Cour administrative d'appel de Bordeaux
Statuant au contentieux
M. Tony DECARSIN
CHARLIN, Rapporteur
CIPRIANI, Commissaire du gouvernement
Lecture du 25 février 1992
R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu la décision en date du 29 novembre 1990 par laquelle le président de la Section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis à la Cour la requête présentée pour M. DECARSIN ;
Vu la requête, enregistrée au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 21 mai 1990, sous le n° 117109, présentée pour M. DECARSIN, demeurant 15, avenue de Battreau à Ingrandes sur Vienne (Vienne) ; M. DECARSIN demande que le Conseil d'Etat :
- annule le jugement du 21 mars 1990 en tant que, par ledit jugement, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 50.000 F en réparation du préjudice subi du fait de l'attribution d'un permis de conduire provisoire et du refus du préfet du département de la Vienne de lui restituer son permis de conduire définitif à l'issue de la période de validité de ce document provisoire ;
- condamne l'Etat à lui payer la somme de 50.000 F à titre de dommages-intérêts ainsi qu'une indemnité de 5.000 F en application de l'article R 222 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la route ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 janvier 1992 :
- le rapport de M. CHARLIN, conseiller ;
- et les conclusions de M. CIPRIANI, commissaire du gouvernement ;
Sur le droit à réparation :
Considérant que, par un arrêté du 3 novembre 1987, le préfet du département de la Vienne, agissant dans le cadre de la procédure d'urgence instituée par l'article R 269 du code de la route, a prononcé à titre provisoire la suspension du permis de conduire de M. DECARSIN pour une durée de deux mois par le motif que le procès-verbal de gendarmerie dressé le 27 septembre 1987 établissait à la charge de l'intéressé l'infraction de conduite sous l'empire d'un état alcoolique visée à l'article L 14 du code précité ; qu'à l'expiration de cette suspension, un permis provisoire valable jusqu'au 22 février 1989 lui a été remis ;
Considérant que, par un arrêt en date du 1er septembre 1988, la Cour d'appel de Poitiers, statuant sur la poursuite pénale engagée contre M. DECARSIN à raison des mêmes faits que ceux ci-dessus rappelés, a relaxé l'intéressé des fins de poursuite au bénéfice du doute et reconnu ainsi que les faits incriminés n'étaient pas constitutifs d'une infraction ; que, si en raison de l'autorité de chose jugée qui s'attache à cette décision du juge pénal, l'arrêté susmentionné du préfet de la Vienne doit être regardé comme dépourvu de base légale, il ne résulte pas de l'instruction que l'erreur ainsi commise par l'administration ait été constitutive d'une faute lourde qui eût été seule de nature à engager la responsabilité de l'Etat à raison des préjudices en résultant ;
Considérant, toutefois, qu'en refusant au requérant la restitution de son permis de conduire définitif en méconnaissance des dispositions de l'article L 18 dernier alinéa du code de la route reprises à l'article 2 de l'arrêté précité du 3 novembre 1987, le préfet de la Vienne a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat ; qu'il résulte de l'instruction que le requérant est fondé à demander réparation du préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence que lui a causés cette décision de refus ; que, dans les circonstances de l'affaire, il en sera fait une juste appréciation en condamnant l'Etat à lui verser une indemnité de 10.000 F ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. DECARSIN est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué en date du 21 mars 1990, le Tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande d'indemnité ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel et de condamner l'Etat à payer à M. DECARSIN la somme de 3.000 F au titre des sommes exposées par lui et non comprises dans les dépens ;
Article 1er : L'article 2 du jugement du Tribunal administratif de Poitiers en date du 21 mars 1990 est annulé.
Article 2 : L'Etat est condamné à payer à M. DECARSIN la somme de 10.000 F.
Article 3 : L'Etat versera à M. DECARSIN une somme de 3.000 F au titre de l'article L 8.1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. DECARSIN est rejeté.