Cour administrative d'appel de Nantes
Statuant au contentieux
Ministre de l'économie et des finances c/ S.A. La Fourmi
M. AUBERT, Rapporteur
M. GRANGE, Commissaire du gouvernement
Lecture du 30 juin 2000
R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours, enregistré au greffe de la Cour le 4 juillet 1996, présenté par le ministre de l'économie et des finances ;
Le ministre demande à la Cour :
- à titre principal :
1 ) d'annuler le jugement n 92-2257 en date du 13 mars 1996 par lequel le Tribunal administratif de Nantes a accordé à la société La Fourmi la décharge du complément d'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1988 et 1989 ;
2 ) de remettre à la charge de ladite société ce complément d'impôt à concurrence de 802 396 F et de 45 197 F ;
3 ) d'ordonner la restitution à l'Etat de la somme de 4 000 F allouée à la société La Fourmi au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
- à titre subsidiaire :
1 ) de rétablir la société La Fourmi aux rôles supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices 1987-1988 et 1988-1989 pour les montants respectifs de 54 122 F et 45 197 F ;
2 ) de réformer en ce sens le jugement susmentionné ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Vu le décret n 62-1587 du 29 décembre 1962, modifié ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 juin 2000 :
- le rapport de M. AUBERT, président,
- et les conclusions de M. GRANGE, commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 209-1 du code général des impôts relatif à la détermination de la base de l'impôt sur les sociétés : ' ... en cas de déficit subi pendant un exercice, ce déficit est considéré comme une charge de l'exercice suivant et déduit du bénéfice réalisé pendant ledit exercice. Si ce bénéfice n'est pas suffisant pour que la déduction puisse être intégralement opérée, l'excédent du déficit est reporté successivement sur les exercices suivants jusqu'au cinquième exercice qui suit l'exercice déficitaire' ; qu'aux termes de l'article 221-5 du même code issu de l'article 8 de la loi n 85-1403 du 30 décembre 1985 : 'Le changement de l'objet social ou de l'activité réelle d'une société emporte cessation d'entreprise' ; qu'il résulte de la combinaison desdites dispositions, que la mise en oeuvre du droit au report déficitaire est subordonnée, notamment, à la condition qu'une société n'ait pas subi, dans son activité, des transformations telles qu'elle n'est plus, en réalité, la même ;
Considérant que la société anonyme Valoire exerçait l'activité de gestion de ses participations dans diverses sociétés ainsi que de prestations administratives au profit de ses filiales, notamment la société La Fourmi, qui avaient pour activité la production et la vente de chaussures ; que le 4 mai 1988, elle a absorbé la société La Fourmi, a repris la dénomination sociale de celle-ci et cédé des immeubles industriels et d'habitation ainsi que les participations qu'elle détenait dans le capital social des sociétés La Fourmi, Musset, Celic, JBS ; qu'il résulte de l'instruction qu'elle a cessé toute activité de prestations de services, qu'elle a alors licencié ses deux salariés et n'a conservé de son actif que de petits matériels, un immeuble industriel inutilisé et les titres d'une valeur nette nulle de la société DICO en liquidation judiciaire ; que, dans ces conditions, et alors qu'après avoir modifié son objet social qui ne lui permettait pas d'exercer une activité industrielle, la société Valoire a repris l'activité antérieurement exercée par la SA La Fourmi consistant à fabriquer et commercialiser des chaussures, l'activité de la société Valoire a subi une mutation d'une importance telle qu'elle ne pouvait plus être regardée comme la même, nonobstant la double circonstance que la société La Fourmi ait détenu, avant comme après l'absorption, des titres dans une société tierce ou qu'elle ait été tenue de modifier son objet social pour permettre une opération de rachat de l'entreprise pas ses salariés ; que si, à partir de 1989, la société La Fourmi a acquis des participations dans d'autres sociétés, cette circonstance ne saurait davantage remettre en cause l'importance de la modification constatée dans l'activité de la société Valoire en mai 1988 ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble des faits susmentionnés qu'en raison de son changement d'activité, la société Valoire ne peut pas être regardée comme ayant procédé à une simple adjonction d'activités nouvelles, seule visée par la réponse ministérielle à M. Ansquer, député, en date du 30 mai 1972, laquelle ne saurait dès lors être utilement opposée à l'administration sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ; qu'il en est de même de l'instruction du 10 mars 1986 BOI 4 A-5-86 et, en tout état de cause, de l'avis du comité fiscal de la mission d'organisation administrative du 28 mai 1986, qui ne donnent pas des dispositions législatives précitées une interprétation différente de celle qui ressort de ce qui a été dit ci-dessus ;
Considérant que, par suite, la société La Fourmi ne pouvait, en application des dispositions précitées et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, imputer sur les bénéfices procurés par son activité au cours de l'exercice clos en 1988, les déficits réalisés antérieurement par la société Valoire ; que, dès lors, le ministre de l'économie et des finances est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de la société La Fourmi ;
Sur l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant, d'une part, que le ministre, qui tient du décret du 29 décembre 1962, modifié, le pouvoir d'émettre un titre exécutoire à l'effet d'obtenir le reversement de sommes dont un particulier est redevable envers l'Etat n'est pas recevable à demander au juge administratif d'ordonner la restitution de la somme de 4 000 F au versement de laquelle l'Etat a été condamné par le tribunal en application de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Considérant, d'autre part, que les dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante soit condamné à payer à la société La Fourmi la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Nantes en date du 13 mars 1996 est annulé.
Article 2 : La société La Fourmi est rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1988 et 1989 à raison des sommes, respectivement, de huit cent deux mille trois cent quatre vingt seize francs (802 396 F) et quarante cinq mille cent quatre vingt dix sept francs (45 197 F).
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la société La Fourmi tendant à l'application des dispositions de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à la S.A. La Fourmi.