ARRÊT DE LA COUR
8 avril 2003 (1)
«Rapprochement des législations - Directives 84/450/CEE et 97/55/CE - Publicité trompeuse - Conditions de licéité de la publicité comparative»
Dans l'affaire C-44/01,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par l'Oberster Gerichtshof (Autriche) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Pippig Augenoptik GmbH & Co. KG
et
Hartlauer Handelsgesellschaft mbH,
Verlassenschaft nach dem verstorbenen Franz Josef Hartlauer,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative (JO L 250, p. 17), telle que modifiée par la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997 (JO L 290, p. 18),
LA COUR,
composée de M. G. C. Rodríguez Iglesias, président, MM. J.-P. Puissochet, M. Wathelet et C. W. A. Timmermans, présidents de chambre, MM. D. A. O. Edward et V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, MM. S. von Bahr, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur) et A. Rosas, juges,
avocat général: M. A. Tizzano,
greffier: Mme M.-F. Contet, administrateur principal,
considérant les observations écrites présentées:
- pour Pippig Augenoptik GmbH & Co. KG, par Me F. Hitzenbichler, Rechtsanwalt,
- pour Hartlauer Handelsgesellschaft mbH et Verlassenschaft nach dem verstorbenen Franz Josef Hartlauer, par Mes A. Haslinger, H. Mück, P. Wagner, W. Müller et W. Graziani-Weis, Rechtsanwälte,
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par MM. J. Sack et M. França, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales de Pippig Augenoptik GmbH & Co. KG, de Hartlauer Handelsgesellschaft mbH et de Verlassenschaft nach dem verstorbenen Franz Josef Hartlauer, ainsi que de la Commission, à l'audience du 23 avril 2002,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 12 septembre 2002,
rend le présent
Arrêt
1.
Par ordonnance du 19 décembre 2000, parvenue à la Cour le 2 février 2001, l'Oberster Gerichtshof a posé, en application de l'article 234 CE, quatre questionspréjudicielles sur l'interprétation de la directive 84/450/CEE du Conseil, du 10 septembre 1984, en matière de publicité trompeuse et de publicité comparative (JO L 250, p. 17), telle que modifiée par la directive 97/55/CE du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 1997 (JO L 290, p. 18, ci-après la «directive 84/450»).
2.
Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la société autrichienne Pippig Augenoptik GmbH & Co. KG (ci-après «Pippig») à la société autrichienne Hartlauer Handelsgesellschaft mbH (ci-après «Hartlauer») et aux héritiers de Franz Josef Hartlauer, ancien administrateur de Hartlauer, au sujet de la publicité que fait Hartlauer pour promouvoir la vente de ses produits optiques en les comparant aux lunettes vendues par Pippig.
Le cadre juridique
La réglementation communautaire
3.
La directive 84/450, qui, dans sa version initiale, n'était relative qu'à la publicité trompeuse, a été modifiée par la directive 97/55 afin de viser également la publicité comparative. Le titre de la directive 84/450 a été adapté en conséquence par l'article 1er, point 1, de la directive 97/55.
4.
Le septième considérant de la directive 84/450 énonce:
«considérant qu'il faudrait, à cette fin, fixer des critères minimaux et objectifs sur la base desquels il est possible de déterminer qu'une publicité est trompeuse».
5.
L'article 1er de la directive 84/450 dispose:
«La présente directive a pour objet de protéger les consommateurs, les personnes qui exercent une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ainsi que les intérêts du public en général contre la publicité trompeuse et ses conséquences déloyales et d'établir les conditions dans lesquelles la publicité comparative est considérée comme licite.»
6.
Conformément à l'article 2, point 2, de la directive 84/450, doit être considérée comme étant de la publicité trompeuse, au sens de cette directive, «toute publicité qui, d'une manière quelconque, y compris sa présentation, induit en erreur ou est susceptible d'induire en erreur les personnes auxquelles elle s'adresse ou qu'elle touche et qui, en raison de son caractère trompeur, est susceptible d'affecter leur comportement économique ou qui, pour ces raisons, porte préjudice ou est susceptible de porter préjudice à un concurrent».
7.
Selon l'article 2, point 2 bis, de la directive 84/450, on entend par «publicité comparative», aux fins de cette directive, «toute publicité qui, explicitement ouimplicitement, identifie un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent».
8.
L'article 3 bis, paragraphe 1, de la directive 84/450 prévoit:
«Pour autant que la comparaison est concernée, la publicité comparative est licite dès lors que les conditions suivantes sont satisfaites:
a) elle n'est pas trompeuse au sens de l'article 2 point 2, de l'article 3 et de l'article 7 paragraphe 1;
b) elle compare des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif;
c) elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie;
d) elle n'engendre pas de confusion sur le marché entre l'annonceur et un concurrent ou entre les marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens ou services de l'annonceur et ceux d'un concurrent;
e) elle n'entraîne pas le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activités ou situation d'un concurrent;
f) pour les produits ayant une appellation d'origine, elle se rapporte dans chaque cas à des produits ayant la même appellation;
g) elle ne tire pas indûment profit de la notoriété attachée à une marque, à un nom commercial ou à d'autres signes distinctifs d'un concurrent ou de l'appellation d'origine de produits concurrents;
h) elle ne présente pas un bien ou un service comme une imitation ou une reproduction d'un bien ou d'un service portant une marque ou un nom commercial protégés.»
9.
Aux termes de l'article 7, paragraphes 1 et 2, de la directive 84/450:
«1. La présente directive ne fait pas obstacle au maintien ou à l'adoption par les États membres de dispositions visant à assurer, en matière de publicité trompeuse, une protection plus étendue des consommateurs, des personnes qui exercent une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ainsi que du public en général.
2. Le paragraphe 1 n'est pas applicable à la publicité comparative pour autant que la comparaison est concernée.»
10.
Les deuxième, troisième, quatorzième, quinzième et dix-huitième considérants de la directive 97/55 sont libellés comme suit:
«(2) considérant que, avec l'achèvement du marché intérieur, la variété de l'offre s'élargira de plus en plus; qu'étant donné la possibilité et la nécessité pour les consommateurs de tirer parti au maximum du marché intérieur et le fait que la publicité est un moyen très important pour ouvrir des débouchés réels partout dans la Communauté pour tous les biens et services, les dispositions essentielles régissant la forme et le contenu de la publicité comparative doivent être les mêmes et les conditions de l'utilisation de la publicité comparative dans les États membres doivent être harmonisées; que, si ces conditions sont réunies, cela contribuera à mettre en évidence de manière objective les avantages des différents produits comparables; que la publicité comparative peut aussi stimuler la concurrence entre les fournisseurs de biens et de services dans l'intérêt des consommateurs;
[...]
(3) considérant[...] que l'acceptation ou l'interdiction de la publicité comparative selon les différentes législations nationales peut constituer un obstacle à la libre circulation des biens et des services et créer des distorsions de concurrence[...];
[...]
(14) considérant [...] qu'il peut être indispensable, afin de rendre la publicité comparative effective, d'identifier les produits ou services d'un concurrent en faisant référence à une marque dont ce dernier est titulaire ou à son nom commercial;
(15) considérant qu'une telle utilisation de la marque, du nom commercial ou d'autres signes distinctifs d'autrui n'enfreint pas ce droit exclusif, dans les cas où elle est faite dans le respect des conditions établies par la présente directive, le but visé étant uniquement de les distinguer et, donc, de mettre les différences objectivement en relief;
[...]
(18) considérant que l'article 7 de la directive 84/450/CEE, permettant aux États membres de maintenir ou d'adopter des dispositions visant à assurer une protection plus étendue des consommateurs, des personnes qui exercent une activité commerciale, industrielle, artisanale ou libérale ainsi que du public en général, ne peut être applicable à la publicité comparative, étant donnéque l'objectif poursuivi en modifiant ladite directive est de fixer les conditions de licéité de la publicité comparative».
La réglementation nationale
11.
La république d'Autriche a transposé la directive 97/55, en modifiant, avec effet au 1er avril 2000, le Bundesgesetz gegen den unlauteren Wettbewerb (loi fédérale contre la concurrence déloyale) du 16 novembre 1984 (BGBl, 1984/448, ci-après l'«UWG»). Toutefois, il ressort de l'ordonnance de renvoi que la jurisprudence autrichienne a tenu compte de ladite directive avant même l'expiration du délai de transposition, pour l'interprétation de l'article 2 de l'UWG.
12.
Selon l'article 2, paragraphe 1, de l'UWG:
«Quiconque, dans les relations commerciales, donne, aux fins de la concurrence sur les termes de l'offre, des indications susceptibles de tromper peut être mis en demeure de s'abstenir de ces indications. [...]»
Le litige au principal et les questions préjudicielles
13.
Pippig exploite trois magasins spécialisés d'optique médicale situés à Linz (Autriche), dans lesquels elle commercialise des lunettes. Elle se fournit auprès d'une soixantaine de fabricants différents et dispose d'un assortiment représentatif de la collection de chacun de ses fournisseurs.
14.
Hartlauer est une société commerciale dont les filiales, implantées à travers toute l'Autriche, ont des rayons d'optique dans lesquels les lunettes commercialisés sont, dans leur très grande majorité, de marques peu connues et sont vendues à des prix bas. Quant aux lunettes de marques plus notoires, Hartlauer n'est pas livrée directement par les mêmes fournisseurs que les opticiens, mais se les procure en dehors des canaux de distribution normaux, notamment par des importations parallèles.
15.
Au début du mois de septembre 1997, Hartlauer a fait distribuer dans toute l'Autriche un dépliant publicitaire où elle affirmait que 52 comparaisons de prix de lunettes effectuées sur six ans avaient fait apparaître un écart de prix total de 204 777 ATS, soit 3 900 ATS en moyenne par paire de lunettes, entre les prix pratiqués par elle et ceux facturés par les opticiens traditionnels. Le dépliant affirmait notamment que, pour un verre clair de la marque Zeiss, les opticiens réalisaient une marge commerciale de 717 %.
16.
Le dépliant publicitaire contenait également une comparaison directe entre le prix de 5 785 ATS demandé par Pippig pour des lunettes Titanflex Eschenbach équipées de verres de la marque Zeiss et le prix de 2 000 ATS proposé parHartlauer pour des lunettes du même modèle, mais équipées de verres de la marque Optimed.
17.
Cette comparaison de prix a été également annoncée dans des messages publicitaires diffusés sur certaines chaînes de radiodiffusion et de télévision autrichiennes, dans lesquels, à la différence du dépliant publicitaire, il n'était pas précisé que les lunettes comparées avaient des verres de marques différentes. Dans les spots télévisés apparaissait la façade du magasin de la demanderesse au principal, avec le sigle «Pippig».
18.
La préparation de cette publicité comparative a inclus la réalisation d'un achat test: un employé de Hartlauer s'est rendu dans un magasin de Pippig, le 8 juillet 1997, et y a commandé des lunettes Titanflex Eschenbach et des verres Zeiss. Ces lunettes ont ensuite été photographiées et la photographie utilisée à deux reprises dans le dépliant publicitaire distribué par Hartlauer, une fois pour illustrer l'offre de Pippig pour lesdites lunettes et une fois pour illustrer l'offre de Hartlauer pour des lunettes du même modèle équipées de verres Optimed, car, à la date de l'achat test, les montures Titanflex Eschenbach n'étaient pas encore commercialisées dans les magasins de Hartlauer.
19.
Pippig a poursuivi Hartlauer et les héritiers de Franz Josef Hartlauer en justice, en demandant que Hartlauer s'abstienne de toute publicité comparative sur les prix sous la forme décrite aux points 15 à 18 du présent arrêt, au motif qu'une telle publicité était trompeuse et la discréditait. Elle a également conclu à la condamnation des défenderesses à des dommages et intérêts ainsi qu'à la publication du jugement à leurs frais.
20.
Les juridictions de première instance et d'appel ayant fait droit à la plupart des conclusions de Pippig, mais pas à toutes, les parties demanderesse et défenderesses ont introduit chacune un pourvoi en «Revision» devant l'Oberster Gerichtshof.
21.
Considérant que l'interprétation de la directive 84/450 lui était nécessaire pour trancher le litige pendant devant lui, l'Oberster Gerichtshof a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
«1) L'article 7, paragraphe 2, de la directive 84/450, telle qu'elle résulte de la directive 97/55/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 6 octobre 1997, modifiant la directive 84/450/CEE sur la publicité trompeuse afin d'y inclure la publicité comparative (ci-après 'la directive'), doit-il être interprété en ce sens qu'il convient d'entendre par 'publicité comparative pour autant que la comparaison est concernée' les indications sur l'offre de l'annonceur lui-même, les indications sur l'offre du concurrent et les indications sur les rapports entre l'une et l'autre offres (le résultat de la comparaison)? Ou bien la 'comparaison' n'est-elle concernée, au sens de l'article 7, paragraphe 2, de la directive, que pour autant que des indications sont données sur le résultat de la comparaison, de sorte que des mentionsfallacieuses sur d'autres caractéristiques des biens ou services comparés peuvent être appréciées selon un critère national de la tromperie éventuellement plus strict?