TA Marseille, du 02-12-2024, n° 2411745
A08136LP
Référence
Le candidat à l'attribution d'un marché ne peut être exclu de la procédure de passation sur la seule foi de faits prétendument dévoilés par une émission de télévision.
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 et 28 novembre 2024, la société ENSO, représentée par la société d'avocats Itinéraires avocats, demande au juge des référés :
1°) sur le fondement de l'article L. 551-1 du code de justice administrative🏛, d'annuler la décision du 6 novembre 2024 par laquelle la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles l'a exclue de la procédure de passation d'un marché de transport et de traitement des déchets ;
2°) d'annuler la décision par laquelle la communauté de communes a attribué le marché ;
3°) d'enjoindre à la communauté de communes de reprendre la procédure au stade de l'analyse des offres ;
4°) de mettre à la charge de la communauté de communes des Baux-Alpilles la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Elle soutient que :
- la décision d'exclusion méconnaît les dispositions de l'article L. 2141-7 du code de la commande publique🏛, dès lors qu'elle n'a pas manqué à ses obligations contractuelles envers la métropole Nice-Côte d'Azur, ce marché n'ayant pas fait l'objet d'une résiliation ou d'une autre sanction, que les manquements ne sont pas identifiés par la communauté de communes, qui n'a pas pris en compte ses observations, que ces dispositions ne permettent pas de sanctionner d'éventuelles infractions au code de l'environnement, les installations pouvant être exploitées régulièrement quand bien même elles font l'objet de mises en demeure, astreintes ou amendes, qui sont étrangères à des manquements contractuels, que ces infractions concernent, en tout état de cause, une société tierce, juridiquement distincte ;
- la communauté de communes a fait preuve de partialité dès lors qu'elle n'a pas exclu la candidature de la société Suez RV Méditerranée alors que celle-ci a également fait l'objet d'une mise en demeure préfectorale.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 novembre 2024, la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société ENSO la somme de 3 600 euros au titre de l'article L. 761-1.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par la société ENSO ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive n° 2014/24/ UE du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2014 ;
- le code de la commande publique ;
- le code de justice administrative.
Le président du tribunal a désigné M. Gonneau, vice-président, pour statuer sur les demandes de référés.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique du 28 novembre 2024 tenue en présence de M. Bardoux-Jarrin, greffier d'audience, M. Gonneau a lu son rapport et a entendu les observations de Me Cadoz, représentant la société ENSO et celles de Me Beluch, représentant la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'issue de l'audience.
1. La communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a soumis à la concurrence un marché portant sur le transport et le traitement de déchets de déchetterie. La société ENSO a candidaté pour le lot n° 10 relatif au traitement des encombrants. Par un courrier du 6 novembre 2024, la communauté de communes a informé la société ENSO qu'elle l'excluait du marché sur le fondement des dispositions de l'article L. 2141-7 du code de la commande publique. La société ENSO demande à titre principal l'annulation de cette décision.
2. Aux termes de l'article L. 551-1 du code de justice administrative : " Le président du tribunal administratif, ou le magistrat qu'il délègue, peut être saisi en cas de manquement aux obligations de publicité et de mise en concurrence auxquelles est soumise la passation par les pouvoirs adjudicateurs de contrats administratifs ayant pour objet l'exécution de travaux, la livraison de fournitures ou la prestation de services, avec une contrepartie économique constituée par un prix ou un droit d'exploitation, la délégation d'un service public ou la sélection d'un actionnaire opérateur économique d'une société d'économie mixte à opération unique () ". Aux termes de l'article L. 551-2 du même code : " I.- Le juge peut ordonner à l'auteur du manquement de se conformer à ses obligations et suspendre l'exécution de toute décision qui se rapporte à la passation du contrat, sauf s'il estime, en considération de l'ensemble des intérêts susceptibles d'être lésés et notamment de l'intérêt public, que les conséquences négatives de ces mesures pourraient l'emporter sur leurs avantages. / Il peut, en outre, annuler les décisions qui se rapportent à la passation du contrat et supprimer les clauses ou prescriptions destinées à figurer dans le contrat et qui méconnaissent lesdites obligations () ".
3. Aux termes de l'article L. 2141-7 du code de la commande publique : " L'acheteur peut exclure de la procédure de passation d'un marché les personnes qui, au cours des trois années précédentes, ont dû verser des dommages et intérêts, ont été sanctionnées par une résiliation ou ont fait l'objet d'une sanction comparable du fait d'un manquement grave ou persistant à leurs obligations contractuelles lors de l'exécution d'un contrat de la commande publique antérieur ". Aux termes de l'article 57 de la directive du 26 février 2014 : " () 4. Les pouvoirs adjudicateurs peuvent exclure ou être obligés par les États membres à exclure tout opérateur économique de la participation à une procédure de passation de marché dans l'un des cas suivants : () g) des défaillances importantes ou persistantes de l'opérateur économique ont été constatées lors de l'exécution d'une obligation essentielle qui lui incombait dans le cadre d'un marché public antérieur, d'un marché antérieur passé avec une entité adjudicatrice ou d'une concession antérieure, lorsque ces défaillances ont donné lieu à la résiliation dudit marché ou de la concession, à des dommages et intérêts ou à une autre sanction comparable () ".
4. En premier lieu, la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a entendu exclure la société requérante au motif qu'elle aurait manqué gravement à ses obligations contractuelles envers la métropole de Nice dans l'exécution d'un marché de traitement de déchets, au regard de ce qui aurait été révélé par une émission de télévision. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que la métropole de Nice aurait, à la suite de ce reportage, résilié le marché, que la société ENSO aurait dû verser une indemnité à la métropole ou que la société aurait fait l'objet d'une sanction comparable. À cet égard, à supposer même qu'il soit établi que la métropole de Nice aurait porté plainte et se serait constituée partie civile à l'encontre de la société ENSO dans le cadre de l'information judiciaire relative aux faits dont faisait état le reportage télévisé, ces circonstances ne peuvent être regardées comme constituant une sanction comparable au sens des dispositions précitées dès lors que cette procédure pénale serait toujours en cours. La circonstance que le préfet des Alpes-Maritimes a mis en demeure le 28 avril 2023 la société ENSO de respecter quatre obligations dans le cadre de l'exploitation d'une installation classée ne constitue pas non plus une sanction, et ce d'autant moins qu'il résulte d'un courrier du 3 octobre 2023 que la société ENSO, en tout état de cause, s'est conformée à cet arrêté.
5. En second lieu, la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a reproché à la société ENSO la circonstance qu'une amende administrative d'un montant de 5 000 euros et une astreinte ont été mises à la charge de la société ENSO Aix-la Duranne par des arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône du 14 juin 2024, postérieurement à un arrêté de mise en demeure du 4 juillet 2023, en raison respectivement de dépassements répétés du volume autorisé de déchets présente sur l'installation qu'elle exploite et des conditions de stockage de déchets compostés. À supposer même que la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles puisse se fonder sur des faits reprochés à une autre société que la société candidate au marché, il ne résulte pas de l'instruction que le ou les marchés dont serait titulaire la société ENSO Aix-la Duranne, aucune précision n'étant apportées sur ce point, auraient été résiliés en raison de ces faits ou que la société aurait dû verser des indemnités à son ou ses co-contractants, qui restent indéterminés, ou qu'elle aurait fait l'objet d'une sanction comparable de leur part. Enfin l'amende administrative d'un montant de 5 000 euros, qui n'a pas été infligée par le co-contractant, à supposer, encore une fois, qu'elle pourrait constituer une sanction au sens des dispositions précitées, ne saurait être regardée, au regard de son montant modique, comme une sanction comparable à des dommages et intérêts ou une résiliation du fait d'un manquement grave ou persistant à des obligations contractuelles.
6. Il résulte de ce qui précède que la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 2141-7 du code de la commande publique qui a lésé les intérêts de la société ENSO dès lors que cette illégalité a conduit à son exclusion. Par suite, la décision du 6 novembre 2024 par laquelle la communauté de communes a exclu la société ENSO de la procédure de passation du marché en cause doit être annulée. Par voie de conséquence, et alors que la communauté de communes n'allègue pas que la société ENSO n'avait aucune chance de se voir attribuer le contrat, la décision par laquelle la communauté de communes a attribué le marché à la société Suez RV Méditerranée doit également être annulée et il doit être enjoint à la communauté de communes vallée des Baux-Alpilles de reprendre la procédure de passation du marché en cause au stade de l'analyse des offres, sous réserve que la candidature de la société ENSO ne puisse être écartée pour un autre motif que celui retenu par la décision du 6 novembre 2024.
7. En application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, les conclusions de la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société ENSO et non compris dans les dépens.
Article 1er : La décision du 6 novembre 2024 par laquelle la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles a exclu la société ENSO de la procédure de passation du marché en cause est annulée, ainsi que la décision par laquelle la communauté de communes a attribué le marché à la société Suez RV Méditerranée.
Article 2 : Il est enjoint à la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles de reprendre la procédure de passation au stade de l'analyse des offres, sous réserve que la candidature de la société ENSO ne soit pas irrecevable pour un autre motif que celui retenu par la décision du 6 novembre 2024.
Article 3 : La communauté de communes de la vallée des Baux-Alpilles versera à la société ENSO une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : La présente ordonnance sera notifiée à la société ENSO, à la communauté de communes Vallée des Baux-Alpilles et à la société Suez RV Méditerranée.
Le juge des référés,
Signé
P-Y. GONNEAU
La République mande et ordonne au préfet des Bouches-du-Rhône en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
Article, L551-1, CJA Arrêté, 04-07-2023 Traitement des déchets Mise en concurrence Pouvoirs adjudicateurs Prestation de service Intérêt public Exclusion des personnes Manquement aux obligations contractuelles Contrat de commande publique Entité adjudicatrice Résiliation du marché Indemnité Information judiciaire Exploitation d'une installation classée Arrêté de mise en demeure Société candidate