort des auditions réalisées que les surveillants ne le considéraient pas comme quelqu'un de violent et que le seul risque était qu'il s'oppose par l'inertie au changement de cellule, ce qui aurait impliqué que le chef d'établissement le reçoive ou se rende en cellule pour évoquer avec lui le mode de gestion de sa détention, ce qu'il n'était pas prêt à faire.
71. Se référant à la jurisprudence de la Cour, il rappelle qu'en présence de blessures sur le corps d'une personne qui se trouve entièrement sous le contrôle de fonctionnaires de police, il incombe au Gouvernement de fournir une explication plausible sur les origines des blessures. Il ajoute qu'en l'espèce, le Gouvernement s'abstient de fournir la moindre explication quant à l'origine des lésions constatées.
Il se réfère au certificat médical du 29 novembre 2005 et aux rapports d'expertise des 25 mars et 12 août 2009 et notamment aux lésions de préhension relevées et à une fracture de côte qui n'aurait, selon lui, pas été traitée et aurait causé un cal osseux.
72. Le Gouvernement se réfère également à la jurisprudence de la Cour en la matière.
73. Se fondant sur les résultats des enquêtes qui ont été menées au plan interne, le Gouvernement soutient d'une part, que la réalité matérielle des violences alléguées des 26 et 27 novembre 2005 n'est pas établie et, d'autre part, que les faits du 3 décembre 2005 démontrent un emploi proportionné de la force au regard des nécessités de sécurité.
74. S'agissant des faits des 26 et 27 novembre 2005, le Gouvernement estime qu'il ressort des différentes enquêtes que l'usage de la force était nécessaire, compte tenu du comportement du requérant.
75. Il expose que le 26 novembre 2005, suite à un incident avec un surveillant au moment de quitter sa cellule pour se rendre en promenade, le requérant a renoncé à sa promenade, tout en refusant de réintégrer sa cellule, entraînant de la part du surveillant l'usage très limité de la force pour, malgré l'inertie du requérant, obtenir de lui la réintégration de sa cellule.
76. C'est à propos de cette scène que le requérant indique qu'il a été saisi à la gorge et évoque une tentative de strangulation. Or, le Gouvernement fait observer que le certificat médical du 29 novembre 2005 ne confirme pas cette affirmation, le médecin n'ayant constaté qu'une " dermabrasion superficielle verticale de 1 centimètre de long, fine linéaire sans lésion ecchymotique " qui ne correspond en rien à une tentative de strangulation.
77. Pour ce qui est du 27 novembre 2005, le Gouvernement indique que la même situation s'est reproduite, impliquant encore une fois un usage limité de la force. Il fait observer que le certificat médical établi par ce médecin le 29 novembre 2005 ne corrobore pas la version des faits donnée par le requérant (paragraphe 32 ci-dessus) puisqu'il n'est fait état, au, total que de cinq ecchymoses et de trois dermabrasions. Par ailleurs, le médecin ne constata pas de côte cassée ni de douleur à cet endroit.
78. Le Gouvernement souligne que c'est en se fondant sur ces éléments que les juridictions internes ont jugé que les agents de l'administration pénitentiaire s'étaient limités à utiliser la force strictement nécessaire. Il estime qu'aucun élément nouveau ne justifie de s'écarter aujourd'hui des conclusions de l'enquête menée à l'époque des faits.
79. En ce qui concerne les faits du 3 décembre 2005, le Gouvernement se réfère à la circulaire du 16 novembre 1996 (paragraphe 58 ci-dessus), en application de laquelle le requérant ne pouvait rester au sein du quartier disciplinaire après le 3 décembre 2005. Le 2 décembre 2005, averti de cette nécessité, il faisait néanmoins part de son refus de quitter le quartier disciplinaire et insultait le personnel de l'établissement, alors même que la directrice de détention était venue le rencontrer dans sa cellule pour tenter de le convaincre.
80. Le Gouvernement expose qu'à la date de ces faits, le requérant avait déjà ouvertement évoqué la possibilité de prendre un otage pour obtenir son transfert à Marseille. En raison de ce comportement et compte-tenu de sa dangerosité avérée, la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse décidait de recourir à l'Équipe régionale d'intervention et de sécurité (ERIS) pour assurer, le 3 décembre 2005, le transfert du quartier disciplinaire au quartier d'isolement ainsi que l'ensemble des mouvements du requérant pendant son séjour dans ce secteur.
81. Le 3 décembre, vers 8 h 30, le responsable de l'équipe d'intervention a informé le requérant de sa mission et a été en retour immédiatement insulté par celui-ci qui a commencé à gesticuler et à repousser les intervenants. L'un des agents a été mordu et l'un de ses collègues, muni d'un bouclier a alors repoussé le requérant dans le fond de sa cellule. Deux autres l'ont saisi aux membres supérieurs, l'ont allongé au sol sur le ventre et l'ont menotté dans le dos. Il a alors été saisi, soulevé, extrait de sa cellule et déposé dans la cellule du quartier d'isolement après avoir été fouillé.
82. A la suite de cette intervention, vers 10 h 30, le médecin de permanence de l'unité de consultation et de soins ambulatoires s'est rendu dans la cellule du requérant, lequel a refusé de le rencontrer autrement que seul et porte fermée, ce que le médecin n'a pas souhaité.
83. Au cours de cette même journée du 3 décembre 2005, d'après les déclarations des personnels entendus, deux autres incidents ont été provoqués par le requérant, justifiant l'intervention des agents des ERIS et le recours à la force (paragraphe 30 ci-dessus).
84. Le Gouvernement précise que les intervenants, entendus à plusieurs reprises, ont assuré qu'il n'avait été fait usage que de la force strictement nécessaire pour mener à bien cette mission, et selon les techniques préconisées pour opérer dans de tels cas, ce qui n'est pas contredit par les données médicales.
85. Il souligne que le certificat médical du 6 décembre 2005 mentionne que le requérant a indiqué " qu'il avait été extrait de force de sa cellule, et que, pendant cette intervention, il avait subi plusieurs coups diffus sur l'ensemble du corps, sans qu'il puisse en préciser le nombre, ni l'intensité puis a été projeté à plat ventre sur le sol, menotté les mains dans le dos et soulevé dans cette position jusqu'à sa cellule du quartier d'isolement ". Or, le précédent certificat médical ne fait état d'aucune blessure sérieuse (deux pétéchies au visage, des dermabrasions sur les avant-bras cliniquement compatibles avec le port de menottes, une douleur à la palpation de la région sous-costale droite liée à une probable contracture musculaire intercostale) qui viendrait à l'appui des déclarations du requérant.
Dans ces conditions, le Gouvernement n'aperçoit aucune raison sérieuse de s'écarter des conclusions du juge judiciaire, en première instance comme en appel, et aucune violence illégitime n'apparaît caractérisée selon lui.
86. En conclusion, le Gouvernement admet qu'il y a eu recours à la force les 26 et 27 novembre ainsi que le 3 décembre 2005. Toutefois, les agents pénitentiaires et membres des ERIS mis en cause ont agi dans le respect des dispositions de l'article D.283-5 du code de procédure pénale (paragraphe 57 ci-dessus). Il estime qu'il est établi que ce recours à la force n'est intervenu que dans la mesure rendue strictement nécessaire par le comportement provocateur du requérant, par ses menaces ainsi que par son refus répété d'obtempérer aux instructions légitimes des surveillants pénitentiaires.
ii. Appréciation de la Cour
- Principes généraux
87. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l'article 3, des mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité. L'appréciation de ce minimum est relative par essence. Elle dépend de l'ensemble des données de la cause, et notamment de la durée du traitement, de ses effets physiques et/ou mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge et de l'état de santé de la victime (voir Ýlhan c. Turquie [GC], n° 22277/93, § 84, CEDH 2000 VII). Lorsqu'un individu se trouve privé de sa liberté, l'utilisation à son égard de la force physique alors qu'elle n'est pas rendue strictement nécessaire par son comportement porte atteinte à la dignité humaine et constitue, en principe, une violation du droit garanti par l'article 3 (voir Tekin c. Turquie du 9 juin 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-IV, §§ 52 et 53, Assenov et autres c. Bulgarie, 28 octobre 1998, § 94, Recueil des arrêts et décisions 1998 VIII, Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 120, CEDH 2000 IV, CEDH 2000 IX et Rupa c. Roumanie (n° 1), n° 58478/00, § 94, 16 décembre 2008 et, a contrario, Caloc c. France, n° 33951/96, §§ 100-101).
88. Pour qu'une peine ou le traitement dont elle s'accompagne soient " inhumains " ou " dégradants ", la souffrance ou l'humiliation doivent en tout cas aller au-delà de celles que comporte inévitablement une forme donnée de traitement ou de peine légitime. La question de savoir si le traitement avait pour but d'humilier ou de rabaisser la victime est un autre élément à prendre en compte (voir, par exemple, V. c. Royaume-Uni [GC], n° 24888/94, § 71, CEDH 1999-IX, et Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997 VIII). L'absence d'un tel but ne saurait toutefois exclure de façon définitive un constat de violation de l'article 3.
89. Les allégations de mauvais traitements doivent être étayées devant la Cour par des éléments de preuve appropriés (voir, mutatis mutandis, Klaas c. Allemagne, 22 septembre 1993, série A n° 269, § 30). Pour l'établissement des faits allégués, la Cour se sert du critère de la preuve " au-delà de tout doute raisonnable " ; une telle preuve peut néanmoins résulter d'un faisceau d'indices, ou de présomptions non réfutées, suffisamment graves, précis et concordants (voir Irlande c. Royaume-Uni, 18 janvier 1978, série A n° 25, § 161 in fine et Labita précité, § 121).
90. Les obligations des États contractants prennent une dimension particulière à l'égard des détenus, ceux-ci se trouvant entièrement sous le contrôle des autorités : vu leur vulnérabilité, les autorités ont le devoir de les protéger. La Cour en a déduit, sur le terrain de l'article 3 de la Convention, que, le cas échéant, il incombe à l'État de fournir une explication convaincante quant à l'origine de blessures survenues en garde à vue (voir, par exemple, Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, série A n° 336, § 34, et Salman c. Turquie [GC], n° 21986/93, § 99, CEDH 2000-VII) ou à l'occasion d'autres formes de privations de liberté (voir, par exemple, Keenan c. Royaume-Uni, n° 27229/95, § 91, CEDH 2001 III, Paul et Audrey Edwards c. Royaume-Uni, 14 mars 2002, n° 46477/99, § 56, et Slimani c. France, n° 57671/00, § 27, CEDH 2004 IX (extraits).
91. Dès lors, la Cour a estimé, sous l'angle de l'article 3, que l'impossibilité d'établir les circonstances exactes dans lesquelles une personne a été blessée, alors qu'elle se trouvait sous le contrôle des agents de l'État, ne l'empêche pas de parvenir à un constat de violation matérielle de cet article, à défaut pour le gouvernement défendeur d'avoir établi le déroulement des faits de manière satisfaisante et convaincante, éléments de preuve à l'appui (voir Rupa (no1) précité, § 100).
- Application au cas d'espèce
92. En l'espèce, le requérant allègue qu'il a subi des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, de la part des personnels pénitentiaires et des ERIS, respectivement les 26 et 27 novembre 2005 et 3 décembre 2005. Il se plaint notamment d'avoir eu une côte cassée, qui n'a pas été soignée.
93. La Cour relève qu'il n'est pas contesté que les personnels pénitentiaires et les ERIS sont intervenus à plusieurs reprises en raison du comportement du requérant qui refusait de rentrer dans sa cellule ou d'en sortir. Ils l'ont maîtrisé et déplacé de force aux dates en cause.
94. Concernant les faits des 26 et 27 novembre 2005, la Cour constate que le certificat médical établi par le médecin ayant examiné le requérant le 29 novembre 2005 ne mentionne que des lésions bénignes n'ayant pas entraîné d'incapacité temporaire de travail, et compatibles avec des lésions de préhension. Dans ces conditions, les allégations de tentative de strangulation du requérant par un surveillant, notamment, ne sont pas étayées par les constations médicales.
95. Pour ce qui est du 3 décembre 2005, les membres des ERIS intervinrent à trois reprises. Lors de deux de ces interventions au moins, le requérant fut plaqué au sol pour être maîtrisé. Il fut ensuite soulevé et transporté par ces agents. Les membres des ERIS eux-mêmes admirent lors de leurs auditions que la maîtrise d'un détenu dans ces conditions pouvait donner lieu à des ecchymoses en particulier aux bras et que des égratignures au visage pouvaient survenir lors de la mise au sol (paragraphe 30 ci-dessus).
96. Le médecin ayant examiné le requérant le 6 décembre suivant mentionna des lésions aux poignets compatibles avec des traces dues au menottage et diverses lésions au visage. Il nota également que le requérant se plaignait d'une douleur à la palpation de la région sous-costale droite qu'il attribua à une " probable contracture musculaire intercostale ".
97. La Cour relève toutefois qu'un certificat médical établi le 7 mars 2006 mentionne que le requérant " présente un cal vicieux au niveau de la dixième côte droite ".
Par ailleurs, le rapport d'examen médicolégal établi le 27 mars 2009 fait état d'un " traumatisme thoracique avec fracture de la huitième côte droite en décembre 2005 ", consolidée " avec séquelle à type de cal osseux hypertrophique et douloureux ".
La Cour note que le Gouvernement ne s'exprime pas au sujet de cette fracture de côte qui serait intervenue en décembre 2005, et en tout état de cause alors que le requérant était en détention.
98. Pour ce qui est des interventions des ERIS, le Gouvernement argue de la nécessité, le 3 décembre au matin, de faire sortir le requérant de la cellule disciplinaire où il se trouvait, celui-ci refusant de s'exécuter de lui-même. A cette occasion, un agent des ERIS repoussa le requérant vers le fond de la cellule avec un bouclier, puis deux autres le saisirent, l'allongèrent sur le sol avant de le menotter. Il fut ensuite soulevé et transporté dans la cellule du quartier d'isolement. La même méthode fut employée dans l'après-midi pour faire sortir le requérant de sa cellule et l'emmener à la promenade.
Le Gouvernement indique que les différents intervenants, interrogés au cours de l'enquête judicaire, ont assuré qu'ils n'avaient fait usage que de la force strictement nécessaire.
99. Même si aucun élément du dossier ne permet d'affirmer avec certitude que c'est au cours de ces interventions que la côte du requérant a été fracturée, la Cour estime que les allégations du requérant sont plausibles au vu de la manière dont les opérations se sont déroulées et notamment du fait que le requérant, mesurant 1, 72 m et pesant 66 kgs, a été maîtrisé par quatre agents des ERIS et fermement plaqué au sol à deux reprises.
Elle estime en outre qu'une telle séquelle atteint indubitablement le seuil minimum de gravité requis par l'article 3 et que des explications sont nécessaires sur la survenue d'une telle blessure.
100. Elle considère qu'en l'espèce l'absence totale d'explication sur ce point de la part du Gouvernement et l'impossibilité d'établir les circonstances exactes dans lesquelles le requérant a été blessé, alors qu'il se trouvait sous le contrôle des agents de l'État, ne l'empêche pas de parvenir à un constat de violation matérielle de cet article.
101. Dans ces conditions, la Cour estime que le requérant a subi des traitements inhumains et dégradants contraires à l'article 3 de la Convention
2. Quant aux mesures de sécurité mises en uvre et aux conditions de détention
102. Sur le même fondement, le requérant se plaint des mesures de sécurité mises en uvre à son encontre, notamment de ses placements à l'isolement, des rotations de sécurité, de fouilles corporelles et de ses conditions de détention.
a) Sur les mesures de mise à l'isolement
103. Le requérant soutient qu'il a subi un isolement de longue durée contraire à l'article 3 de la Convention.
i. Sur la recevabilité
104. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
ii. Sur le fond
105. Le requérant soutient que le fait que son dossier ne comporte pas de contre-indication médicale ne saurait écarter la violation de l'article 3. Il mentionne la difficulté d'obtenir des certificats médicaux contre-indiquant des mesures pénitentiaires prises pour des motifs sécuritaires. Il estime que l'impact moral d'un traitement pénitentiaire peut suffire à caractériser un traitement dégradant. Il souligne par ailleurs que les conditions de son isolement à Fleury-Mérogis étaient particulièrement éprouvantes.
106. Il se réfère à un courrier qu'il aurait adressé à une date non précisée à l'Observatoire international des prisons et dans lequel il mentionnait qu'il était le premier arrivant dans cette aile de la prison qui venait d'ouvrir. Il ajoutait qu'il avait deux illetons à la porte, que des rondes de nuit étaient effectuées jusqu'à toutes les vingt minutes, qu'il était sans arrêt palpé, fouillé, à la sortie de la cellule, devant la promenade, puis en sortant, puis encore devant la cellule. Il se plaignait également de n'avoir aucune protection pour l'intimité des toilettes. En outre, il se plaignait de devoir effectuer la promenade dans une cour fermée, où l'on ne voyait pas le ciel.
107. Le Gouvernement expose que l'isolement du requérant n'était pas contraire à des avis médicaux et qu'il ne s'agissait pas d'un isolement sensoriel complet ni d'un isolement social total. En effet, le requérant avait droit à la correspondance, a pu entretenir des contacts avec le personnel pénitentiaire, a reçu régulièrement la visite de ses avocats ainsi que de membres de sa famille. En outre, il pouvait obtenir des journaux par le biais de la " cantine " et disposer d'une radio ou d'une télévision.
108. Il ajoute que la durée de la mise à l'isolement ne semble pas constitutive d'un traitement inhumain et dégradant au vu de la jurisprudence de la Cour.
109. La Cour rappelle que les mesures privatives de liberté s'accompagnent inévitablement de souffrance et d'humiliation. S'il s'agit là d'un état de fait inéluctable qui, en tant que tel et à lui seul n'emporte pas violation de l'article 3, cette disposition impose néanmoins à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités de sa détention ne le soumettent pas à une détresse ou à une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à une telle mesure et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, sa santé et son bien-être sont assurés de manière adéquate ; en outre, les mesures prises dans le cadre de la détention doivent être nécessaires pour parvenir au but légitime poursuivi (Frérot c. France, n° 70204/01, 12 juin 2007, § 37).
110. Certes, l'exclusion d'un détenu de la collectivité carcérale ne constitue pas en elle-même une forme de traitement inhumain. Dans de nombreux États parties à la Convention existent des régimes de plus grande sécurité à l'égard des détenus dangereux. Destinés à prévenir les risques d'évasion, d'agression ou la perturbation de la collectivité des détenus, ces régimes ont comme base la mise à l'écart de la communauté pénitentiaire accompagnée d'un renforcement des contrôles (Ramirez Sanchez c. France [GC], n° 59450/00, § 138, CEDH 2006 IX). Ainsi, l'interdiction de contacts avec d'autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline et de protection ne constitue pas en elle-même une forme de peine ou traitement inhumains (Messina c. Italie (n° 2) (déc.), n° 25498/94, CEDH 1999 V).
111. Dans la présente affaire, la Cour note que le requérant a été placé à l'isolement une première fois du 23 juin 2003 au 15 octobre 2004, soit un an, trois mois et vingt-trois jours, et une seconde fois du 7 mars au 11 juillet 2005, soit quatre mois et quatre jours.
112. Elle relève en outre que la première mise à l'isolement du requérant est intervenue un mois et demi après sa réincarcération, qui faisait elle-même suite à son évasion en hélicoptère le 14 avril 2003.
113. Elle note que la mise à l'isolement à Fleury-Mérogis, dont le requérant se plaint particulièrement, a eu lieu, selon les propres dires du requérant, dans des locaux neufs et que celui-ci ne se plaint pas des conditions matérielles de sa détention en isolement, si ce n'est du manque d'intimité et de la configuration de la cour de promenade (voir Rohde c. Danemark, n° 69332/01, § 97, 21 juillet 2005).
114. Par ailleurs, dans la présente affaire, le requérant n'a été soumis ni à un isolement sensoriel ni à un isolement social total, mais à un isolement social relatif. En effet, il a pu recevoir des visites de ses avocats et de membres de sa famille. Il avait en outre des contacts avec le personnel pénitentiaire, avait conservé son droit à la correspondance, ainsi que de disposer de journaux et d'une radio ou d'une télévision.
115. Enfin, la durée de la mise à l'isolement n'apparaît pas excessive compte tenu des antécédents du requérant (voir Ramirez Sanchez, précité, § 150).
116. Dans ces conditions, compte-tenu du profil et du passé du requérant, qui s'était évadé précédemment par hélicoptère, la Cour considère que les autorités pénitentiaires ont ménagé un juste équilibre entre les impératifs de sécurité et l'exigence d'assurer au détenu des conditions humaines de détention, lesquelles, dans le cas présent, n'ont pas atteint le seuil minimum de gravité nécessaire pour constituer un traitement inhumain au sens de l'article 3.
117. La Cour considère qu'il en va de même pour la mise à l'isolement de quatre mois et quatre jours à la maison d'arrêt de Lyon Saint-Paul à propos de laquelle le requérant ne soulève aucun grief particulier.
118. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention.
b) Sur les rotations de sécurité
119. Le requérant se plaint, au regard de l'article 3, d'avoir subi des rotations de sécurité.
i. Sur la recevabilité
120. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
ii. Sur le fond
121. Le requérant estime que ce système était illégitime et que les différences sont minimes entre son cas et celui de M. Khider, les justifications avancées par l'administration étant proches. Il souligne par ailleurs qu'il a été conduit dans différentes régions souvent très éloignées de son domicile familial. Il ajoute que le fait qu'il était condamné aurait dû permettre son incarcération dans un établissement pour peines et qu'il a demandé à de multiples reprises son transfert dans une maison centrale de sécurité, mesure qui offrait des garanties plus élevées à l'administration. Il expose enfin que ces transfèrements l'ont empêché d'accéder aux soins requis par son état de santé.
122. Pour ce qui est des transfèrements, le Gouvernement souligne notamment les différences avec l'affaire Khider c. France (précité). Il rappelle que le requérant s'est évadé en hélicoptère le 14 avril 2003 et qu'il était condamné depuis le 22 novembre 2002 à vingt ans de réclusion.
123. Il ajoute que la gravité des faits reprochés et les risques de trouble à l'ordre public ont conduit l'administration à faire transférer régulièrement le requérant, afin de lutter contre les risques d'évasion qu'il représentait. Chaque changement d'affectation auquel le requérant a été soumis résultait d'une décision individuelle prise au cas par cas par l'administration pénitentiaire avec l'accord des magistrats concernés, lorsqu'un transfert a paru nécessaire pour éviter que le requérant puisse organiser son évasion.
124. Il conclut que les transfèrements de sécurité qui ont été imposés au requérant étaient justifiés au fil du temps par des impératifs de sécurité bien réels et qu'un juste équilibre a été respecté entre ces impératifs et la dignité du requérant.
125. La Cour constate qu'en avril 2003, le requérant s'est évadé en hélicoptère avec deux codétenus de la maison d'arrêt d'Aix-Luynes. C'est suite à sa réincarcération que les rotations de sécurité furent organisées. Elle note par ailleurs que le requérant s'est plaint de cet état de fait dans la plainte avec constitution de partie civile qu'il a déposée le 19 décembre 2005 et sur laquelle la Cour de cassation s'est prononcée le 3 février 2009.
126. Elle souscrit, comme elle l'a fait précédemment, aux conclusions adoptées par le CPT dans son rapport concernant sa visite en France en 2006, qui relevait que le transfert continuel d'un détenu d'un établissement vers un autre pouvait " avoir des conséquences très néfastes sur son bien-être, sur ses possibilités de réinsertion, ainsi que compliquer le maintien de contacts appropriés avec son avocat et sa famille " (voir Payet c. France, n° 19606/08, § 61, 20 janvier 2011).
127. Il convient néanmoins de tenir compte des préoccupations du Gouvernement selon lequel des transfèrements réguliers étaient nécessaires pour lutter contre les risques constants d'évasion que le requérant présentait. Compte tenu du fait que ce dernier s'était déjà évadé, on ne saurait affirmer que ces craintes étaient sans fondement ou déraisonnables et qu'elles n'apparaissaient plus, au fil du temps, justifiées par de tels impératifs (voir Payet, précité, § 62).
Elle relève par ailleurs que, contrairement à M. Khider qui était en détention provisoire jusqu'en mars 2007, le requérant avait été condamné en novembre 2002 à vingt ans de réclusion criminelle (paragraphe 7 ci-dessus), que son évasion en avril 2003 avait révélé une organisation certaine et surtout que c'est par l'effet combiné et répétitif des mesures de transferts répétés, de mises à l'isolement et de fouilles qu'elle a conclu dans son arrêt Khider à la violation de l'article 3 de la Convention (voir Khider, précité, § 133).
128. La Cour observe en outre que la note du 29 octobre 2003 a été abrogée par une circulaire du garde des Sceaux du 16 août 2007, et annulée par le Conseil d'État dans son arrêt du 29 février 2008 (voir Payet, précité, § 27).
129. Elle constate enfin que, de juillet 2007 à sa libération en mars 2010, le requérant a été détenu dans le même centre pénitentiaire de Lannemezan.
130. Dans ces conditions, la Cour considère en l'espèce que, compte tenu du profil, de la dangerosité et du passé du requérant, les autorités pénitentiaires ont ménagé un juste équilibre entre les impératifs de sécurité et l'exigence d'assurer au détenu des conditions humaines de détention, lesquelles, dans le cas présent, n'ont pas atteint le seuil minimum de gravité nécessaire pour constituer un traitement inhumain au sens de l'article 3. Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention.
c) Quant aux conditions de détention
131. Le requérant expose qu'au sein de la maison d'arrêt de Toulouse Seysses, plusieurs de ses douches ont été brusquement interrompues, qu'il a parfois été contraint de se rendre en promenade par une température de zéro degré sans vêtement chaud, que lors de son affectation au quartier disciplinaire, il a été privé de ravitaillement de base de son hygiène personnelle, ce qui l'a obligé à vivre dans la saleté, que ses parloirs ont parfois été annulés ou refusés malgré le déplacement de sa famille et qu'il a été soumis à des fouilles corporelles. Il invoque sur ces points les articles 3 et 8 de la Convention. L'article 8 se lit notamment :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée (...)
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
132. Le Gouvernement indique qu'il n'a pas connaissance de brimades telles que des provocations verbales proférées à l'encontre du requérant, de restrictions apportées à ses conditions d'hygiène, de coupures d'eau, ou de suppressions de parloirs (en dehors de ses placements au quartier disciplinaire). Il précise que ce grief a été évoqué dans la plainte avec constitution de partie civile du 19 décembre 2005 mais que rien ne permettait au juge de confirmer, ne serait-ce que sommairement, les allégations du requérant en ce sens.
133. Pour ce qui est des conditions matérielles de son incarcération à la maison d'arrêt de Toulouse Seysses du 2 novembre 2005 au 23 janvier 2006 et de son séjour au quartier disciplinaire de cet établissement, le Gouvernement précise que l'état du quartier disciplinaire au cours de la période concernée était parfaitement conforme aux règles d'hygiène et de sécurité en vigueur. Une inspection sanitaire de l'établissement a été effectuée au cours du mois de juin 2005 et le rapport relevait le bon état général du quartier disciplinaire et du quartier d'isolement.
134. S'agissant des règles d'hygiène applicables dans la maison d'arrêt, le Gouvernement indique qu'une trousse de produits d'hygiène est remise à tout arrivant et que, de plus, la circulaire relative au régime disciplinaire des personnes détenues prévoit, dans son annexe 1, que des produits d'hygiène doivent être remis à tout détenu placé au quartier disciplinaire, qui conserve en outre la possibilité d'acheter ce type de produits.
135. Le Gouvernement conteste formellement les allégations du requérant concernant le quartier disciplinaire de la maison d'arrêt de Toulouse Seysses, qui ne sont étayées par aucun élément issu de l'enquête.
Pour ce qui est enfin des refus de parloir allégués, le Gouvernement produit le rapport d'un conseiller d'insertion et de probation de la maison d'arrêt de Toulouse-Seysses en date du 22 novembre 2005. Ce rapport indique qu'après avoir obtenu confirmation du service d'insertion et de probation que sa femme et sa mère avaient pris rendez-vous, à sa demande, pour des séances de parloir, le requérant manifestait le 3 novembre 2005 "sa ferme intention de se faire placer au quartier disciplinaire ", pour "protester contre son transfert à Seysses " et obtenir à terme son affectation dans un établissement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur. Dès lors, celui-ci était conscient du fait que cela aboutirait à l'impossibilité pour sa femme, venue d'une région éloignée, de le rencontrer au parloir qui était programmé le 14 novembre 2005. Il indiquait même aux surveillants du quartier disciplinaire le 16 novembre 2005 qu'il refusait tout parloir.
Le Gouvernement conclut que le grief tiré de l'article 3 pour ce qui est des conditions de détention est manifestement mal fondé.
136. La Cour rappelle que, pour tomber sous le coup de l'article 3, des mauvais traitements doivent atteindre un minimum de gravité (paragraphe 88 ci-dessus).
Elle note que les griefs du requérant sur ces différents points ne sont pas étayés et sont pour certains d'entre eux formellement contredits par les informations fournies par le Gouvernement.
Dès lors, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
Il s'ensuit que ces grief sont manifestement mal fondés et doivent être rejetés en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
B. Sur le volet procédural de l'article 3
137. Sous l'angle des articles 3 et 13 de la Convention combinés, le requérant expose que son droit à une enquête effective a été bafoué.
L'article 13 dispose :
" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "
138. La Cour examinera ce grief sous l'angle de l'article 3, sous son volet procédural.
1. Sur la recevabilité
139. La Cour constate que ce grief n'est pas manifestement mal fondé au sens de l'article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu'il ne se heurte à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.
2. Sur le fond
140. Le requérant considère que l'État n'a pas rempli son obligation procédurale au titre de l'article 3 dans la mesure où les investigations diligentées à la suite de sa plainte avec constitution de partie civile n'étaient pas approfondies et, de ce fait, n'ont pas permis de conduire à l'identification et à la punition des responsables.
141. Il rappelle qu'une obligation positive procédurale est mise à la charge des États, tirée de l'article 3 de la Convention, s'agissant de mauvais traitements subis par un individu privé de liberté.
142. Il estime qu'en l'espèce, il apparaît clairement que les autorités ont entendu garantir une totale impunité aux personnels pénitentiaires, en dépit de l'avis de la Commission nationale de déontologie de la sécurité.
143. Le requérant souligne qu'alors que sa plainte était étayée par des certificats médicaux, le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention ont pris le parti de faire entendre les membres de l'ERIS mis en cause dans les faits survenus le 3 décembre 2005 en qualité de témoins anonymes, procédure subordonnée à la condition qu'il n'y a aucune raison plausible de soupçonner qu'elles ont commis ou tenter de commettre une infraction. Il en conclut qu'il était certain qu'ils ne seraient pas inquiétés dans le cadre de la procédure judiciaire.
144. Il expose que la procédure judiciaire traduit en outre la négligence et le désintérêt des magistrats. Ainsi, le procureur de la République a, le 4 septembre 2006, classé sans suite la plainte qu'il avait déposée le 5 décembre 2005. Il ajoute qu'en outre, après le retour de la commission rogatoire donnée à la gendarmerie, le juge d'instruction de Toulouse en charge du dossier ne l'a pas auditionné lui-même et a confié cette tâche à l'un de ses homologues qui ignorait tout de l'affaire.
145. Le requérant en conclut que, dès lors, il y a lieu de considérer que l'enquête n'a pas été effective et suffisamment approfondie et qu'elle n'a pas satisfait à l'exigence de contrôle public. Les autorités publiques ont manqué à l'obligation de punir les coupables des traitements contraires à l'article 3 de la Convention dont il a été victime.
146. Le Gouvernement rappelle les principes posés par la jurisprudence de la Cour en la matière et la nature des obligations pesant sur les États dans le cadre des articles 2 et 3 de la Convention.
147. Il souligne que dans la présente affaire, quatre enquêtes distinctes ont été menées.
Il en conclut que, face aux plaintes du requérant, concernant ses conditions de détention en général et plus particulièrement au sujet des événements qui se sont déroulés les 26 et 27 novembre 2005 et le 3 décembre 2005, il s'est conformé pleinement à ses obligations procédurales au titre de l'article 3, telles que décrites par la jurisprudence de la Cour. Il souligne notamment que la plainte déposée par le requérant a fait l'objet d'une enquête approfondie et efficace, donnant lieu à seize auditions et à l'examen minutieux de tous les rapports d'incidents concernant le requérant dans huit établissements pénitentiaires distincts.
148. La Cour rappelle que, lorsqu'un individu affirme de manière défendable avoir subi, de la part de la police ou d'autres services comparables de l'État, des traitements contraires à l'article 3 de la Convention, cette disposition, combinée avec le devoir général imposé à l'État par l'article 1 de " reconnaître à toute personne relevant de [sa] juridiction les droits et libertés définis (...) [dans la] Convention ", requiert, par implication, qu'il y ait une enquête officielle effective. Cette enquête, à l'instar de celle requise par l'article 2, doit pouvoir mener à l'identification et à la punition des responsables (Labita c. Italie [GC], n° 26772/95, § 131, CEDH 2000-IV, Pantea c. Roumanie, n° 33343/96, § 199, CEDH 2003VI, et Turan Cakir c. Belgique, n° 44256/06, § 65, 10 mars 2009).
149. Dans la présente affaire, la Cour relève que plusieurs enquêtes ont été menées concernant les événements dénoncés par le requérant.
150. Ainsi, suite à la plainte du requérant, le procureur demanda le 15 décembre 2005 à la gendarmerie de procéder à une enquête préliminaire (paragraphe 40 ci-dessus).
De même, le requérant ayant déposé ensuite une plainte avec constitution de partie civile, le juge d'instruction ordonna l'audition des différents intervenants (agents de l'administration pénitentiaire, détenus témoins des faits, membres des ERIS et le requérant lui-même). Le juge se procura également tous les rapports d'incidents concernant le requérant. C'est sur la base de ces différents éléments que le juge d'instruction rendit une ordonnance de non-lieu, qui fut confirmée par la chambre de l'instruction (paragraphes 46-47 ci-dessus).
151. Parallèlement, le requérant ayant saisi le directeur de la maison d'arrêt, une enquête administrative fut diligentée et cinq surveillants furent entendus, puis un rapport fut rédigé, basé sur ces auditions et sur cinq rapports établis entre le 17 novembre et le 16 décembre 2005, qui fut envoyé, notamment, au procureur de la République (paragraphe 51 ci-dessus).
152. Enfin, la Commission nationale de déontologie et de sécurité fut saisie par un sénateur et elle demanda au garde des Sceaux de faire diligenter une inspection. A cette occasion également, les personnels concernés et le requérant furent entendus (paragraphe 53 ci-dessus).
153. La Cour constate que quatre enquêtes différentes ont été diligentées sur les faits dénoncés par le requérant. Elle considère que, même si elle a conclu qu'il y avait eu en l'espèce violation de l'article 3 de la Convention, les autorités ont mené avec diligence plusieurs enquêtes, le fait qu'elles n'aient pas abouti à la condamnation des personnes accusées par le requérant ne retirant rien à leur effectivité. Elle estime sur ce point que la responsabilité en droit pénal dans les systèmes juridiques internes, dont les standards en matière de preuves s'inspirent de la présomption d'innocence garantie à l'article 6 § 2, ne doit pas être confondue avec la responsabilité en droit international au titre de l'article 3 de la Convention (paragraphe 90 ci dessus)
154. Elle estime que les éléments ci-dessus lui suffisent pour conclure que les incidents des 26 et 27 novembre et 3 décembre 2005 ont fait l'objet d'enquêtes rapides et effectives. En conséquence, les autorités françaises ont respecté l'obligation procédurale découlant de l'article 3 de la Convention. Il n'y a donc pas eu, à cet égard, violation de cette disposition.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION
155. Le requérant se plaint de l'amende civile qui lui a été imposée par le juge d'instruction et aurait porté atteinte à son droit d'accès à un tribunal. Il invoque l'article 13 de la Convention.
156. La Cour estime que le présent grief tend en réalité à dénoncer une violation du droit d'accès à la justice, lequel est garanti par l'article 6 § 1 de la Convention qui dispose notamment :
" 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (...) "
157. La Cour rappelle que l'article 6 n'interdit pas aux États contractants d'édicter les réglementations régissant l'accès des justiciables à une juridiction, pourvu que ces réglementations aient pour but d'assurer une bonne administration de la justice ; tel est sans nul doute l'objet des réglementations relatives à la saisine d'une juridiction de recours et, notamment, celles dont le but est de se prémunir contre des plaideurs téméraires (voir Maillard c. France, n° 35009/02, §§ 35-37, 6 décembre 2005).
158. La Cour rappelle également qu'elle n'a pas pour tâche de se substituer aux juridictions internes. C'est au premier chef aux autorités nationales, et notamment aux cours et tribunaux, qu'il incombe d'interpréter la législation interne et d'apprécier les éléments recueillis par elles. Il ne lui appartient donc pas de se prononcer sur le caractère abusif ou non des requêtes du requérant.
159. En l'espèce, le juge d'instruction a clairement énoncé dans son ordonnance les raisons pour lesquelles il estimait que la plainte était abusive (paragraphe 46 ci-dessus).
160. La Cour rappelle finalement que les amendes pour procédure abusive ne sont pas par principe incompatibles avec l'article 6 § 1 de la Convention. En l'espèce, elle ne relève aucune apparence d'arbitraire et estime que le montant de l'amende prononcée n'est pas suffisamment élevé pour être considéré comme constituant un obstacle à l'accès à un tribunal en violation de l'article 6 § 1 de la Convention, ce d'autant plus que le requérant n'a pas été concrètement empêché de saisir le juge d'instruction.
161. Se référant à sa jurisprudence en la matière (Poilly c. France (déc.), n° 68155/01, du 15 octobre 2002 et Maillard c. France, précité), la Cour conclut au défaut manifeste de fondement de cette partie de la requête et à son rejet, en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 6 § 3 DE LA CONVENTION
162. Le requérant soutient également que les multiples transfèrements dont il a fait l'objet l'ont empêché de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense, contrairement aux prescriptions de l'article 6 § 3 de la Convention qui dispose notamment :
" Tout accusé a droit notamment à :
(...)
b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense.
c) se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent. "
163. Le Gouvernement soutient que ce grief est dépourvu de tout fondement. En effet, le requérant a pu, en tout lieu et à toute date, correspondre librement et sous pli fermé avec son conseil. Il produit un relevé des visites que ses avocats ont rendu au requérant dans ses différents lieux de détention entre sa réincarcération en mai 2003 et son jugement par la cour d'assises des Bouches-du-Rhône le 19 janvier 2007. D'après ce document, le requérant a reçu vingt-quatre visites de ses avocats pour une période de deux ans et sept mois environ, étant entendu que pour deux des établissements le Gouvernement ne possède pas d'informations sur ce point. Il reçut notamment trois visites dans le mois précédant sa comparution devant la cour d'assises.
164. Le Gouvernement en conclut que le requérant ne peut raisonnablement prétendre que sa situation pénitentiaire a pu, d'une quelconque manière, restreindre ses droits d'accès à un conseil et à ses possibilités de préparer sa défense. Il ajoute que, si tel avait été le cas, le conseil du requérant aurait dû l'invoquer au cours de la procédure devant les juridictions d'instruction et/ou de jugement, et demander le renvoi qu'imposait cette situation.
165. Le Gouvernement fait valoir qu'en tout état de cause, le nombre de recours introduits et menés à terme par le requérant depuis son incarcération démontre que les obstacles allégués à la préparation de son procès ne sauraient être ni le fait de la législation nationale qui lui garantit les droits énoncés au paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention, ni celui des autorités françaises qui respectent et participent à l'effectivité desdits droits.
166. Le requérant expose que suite à son évasion, il était accusé dans une procédure criminelle complexe et que l'éloignement dont il faisait l'objet rendait impossible la tenue des entretiens avec son conseil, indispensables à la préparation de sa défense et de son procès qui s'est tenu en janvier 2007.
Il souligne que le juge des libertés et de la détention a estimé dans une décision du 10 juin 2004 que " son éloignement actuel, au regard de sa durée, devient attentatoire au respect des droits de la défense. "
Il ajoute que son conseil a, à de multiples reprises, fait valoir l'atteinte aux droits de la défense.
Enfin, il estime que les recours introduits devant les juridictions administratives ne démontrent pas que les droits de la défense aient été respectés, s'agissant de procédure essentiellement écrites.
167. La Cour rappelle que l'article 6 § 3 c) de la Convention reconnaît à tout accusé le droit à l'assistance d'un défenseur de son choix, lequel choix doit en principe être respecté. Ce qui compte avant tout, c'est que l'accusé ait bénéficié d'une défense concrète et effective.
Elle relève qu'en l'espèce, le requérant a conservé le droit de correspondre librement, et sous pli fermé, avec ses avocats.
Elle constate par ailleurs que ceux-ci ont pu lui rendre visite relativement souvent dans ses différents lieux de détention et que le requérant était détenu à Marseille dans le mois précédant sa comparution devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône.
Elle note enfin qu'elle a considéré que les déplacements du requérant étaient justifiés par son passé et les risques d'évasion (paragraphe 123 ci dessus).
168. Dans ces conditions, compte tenu de l'ensemble des éléments en sa possession, et dans la mesure où elle était compétente pour connaître des allégations formulées, la Cour n'a relevé aucune apparence de violation des droits et libertés garantis par la Convention ou ses Protocoles.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
IV. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 8 DE LA CONVENTION
169. Le requérant soutient encore que ses conditions de détention ont porté atteinte au respect de sa vie privée et familiale et à la protection de sa personnalité au sens de l'article 8 de la Convention qui se lit notamment :
" 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
170. Se référant la jurisprudence de la Cour, le Gouvernement rappelle que la séparation et l'éloignement du détenu de sa famille doivent s'analyser comme des conséquences inévitables de la détention et le refus de transférer un détenu dans une prison proche de son domicile ne peut être considéré comme portant atteinte au droit au respect de sa vie familiale que dans des circonstances exceptionnelles.
171. Il ajoute qu'en l'espèce l'éloignement du requérant de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur est la conséquence de son évasion et qu'il n'était privé ni de son droit à la correspondance, ni de celui de recevoir des visites régulières de sa famille.
172. Le requérant soutient que ses conditions de détention ont porté atteinte au respect de sa vie privée et familiale et à la protection de sa personnalité. Il se plaint du fait qu'il était détenu loin de sa famille et que le fait qu'il ait été constamment déplacé à des centaines de kilomètres de ses proches a constitué une atteinte à sa vie de famille, sa compagne, son fils et sa mère ne pouvant venir le voir que rarement. Il ajoute que les décisions en cause étaient dépourvues de base légale et reposaient sur une instruction de service confidentielle qui a été censurée par un arrêt du Conseil d'État du 29 février 2008.
173. La Cour rappelle sur ce point que toute détention régulière au regard de l'article 5 de la Convention entraîne par nature une restriction à la vie privée et familiale de l'intéressé. Il est cependant essentiel au respect de la vie familiale que l'administration pénitentiaire aide le détenu à maintenir un contact avec sa famille proche (Messina c. Italie (n° 2), n° 25498/94, § 61, CEDH 2000 X, et Lavents c. Lettonie, n° 58442/00, § 139, 28 novembre 2002).
174. Elle relève qu'en l'espèce, les visites familiales n'ont pas fait l'objet d'une interdiction ou d'une restriction de la part de l'administration pénitentiaire. Si les visites de sa compagne, de son fils et de sa mère ont été limitées comme le requérant l'affirme, c'est en raison du régime de rotations de sécurité auquel il était soumis qui peut avoir entraîné, de facto, des limitations du nombre de visites familiales. La Cour a toutefois estimé que ces rotations n'étaient pas contraires à l'article 3 dans le cas d'espèce (paragraphe 130 ci-dessus). Certes, ce constat n'exclut pas qu'elles puissent être incompatibles avec la Convention au regard de l'article 8.
175. Elle note également qu'à au moins une reprise, c'est le requérant lui-même qui s'est mis en situation de ne pouvoir recevoir des visites (paragraphe 135 ci-dessus). En outre, la Cour constate que le requérant n'apporte aucune précision concrète sur les conséquences que ses changements d'affectation auraient eus sur la limitation des visites de sa famille.
Par ailleurs, elle relève que le requérant a été, la grande majorité du temps, détenu dans des établissements situés dans le sud de la France.
176. Dans ces conditions, la Cour estime que cette partie de la requête est manifestement mal fondée et doit être rejetée en application de l'article 35 §§ 3 a) et 4 de la Convention.
V. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 13 COMBINÉ AVEC L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION
177. Le requérant se plaint de ne pas avoir disposé d'un recours effectif au sens de l'article 13 de la Convention pour contester le régime de rotations de sécurité qui lui a été imposé. Cette disposition se lit :
" Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été violés, a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. "
178. Le Gouvernement expose que, jusqu'aux années 2000, le Conseil d'État considérait de façon constante que les décisions de transfèrement administratif n'étaient pas des actes administratifs faisant grief, mais entraient dans la catégorie des mesures d'ordre intérieur, non susceptibles de recours juridictionnel. Toutefois, par trois décisions d'Assemblée du 14 décembre 2007, le Conseil d'État a étendu les possibilités de recours des détenus devant la juridiction administrative, en particulier pour ce qui concerne les rotations de sécurité (voir Payet, précité, § 27).
179. Le Gouvernement fait observer que le requérant n'a déposé sur la question de ses transfèrements que deux recours devant les tribunaux administratifs, le 24 mars 2006 sous la forme d'un référé, et le 29 mai 2007, sous la forme d'un recours pour excès de pouvoir, assorti d'une demande en référé.
180. Le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande de suspension le 10 avril 2006 considérant que la mesure de transfèrement relevait des mesures d'ordre intérieur. Le requérant, qui n'avait pas saisi la juridiction au fond, a fait appel de cette décision devant le Conseil d'État, qui a constaté le 20 décembre 2006 qu'il n'y avait plus lieu à statuer, à défaut d'urgence, le transfèrement ayant été réalisé. En ce qui concerne le recours déposé le 29 mai 2007 devant le tribunal administratif de Marseille, le requérant s'en est désisté.
181. Le Gouvernement estime que dans ces deux hypothèses le requérant disposait d'un recours effectif qui, s'il n'était pas encore certain, était du moins largement prévisible compte-tenu du mouvement jurisprudentiel mentionné.
182. Le requérant maintient son grief.
183. La Cour rappelle que l'article 13 de la Convention garantit l'existence en droit interne d'un recours permettant de se prévaloir des droits et libertés de la Convention tels qu'ils peuvent s'y trouver consacrés ; cette disposition a donc pour conséquence d'exiger un recours interne habilitant à examiner le contenu d'un " grief défendable " fondé sur la Convention et à offrir le redressement. La portée de l'obligation que l'article 13 fait peser sur les États contractants varie en fonction de la nature du grief du requérant ; toutefois, le recours exigé par l'article 13 doit toujours être " effectif " en pratique comme en droit. L' " effectivité " d'un " recours " au sens de l'article 13 ne dépend pas de la certitude d'une issue favorable pour le requérant. (voir, notamment Èonka c. Belgique du 5 février 2002, n° 51564/99, CEDH 2002-I, §§ 75-76, et Ramirez Sanchez précité, § 157 159). En outre, le fait que la Cour ait estimé que l'article 3 n'avait pas été violé concernant les rotations de sécurité imposées au requérant ne signifie pas que son grief n'était pas défendable (voir, mutatis mutandis, Schemkamper c. France, n° 75833/01, §§ 41-42, 18 octobre 2005).
184. Elle constate que le 20 octobre 2003, le ministre de la Justice a adopté une note de service, intitulée " Note relative à la gestion des détenus les plus dangereux incarcérés dans les maisons d'arrêt ", instituant un régime de rotation de sécurité.
185. Elle considère que l'efficacité du recours cité par le Gouvernement dans le cas des transfèrements du requérant pendant la période de son incarcération n'est pas établie. En effet, c'est par un arrêt du 14 décembre 2007 que le Conseil d'État a admis qu'une décision soumettant un détenu à un régime de sécurité ne constituait pas une mesure d'ordre intérieur mais une décision administrative susceptible de recours pour excès de pouvoir. De plus, ce n'est que le 29 février 2008 que le Conseil d'État a annulé la circulaire instituant le régime de sécurité (voir Khider, précité, § 143).
186. La Cour en déduit qu'à l'époque, le requérant ne disposait pas d'un " recours effectif " pour faire valoir ses griefs tirés de l'article 3 de la Convention concernant ses transfèrements répétés. Il y a donc eu violation de l'article 13 de la Convention combiné avec cette disposition.
VI. SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
187. Aux termes de l'article 41 de la Convention,
" Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. "
A. Dommage
188. Le requérant réclame 200 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu'il aurait subi. Il demande également 40 942 EUR au titre du préjudice matériel, qui se répartissent comme suit :15 442 EUR pour les frais de transport, d'hébergement et d'alimentation exposés par sa mère, sa compagne et son fils pour venir lui rendre visite et 5 500 EUR pour les salaires qu'il aurait touchés s'il avait pu travailler en prison.
189. Le Gouvernement estime que les demandes du requérant au titre du préjudice moral sont manifestement excessives, et que leur lien avec les violations alléguées de la Convention ne paraît pas établi. Pour ce qui est du préjudice matériel, le Gouvernement fait observer que ce n'est pas le requérant qui a exposé les frais invoqués et que ses demandes concernant des salaires prétendument perdus sont hypothétiques.
190. Le Gouvernement conclut, compte tenu des doutes qui subsistent quant à la réalité des faits allégués, qu'une somme de 10 000 euros (EUR) allouée en équité par la Cour constituerait une réparation adéquate du préjudice matériel et moral éventuellement subi.
191. La Cour n'aperçoit pas de lien de causalité entre la violation constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En revanche, elle considère qu'il y a lieu d'octroyer au requérant 10 000 EUR au titre du préjudice moral.
B. Frais et dépens
192. Le requérant demande également 5 000 EUR pour les frais et dépens engagés devant les juridictions internes et la Cour.
193. Le Gouvernement fait observer que le requérant omet de produire une note d'honoraires et estime que le remboursement de ces frais et dépens ne saurait raisonnablement excéder la somme de 5 000 EUR, pour autant que la réalité de ces frais et dépens se trouve établie.
194. Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce et compte tenu des documents en sa possession et de sa jurisprudence, la Cour rejette la demande relative aux frais et dépens.
C. Intérêts moratoires
195. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,
1. Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les violences alléguées, la mise à l'isolement et les rotations de sécurité ; de l'article 3 sous son volet procédural ; de l'article 13 combiné à l'article 3 de la Convention et irrecevable pour le surplus ;
2. Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les violences alléguées ;
3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne la mise à l'isolement ;
4. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention en ce qui concerne les rotations de sécurité ;
5. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 3 de la Convention sous son volet procédural :
6. Dit qu'il y a eu violation de l'article 13 combiné avec l'article 3 de la Convention concernant l'absence de recours internes contre les rotations de sécurité ;
7. Dit :
a) que l'État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;
b) qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
8. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 20 octobre 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.
Claudia Westerdiek, Greffière
D. Spielmann, Président