Cour de Cassation
Chambre commerciale
Audience publique du 14 février 1989
Rejet
N° de pourvoi 87-14.564
Inédit
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant
Sur le pourvoi formé par
1°/ la société anonyme UNICREDIT, dont le siège social est à Paris (6e), 128-130, boulevard Raspail,
2°/ la Banque nationale de Paris (BNP), société anonyme, dont le siège social est à Paris (9e), 16, boulevard des Italiens,
3°/ la Banque du bâtiment et des travaux publics, société anonyme, dont le siège social est à Paris (17e), 253, voulevard Pereire,
4°/ la SOCIÉTÉ GÉNÉRALE, société annyme, dont le siège social est à Paris (9e), 29, boulevard Haussmann,
5°/ le CRÉDIT LYONNAIS, société anonyme, dont le siège social est à Paris (2e), 19, boulevard des Italiens, en cassation d'un arrêt rendu le 2 avril 1987, par la cour d'appel d'Agen (1re chambre), au profit
1°/ de la société anonyme DUCLER FRÈRES, dont le siège social est à La Bourdette, Mirande (Gers),
2°/ de la société anonyme ENTREPRISE DUCLER, dont le siège social est à La Bourdette, Mirande (Gers), ces deux sociétés prises en la personne de leur représentant légal, M. Patrick X, désigné aux fonctions de directeur général par décision de justice du 27 février 1987 et de M. W, commissaire à l'exécution du plan des sociétés anonymes DUCLER frères et entreprise DUCLER,
3°/ de Monsieur Guy V, administrateur judiciaire, demeurant à Agen (Lot-et-Garonne), 3, rue Béranger, pris en sa qualité d'administrateur judiciaire au redressement judiciaire des sociétés ENTREPRISE DUCLER et DUCLER frères, désigné par jugement du 29 août 1986, maintenu par décision du tribunal de commerce d'Auch du 27 février 1987, défendeurs à la cassation ;
Les demandeurs invoquent à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 17 janvier 1989, où étaient présents M. Baudoin, président, M. ..., rapporteur, MM. Patin, Peyrat, Cordier, Nicot, Sablayrolles, Mmes Pasturel, Loreau, MM. Vigneron, Edin, conseillers, MM. Lacan, Le Dauphin, conseillers référendaires, M. Jeol, avocat général, Mme Arnoux, greffier de chambre ;
Sur le rapport de M. le conseiller Defontaine, les observations de Me Vincent, avocat de la société anonyme Unicrédit, de la Banque nationale de Paris, de la Banque du bâtiment et des travaux publics, de la Société Générale et du Crédit Lyonnais, de Me Ryziger, avocat de M. W ès qualités, les conclusions de M. Jeol, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur les deux moyens réunis, pris en leursdiverses branches
Attendu, selon l'arrêt attaqué, statuant en matière de référé (Agen, 2 avril 1987), qu'à compter du 31 janvier 1986, la Banque nationale de Paris, la Banque française du commerce extérieur, la Banque du bâtiment et des travaux publics, la Société Générale, le Crédit Lyonnais et leur chef de file, la société Unicrédit (les banques) ont cessé d'apporter leur concours à la société Ducler frères ainsi qu'à la société Entreprise Ducler (les sociétés Ducler) ; que le 28 février suivant, celles-ci ont été mises en redressement judiciaire ; qu'à la demande de l'administrateur, les banques ont accepté de mobiliser les créances professionnelles de l'entreprise ; qu'après que le tribunal ait arrêté le plan de continuation de celle-ci, les banques ont fait connaître, par lettre parvenue le 11 mars 1987, qu'elles n'envisageaient pas de "revenir sur la décision prise en janvier 1986 et, donc, de renouer des relations "avec les sociétés Ducler" ; que celles-ci et l'administrateur ont demandé, en référé, que les banques soient condamnées à procéder à la mobilisation des créances professionnelles à hauteur de 4 021 360,84 francs, remises à cet effet le 12 mars 1987 "comme à l'accoutumée" ; que le juge des référés a ordonné aux banques, sous astreinte, de procéder à cette mobilisation "dans des conditions
identiques aux mobilisations précédentes" tout en les condamnant solidairement "en tant que de besoin" au paiement à titre provisionnel, de la somme de 4 000 000 francs ;
Attendu qu'il est fait grief à l'arrêt d'avoir confirmé l'ordonnance entreprise alors, selon le pourvoi, d'une part, que les personnes participant à l'exécution du plan de redressement et notamment celles qui contribuent au financement de l'entreprise, ne peuvent pas se voir imposer des charges autres que celles découlant des engagements qu'elles ont souscrits au cours de la préparation dudit plan ; qu'en l'espèce, il est constant et il résulte des propres constatations de l'arrêt attaqué que les banques avaient mis fin à leurs concours avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire et qu'elles ont librement, après cette ouverture, accepté de fournir de nouveaux concours négociés, au titre de la période d'observation ; que les banques ne pouvaient, dès lors, se voir imposer une participation, même temporaire ou à titre de préavis, au financement du plan de redressement pendant sa période d'exécution si elles n'avaient pas préalablement souscrit l'engagement d'assumer, à ce titre et pendant cette période, le financement du plan de redressement ; que, par suite, la cour d'appel, qui ne constate pas que les banques aient pris un engagement de cette nature au cours de la préparation du plan de redressement, mais reconnait, au contraire, que l'administrateur ne s'est pas assuré de leur accord, ne pouvait les condamner à assurer la mobilisation des créances et à payer une provision dans le cadre et pour l'exécution de ce plan, sans violer l'article 62 de la loi du 25 janvier 1985 ; alors, d'autre part, qu'en se bornant à relever que les concours apportés par les banques pendant la période d'observation les ont "nécessairement conduites ...... à collaborer avec l'administrateur judiciaire à l'établissement du plan de redressement", sans constater qu'au cours de la préparation du plan, les banques avaient souscrit l'engagement de maintenir leur concours au delà de la période d'observation, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard du texte susvisé, ensemble au regard des articles 1134 et 1315 du Code civil ; alors, en outre, que les banques faisaient valoir, sans être démenties par l'arrêt attaqué, que le plan de redressement avait été arrêté et homologué sans qu'ait été préalablement déterminé le montant du passif, mais que la situation des sociétés débitrices s'avérait irrémédiablement compromise, de sorte qu'elles avaient été fondées, en toute hypothèse, à mettre fin, sans préavis, à leurs concours ; que, par suite, en se bornant à relever que le tribunal avait approuvé le plan de redressement, quand, au surplus, par arrêt de même date, elle infirme le jugement de ce tribunal notamment pour n'avoir pas respecté les prescriptions de la loi relative à l'apurement du passif, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984 ; alors, encore, que la cour d'appel, retenant
l'absence de préavis de la cessation des concours bancaires, sans dénier le droit des banques de mettre fin à ces concours, ne pouvait leur ordonner de procéder à la mobilisation des créances existantes sans limitation de durée ; qu'ainsi, elle n'a pas tiré de ses propres constatations les conséquences qu'elles impliquaient nécessairement et a ainsi violé l'article 1184 du Code civil ; alors, de surcroît, que le juge des référés ne peut accorder une provision au créancier que si l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestée ; qu'en l'espèce, la question de savoir si, en droit, les banques avaient l'obligation de maintenir leur concours au delà de la phase d'observation sans engagement de leur part et si, en fait, la participation à la phase d'observation valait engagement pour la phase de redressement, soulevait une difficulté sérieuse, exclusive de l'octroi d'une provision ; qu'en l'accordant néanmoins aux sociétés en redressement judiciaire, l'arrêt attaqué a violé les dispositions de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ; et alors enfin, que la provision suppose que l'exécution de l'obligation principale n'est pas ordonnée et qu'elle ne doit être que le commencement d'exécution de cette dernière ; qu'en l'espèce, dès lors que la cour d'appel ordonnait aux banques de procéder à la mobilisation des créances des sociétés, c'est-à-dire à exécuter l'obligation principale, elle ne pouvait octroyer une provision, par ailleurs excédant les termes de l'obligation, laquelle consistait en la mobilisation de créances commerciales et non dans le paiement pur et simple d'une somme d'argent, sans violer derechef le texte susvisé ;
Mais attendu, en premier lieu, que les sociétés Ducler et l'administrateur ayant conclu à la confirmation de l'ordonnance du juge des référés "en toutes ses dispositions", il ne résulte ni de leurs conclusions ni de l'arrêt, que les banques aient soutenu devant la cour d'appel l'argumentation développée dans la dernière branche ;
Attendu, en second lieu, qu'ayant constaté qu'après l'ouverture du redressement judiciaire les banques avaient accordé leur soutien financier à l'entreprise sans que l'octroi de ce concours ait été limité dans le temps ni qu'un délai de préavis ait été stipulé pour y mettre fin, les juges d'appel ont retenu que les banques avaient interrompu brutalement leur soutien financier sans justifier de l'un des événements pouvant légitimement les dispenser d'assortir cette rupture d'un délai raisonnable, en sorte que leur comportement s'analysait en un trouble manifestement illicite qui rendait le juge des référés compétent pour y mettre fin ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel, qui ne s'est pas prononcé sur le financement de l'entreprise durant la période d'exécution du plan et n'a pas davantage prescrit la mobilisation des créances professionnelles "sans limitation de durée", a justifié légalement
sa décision au regard, tant de l'article 60 de la loi du 24 janvier 1984 que de l'article 873 du nouveau Code de procédure civile ;
Qu'irrecevables comme étant nouveaux et mélangés de fait et de droit en leur dernier grief, les moyens ne sont pas fondés pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les demandeurs, envers les défendeurs, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, et prononcé par M. le président en son audience publique du quatorze février mil neuf cent quatre vingt neuf.
Décision attaquée cour d'appel d'Agen (1re chambre) 1987-04-02