Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 19 décembre 1995
Rejet
N° de pourvoi 92-18.134
Inédit titré
Président M. BEZARD
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par la société Abyssus, dont le siège est Paris, en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1992 par la cour d'appel de Versailles (chambres réunies), au profit
1 / de la société Sopromer, société à responsabilité limitée, dont le siège est Paris,
2 / de la société Lady Jane, société à responsabilité limitée, dont le siège est Paris,
3 / de Mme Monique ..., prise en sa qualité d'administrateur au redressement judiciaire et de commissaire à l'exécution des plans de cessions des sociétés Sopromer et Lady ..., demeurant Paris,
4 / de M. ..., pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Lady Jane, demeurant Paris,
5 / de M. ..., pris en sa qualité de représentant des créanciers de la société Sopromer, demeurant Paris,
6 / de M. Henri ..., demeurant Paris, défendeurs à la cassation ;
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 novembre 1995, où étaient présents M. Bézard, président, M. Tricot, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, Mme Piniot, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Tricot, les observations de la SCP Vier et Barthélémy, avocat de la société Abyssus, de Me ..., avocat de M. ..., ès qualités, de Me ..., avocat de Mme ..., ès qualités, les conclusions de Mme Piniot, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Attendu, selon l'arrêt déféré (Versailles, 2 avril 1992) rendu sur renvoi après cassation, qu'après avoir ouvert le redressement judiciaire des sociétés Sopromer et Lady ..., le Tribunal a adopté le plan de cession de ces deux sociétés à la société Abyssus ;
que la cour d'appel de Paris a déclaré irrecevable l'appel formé par les deux débitrices ;
que la Cour de Cassation a annulé cet arrêt ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre branches
Attendu que la société Abyssus reproche à l'arrêt déféré d'avoir déclaré recevable l'appel formé par les sociétés Sopromer et Lady ... contre le jugement ordonnant la cession, et d'avoir annulé ce jugement et l'acte de cession signé en exécution alors, selon le pourvoi, d'une part, que les énonciations du jugement relatives à la procédure suivie devant le Tribunal ne pouvaient être remises en cause que par la voie de l'inscription de faux ;
que faute d'observation de cette procédure, la cour d'appel a violé les articles 303 et suivants du nouveau Code de procédure civile ;
alors, d'autre part, qu'en admettant que faute de commencement de preuve que M. ... aurait eu connaissance de la candidature de la société Abyssus avant l'audience, cette affirmation, contraire des énonciations du jugement, devait être retenue pour exacte, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve en violation de l'article 1315 du Code civil ;
alors, en outre, que la recevabilité de l'appel-nullité suppose une violation grave de procédure ou un excès de pouvoir du Tribunal ; qu'il ressortait des énonciations du jugement que toutes les parties avaient formulé des observations et que le Tribunal n'avait statué qu'après avoir recueilli ces observations ;
qu'ainsi, à supposer établie la tardiveté du dépôt du rapport et le caractère incomplet de la convocation visant la liquidation et non la cession, la cour d'appel a insuffisamment caractérisé la violation grave de procédure ou l'excès de pouvoir entachant, par là même, sa décision d'un défaut de base légale au regard des articles 542 et 543 du nouveau Code de procédure civile, et l'article 174 de la loi du 25 janvier 1985 ; et alors, enfin, qu'en se bornant à déduire la recevabilité de l'appel-nullité de l'irrecevabilité de l'appel-réformation, sans relever les violations graves de procédure qui seraient résulté du refus d'examiner un projet de plan de continuation manifestement non conforme aux exigences légales, la cour d'appel a entaché sa décision d'un défaut de base légale au regard des textes susvisés ;
Mais attendu, d'une part, que la cour d'appel était tenue d'examiner la régularité de la procédure de première instance pour se prononcer sur la recevabilité de l'appel ;
Attendu, d'autre part, que pour apprécier la régularité de la procédure d'adoption du plan de cession proposé par la société Abyssus, la cour d'appel a constaté que ne sont pas contredites les affirmations de M. ..., gérant des deux sociétés en redressement judiciaire, selon lesquelles il a eu connaissance de la candidature de la société Abyssus, comme les autres parties, au cours de l'audience du 3 octobre 1988 à laquelle il avait été convoqué en prévision d'une éventuelle décision de liquidation judiciaire des deux sociétés ;
que c'est sans inverser la charge de la preuve que la cour d'appel en a déduit que le plan de cession proposé par la société Abyssus n'avait été dévoilé qu'au moment de cette audience ;
Attendu, en outre, qu'après avoir constaté que le rapport de l'administrateur judiciaire sur le plan de cession, proposé par la société Abyssus le 3 octobre 1988, avait été établi le 10 octobre 1988 ou les jours suivants, et que le Tribunal, qui avait clos les débats le 3 octobre et ne les avait pas ouverts ultérieurement, avait ordonné la cession à la société Abyssus le 17 octobre, la cour d'appel a exactement déclaré l'appel-nullité recevable, aucune disposition ne pouvant interdire de faire constater, selon les voies de recours du droit commun, la nullité d'une décision rendue en violation du principe de la contradiction, principe essentiel de procédure ;
Attendu, enfin, que la cour d'appel n'a pas déduit la recevabilité de l'appel nullité de l'irrecevabilité de l'appel-réformation mais a constaté que si le premier était recevable, le second ne l'était pas ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Et sur le second moyen
Attendu que la société Abyssus reproche enfin à l'arrêt de l'avoir condamnée aux entiers dépens de l'instance, alors, selon le pourvoi, que l'administrateur avait conclu à l'irrecevabilité de l'appel des sociétés Sopromer et Lady ... ;
que la cour d'appel a annulé le jugement arrêtant le plan de cession en se fondant sur des irrégularités toutes imputées à l'administrateur ; qu'ainsi le seul fait que les dépens eussent provisoirement pesé sur les deux sociétés appelantes ne pouvait suffire à faire perdre à l'administrateur judiciaire sa qualité de partie perdante et à justifier que la charge de ceux-ci pesât en totalité sur la société Abyssus, sans violation de l'article 696 du nouveau Code de procédure civile ;
Mais attendu que les juges du fond, lorsque deux parties succombent respectivement sur quelques chefs de leurs prétentions, sont investis d'un pouvoir discrétionnaire pour mettre les dépens à la charge de l'une d'elles, sans avoir à justifier l'exercice de ce pouvoir par des motifs spéciaux ;
d'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Abyssus, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du dix-neuf décembre mil neuf cent quatre-vingt-quinze.