COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac 97C
ARRÊT N°
DU 26 MARS 2015
R.G. N° 14/07948
AFFAIRE
MINISTÈRE PUBLIC
C/
Rudy Z
Conseil de l'Ordre des Avocats de Paris
Notifié le
à
Ministère Public
Rudy Z,
Conseil de l'Ordre des Avocats de Paris
pour information
Maitre ...,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE JEUDI VINGT SIX MARS DEUX MILLE QUINZE,
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
DANS L'AFFAIRE
DEMANDEUR devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (première chambre civile) du 5 février 2014 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris (Pôle 2 - Chambre 1) du 25 octobre 2012 sur recours de l'arrêté du 28 mars 2012 rendu par le Conseil de l'ordre des avocats de Paris.
MINISTÈRE PUBLIC représenté par monsieur le procureur général près la cour d'appel de Versailles, lui-même représenté par Monsieur ..., avocat général qui a développé oralement ses conclusions écrites.
DÉFENDEURS devant la cour de renvoi
Monsieur Rudy Z
né le ..... à PARIS 20 ème
demeurant
PARIS
Comparant, assisté de Maitre Frédéric LANDON, avocat au barreau de Versailles, en sa plaidoirie
Conseil de l'Ordre des Avocats de Paris
PARIS LOUVRE RP SP
représenté par Monsieur ... ..., lui même représenté à l'audience par Maitre Hervé ..., ancien membre du Conseil de l'Ordre, délégué du Bâtonnier, en sa plaidoirie
COMPOSITION DE LA COUR
L'affaire a été débattue à l'audience solennelle et publique du 18 février 2015,
la cour étant composée de
Madame Dominique LOTTIN, Premier président,
Madame Odile BLUM, Président,
Madame Christine FAVEREAU, Conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Madame Florence LAGEMI, Conseiller,
Assistés de Madame Sylvie RENOULT, greffier
Par jugement définitif en date du 27 janvier 2011, le tribunal correctionnel de Lille a condamné M. Z Rudy à la peine de 18 mois d'emprisonnement avec sursis et une amende de 5.000 euros pour avoir
'courant 2005 et 2006 et jusqu'au 13 juillet 2006, par l'emploi de manoeuvres frauduleuses, en l'espèce en vendant des prestations d'une fausse entreprise, trompé 94 entreprises en les déterminant ainsi à leur préjudice à remettre des fonds, en l'espèce 152 chèques en règlement de prestations de publications d'encarts publicitaires fictives pour un montant global de 182 213,52 euros...'.
Par arrêt du 26 juillet 2011, la cour d'appel de Douai, infirmant partiellement cette décision a décidé que 'les dispositions relatives à la culpabilité et aux condamnations pénales du jugement entrepris seront inscrits au bulletin numéro deux du casier judiciaire'.
Après avoir obtenu le certificat d'aptitude à la profession d'avocat en octobre 2011, M. Z Rudy a sollicité son inscription au barreau de Paris.
La commission de l'exercice professionnel du barreau de Paris a rendu, au cours de sa séance du 28 octobre 2011, un avis défavorable à cette demande. Par décision du 28 mars 2012, la formation administrative restreinte de l'ordre des avocats de Paris l'a, au contraire, acceptée en relevant notamment
- que les faits commis par M. Rudy Z sont incontestablement contraires à l'honneur et à la probité,
- mais qu'ils ont été commis pour l'essentiel en 2005 et 2006 c'est à dire alors que M. Rudy Z commençait ses études et qu'il a obtenu les diplômes lui permettant de présenter avec succès l'examen d'entrée au CRFPA plusieurs années après les faits litigieux,
- que lors de son audition par le Conseil de l'Ordre, M. Z a démontré qu'il comprenait la gravité des faits pour lesquels il a été condamné, a manifesté un repentir qui est apparu sincère de même que sa volonté manifestée d'exercer de façon irréprochable la profession à laquelle il se destine,
- qu'il s'est acquitté, pour l'essentiel, des condamnations pécuniaires mises à sa charge par les décisions de justice rendues à son encontre.
Le Conseil de l'Ordre a estimé qu'il serait disproportionné d'interdire à M. Rudy Z, sur le fondement des erreurs commises lorsqu'il commençait ses études, l'accès à la profession à laquelle il s'est destiné tout au long de celles-ci. Il a en outre mentionné dans sa décision les attestations remises par deux avocats ayant connu M. Z soulignant ses qualités techniques, humaines et morales.
Le 25 avril 2012, le parquet général près la cour d'appel de Paris a formé un recours à l'encontre de l'arrêté pris le 28 mars 2012 par l'Ordre des avocats de Paris dans sa formation administrative restreinte.
Par arrêt du 25 octobre 2012, la cour d'appel de Paris, après avoir souligné que les infractions pénales commises par M. Z alors qu'il était âgé de 25 ans et qu'il avait depuis un an entamé des études de droit avec pour objectif de devenir avocat, avaient été réalisées sur une période de temps assez longue, au détriment de nombreuses victimes et pour un montant important, a retenu que ces faits ne pouvaient 's'analyser en une défaillance passagère ou une simple erreur' ainsi que l'a retenue l'Ordre des avocats. Elle ajoute que les faits commis par M. Z sont contraires à l'honneur et à la probité et considéré que 'ni le parcours universitaire, aussi brillant soit-il, ni le repentir exprimé par M. Rudy Z, alors même que les faits qu'il a commis sont relativement récents, ne justifient l'inscription au tableau qu'il revendique'. La cour d'appel de Paris a, en conséquence, rejeté la demande d'inscription au barreau de Paris présentée par M. Rudy Z.
Par arrêt du 5 février 2014, la Cour de cassation a cassé et annulé en toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 25 octobre 2012 par la cour d'appel de Paris et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Versailles. Elle reproche à la cour de Paris de s'être prononcée ' sans examiner les éléments de preuve retenus par le conseil de l'ordre susceptibles de caractériser l'amendement de l'intéressé et d'établir son aptitude à exercer la profession d'avocat en conformité avec ses principes essentiels'.
Le 4 novembre 2014, le procureur général près la cour d'appel de Versailles a saisi la cour d'appel de Versailles ainsi désignée comme cour de renvoi.
Par conclusions en date du 28 janvier 2015 communiquées aux parties, le procureur général requiert l'infirmation de la décision du conseil de l'ordre de Paris. Il soutient que les faits reprochés à M. Z constituent des infractions pénales graves et non de simples erreurs et qu'il est indiscutable qu'un escroc reconnu comme tel ne saurait devenir un auxiliaire de justice dans un état de droit digne de ce nom. Il estime dès lors que le refus d'inscription au barreau n'est pas une sanction disproportionnée eu égard à la gravité des faits.
Le procureur général souligne que M. Z a commis ces infractions par appât du gain et alors qu'il avait déjà entamé des études de droit à la Sorbonne. Il ajoute que les faits ne sont pas isolés ou occasionnels mais ont, au contraire, été répétés sur une longue période de temps, au détriment de nombreuses victimes et pour un montant important. Au vu de l'ensemble de ces éléments, il estime que les manifestations d'amendement de M. Z devant le Conseil de l'Ordre paraissent à ce jour insuffisantes, de même que les deux seules attestations produites aux débats par l'intéressé.
Par écritures déposées au greffe de la cour d'appel le 4 février 2014 et communiquées aux parties, le bâtonnier et le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris demande à la cour d'appel de Versailles d'examiner les divers points retenus par le conseil de l'ordre du barreau de paris dans son arrêté du 28 mars 2012, au regard des motivations exprimées par l'arrêt de la cour d'appel de Paris et de dire s'ils sont de nature à caractériser l'amendement de M. Rudy Z et d'établir son aptitude à exercer la profession d'avocat en conformité avec les principes essentiels de la profession d'avocat et dont la violation d'un seul d'entre eux est de nature à entraîner une sanction disciplinaire.
M. Rudy Z n'a pas déposé d'écritures devant la cour.
A l'audience solennelle du 18 février 2015, M. Jacques CHOLET avocat général représentant le ministère public, le représentant du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, M. Rudy Z, et son conseil ont été entendus en audience publique, M. Rudy Z, interrogé au préalable, ne s'y étant pas opposé, et étant précisé que M. Rudy Z a eu la parole en dernier.
M. Rudy Z a notamment rappelé la jurisprudence constante de la Cour de cassation selon laquelle l'inscription au barreau d'une personne condamnée pour des infractions pénales, y compris les plus graves comme un crime, devait être admise dès lors que l'intéressé avait réussi sa réinsertion sociale et donnait des gages sérieux et suffisants de son aptitude à respecter les principes essentiels de la profession d'avocat.
A cet égard, M. Z a produit aux débats un arrêt de la cour d'appel de Douai en date du 13 février 2015 qui, faisant droit à sa requête, a ordonné l'exclusion du bulletin n°2 de son casier judiciaire de la condamnation prononcée à son encontre le 26 juillet 2011.
Il a ajouté oralement qu'il est actuellement clerc de palais, a le statut d'auto-entrepreneur et travaille pour de nombreux cabinets d'avocats parisiens. Il a souligné n'avoir jamais caché au barreau sa condamnation et s'être ainsi montré parfaitement loyal et honnête. Il demande à la cour de faire prévaloir le droit au repentir et à l'amendement, estimant que depuis ces faits répréhensibles, son attitude a été irréprochable.
M. Z a produit à l'audience huit attestations d'avocats parisiens ainsi que la copie d'un courrier du président de l'association O.S.R. attestant de ce que M. Z participe aux activités d'aide aux plus démunis de l'association en qualité de bénévole actif, soit en assurant la distribution de repas, soit en dispensant des cours de soutien scolaire. Il justifie, en outre, avoir effectué le 9 février 2015 un versement par chèques et virement bancaire de la somme totale de 5.270,00 euros à la trésorerie de Lille en paiement de l'amende à laquelle il a été condamné. Enfin, il verse aux débats différents courriers et échanges avec des études d'huissiers de justice datant de l'année 2012 et justifiant, selon lui, du désintéressement total des parties civiles.
SUR CE
Les infractions pénales reprochées à M. Rudy Z ont été commises, alors qu'il était âgé de vingt cinq ans, sur une longue période de plus d'un an et demi, de 2005 à juillet 2006, et alors qu'il avait depuis un an débuté des études en droit que, selon ses propres dires, il avait entamées pour devenir avocat.
Au surplus, ces faits ont causé un préjudice d'un montant particulièrement important de plus de 180.000 euros à de très nombreuses victimes, 94 entreprises au total. Ils ont donné lieu à une lourde sanction pénale aujourd'hui définitive.
Ces faits qualifiés d'escroquerie et de recel de biens provenant d'une banqueroute par jugement définitif du tribunal correctionnel de Lille en date du 27 janvier 2011 ne peuvent donc s'analyser en une défaillance passagère ou une simple erreur et sont contraires à l'honneur et à la probité, qualités exigées pour l'inscription au barreau en application des dispositions de l'article 11-4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971.
Pour caractériser l'amendement de l'intéressé, et décider que son refus d'inscription au barreau serait disproportionné, le conseil de l'ordre des avocats du barreau de Paris a retenu que les diplômes obtenus par M. Z et sa réussite à l'examen d'entrée au CRFPA l'ont été plusieurs années après les faits litigieux, qu'il justifiait par le versement de deux pièces s'être acquitté pour l'essentiel des condamnations pécuniaires mises à sa charge et avoir, au cours de son audition démontré comprendre la gravité des faits et manifesté un repentir.
Il apparaît cependant qu'il ne peut résulter du fait de poursuivre brillamment ses études de droit et d'obtenir ses diplômes un peu plus de cinq ans après la fin des faits litigieux la preuve d'un quelconque amendement.
Par ailleurs, la déclaration de recette rédigée par la trésorerie de Lille,'sous réserve d'encaissement' le 9 février 2015, soit quelques jours seulement avant l'audience en chambre réunie devant la cour d'appel de Versailles, établit que le versement total de la somme de 5.270 euros en paiement de l'amende prononcée par le tribunal correctionnel de Lille n'aurait été réalisé par chèques et virement bancaire qu'à cette date, soit plusieurs années après sa condamnation alors que M. Z exerce une activité professionnelle comme salarié et comme auto-entrepreneur depuis 2013.
M. Z a été condamné par le tribunal correctionnel de Lille à payer à la SARL OPTIQUE MOHENG la somme de 942,45 euros, à la SCA LES VIGNERONS DU ROY RENE la somme de 990,00 euros outre 500 euros au titre de l'article 475-1 du code de procédure pénale et à la SARL CONCEPT CLIM la somme de 5.597,25 euros outre 500 euros au titre des frais de procédure.
Il justifie avoir intégralement dédommagé la société CONCEPT CLIM par la production d'un relevé de Maître ..., huissier de justice en date du 25 mai 2012.
A l'inverse le relevé établi par Maitre ..., huissier de justice, le 20 septembre 2012 porte mention d'une somme restant due à la société LES VIGNERONS DU ROY RENE de 904,23 euros et la copie du relevé joint au relevé fait état d'une somme restant encore due dont le montant n'est pas parfaitement lisible ; les seules mentions manuscrites portées sur ce document faisant état de deux virements bancaires ne peuvent à elles seules rapporter la preuve de ces versements. Un autre relevé sans en-tête porte également mention de deux versements dont l'un par M. Z sans autre précision qu'un numéro de dossier qui ne correspond pas à celui ouvert au nom de la société LES VIGNERONS DU ROY RENE
En conséquence, M. Z ne rapporte pas la preuve d'avoir entièrement dédommagé les parties civiles comme il l'a indiqué à la cour.
Par ailleurs, les attestations produites aux débats pour justifier, selon ses propres dires, 'de sa bonne moralité' n'établissent pas l'amendement dont aurait fait preuve M. Z et de son aptitude à exercer la profession d'avocat en conformité avec ses principes essentiels.
Il s'agit, en effet, d'attestations d'avocats du barreau de Paris dont l'une non datée, une autre établie en octobre 2011 et pour les sept autres rédigées en juillet et octobre 2014 pour les besoins de sa demande d'inscription au barreau de Paris qui se limitent à des affirmations sur l'éthique, la moralité, l'honnêteté, l'amendement, les valeurs humaines, les qualités professionnelles et personnelles de l'intéressé ou encore sa rigueur et sa probité. Ses activités n'y sont pas décrites ni les responsabilités qui lui ont été confiées, ni en quoi et de quelle manière il justifierait s'être amendé.
En outre, le fait pour M. Rudy Z de participer à titre bénévole à des activités d'aide aux plus démunis révèle incontestablement une certaine forme d'altruisme. Pour autant, sans lien avec les escroqueries perpétrées à l'égard de diverses sociétés commerciales, il ne constitue pas la preuve d'un amendement par rapport aux faits reprochés ni l'aptitude de M. Z à exercer la profession d'avocat avec honneur et probité.
Les déclarations de M. Z devant le conseil de l'ordre comme devant la cour d'appel si elles démontrent que ce dernier a pris conscience de la gravité des faits pour lesquels il a été condamné, ne justifient pas d'un repentir tel qu'il permettrait de retenir son amendement et son aptitude à exercer la profession d'avocat en conformité avec ses principes essentiels au premier rang desquels figurent l'honneur et la probité.
Enfin, la motivation retenue par la cour d'appel de Douai dans son arrêt non définitif du 13 février 2015 pour faire droit à sa demande et ordonner l'exclusion du bulletin n°2 du casier judiciaire de sa condamnation pénale ne rapporte pas davantage cette preuve.
Dès lors, il convient d'infirmer l'arrêté pris le 28 mars 2012 par l'ordre des avocats de Paris et de rejeter la demande d'inscription au barreau de Paris présenté par M. Rudy Z, cette décision n'étant pas disproportionnée au regard de la gravité des faits qu'il a commis en 2005 et 2006.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement, après débats en audience solennelle et publique,
INFIRME l'arrêté pris le 28 mars 2012 par l'ordre des avocats de Paris dans sa formation administrative restreinte qui accepte la demande d'inscription audit barreau présentée par M. Rudy Z ;
Statuant à nouveau,
REJETTE la demande d'inscription au barreau de Paris présentée par M. Rudy Z.
Laisse les dépens à la charge de M. Rudy Z.
Arrêt signé par Madame Dominique ..., Premier président et Madame Sylvie ..., greffier et rendu par mise à disposition au secrétariat du directeur de greffe
Le greffier, Le Premier président,
Sylvie ... Dominique LOTTIN