9ème Ch Prud'homale
ARRÊT N°168
R.G 14/05403
SAS STER GOZ
C/
M. Philippe Y
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le
à
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 07 OCTOBRE 2015
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
M. Gérard SCHAMBER, Président,
M. Pascal PEDRON, Conseiller,
Mme Laurence LE QUELLEC, Conseiller,
GREFFIER
Mme Dominique BLIN, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS
A l'audience publique du 01 Juillet 2015
ARRÊT
Contradictoire, prononcé publiquement le 07 Octobre 2015 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE
SAS STER GOZ
BANNALEC
représentée par Me Loïc GOURDIN, avocat au barreau de VANNES
INTIMÉ
Monsieur Philippe Y
QUIMPER
représenté par Mme Marie-Louise ..., déléguée syndicale FO, en vertu d'un pouvoir spécial
FAITS ET PROCÉDURE
La société Ster-Goz (la société), entreprise de désossage et de triage de viande, a conclu le 26 juin 2000 avec le délégué syndical C.G.T, dans le cadre des dispositions de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000, un accord de réduction et d'aménagement du temps de travail, à effet au 1er juillet 2000, dont les articles 3 et 4, consacrés respectivement au temps de travail effectif et au temps de pause, sont rédigés dans les termes suivants
'ART 3 - Conformément aux nouvelles dispositions légales et à la convention collective des entreprises de l'industrie et des commerces en gros des viandes à l'accord cadre national sur l'aménagement réduction du temps de travail en date du 29 octobre 1998, 'la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à disposition de l'employeur et doit de conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à ses occupations personnelles'.
Sont donc exclus du temps de travail effectif le temps nécessaire à l'habillage et au casse-croûte ainsi que toute période d'inaction comme il est dit à l'article L. 212-4 du code du travail.
ART 4 - Le temps de pause est une période de repos au cours de laquelle le salarié ne reste pas à disposition de l'employeur et n'est pas soumis à ses directives mais au contraire peut vaquer librement à ses occupations personnelles.
Les personnels de production, y compris le service maintenance ayant un horaire ininterrompu de 06 heures au moins, bénéficieront néanmoins d'un temps de pause rémunéré de 25 minutes par jour qui sera payé au nouveau taux horaire majoré et ne sera pas considéré comme du temps de travail effectif au sens de l'article L. 212-4 du code du travail. Ce temps de pause ne supportera donc aucune majoration supplémentaire ni repos compensateur'.
M. Philippe Y avait été engagée par la société Ster Goz le 14 novembre 1994 en qualité de désosseur.
Du 26 juin 2012 au 18 septembre 2012, à la suite d'un sinistre incendie dans les ateliers de Bannalec, il a été demandé à M. Y d'effectuer sa prestation de travail sur le site de la société Jean Floc'h Surgélation à Guénin.
Affirmant ne pas avoir été rempli de ses droits, notamment en raison de la violation par l'employeur de son engagement de rémunérer les temps de pause à hauteur de 25 minutes par jour, M. Y a saisi le conseil de prud'hommes de Quimper le 22 mars 2013.
Par jugement du 18 juin 2014, le conseil de prud'hommes a condamné la société à payer à M. Y les sommes suivantes
- 4.865,53 euros à titre de rappel de salaire sur le temps de pause rémunéré ;
- 1.205,15 euros à titre de rappel de prime super-quota ;
- 270,00 euros à titre d'indemnité de trajet ;
- 1.000,00 euros au titre des frais de défense non compris dans les dépens.
En outre, le jugement a 'dit que le montant de la prime super-quota par bac due par la société Ster Goz à M. Y s'élève à la somme de 3,94 euros et que l'augmentation de cette dernière est adossée à l'augmentation du salaire de base concernant sa périodicité et son taux'.
En ce qui concerne la rémunération des temps de pause, le conseil s'est déterminé par les motifs essentiels suivants
'Les horaires de travail du personnel de production sont de 8h30 les lundi, mardi, mercredi et jeudi et 7h30le vendredi. Sur ce temps de présence, ces salariés bénéficient de 2 pauses obligatoires de 15 minutes du lundi au vendredi, de 7h30 à 7h45 et de 9h45 à 10h et d'une pause déjeuner de 30 minutes (11h30 à 12h), du lundi au jeudi et de 15 minutes le vendredi (11h30 à 11h45).
Il est établi d'une part qu'au sein de la société Ster Goz aucun membre du personnel de production n'effectue un temps de travail de six heures ininterrompues, comme cette dernière l'a confirmé à l'audience ayant été interrogée sur ce point.
D'autre part, la formule 'horaire de base ininterrompu de 6 heures au moins laisserait supposer que les salariés bénéficiaires du paiement du temps de pause, pourraient effectuer un travail non ininterrompu de plus de 6 heures, stipulation manifestement contraire à l'article L. 3121-33 du code du travail (anciennement L. 220-2) interdisant d'effectuer plus de six heures de travail consécutives sans pause.
Une telle interprétation des stipulations de l'accord contraire aux dispositions légales apparaît en outre manifestement opposée à l'intention des parties notamment su syndicat signataire.
Il résulte de la logique globale de l'accord et des circonstances de droit et de fait accompagnant sa conclusion que la formule 'horaire de base ininterrompu de 6 h au moins' doit s'entendre du temps de présence du salarié dans l'entreprise pour une durée au moins supérieure à six heures, ce qui est bien le cas pour M. Philippe Y (...).
M. Y ne conteste pas qu'à compter de l'entrée en vigueur de l'accord du 26 juin 2000 et jusqu'au 1er juillet 2009, date de mise en place dans l'entreprise de la nouvelle classification résultant de l'accord étendu du 12 décembre 2007, le paiement du temps de pause a été intégré dans le salaire de base.
Dès lors, bien qu'ayant été inclus dans le taux horaire en contradiction avec l'article 22 de l'accord du 26 juin 2000, M. Y a bénéficié du paiement du temps de pause jusqu'au 1er juillet 2009 et ne saurait donc revendiquer le paiement de celui-ci sur cette période (...).
En ne versant à sa salariée, à compter du 1er juillet 2009, que le minimum conventionnel afférent à sa classification prévu pour 151,67 heures mensuelles, la société Ster Goz a privé M. Y du bénéfice du paiement du temps de pause tel que prévu à l'accord du 26 juin 2000".
Pour rejeter la demande indemnitaire fondée sur la perte subie sur les indemnités journalières maladie ou accident du travail, le conseil a relevé que M. Y ne produit pas les éléments nécessaires à la caractérisation du préjudice subi.
S'agissant de la prime 'super-quota', le conseil a constaté que pour la période du 1er octobre 2003 au 31 mars 2005, par deux accords d'entreprise successifs, a été arrêté un dispositif de réévaluation du taux de la prime par référence à l'évolution des taux horaires, dispositif qui a été appliqué au-delà du 31 mars 2005, date d'expiration du second accord, jusqu'au mois d'avril 2008, par sept revalorisations du taux de la prime, à chaque fois concomitamment et dans les mêmes proportions que la revalorisation du taux horaire. Après avoir constaté que contrairement à ce que soutient la société, ces augmentations n'ont pas été décidées dans le cadre de la négociation annuelle obligatoire, le conseil en a déduit que les modalités de réévaluation de la prime, de par leur caractère de généralité, de constance et de fixité, sont devenues un usage d'entreprise.
En ce qui concerne l'indemnité de trajet, le conseil a constaté que le changement de lieu de travail pour la période du 26 juin au 18 septembre 2012 a eu pour conséquence d'augmenter le temps de trajet de M. Y de 1h04 par jour et a considéré que l'abaissement de la durée de temps effectif de travail quotidien à 7 heures ne pouvaient constituer la contrepartie sous forme pécuniaire ou de repos prévue par l'article L. 3121-4 du code du travail. Le conseil a fixé le montant de cette contrepartie pécuniaire à la somme de 240 euros.
Enfin, le conseil a rejeté la demande indemnitaire pour résistance abusive en constatant d'une part que la mauvaise foi de la société n'est pas suffisamment établie, et d'autre part, que M. Y ne rapporte pas la preuve d'un préjudice distinct du seul retard, réparé par l'octroi d'intérêts au taux légal.
La société, à laquelle ce jugement a été notifié le 26 juin 2014, en a interjeté appel le 2 juillet 2014.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par ses conclusions, auxquelles s'est référé et qu'a développées son avocat au cours des débats, la société Ster Goz demande à la cour, par voie de réformation du jugement déféré, de débouter M. Y de la totalité de ses prétentions et de la condamner à lui payer une somme de 500 euros à titre de participation aux frais irrépétibles exposés pour sa défense.
L'appelante fait grief aux premiers juges d'avoir méconnu que l'article 4 de l'accord du 26 juin 2000, qui déroge au principe selon lequel le temps de pause n'a aucune vocation à être rémunéré, a clairement fixé deux limites au paiement du temps de pause en prévoyant d'une part que cet avantage ne concerne que les personnels de production, y compris le service maintenance, et d'autre part, en précisant qu'au sein de cette catégorie de personnel seuls peuvent y prétendre les salariés ayant un horaire de base ininterrompu de 06 heures au moins. Elle soutient que cette notion d'horaire de base ininterrompu ne peut correspondre qu'au temps de travail effectif et non pas, comme l'ont fait à tort les premiers juges, au temps de présence dans l'entreprise.
La société relève ensuite que si M. Y fait partie du personnel de production, il n'effectue pas un horaire de base ininterrompu de 6 heures puisque, à l'instar de ses collègues de l'atelier jambons-épaules et de l'atelier têtes-coches, il bénéficie de deux pauses de 15 minutes et d'une pause de 30 minutes, sauf le vendredi, jour pendant lequel les trois pauses sont de 15 minutes.
En ce qui concerne les primes super-quota, l'appelante fait valoir qu'à partir du 31 mars 2005, terme de l'accord d'entreprise du 1er avril 2004 les revalorisations successives du taux de cette prime sont intervenues jusqu'au 30 septembre 2009, dans le cadre des négociations annuelles obligatoires. Contestant de ce fait l'existence d'un usage, la société remarque que depuis le 1er octobre 2009 aucune augmentation du taux de la prime n'a été décidée dans le cadre de ces négociations annuelles.
S'agissant de l'indemnité de temps de trajet, la société considère que la réduction du temps de travail sur le site de Guénin constituait une contrepartie suffisante pour compenser l'allongement du temps de déplacement de M. Y.
Par ses écritures, auxquelles s'est référée et qu'a développées sa représentante syndicale, M. Y forme appel incident pour obtenir la condamnation de la société Ster Goz à lui payer les sommes suivantes
- rappel de salaire arrêté au 31 mai 2015 au titre de la
rémunération de 25 minutes de temps de pause 6.112,52 euros
- rappel de prime 'super-quota' arrêté au 31 mai
2015 1.880,19 euros
- indemnité de trajet 700,00 euros
- dommages et intérêts complémentaires 5.000,00 euros
M. Y réclame une somme supplémentaire de 2.500 euros en remboursement des frais irrépétibles exposés pour sa défense en appel.
L'intimé réplique que la condition stipulée dans l'article 4 de l'accord du 26 juin 2000, liée à l'horaire de base ininterrompu ne concerne que le personnel de maintenance. Il considère qu'en tout état de cause, faisant siens les motifs du jugement, que la notion d'horaire de base ininterrompu renvoie, non pas à la durée du temps de travail effectif accompli mais à la durée de présence du salarié dans l'entreprise, seule interprétation conforme à la commune intention des parties, telle qu'elle ressort des écrits échangés en cours de négociation de l'accord d'entreprise du 26 juin 2000, lequel n'a jamais été dénoncé.
En ce qui concerne la prime, M. Y approuve les premiers juges d'avoir retenu l'existence d'un usage jamais dénoncé, s'agissant des modalité et de la fréquence de la revalorisation de son taux.
Pour l'indemnité de trajet, l'intimée réplique que par application des dispositions de l'article L. 3121-4 du code du travail, la contrepartie au temps de déplacement ne pouvait se présenter que sous forme de repos ou par voie de compensation financière.
Pour ce qui concerne sa demande de dommages et intérêts complémentaires, M. Y fait valoir que la privation d'une partie des revenus qui lui étaient dus l'a contraint à imposer des sacrifices financiers à sa famille.
MOTIFS DE LA DÉCISION
C'est par des motifs pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges ont fait droit, pour la période ayant commencé à courir le 1er juillet 2009, à la demande de paiement d'un rappel de salaire au titre de la rémunération de 25 minutes de temps de pause par jour de travail.
Il sera seulement ajouté qu'aux termes de l'articles L. 3171-1 du code du travail, l'employeur affiche les heures auxquelles commence et finit le travail ainsi que les heures et la durée des repos.
L'article D. 3171-1 du même code précise que lorsque tous les salariés d'un atelier, d'un service ou d'une équipe travaillant selon le même horaire collectif, un horaire établi selon l'heure légale indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail.
En considération de ces dispositions légales et réglementaires, c'est à juste titre que les premiers juges ont retenu que les termes 'd'horaire ininterrompu' mentionnés à l'article 4 de l'accord du 26 juin 2000 renvoient au temps de présence du salarié dans l'entreprise par période de travail et non pas à la durée du travail effectif accompli pendant cette même période.
Et dès lors qu'il est avéré, à l'examen de l'horaire collectif auquel est soumise M. Y dans son atelier de production, que l'amplitude horaire quotidienne est supérieure à six heures, c'est en vain que la société persiste à soutenir que le salarié ne remplit pas les conditions pour prétendre au paiement des temps de pause par application de l'article 4 de l'accord du 26 juin 2000, alors même que jusqu'au 30 juin la société a rémunéré ces mêmes temps de pause, en exécutant son obligation, fût-ce par un moyen non conforme à l'accord, à savoir par voie d'intégration dans le salaire de base.
En actualisant la créance de M. Y, il y a lieu de porter le montant de la condamnation de ce chef à la somme de 6.112,52 euros arrêtée au 31 mai 2015.
C'est également par des motifs pertinents, que la cour adopte, que les premiers juges ont caractérisé l'existence d'un usage non dénoncé, s'agissant des modalités et de la fréquence de la révision du taux de la prime 'super-quota'.
Il résulte de l'alinéa 2 de l'article L. 3121-4 du code du travail que s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail doit faire l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit financière.
Ayant constaté que pendant son temps d'affectation à Guénin, du 26 juin au 18 septembre 2012, le temps de trajet a été augmenté, pour M. Y, de 1h04 par jour, et que l'employeur n'a accordé ni contrepartie sous forme de repos ni compensation financière, c'est à juste titre que les premiers juges ont alloué à M. Y, à ce titre, une somme de 240 euros, qui apparaît suffisante eu égard à la durée limitée de l'affectation.
Enfin, il apparaît que les premier juges ont fait une exacte application des dispositions de l'article 1153 du code civil en rejetant la demande de dommages et intérêts complémentaires.
Succombant en son recours, comme telle tenue aux dépens de la procédure d'appel, la société, par application de l'article 700 du code de procédure civile, sera condamnée à indemniser M. Y, par une somme supplémentaire de 250 euros des frais irrépétibles exposés pour sa défense en appel.
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant contradictoirement, par arrêt mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement en ce qu'il a
- dit que le montant de la prime 'super-quota' s'élève à la somme de 3,94 euros et que l'augmentation de cette dernière est adossée à l'augmentation du salaire de base concernant sa périodicité et son taux ;
- condamné la société Ster Goz à payer à M. Y une somme de 270 euros à titre d'indemnité de trajet ;
- débouté M. Y de sa demande au titre des jours de repos supplémentaires et de sa demande de dommages et intérêts complémentaires ;
- condamné la société Ster Goz à payer à M. Y une somme de 1.000 euros au titre des frais de défense non compris dans les dépens de première instance ;
- dit que les sommes à caractère salarial produiront intérêts au taux légal à compter du 22 mars 2013 ;
Infirme les autres dispositions du jugement ;
Et statuant à nouveau,
Condamne la société Ster Goz à payer à M. Y les sommes suivantes
- 6.112,52 euros, arrêtée au 31 mai 2015, à titre de rappel de rémunération des temps de pause ;
- 1.880,19 euros à titre de rappel de prime ;
Ajoutant au jugement déféré ;
Fixe le montant de la prime 'super-quota' à un montant de 3,98 euros à compter du 1er mars 2014 ;
Condamne la société Ster Goz à payer à M. Y une somme de 250 euros au titre des frais irrépétibles de défense exposés en appel ;
Condamne la société Ster Goz aux dépens de l'instance d'appel.
LE GREFFIER, /LE PRÉSIDENT, empêché
D. ... P. ...