AVIS DE M. STURLÈSE, AVOCAT GÉNÉRAL
Avis n° 15013 du 12 décembre 2024 (P+B) – Troisième chambre civile Pourvoi n° 24-70.007 Décision attaquée : Tribunal judiciaire de Marseille du 11 septembre 2024 Le syndicat Des Copropriétaires de l'immeuble [Adresse 1] C/ La société SCI MARABOU pris en la personne de son représentant légal _________________ Audience du 10 décembre 2024
Sur la SAISINE POUR AVIS DE LA COUR
Un syndicat de copropriétaires a engagé contre une copropriétaire, devant le Président du tribunal judiciaire de Marseille, une procédure accélérée au fond de recouvrement de charges impayées, sur le fondement de l'
article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965🏛. La copropriétaire a soulevé l'irrecevabilité de la demande, au motif qu'elle faisait suite à une mise en demeure comportant seulement un arriéré global ne lui
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permettant pas de connaître les sommes appelées au titre des provisions exigibles des
articles 14-1 et 14-2 de la loi du 10 juillet 1965🏛🏛. La Cour est saisie pour avis, par la juridiction précitée, de la question suivante : « La mise en demeure visée par l'article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 doit-elle distinguer les provisions dues au titre de l'article 14-1 de la même loi, des charges échues impayées des exercices antérieurs ? ».
Les conditions de forme et de fond, fixées par l'
article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire🏛 qui déterminent la recevabilité d'une saisine pour avis de la Cour, ne suscitent pas ici de discussion. Au regard des conditions de fond, on relèvera en effet que la question posée à la Cour est une question de droit précise, dont dépend l'issue du litige en cause, non tranchée par la Cour ou pendante devant elle, et qu'elle suscite des divergences de réponses des juges du fond susceptibles d'affecter le contentieux de masse du recouvrement des charges de copropriété. L'aggravation, ces dernières années, du phénomène des charges impayées dans les copropriétés les exposant parfois à de lourdes et préoccupantes difficultés, a conduit le législateur à adapter, à diverses reprises, les dispositifs de la loi de 1965 pour notamment faciliter le recouvrement de ces charges. C'est ainsi, qu'à cette fin, l'article 19-2 de cette loi a mis en place une procédure accélérée au fond, dont le domaine a été progressivement élargi, à la suite de retouches successives qui sont rappelées dans le Rapport. Dans la dernière version de ce texte, ici applicable, ses trois premiers alinéas disposent ainsi : “A défaut du versement à sa date d'exigibilité d'une provision due au titre de l'article 14-1, et après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, les autres provisions non encore échues en application du même article 14-1 ainsi que les sommes restant dues appelées au titre des exercices précédents après approbation des comptes deviennent immédiatement exigibles. Le président du tribunal judiciaire statuant selon la procédure accélérée au fond, après avoir constaté, selon le cas, l'approbation par l'assemblée générale des copropriétaires du budget prévisionnel, des travaux ou des comptes annuels, ainsi que la défaillance du copropriétaire, condamne ce dernier au paiement des provisions ou sommes exigibles. Le présent article est applicable aux cotisations du fonds de travaux mentionné à l'article 14-2-1.”
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La simple lecture du texte permet d'entrevoir le caractère extrêmement efficace et normalement dissuasif de cette procédure, pour en faire désormais “une arme redoutable de recouvrement des charges de copropriété”1. Il semble, à la lumière du contentieux devant les juges du fond que, cette fois ci2, les praticiens se sont très largement emparés de cette procédure allégée et rapide aux lourdes conséquences pour les copropriétaires débiteurs. Dans ce contexte, il importe effectivement d'en fixer clairement le bon usage, afin de prévenir toute tentation de détourner l'esprit et la finalité d'une telle procédure.
Le premier objet du texte est de mettre à la disposition du syndicat créancier de provisions de charges impayées la procédure dite de “procédure accélérée au fond”, instituée par l'article 481-1cpc, laquelle présente tous les avantages inhérents à celle ci, en offrant notamment au créancier une voie procédurale rapide et dénuée de condition préalable particulière. Ainsi, sans avoir même besoin de prouver l'urgence, le créancier poursuivant pourra obtenir une date d'audience à bref délai devant le président du Tribunal judiciaire et le prononcé rapide d'une ordonnance statuant sur le fond aux fins de condamnation du copropriétaire défaillant. Selon l'article 19-2 et la rare jurisprudence de la Cour3 le concernant, c'est la persistance d'un arriéré de provisions sur le budget prévisionnel, trente jours après la mise en demeure prévue par le texte, qui ouvre cette voie procédurale avec des conséquences élargies au regard de la condamnation encourue. En effet, l'emprunt de cette voie offre aussi l'avantage d'obtenir une condamnation du copropriétaire défaillant ne se limitant pas aux seuls arriérés de provisions, mais pouvant aussi être étendue au solde restant dû appelé au titre des exercices précédents, si les comptes ont été approuvés, ainsi qu'aux appels provisionnels de travaux. En outre, cette condamnation emporte déchéance du terme pour toutes les provisions restant dues au titre du budget courant ainsi que du budget de travaux. C'est là, le deuxième objet remarquable du texte, qui est de permettre, à partir d'un arriéré de provisions, d'obtenir dans le cadre de la même instance, une condamnation élargie à tous les arriérés de charges, mais aussi d'instaurer une conséquence radicale pour le copropriétaire défaillant, tenant
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Selon la formule d'A.Lebatteux, Loy.et copro, n°2, fevr 2019.
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Dans le commentaire cité supra 1, la même auteure indiquait qu'avant la dernière réforme de l'article 19-2, le recours à cette procédure accélérée restait “négligé” des praticiens, en raison de son domaine initialement restreint. 3
Civ.3, 9 mars 2022, 21-12.988 ; Civ3, 21avr 2022, 20-20.866.
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à la déchéance du terme concernant des charges qui n'étaient même pas encore échues lors de l'incident de paiement.
Cependant, le caractère particulièrement large et drastique de ces effets de l'action exercée sur le fondement de l'article 19-2, repose sur le respect d'une étape préalable “pivot”, que constitue la mise en demeure du copropriétaire défaillant restée infructueuse pendant au moins 30 jours. Il est effectivement indispensable de ne pas perdre de vue la finalité, d'abord dissuasive à l'égard des copropriétaires défaillants, de l'institution de cette procédure spécifique, laquelle devrait être de les inciter, en premier lieu, à apurer utilement leur dette, plutôt que de concevoir cette procédure comme le moyen de recouvrer nécessairement une créance de charges, élargie et alourdie à l'occasion de celle-ci. La forme de cette mise en demeure résulte du texte spécial de l'
article 64 du décret du 17 mars 1967🏛, lequel prévoit la L.R.A.R. et fait courir le délai de 30 jours à compter du lendemain de la première présentation de cette lettre au domicile du copropriétaire, lequel est le dernier que celui- ci a déclaré au syndic4. En revanche, aucun texte spécial n'est relatif au contenu même de cette mise en demeure, auquel renvoie directement la question posée aujourd'hui à la Cour. Pour répondre à celle ci, au-delà même de la notion d'“interpellation suffisante” exigée d'une mise en demeure dans le droit commun des obligations par l'article 1344 c.civ, il y a lieu de s'inspirer de la jurisprudence développée dans certains domaines spécifiques, en prenant en considération ici l'objet, les conséquences et la finalité de la mise en demeure de l'article 19-2 qui viennent d'être rappelés. Le Rapport rappelle, à juste titre, la jurisprudence exigeante développée par la Cour dans certains domaines comme celui du bail commercial 5 ou le paiement des cotisations sociales6, l'interpellation du débiteur devant ainsi lui permettre une connaissance précise sur la cause, la nature, le montant des sommes réclamées, ainsi que la période à laquelle elles se rapportent. C'est donc cette notion d'interpellation utile, informative et dénuée d'ambiguïté pour le débiteur qu'il y a lieu de privilégier, tout particulièrement pour la mise en demeure de l'article 19-2.
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Art. 65 al. 2.
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Civ.3, 17 mars 2016,14-29.923 ; Civ.3, 14 juin 2018, 17-18.873.
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Civ.2, 4 avr 2018, Bull.2018, II, n° 69.
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Le copropriétaire interpellé doit aisément pouvoir prendre la mesure exacte de l'injonction qui lui est faite, pour lui permettre d'identifier clairement la réponse appropriée attendue, selon le texte, dans le délai requis. En effet, pour remplir loyalement et efficacement la fonction qui lui a été assignée par le législateur, cette mise en demeure doit permettre au copropriétaire débiteur de comprendre qu'en cas de paiement dans le délai des provisions échues, il échappera à l'engagement de la poursuite sur ce fondement pour le paiement de l'intégralité de la créance invoquée par le syndicat pouvant comprendre des charges ainsi que des provisions non encore échues. Dès lors, il nous paraît peu discutable que la mise en mise en demeure de l'article 19-2 doit clairement distinguer les provisions dues au titre de l'article 14-1 de toutes autres charges ou provisions. Or, le contentieux devant les juges du fond révèle que les mises en demeure des syndicats sur le fondement de l'article 19-2 comportent souvent, comme en l'espèce, un montant global d'impayés, voire même y agrègent des sommes non encore exigibles à ce stade. La réponse sus-énoncée qu'il est ainsi ici recommandé d'apporter par la Cour doit permettre de mettre fin à la dérive que constituent ces pratiques, dénaturant, selon nous, la finalité et l'esprit de cette procédure spéciale instituée par la loi.
Enfin, le Rapport aborde opportunément la question de la sanction d'une mise en demeure irrégulière qui ne respecterait pas cette exigence de distinction des charges : rejet au fond de la demande ou fin de non recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'action ? Au regard de la diversité des réponses des juges du fond soulignée par le Rapport et de leurs conséquences procédurales, et même si la saisine ne vous invite pas explicitement à y répondre, il serait regrettable d'éluder cette question, et de ne pas donner une orientation claire sur ce point.
Pour notre part, il nous semble justifié et opportun de retenir la sanction de la fin de non recevoir plutôt que celle d'un rejet au fond.
En effet, il résulte clairement de nos développements précédents que la régularité de cette formalité préalable que constitue la mise en demeure de l'article 19-2 conditionne ainsi bien véritablement le droit d'accès à ce juge de la procédure accélérée au fond, et donc le droit d'agir sur le fondement de cette procédure prévue par ce même texte7. 7
Ch ; Mixte, 12 dec.2014,
13-19.684⚖️ ; Ch.Mixte, 21 sept.2016
15-23.250⚖️ ;
Civ.3, 5 dec.2001, 00-14.522⚖️ ;
Com.27 sept.2005, 03-20.390⚖️.
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Par ailleurs, retenir le caractère non fondé de la demande pourrait pénaliser les syndicats de copropriétaires, lesquels pourraient ensuite se voir opposer l'autorité de la chose jugée dans le cadre d'une demande fondée sur l'article 19-2 et interdire de solliciter une nouvelle condamnation concernant les charges visées irrégulièrement dans une première mise en demeure mal rédigée.
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