SOC. CF
COUR DE CASSATION
Audience publique du 14 mai 2014
Rejet
M. LACABARATS, président
Arrêt no 945 FS-P+B
Pourvoi no F 13-13.742
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Statuant sur le pourvoi formé par l'association Société des amis de la musique de Strasbourg (SAMS), dont le siège est Strasbourg,
En présence de M. Claude Y, domicilié Schiltigheim, agissant en qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire de l'association SAMS,
contre l'arrêt rendu le 7 décembre 2012 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile, section A), dans le litige les opposant à l'association Les Congés spectacles - caisse de congés payés, dont le siège est Paris,
défenderesse à la cassation ;
Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
Vu la communication faite au procureur général ;
LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 1er avril 2014, où étaient présents M. Lacabarats, président, M. Flores, conseiller référendaire rapporteur, M. Chollet, conseiller doyen, MM. Ludet, Ballouhey, Frouin, Mmes Goasguen, Vallée, Guyot, Aubert-Monpeyssen, Schmeitzky-Lhuillery, conseillers, M. Alt, Mmes Mariette, Wurtz, Ducloz, M. Hénon, Mme Brinet, M. David, conseillers référendaires, M. Liffran, avocat général, Mme Piquot, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. Flores, conseiller référendaire, les observations de la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat de l'association Société des amis de la musique de Strasbourg et de M. Y, ès qualités, de la SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray, avocat de l'association Les Congés spectacles - caisse de congés payés, l'avis de M. Liffran, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 7 décembre 2012), rendu sur renvoi après cassation (Soc., 26 décembre 2006, no 04-16.550), que l'association Société des amis de la musique de Strasbourg (SAMS) a été assignée par l'association Les Congés spectacles, caisse de congés payés, en paiement de cotisations pour l'emploi intermittent d'artistes pour les années 1982 à 1994 ; qu'elle a notamment fait valoir que la présomption de salariat de l'article L. 762-1 du code du travail, alors applicable, était incompatible avec les dispositions de l'article 49 du Traité de Rome (49 CE) ;
Attendu que l'association SAMS fait grief à l'arrêt de dire qu'elle est tenue de verser les cotisations de congés payés pour les artistes employés au cours des exercices 1982, 1983, 1987 à 1997, y compris pour les artistes étrangers ou ressortissants communautaires, et de la condamner à payer certaines sommes à l'association " Les Congés spectacles ", alors, selon le moyen, que le fait d'exiger d'un organisateur de spectacles le paiement de cotisations de congés payés au titre de l'emploi d'artistes reconnus comme travailleurs indépendant dans leur Etat membre d'origine où ils fournissent habituellement leurs services, sauf à ce qu'il établisse que ces artistes se trouvent bien dans cette situation, revient à faire application de la présomption de salariat prévue par l'article L. 7121-3 du code du travail,
pourtant jugée incompatible avec l'article 49 du Traité CE en tant qu'elle s'applique à de tels artistes ; que, dès lors, en retenant que l'exonération des cotisations de congés payés ne pouvait s'appliquer à aucun des artistes musiciens qui exerçaient habituellement leur activité dans un autre Etat membre de l'Union européenne faute, pour le SAMS, de justifier que ces artistes exerçaient cette activité à titre de prestataire de services indépendants et non pas en tant que salariés, la cour d'appel a violé l'article 49 du Traité CE, ensemble l'article L. 7121-3 du code du travail ;
Mais attendu, d'abord, que saisie, le 14 juin 2004, par la Commission des Communautés européennes d'un recours en manquement au titre de l'article 226 CE, la Cour de justice des Communautés européennes a déclaré et arrêté (arrêt du 15 juin 2006, affaire C-255/04) qu'" en imposant une présomption de salariat aux artistes qui sont reconnus comme prestataires de services dans leur Etat membre d'origine où ils fournissent habituellement des services analogues, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de l'article 49 CE " ;
Attendu, ensuite, qu'il incombe à la partie soutenant que les artistes sont reconnus comme prestataires de service dans leur Etat d'origine, d'en rapporter la preuve ;
Et attendu que la cour d'appel, qui a constaté, sans inverser la charge de la preuve, que l'association SAMS ne justifiait pas que les artistes concernés exerçaient leur activité dans leur Etat membre d'origine à titre de prestataires de services indépendants, en a exactement déduit qu'ils se trouvaient dès lors soumis à la présomption de salariat posée par l'article L. 762-1 devenu l'article L. 7121-3 du code du travail ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu à question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association Société des amis de la musique de Strasbourg aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'association Les Congés spectacles ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze mai deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Potier de La Varde et Buk-Lament, avocat aux Conseils, pour l'association Société des amis de la musique de Strasbourg et M. Y, ès qualités.
La SAMS reproche à l'arrêt attaqué d'avoir dit qu'elle était tenue de verser des cotisations de congés payés pour tous les artistes employés au cours des exercices 1982, 1983, 1987 à 1997, y compris pour les artistes étrangers ou ressortissants communautaires pour lesquelles les conditions d'exonération n'étaient pas réunies, et de l'avoir condamnée à payer à l'association " Les congés spectacles " la somme de 253.323 euros, outre les majorations de retard au taux réglementaire annuel de 12 % sur 42.017 euros à compter du 1er janvier 2012 ;
AUX MOTIFS QUE la présomption de salariat édictée par l'article L. 762-1 ancien du code du travail s'appliquait incontestablement
1o) aux artistes français ou étrangers établis en France, hormis le cas où l'artiste exerce son activité dans des conditions qui impliquent son inscription au registre du commerce (exception qui n'est pas invoquée) ;
2o) aux artistes étrangers établis hors Union européenne, étant observé que l'accord de sécurité sociale conclu entre la France et les USA le 2 mars 1987 ne s'étend pas au domaine des congés payés et que l'accord entre l'Union européenne et la Suisse, entré en vigueur le 1er juin 2002, ne peut avoir d'effet rétroactif ;
3o) aux artistes français ou étrangers ayant conclu un contrat de travail avec la SAMS ;
que seules doivent être examinées les situations individuelles des artistes établis dans un pays de la Communauté européenne (autre que la France), auxquels la présomption de salariat ne s'applique pas lorsque, selon les termes de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes du 15 juin 2006, ils sont reconnus comme prestataires de services dans leur Etat membre d'origine où ils fournissent habituellement des services analogues ; que malgré l'expertise ordonnée dans la présente instance, les documents produits par les parties sont insuffisants à démontrer que les conditions de cette exonération sont réunies, en particulier quant au statut de prestataire de services, donc indépendants, des artistes concernés dans leur Etat membre d'origine ; que la question de la charge de la preuve a été tranchée par un arrêt de la Cour de cassation (2e Civ. 4 avril 2012 pourvoi no 11-14505) aux termes duquel il appartient au cotisant d'apporter la charge de la preuve que les artistes qu'il emploie se trouvent dans cette situation ; que cette jurisprudence n'a pas pour effet de rétablir une présomption de salariat, mais fait une stricte application de l'arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes qui n'écarte cette présomption que pour les artistes communautaires " reconnus " comme prestataires de services dans leur pays d'origine, cette preuve, qui incombe au cotisant, étant, depuis 2001, facilitée par la production d'un certificat " E 101 " ; qu'en conséquence, et sans qu'il y ait lieu de poser une question préjudicielle à la Cour de justice des Communautés européennes, il doit être constaté que la SAMS ne justifie pas que les artistes musiciens employés exerçaient leur activité dans leur Etat membre d'origine à titre de prestataire de services indépendants et non pas en tant que salariés, comme pourrait l'être un membre d'un orchestre ou un professeur de musique ; qu'il s'en déduit que l'exonération des cotisations de congés payés ne peut s'appliquer à aucun des artistes concernés ;
ALORS QUE le fait d'exiger d'un organisateur de spectacles le paiement de cotisations de congés payés au titre de l'emploi d'artistes reconnus comme travailleurs indépendant dans leur Etat membre d'origine où ils fournissent habituellement leurs services, sauf à ce qu'il établisse que ces artistes se trouvent bien dans cette situation, revient à faire application de la présomption de salariat prévue par l'article L. 7121-3 du code du travail, pourtant jugée incompatible avec l'article 49 du Traité CE en tant qu'elle s'applique à de tels artistes ; que, dès lors, en retenant que l'exonération des cotisations de congés payés ne pouvait s'appliquer à aucun des artistes musiciens qui exerçaient habituellement leur activité dans un autre Etat membre de l'Union européenne faute, pour le SAMS, de justifier que ces artistes exerçaient cette activité à titre de prestataire de services indépendants et non pas en tant que salariés, la cour d'appel a violé l'article 49 du Traité CE, ensemble l'article L. 7121-3 du code du travail.