Jurisprudence : Cass. crim., 13-01-2015, n° 14-87.146, FS-PB, Rejet

Cass. crim., 13-01-2015, n° 14-87.146, FS-PB, Rejet

A4240NBN

Identifiant européen : ECLI:FR:CCASS:2015:CR00276

Identifiant Legifrance : JURITEXT000030245275

Référence

Cass. crim., 13-01-2015, n° 14-87.146, FS-PB, Rejet. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/23145771-cass-crim-13012015-n-1487146-fspb-rejet
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Abstract

Dans son arrêt du 13 janvier 2015, la Chambre criminelle de la Cour de cassation est venue à nouveau préciser les contours des "circonstances imprévisibles et insurmontables" faisant obstacle au respect des délais dans le traitement du contentieux de la détention provisoire et prévu au terme de l'article 194 du Code de procédure pénale. Dès lors que l'abstention frauduleuse d'un agent de l'administration pénitentiaire a suspendu au bénéfice du détenu le cours normal du service public de la justice, la cour d'appel, qui a rejeté la demande de mise en liberté d'office résultant du défaut de transmission de la demande de mise en liberté dans le délai de deux mois, a justifié sa décision.



N° P 14-87.146 FS PB N° 276
FAR 13 JANVIER 2015
REJET
M. GUÉRIN président,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, le treize janvier deux mille quinze, a rendu l'arrêt suivant
Sur le rapport de M. le conseiller ..., les observations de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocat en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général référendaire ... ;

Statuant sur le pourvoi formé par - M. Z Z,
contre un arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de PARIS, 1e section, en date du 10 octobre 2014, qui, dans la procédure suivie contre lui des chefs de tentative d'extorsion en bande organisée, enlèvement et séquestration en bande organisée, précédés ou accompagnés de tortures et d'actes de barbarie, et association de malfaiteurs, a rejeté sa demande de mise en liberté ;
Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 137, 144, 148-1, 148-2, 148-7, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de mise en liberté d'office de M. Z résultant du défaut de transmission de la demande de mise en liberté dans le délai de deux mois ;
"aux motifs que la présence de la signature de Mme ... ... sur la demande de mise en liberté est tout à fait assumée par cette dernière et expliquée de façon partagée par une démarche d'entraide entre les agents ; qu'il résulte des déclarations recueillies qu'elle est sans incidence sur le déroulement de la suite de la procédure ; qu'il résulte des auditions réalisées, quelles que soient les dénégations de l'intéressée à ce sujet et la position qu'elle tient tendant à prendre argument de la présence de la signature de Mme ... sur le document pour mettre cette responsabilité sur le compte de cette dernière, que c'est bien Mme ... ... ... ... qui était au poste en charge de la transmission de la demande de mise en liberté le 9 mai 2014 ; qu'il ressort de l'ensemble des déclarations, y compris de celles de Mme ... ... ..., que le fait que les pièces relatives à la demande de mise en liberté puissent se retrouver dans le dossier pénal de M. Z Z sans la moindre trace de transmission en fax ou par courrier, et alors que le feuillet correspondant à l'original de la demande de mise en liberté a été retiré, est parfaitement incongru par rapport au processus mis en place pour le traitement des demandes de mise en liberté, n'apparaissant pas compatible avec ce processus, et correspond à une situation qui n'avait encore jamais été constatée par les agents entendus ; que le versement dans de telles conditions des pièces au dossier pénal a en outre eu pour effet qu'il n'a pu être détecté avant l'intervention de la chambre d'instruction, celle-ci n'ayant été saisie de la difficulté que postérieurement au délai de deux mois prévu à l'article 148-2 du code de procédure pénale, l'avocat de M. Z ayant adressé son courrier à ce sujet le 13 août 2014, et l'intéressé n'ayant pas présenté de nouvelle demande de mise en liberté jusqu'à cette date postérieurement au 7 mai 2014 ; que de telles modalités de traitement de la demande de mise en liberté, eu égard aux éléments recueillis sur la procédure en vigueur pour ce traitement, n'est pas compatible avec une simple erreur ou imputable à un dysfonctionnement technique ; qu'il ressort des auditions qu'elles supposent une intervention volontaire ; que le fait qu'une double demande de mise en liberté ait été initialement enregistrée pour que la deuxième fasse ensuite l'objet d'une annulation de la part de M. Z, plus que la marque d'un dysfonctionnement du système, a surtout pour effet de contribuer à la confusion relativement aux opérations réalisées pour le traitement de la demande de mise en liberté ; que des investigations complémentaires touchant aux opérations informatiques intervenues à cette période ne sont pas véritablement susceptibles d'apporter davantage d'indications probantes dès lors que le logiciel informatique de traitement des demandes de mise en liberté peut être activé depuis n'importe quel poste informatique du service ; que les déclarations de Mme ... ... ... selon lesquelles elle n'avait de toute façon pas conscience ce jour-là du lien entre M. Z Z et la relation qu'elle avait avec M. Z Z, n'ayant pas encore réalisé à l'époque que la personne qu'elle connaissait, à savoir un certain ... ..., était en réalité M. Z Z, sont nécessairement d'une crédibilité très relative dès lors qu'elle indique elle-même avoir déjà fait l'objet de remontrances de la part de sa hiérarchie au sujet de sa relation avec M. Z Z dès octobre 2012, ces déclarations étant également peu compatibles avec la façon dont sont survenus les faits à l'origine de sa révocation ; ainsi que les investigations diligentées au sujet de la difficulté constatée au niveau de la transmission de la demande de mise en liberté démontrent que cette difficulté ne peut être imputée à autre chose qu'une intervention volontaire de Mme ... ... ..., cette intervention ne pouvant être détachée d'un élément extérieur au fonctionnement du service de la justice, le fait que M. Z Z soit le frère de M. Z Z avec lequel Mme ... ... ... ... entretenait la relation inappropriée lui ayant valu sa révocation ; que la difficulté constatée dans la transmission de la demande de mise en liberté de M. Z Z est donc due à une cause extérieure au service de la justice, imprévisible et insurmontable ; que le délai prévu à l'article 148-2 du code de procédure pénale commence, en conséquence, à courir seulement à partir de l'enregistrement de la demande de mise en liberté au greffe de la chambre d'instruction, soit le 13 août 2014, et qu'en statuant le 10 octobre 2014 sur cette demande de mise en liberté, il a été satisfait aux prescriptions de cet article, aucune disposition légale ou conventionnelle n'ayant été enfreinte ;
"1o) alors que la chambre de l'instruction s'est bornée à relever que la demande de mise en liberté de M. Z qu'elle constatait avoir été formée à la maison d'arrêt le 7 mai 2014 a été " transcrite " le 13 aout 2014, sans rechercher le jour où elle avait été " reçue " par le greffe, seule constatation légale déterminante pour faire courir le délai de deux mois prévu par l'article 148-2 du code de procédure pénale ;
"2o) alors que la chambre de l'instruction s'est abstenue de répondre au chef péremptoire du mémoire régulièrement déposé qui faisait valoir qu'il ressortait " de l'exemplaire de la demande de mise en liberté remis à M. Z Z que la demande de mise en liberté avait bien été transmise par le greffier de la maison d'arrêt à M. le président de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 9 mai 2014 (encadré daté et signé) " ;
"3o) alors que ne saurait caractériser des circonstances imprévisibles, insurmontables et extérieures au service public de la justice mettant obstacle au jugement de l'affaire dans le délai prévu, la faute d'un agent de l'administration pénitentiaire laquelle n'est, par nature, à tout le moins, pas extérieure au service public de la justice et ce indifféremment de la prétendue nature des relations que cet agent pouvait entretenir avec le frère de la personne ayant demandée à être remise en liberté" ;

Attendu que, pour écarter l'exception de tardiveté proposée par l'accusé, la chambre de l'instruction, après un supplément d'information, relève que la déclaration n'avait pas été transmise, qu'elle était néanmoins classée au dossier pénal avec l'apparence d'un dossier régulièrement transmis, que I'agent chargé de la transmission de la déclaration a été suspendue provisoirement le 24 mai 2014, puis révoquée définitivement le 1er août 2014 à raison des relations inappropriées qu'elle entretenait dans I'exercice de ses fonctions avec le frère de M. Z ; que les juges du second degré en déduisent que les investigations diligentées au sujet de la difficulté constatée au niveau de la transmission de la demande de mise en liberté démontrent que cette difficulté ne peut être imputée à autre chose qu'une intervention volontaire d'un agent de l'établissement, constituant une circonstance extérieure, imprévisible et insurmontable, qui conduit à repousser le point de départ du délai prévu par l'article 148-2 du code de procédure pénale au jour de l'enregistrement de la demande de mise en liberté au greffe de la chambre d'instruction ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors qu'il résulte des constatations de l'arrêt que l'abstention frauduleuse de l'agent de l'administration pénitentiaire a suspendu au bénéfice du détenu le cours normal du service public de la justice, la chambre de l'instruction, qui a répondu aux chefs péremptoires du mémoire dont elle était saisie, a suffisamment justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait en sa première branche, doit être écarté ;

Sur le second moyen de cassation pris de la violation des articles 5 et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 137, 144, 148-1, 148-2, 148-7, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté la demande de mise en liberté de M. Z ;
Aux motifs qu'il demeure que M. Z Z se retrouve par l'effet de l'appel, au-delà de la décision de la cour d'assises ainsi remise en cause au niveau des faits susceptibles d'être retenus contre lui, à devoir à nouveau répondre des qualifications visées à son encontre dans la décision de mise en accusation, étant donc à nouveau mis en accusation de crimes pour lesquels la récidive est retenue ; qu'il ressort des éléments plus haut rappelés et de l'arrêt de mise en accusation qu'il existe des charges ayant justifié son renvoi devant la cour d'assises des faits pour lesquels il est mis en accusation ; que s'agissant de la durée de la détention provisoire en l'état de la procédure, qu'il résulte des dispositions des deuxièmes alinéas des articles 380-4 et 367 du Code de procédure pénale que "pendant l'instance d'appel, l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention jusqu'à ce que la durée de détention ait atteint celle de la peine prononcée, sans préjudice pour l'accusé de son droit à demander sa mise en liberté conformément aux dispositions des articles 148-1 et 148-2" ; qu'il résulte de la fiche pénale d'Ismail Z que s'il a fait l'objet dans la présente procédure d'un mandat de dépôt en date du 27 octobre 2010, il va en réalité exécuter, à compter du 22 décembre 2010, différentes peines prononcées à son encontre, de telle sorte que seulement de l'ordre de 19 mois de détention provisoire pourra de ce fait être décompté au titre de la présente procédure à l'époque du prononcé de l'arrêt de la cour d'assises du 29 novembre 2011 et qu'il est à nouveau, depuis le 27 décembre 2013, en exécution de diverses peines prononcées contre lui ; qu'ainsi, eu égard à la complexité de l'affaire, à la pluralité des protagonistes, à la gravité des faits visés au dossier et à la multiplicité des procédures qui ont pu être engagées tout au long de l'instruction, qu'il n'a été enfreint aucune disposition légale ou conventionnelle au niveau de la durée de la détention provisoire de M. Z Z considérant dès lors, s'agissant d'une procédure criminelle pour laquelle l'instruction se poursuit oralement jusqu'à la clôture des débats devant la cour d'assises, que la détention continue d'être à nouveau, en l'état, l'unique moyen
- d'empêcher une pression sur les témoins et les victimes ainsi que sur leur famille, et une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices, dans l'attente des débats qui auront lieu devant la cour d'assises dont il convient de garantir la sérénité et l'utilité, au regard des incidents précités survenus en détention, en ce que les faits sont contestés malgré les accusations et les éléments recueillis ;
- de protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction et de prévenir son renouvellement, en ce que le risque de réitération est à l'évidence majeur au regard des multiples avertissements déjà adressés à l'intéressé, lequel a utilisé des identités d'emprunt, et alors qu'une fuite à l'étranger ne peut être exclue du fait de son activité professionnelle, compte tenu de la peine encourue ;
- de mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission et l'importance du préjudice qu'elle a causé au regard de l'extrême violence des comportements ; s'agissant par ailleurs d'une véritable attaque organisée motivée exclusivement par l'appât du gain qui engendre une insécurité difficilement supportée ; qu'en conséquence, nonobstant les observations développées dans le mémoire présenté au nom de l'accusé et les garanties invoquées au soutien de ces observations, que la détention provisoire reste justifiée comme étant, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, l'unique moyen de parvenir aux objectifs qui viennent d'être énoncés et qui ne pourraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, de telles mesures ne comportant pas de contrainte suffisante pour prévenir efficacement les risques précités " ;
"alors que le principe de la présomption d'innocence, applicable tant qu'une condamnation définitive n'a pas été prononcée, interdit de soumettre un accusé à toute rigueur non nécessaire pour s'assurer de sa personne ; que la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision en rejetant la demande de mise en liberté de M. Z, acquitté des chefs de tentative d'extorsion en bande organisée, enlèvement et séquestration en bande organisée, précédés ou accompagnés de torture et d'actes de barbarie, aux motifs généraux que " l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention " et que si le mandat de dépôt était daté du 27 octobre 2010, plusieurs peines avait été mises à exécution " de telle sorte que seulement de l'ordre de dix-neuf mois de détention provisoire pourra de ce fait être décompté au titre de la présente procédure ", sans s'expliquer, de manière concrète, sur la nécessité de le maintenir en détention au regard de la peine de 3 ans finalement prononcée à son encontre, son acquittement, qui constitue un élément précis et circonstancié de la procédure, ayant été totalement éludé par la chambre de l'instruction" ;

Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la chambre de l'instruction s'est
déterminée par des considérations de droit et de fait répondant aux exigences des articles 143-1 et suivants du code de procédure pénale ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

PAR CES MOTIFS
REJETTE LE POURVOI ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Etaient présents aux débats et au délibéré M. Guérin, président, M. Fossier, conseiller rapporteur, M. Pers, Mmes Mirguet, Duval-Arnould, Schneider, Farrenq Nési, M. Bellenger, conseillers de la chambre, Mmes Harel-Dutirou, Guého, conseillers référendaires ;
Avocat général référendaire Mme Caby ; Greffier de chambre Mme Leprey ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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